août 25, 2011

L'Enseignement De Saint Basile Sur Le Saint-Esprit

L'Enseignement De Saint Basile Sur Le Saint-Esprit

Panagiotis Christou

Π. Κ Χρήστου, Θεολογικά Μελετήματα 2, Γραμματεία του Δ' αιώνος, Θεσσαλονίκη, 1975.


1. Les Pneumatomaques.

Pendant la première phase de la controverse arienne, les théologiens s'etaient exclusivement préoccupés du problème de la situation du Fils dans la Trinité. Et bien qu'il fût evident qu'en niant la divinité de natιιre du Fils, les Ariens nieraient bien davantage la divinité de l' Esprit, les adhérents du dogme de Nicée prirent la peine de combattre sur le front οù l'attaque était la plus grave. La pneumatomachie a faît son apparition lorsqu'οn distingua des groupes de tendances variées dans le camp des Ariens, en particulier quand certains d'entre eux commencèrent à admettre la divinité du Fils, ainsi que la formule homoousios, mais en périphrase.

Comme premiers pneumatomaques, apparaissent vers 360, les Tropicistes d'Egypte et les Anoméens d'Asie mineure. Ces derniers cependant avaient une même opinion humble du Fils et de l'Esprit. Les pneumatomaques irréductibles s'allient dès 370 en une faction particulière dirigée par Eustathe de Sébaste et qui unit les Homéens et les Hοméousiens. Ce sont ces gens-là qu'on appelle proprement les Ρneumαtοmaques, parce que par rapport aux Anoméens, ils οnt une conception plus élevée du Fils.

Saint Basile avait tendance à suppοser que les Pneumatomaques, lorsqu'ils cherchaient à diminuer la position éminente de l'Esprit, étaient conduits par des présuppositions logiques. Mais en réalité, divers motifs déterminaient leur manière de penser. Tout d'abord, l'absence d'une mention explicite de la divinité de l'Esprit dans la Bible, donne l'impression que les partisans de la divinité de l'Esprit introduiseut dans l'Eglise une divinité qui n'y est pas attestée et qui est, par conséquent, inacceptable. Εn second lieu, la conception de la transcendance absolue de Dieu exclut aussi la divinité de l'Esprit, et ses interventions dans les hommes et dans le monde. Troisiemement, la conception logique veut, que si l'Esprit est aussi Dieu, nous sombrons dans le trithéisme.

Ceux qui nient la divinité de l'Esprit purront répondre à la question: "Qu'est exactement l'Esprit?" de la même manière que les monarchianistes dynamiques pour qui l'Esprit n'est pas une personne, mais simplement une puissance (dynamis); saint Basile n'est pas confronté avec cette réponse. Davantage, ils peuvent aussi répondre que c'est une personne, mais qu'elle n'est pas divine. Ceux qui répondent ainsi partent du principe que les êtres existent soit comme inengendrés, comme Dieu, soit comme engendrés, comme le Fils, soit enfin, comme créatures. L'Esprit, n'appartenant ni à la première ni à la seconde de ces catégories, est nécessairement rangé parmi les creatures. Toutefois, en face des objections des orthodoxes, ils ont trouvé une position entre Dieu et la créature, de manière à situer l'Esprit au niveau d'un être à demi divin<1>. Autrement dit, l'Esprit n'est pas un serviteur, comme c'est le cas des êtres créés, et il n'est pas non plus un seigneur comme l'est Dieu: plutôt il est une troisième réalité, indépendante<2>. Ils ont formulé cette οpinion théologiquement et liturgiquement en assignant au Ρère, cοmme créateur le ex hou (de quel), au Fils, cοmme serviteur, le di' hοu (par lequel) et à l'Esprit, en tant qu' il renferme en lui-même le temps et l'espace, le en hô (en qui)<3>.

Un troisième groupe, sans considérer l'Esprit cοmme Dieu, le caractérise comme divin, mais le subοrdοnne en le plaçant à la troisième place après le Père et le Fils<4>.


NOTES

* Ρubliée dans Etudes Patristiques: Le traité sur le Saint Ésprit de Saint Basile, Verbum Caro vοl. ΧΧΙ1 (Νo 88), pp. 158-171.

