octobre 26, 2005
6 - La rebaptisation : hm CASSIEN
LA REBAPTISATION
Un de nos lecteurs nous a demandé à plusieurs reprises pourquoi l'Église orthodoxe rebaptise les personnes qui viennent d'une autre confession à l'Orthodoxie.
La rebaptisation fait partie de l'ecclésiologie. Chaque Église locale a sa propre ecclésiologie, sa propre pratique. C'est pourquoi nous voyons au court des siècles telle Église qui rebaptise les hérétiques, telle autre qui les reçoit seulement par la confirmation (le saint Chrême), et une autre encore qui applique avec discernement tantôt la rebaptisation, tantôt seulement la confirmation. Dans le recueil des canons (Pedalion), sont contenus des canons qui se prononcent pour la rebaptisation et d'autres qui sont contre. l'Église se contredirait-elle ? Non, certes pas. Mais ces deux pratiques se complètent. De même quand l'Église applique tantôt l'économie, tantôt la précision (l'acribie). Il s'agit là de pratiques relatives et non de la vérité absolue ou des dogmes. Chaque Église locale est donc autorisée à constituer sa propre ecclésiologie, guidée par l'Esprit saint, et en tenant compte des circonstances.
Il y eu des controverses entre saint Cyprien de Carthage et le pape de Rome, saint Etienne 1er, à propos de la rebaptisation. Pourtant, aucune de ces pratiques n'a pu annuler l'autre et se donner pour absolue. Il reste donc qu'il n'y a pas de règle absolue en ce qui concerne cette pratique et que chaque Église locale a la possibilité et le droit d'appliquer dans son ecclésiologie la pratique qu'elle juge adéquate.
Le concile d'Arles (en 314) applique uniquement la confirmation (dans le cas où le candidat était déjà baptisé au nom de la sainte Trinité), mais reconnaît que les Africains ont leur propre loi, c'est-à-dire qu'ils rebaptisent. Voici le texte du canon :
"Quant à la coutume des Africains de rebaptiser, il a été décidé que si quelqu'un quittait l'hérésie pour rentrer dans l'Église, on devait l'interroger sur le symbole. Si, par les réponses, on voit qu'il a été baptisé au nom du Père, du Fils, et du saint Esprit, on lui imposera seulement les mains, afin qu'il reçoive le saint Esprit, c'est-à-dire que l'on lui donnera le sacrement de confirmation; s'il ne répond pas sur la Trinité, on devra le rebaptiser." (8e canon).
Le mot "symbole" désigne le symbole de la foi, c'est-à-dire le Credo. Ce canon ne figure pas dans le Pedalion.
Nous mentionnerons quelques autres canons qui traitent de cette question en l'éclairant :
"L'évêque, le prêtre ou le diacre qui a reconnu le baptême ou le sacrifice des hérétiques, nous ordonnons qu'il soit déposé; quel accord peut-il en effet exister entre le Christ et Béliar, et quelle part peut avoir l'infidèle avec le fidèle ?" (46e canon apostolique).
Il s'agit, dans ce canon, non de la rebaptisation, mais de la valeur du baptême en lui-même.
"Si un évêque, un prêtre ou un diacre baptise à nouveau celui qui a reçu le vrai baptême, ou bien ne rebaptise pas celui qui a reçu le baptême souillé des hérétiques, qu'il soit déposé, parce qu'il se rit de la Croix et de la Mort du Seigneur et ne distingue pas les prêtres des faux-prêtres."
(47e canon apostolique)
Il ne faut pas rebaptiser un apostat, puisqu'il a déjà reçu le vrai et unique baptême, qu'on ne peut pas annuler. Tandis que le canon prescrit la rebaptisation de celui qui n'a reçu que le baptême simulacre des hérétiques.
"Au sujet des clercs de ceux qui s'appellent eux-mêmes les cathares le grand concile décide, si jamais il veulent entrer en groupe dans l'Église catholique et apostolique, qu'on leur impose les mains, et qu'ils restent ensuite dans le clergé; mais avant tout il promettront par écrit de se soumettre aux règles disciplinaires de l'Église catholique et apostolique et d'y conformer leur conduite..."
(8e canon du concile oecuménique de Nicée)
Il est question dans ce canon des Novatiens ou Cathares et non des Cathares de France. Si des schismatiques reviennent en groupe à l'Orthodoxie, l'Église facilite leur entrée par économie.
"Ce canon témoigne en faveur d'une grande douceur envers les Novatiens et donne à penser que si, dans l'Église, on blâmait, avec raison, leur excessive sévérité, on ne les confondait pas cependant avec les hérétiques qui cherchaient à dénaturer les doctrines de l'Église." (W. Guettée)
"Si quelques-uns reviennent de l'hérésie des paulianistes à l'Église catholique, il est statué qu'ils devront être baptisés..."
(19e canon du Concile oecuménique de Nicée)
"Paul de Samosate, ne croyant pas à la divinité de Jésus Christ et errant sur l'essence divine, n'administrait pas le baptême au nom du Père, du Fils et du saint Esprit; c'est pourquoi le concile regarde son baptême comme invalide." (W. Guettée)
"Ceux qui passent de l'hérésie à l'Orthodoxie et à l'héritage des élus doivent être reçus de la manière suivante. Les ariens et les macédoniens, les sabbaziens et les novatiens qui se qualifient de purs, et les aristeroi; de même que les tétradites et les apollinaristes, ne doivent être admis qu'après avoir anathématisé par écrit toutes les hérésies qui ne s'accordent pas avec la sainte, catholique et apostolique Église de Dieu, et aussi après avoir été marqués du saint chrême en forme de croix au front, aux yeux, à la bouche et aux oreilles; et en les marquant du signe de la croix nous disons : Sceau du don du saint Esprit. Quant aux eunomiens qui ne baptisent qu'avec une seule immersion, et aux montanistes que l'on appelle phrygiens, et aux sabelliens qui enseignent la doctrine du Fils-égal-Père et commettent d'autres choses abominables, et enfin, pour les autres hérétiques, (et il en existe ici un grand nombre, surtout ceux qui viennent de la Galatie), s'ils veulent passer à l'Orthodoxie, nous ne les recevons que comme des païens : le premier jour nous les marquons du signe du chrétien, le deuxième jour nous en faisons des catéchumènes, le troisième jour nous les exorcisons en leur soufflant trois fois sur le visage et sur les oreilles, et nous les instruisons alors et les laissons venir à l'église pendant un an à entendre les saintes Écritures, après cela nous les baptisons."
(7e canon du concile oecuménique de Constantinople).
Le 95e canon du concile "in Trullo" reprend ce canon-ci en citant d'autres cas d'hérétiques.
Le 7e et le 8e canon du concile de Laodicée fait la même distinction en recevant les uns par le saint chrême et les autres par le baptême.
"Nous avons été chargés d'en référer à vous au sujet de la décision du synode de Capoue, c'est-à-dire qu'il est interdit de procéder à des rebaptisations ou à des réordinations ou des transferts d'évêques d'un siège à un autre..."
(48e canon du concile de Carthage)
Ce canon ne fait que confirmer le 47e canon apostolique, c'est-à-dire qu'il est interdit de rebaptiser un apostat.
"... Les enfants en bas âge baptisés par les donatistes et qui n'ont pu encore connaître l'abîme de leur erreur, si parvenus à l'âge de raison et la vérité reconnue, ils détestent la perversion des donatistes, ils seront reçus dans l'Église catholique répandue dans tout l'univers par la simple imposition des mains comme le veut la règle ancienne; ces mêmes enfants ne doivent pas se voir refuser l'accès à l'ordre clérical à cause du nom de leur erreur précédente, puisqu'en venant à la vraie foi, ils admirent la véritable Église comme la leur et par leur foi au Christ, ils y reçoivent les saints mystères de la sainte Trinité; mystères qui sont tous, nous le savons bien, vrais et saints et divins, et en eux est placée toute l'espérance de notre âme, quoique l'audace mentionnée des hérétiques a l'effronterie d'enseigner sous couvert de vérité certaines propositions contraires à la vérité, mais comme ces saints mystères sont simples, comme l'enseigne l'Apôtre en disant : 'Un seul Dieu, une foi, un baptême', et que ce qui a été donné une fois, il n'est pas permis de le renouveler : ayant anathématisé le nom de l'erreur, ils seront reçus par l'imposition de la main dans le sein de l'unique Église, l'Église appelée colombe et seule mère des chrétiens, dans laquelle tous les sacrements sont reçus pour le salut éternel et la vie de l'âme. Ces sacrements procurent à ceux qui persistent dans l'hérésie un plus grand châtiment de condamnation, car ce qui eût été pour eux un point plus lumineux à suivre vers la vie éternelle s'ils étaient dans la vérité, cela est dans l'erreur un point plus obscur et plus abhorré..."