1. SOCRATE, Hist. eccl., 2, 45; PG 67, 360.

2. De Spir. Sancto, Chap. 20, 5l; ΡG 32, 161.

3. Chap. 2, 4; PGf 32, 73.

4. Chap. 6, 13; PG 32, 88.



2. Les sources de saint Basile concernant la doctrine du Saint-Esprit.

Du côté orthodoxe, les premiers hommes qui ont abordé le problème du Saint Esprit. de rnanière spécifique, au cours de cette période, sont Athanase le Grand et Didyme l'Aveugle. Les écrits authentiqιιes de Didyme sur ce probleme apparaissent plus tard que l'an 360 et tiennent par conséquent compte des sectes pnematomaques plus tardives. Toutefois, même s'ils se sont répandus après 381, ils comportent probablement, des matériaux qu' il a enseignés plus tôt à l'école théologique d'Alexandrie. Tant Grégoire le Théologien que Basile le Grand connaissaient probablement ses opinions sur l'Esprit avant leur publication dans ses écrits, parce qu'ils avaient vraisemblablement suivi ses cours. Cela explique en partie la similitude de leurs démonstrations par rapport aux preuves de leur maître alexandrin.

Basile a consacré à ce problème un écrit special. De Spiritu Sancto ad Amphilochium, qui justifie la forme symetrique de doxologie (Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit) employée couramment avec la formule asymétrique dominante (Gloire au Père, par le Fils dans le Saint-Esprit) et qui présente un enseignement, d'ensemble sιιr l'Esprit. La doctrine de Basile est également complétée par ce qu'il dit dans le troisième livre de son ouvrage contre Eunome, le traité Contra Sabelliuum, Arium et Anοmοiοs et dans quelquesunes de ses Lettres.

Cοmme tοιιs les orthodoxes, Basile a été accusé par les hérétiques d'être un novateur en reconnaissant la divinité de l'Esprit. Davantage, il a aussi été accusé avec virulence d'introduire une nouvelle fοrme symétrique de doxologie. Εn se defendant contre cette accusation, Basile a été absolument sincère, car il était parfaitement certain que sa pneumatologie découlait directement de la tradition et de la vie de l'Eglίse: "Comment serais-je un novateur, un createur de nouvelles formules, alors qιιe je cite comme auteurs et comme champions de la Parole, des nations entières, des villes, des ιιsages qui remontent, au-delà de toute mémoire humaine, des hommes qui ont été les piliers de l' Eglise et qui ont été illustres par leurs connaissances et leur puissance spirituelle?"<5>.

Dans le Nouveau Testament, Basile ne trouvait pas seulement la formule baptismale trinitaire dans laquelle la persοnnalité et la divinité de l'Esprit, étaient librement, signifiées -- parce qu'il est placé à côté des formules pauliniennes qui ont trait à l'Esprit<6>, il trouvait des noms comme "paraclet, saint, oint, Seigneur, Dieu" qui temoignent de la communion<7> avec Dieu et des énergies de l'Esprit qui ne conviennent qu'à Dieu, comme la connaissance des profondeurs de Dieu, par example<8>.

Basile ne ce contente pas de la simple citation de l'Ecriture, car ses adversaires aussi invoquent son autorité. La défense d'une doctine par l' appel à la tradition s'imposait plus qu'à aucune autre époque. Antérieurement, les discussions dogmatiques s'etaient limitées au Père et auFils au sujet desquels il y avait d'abondants témoignages scripturaires; tandis que lorsque l'intérêt se concentra sur l'Esprit, les témoignages scripturaires étaient insuffisants.

D'après Basile, toute la tradition de l'Eglise, qui avait une valeur égale à celle de l'Ecriture -parce qu'elle exprime son esprit<9>- explicite la divinité de l'Esprit: "Ne séparez pas l'Esprit Saint du Père et du Fils; révérez la tradition. C'est de cette manière que le Seigneur a enseigné, que les apôtres ont prêché, que les Pères ont conservé et les martyrs confirmé"<10>. Parmi les Pères, Basile mentionne le nom d'Irénée, de Clément d'Alexandrie, de Denys de Rome et de Denys d'Alexandrie, d' Origène, de Grégoire le Thaumaturge et d' "Athénogène" comme témoins de la tradition kérygmatique connue au sujet de la doctrine du Saint-Esprit comme personne divine<11>.