(57e canon du concile de Carthage).
Il s'agit des enfants qui ont donc reçu le baptême hérétique, mais dont la conscience n'a pas encore été souillée par des doctrines corrompues.
Suit le canon XIX de saint Timothée d'Alexandrie:
"Question : Pourquoi nous ne rebaptisons pas tous les hérétiques, lorsqu'ils font retour à l'Église catholique ?
Réponse : Si cela se faisait, c'est sans empressement qu'un homme reviendrait de son hérésie à l'Église, ayant honte d'être rebaptisé; par ailleurs, le saint Esprit descend aussi normalement sur les hommes par la simple imposition des mains, comme en témoignent les Actes des apôtres."
Ce canon montre bien que l'imposition des mains contient la valeur et l'efficacité du baptême. Si par économie, on ne reçoit que la confirmation, l'effet est donc le même.
"Le cas des cathares avait été exposé dans le passé et vous avez bien rappelé qu'il faut suivre la coutume de chaque pays, vu que sur la validité de leur baptême, il a été différemment décidé par ceux qui ont traité de leur cas ... Nos anciens décidèrent qu'est seul recevable ce baptême-là, qui ne contrevient uniquement aux articles de notre foi; d'où les noms d'hérésies, de schismes et de conventicules qu'ils ont donnés; d'hérésies, pour ceux qui ont rompu totalement avec l'Église et ont adopté une foi étrangère à la sienne; de schismes, pour ceux qui se sont mis en désaccord avec les autres pour des raisons d'administration ecclésiastique ou sur des questions faciles à régler; de conventicules, aux assemblées réunies en faveur des prêtres ou des évêques insoumis par des gens ignares ... Il a donc été décidé, dès le début, de déclarer absolument nul le baptême des hérétiques, mais de recevoir celui des schismatiques, puisqu'ils font encore partie de l'Église, tandis que ceux qui font partie des conventicules, corrigés par une pénitence et une conversion importantes, ils seront de nouveau réunis à l'Église ...
Quant aux cathares, ce sont, eux, des schismatiques, mais il a été décidé par les anciens ( ... ) de les soumettre tous à la même sentence ( ... ); car leur séparation d'avec l'Église commença bien par un acte de schisme, mais ceux qui se sont révoltés contre l'Église n'ont plus eu en eux la grâce du saint Esprit, la rupture de la succession en a interrompu la transmission; en effet, les premiers partis avaient reçu l'ordination des pères et ils possédaient le don de l'Esprit par l'imposition des mains de ceux-ci, mais une fois la communion rompue, réduits à l'état laïc, ils n'avaient le pouvoir ni de baptiser, ni d'ordonner, étant incapables de donner aux autres la grâce de l'Esprit saint qu'ils avaient eux-mêmes perdue; c'est pourquoi il avait été statué de purifier à nouveau par le vrai baptême, celui de l'Église, ceux d'entre eux qui reviennent à l'Église, vu que leur baptême leur avait été conféré par des laïcs; cependant, comme certains dans le diocèse d'Asie ont décidé de reconnaître leur baptême sans faire de distinction, pour le bien d'un grand nombre, qu'il soit reconnu ..."
(1er canon de saint Basile).