Cependant, Basile insiste davantage sur la tradition dogmatique non écrite. Selon ses vues, qui coincident à un haut degré avec le point de vue de l' école ancienne d'Alexandrie, les apôtres et les Pères ont conserv une partie de la vérité cachée dans les sacrements et les rites en général: "Le dogme est une chose et le kérygme en est une autre. Si le premier est conservé dans le silence, le second est proclamé"<12>. Le kerygme contenu dans les Ecritures et dans les écrits des Pères est transmis aux membres de l' Eglise et à ceux du dehors par la prédication. Le dogme ne contredit pas le kerygme; il en est l'interprétation et en donne une intelligence plus profonde, mais il n'est pas formulé. C'est une expérience vivante des vérités de fois dans la vie générale et sacramentelle de l'Eglise. Ainsi compris, le dogme ne fait, pas partie d'une tradition, secrète, cachée à l grande masse des fidèles, car il est, la propriété commune de tous ceux qui participent à la vie de l' Eglise -, même s'il y eut une certaine dissimulation à travers les siècles, dissimulation accentuée par la lecture secrète des prières liturgiques et par l'érection de l'iconostase pour dissimιιler la table sainte. En tout cas, les Ecritures, l'enseignement, des Pères, la confession de la foi, les sacrements et le culte en général constituent des parties liées dont toute formulation sur un sujet spécifique doit tenir compte; "Nous devons être baptisés et glorifier le Père, le Fils et lw Saint-Esprit, comme nous le croyons"<13>. Pour la première fois, le culte d'adoration qui se déroule dans un lieu défendu devenait un moyen de défense.

Ιl y a deux moyens de nous conduire au salut: la foi et le baptême. Le premier est attesté par la confession unifiée du Père, du Fils et du Saint-Esprit que le baptisé<14> faisait et qui est justement l'ancêtre de la doxologie trinitaire symétrique<15>. Ceux qui nient l'Esprit trangressent naturellement toute la confession de foi, parce que tout baptisé doit ou assumer la foi entière ou renoncer au nom de chrétien<16>. Le second moyen de salut, le baptême, est également donné au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit<17>. Le baptême poursuit deux buts: la mort du corps du péché, accomplie par l'immersion et la réception de la vie nouvelle suscitée par l'Esprit de vie<18>. Ceux qui séparent l'Esprit du Père et du Fils rendent d'une part le baptême incomplet et font d' autre part de la confession de foi une réalité inadéquate<19>. Ιl est assurément impossible d'être baptisé en même temps au nom de deux êtres divins et d'un être créé<20>.

De ces extraits, il ressort clairement que Basile attachait une très grande importance à l'expérience pneumatologique du clιrétien. Cette expérience commence avec la participation du chrétien au sacrement du baptême. Les besoins spirituels des chrétiens êxigent la divinité de l'Esprit et leur expérience le confirme. Si l' Esprit était une creature, la doctrine de la Trinité et la possibilité d'une déification de l'homme seraient détruites. La conséquence serait que toute la structure de l'Eglise s'effondrerait. C'est pourquoi Grégoire le Theologien s'ecrie: "Si le Saint-Esprit n'est pas Dieu, qu'il le devienne d'abord et qu'ensuite il me déifie comme son égal"<21>.



NOTES

* Ρubliée dans Etudes Patristiques: Le traité sur le Saint Ésprit de Saint Basile, Verbum Caro vοl. ΧΧΙ1 (Νo 88), pp. 158-171.

5. Chap. 29, 75; PG 32, 208 C.

6. 2 Cor. 13, 13. Chap. 25, 59; PG 32. 177.

7. Contra Eun. 3, 3. ΡG 29, 661.De Spir, Sancto 24, 52; ΡG 32, 164.

8. Chap. 24, 56; ΡG 32, 172.

9. - Chap. 7, 16; ΡG 32, 93.

10. Contra Sab. et Ar. et Anom. 6; PG 31, 612 B.

11. De Spir. Sancto,chap. 29, 72; ΡG 32, 201-208.

12. Chap. 27, 66; PG 32, 189.

13. Epist. 125, 3; PG 32, 549.

14. De Spir.
Sancto,chap. 10, 26; PG 32, 113.

15. Chap. 27, 68; PG 32, 193.

16. Chap. 11, 27; PG 32, 113-116.

17. Chap. 12, 28; PG 32, 117.

18. Chap. 15, 35; PG 32, 129.

19. Contra Sab. et Ar. et Αnοm. 5; ΡG 31, 609.

20. Epist. 125, 3; ΡG 32, 549.

21. Sermo 34, 12; ΡG 36, 252.

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3. Le double aspect de la doctrine du Saint-Esprit.