Saint Basile distingue bien entre hérétique, schismatique et conventicule (qui forment une assemblée à part), et parmi les schismatiques, il fait même une distinction: ceux qui ont reçu le baptême dans l'Orthodoxie et ceux qui ont été baptisés dans le schisme. Parce qu'ici le salut est en question, il cède sur l'exactitude (acribie).
"Réunis en synode, chers frères, nous avons lu la lettre que vous nous avez envoyée au sujet des hérétiques et des schismatiques, qui s'estiment baptisés et qui reviennent à l'Église catholique, la seule à nous baptiser et régénérer ..."
(1er canon de saint Cyprien).
Après cette déclaration, saint Cyprien parle de la valeur du baptême hérétique. La suite du canon serait intéressante, mais sort du sujet de notre article et s'étend d'ailleurs sur plusieurs pages. Tous ces canons se trouvent dans le Pedalion, hormis le canon du concile d'Arles.
Saint Vincent de Lérins dit dans son "Commonitorium" :
"Autrefois, Aggrippinus, vénérable évêque de Carthage, eut le premier de tous les hommes l'idée qu'il fallait rebaptiser les hérétiques. Par là, il s'opposait à la sainte Écriture à la règle de l'Église catholique, à l'opinion de tous ses collègues, aux moeurs et aux coutumes reçues de nos pères ..."(chap. VI)
Malgré la haute estime que nous avons pour le "Commonitorium" de saint Vincent, nous constatons cependant qu'il se trompe en prétendant que la rebaptisation est une innovation, puisque le concile apostolique, le concile de Nicée, etc., se prononcent déjà pour la rebaptisation.
Répétons-le encore une fois : la pratique de l'Église peut varier au cours des siècles et selon les circonstances. Chaque Église locale a sa propre ecclésiologie et sait avec discrétion appliquer soit la précision, soit l'économie. C'est toujours le même Esprit qui agit dans l'Église pour le salut de tous et dans la fidélité à la Tradition.
La question de la rebaptisation semble confuse pour un spectateur extérieur. Mais un tapis vu du côté de son revers n'a pas non plus de sens ni de suite. Dans l'Église, avec les yeux de la foi, tout trouve son sens et son harmonie.
hm. Cassien
À PROPOS DE LA REBAPTISATION
Étant donné les réactions provoquées par notre article précédent il nous semble bon d'apporter quelques éclaircissements complémentaires.
Un hérétique qui a reçu le baptême dans l'hérésie, mais selon le rite orthodoxe peut être reçu dans l'orthodoxie soit par le baptême, soit par la chrismation uniquement. Cela dépend de chaque Église locale. Par contre, un hérétique qui a reçu le baptême selon un rituel défectueux, par exemple, par simple aspersion (comme c'est le cas chez les latins) au lieu de la triple immersion, ne peut être reçu que par la rebaptisation. Par conséquent, si les "Russes Hors Frontières" et les néocalendaristes grecs reçoivent en leur sein papistes, protestants, etc. par confirmation uniquement, alors il ne s'agit plus d'économie, mais de transgression. Il y a une certaine latitude dans la pratique de la rebaptisation, mais il y a aussi des limites. Le 19e canon de saint Timothée ne contredit aucunement ce que nous venons de dire. Il faut voir ce canon en liaison avec les autres canons qui traitent de ce même sujet. En agissant différemment, on pourra faire tout ce qu'on voudra des canons. C'est ainsi que les sectes manipulent les Écritures.
D'autre part, si l'Église par économie, modifie le rituel du baptême, par exemple dans le cas d'un malade ou dans celui du baptême de sable (cf. dans ce n°, Jean Moschos), le baptême est quand même valide et efficace. Il peut aussi arriver que le prêtre commette une erreur involontaire lors de la cérémonie du baptême. Cette erreur n'efface en aucune façon l'efficacité du sacrement. "Le sabbat est fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat", dit le Christ (Mc 2,27). De même, le rituel est fait pour l'homme, et non l'inverse.
Ces quelques mots n'épuisent certes pas le sujet. Mais nous nous bornerons à ces quelques réponses afin de ne pas lasser nos lecteurs, qui ont des besoins spirituels et des intérêts divers.
hm.Cassien
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