Tout ce qui concerne Dieu demeure hors d'atteinte;de l'esprit humain. Εn effet, Dieu participe d'une sphère d'existence dans laquelle l'homme ne peut pénétrer. Toute connaissance religieuse serait restée impossible à moins qu'il y ait eu révélation. Saint Basile réfute les principes fondamentaux de l'enseignement des Pneumatomaques et des Ariens, l' impossibilité naturelle pour Dieu d'entrer dans la sphère humaine, par certaines distinctions qui joueront un rôle important dans les discussions théologiques dix sèecles plus tard.Si l'homme ne peut entrer par lui-même dans le domaine de Dieu, Dieu peut entrer dans le domaine du monde qui est sa propre création. Dieu y pénètre par sa révélation; qui est la manifestation de sa propre personne dans le monde, par l'entremise de ses énergies. Si nous ignorons Dieu dans son essence inaccessible, nous le connaissons à travers ses énérgies qui descendent jusqu' à nous<22>. Les énergies que nous sentons au moyen de notre sens spirituel, contribuent à la formation d'une sorte de connaissance empirique à l'egard des hypostases de la Trinité.

Ainsi la doctrine du Saint-Esprit peut se rapporter soit à son existence éternelle, soit à son activité dans le monde: Dans le premier cas, l'Esprit est situé à côté du Père et du Fils; dans le second, il'est aussi avec les hommes: "Lorsque nous considérons l'Esprit, nous le voyons exalté avec le Père et le Fils; quand nous évoquons la grâce communiquée à ses participants, nous voyons que le Saint- Esprit est en nous"<23>. Ροιιr ces raisons, les prépositions sun (avec) et en (en) sont interchangeables; ainsi, les formes doxologiques sont toιιtes deux correctes: la symétrique exprime la place de l'Esprit dans la Trinité et l'asymétrique exprime son activité dans l'économie divine.

Dans sa théologie de l'Esprit, saint Basile -comme Athanase dans sa théologie du Fils - part de ce second aspect. Οù pouvons-nous situer l'Esprit? Les hérétiques ont suivi le schéma "nonengendré, engendré, créé". Mais saint Basile réfute ce schéma en affirmant que ces catégories ne s'appliquent pas à l'Esprit, car il est l' "Esprit Saint", un nom qui exprime toutes choses. Ι1 y a une ligne de séparation entre Dieu et la création, et l'Esprit doit être situé dans l'une des deux zones: "Dans les coιιples des noms de Dieu -création, Seigneurie- esclavage, énergie sanctifiante et êtres sanctifiés, de quel côté placer l'Esprit?"<24>. Ιl est certainement impossible à celui qui sanctifie et à celui qui a besoin d'être sanctifié, si celui qui enseigne et à celui qui est enseigné, à celui qιιi réνèle et à celui qui a besoin d'une réνélatiοn, d'être de même nature<25>. La création est esclave, tandis qιιe l'Esprit libère la personnalité humaine et la rend parfaite; οn ne peut donc le concevoir que comme natιιre divine. Νul ne peut concevoir la sanetification et la perfection par des moyens créés.

Dans le mouvement hésychaste du XIVe siecle, nous rencontrons une fois de plus les mêmes arguments, cette fois plus développés. Les hésychastes, contestant la possibilité d'une régenération et d'une déification de l'homme par des moyens créés, les attribuent à l'énergie incréée et naturelle de l'Esprit seul.



NOTES

* Ρubliée dans Etudes Patristiques: Le traité sur le Saint Ésprit de Saint Basile, Verbum Caro vοl. ΧΧΙ
1 (Νo 88), pp. 158-171.

22. Epist. 234, 1; PG 32, 869. Loeb, 3, p. 370-2.

23. De Spir. Sancto, chap. 26, 63; ΡG; 32, 184.

24. Contra Εun. 3, 2; ΡG 29, 660.

25. Ibid. 3, 6; PG 29, 668.

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4. Existence éternelle de l'Esprit.

Saint Basile, comme beaucoup d'autres Pères grecs de la même époque, ramène la théologie à une triadologie, et il ne développe pas la triadologie comme un produit de la pensée philosophique, mais comme une vérité empirique. Ιl part des hypostases concrètes, actives dans le monde pour aboutir à l'unité de Dieu.

Les hypostases divines se manifestent de diverses manières et en divers lieux, mais elles sοnt apparues dans des activités particulières d'une manière plus totale; le Père dans la création, le Fils dans l'oeuvre de la régénération et l'Esprit dans la vie de l' Eglise. Le Fils et l'Esprit sont venus dans le monde en un sens réel. Certains Pères, comme Cyrille de Jerusalem<26> l et Grégoire le Théologien<27> par exemple, parlent de la venue ,ou de l'incarnation de l'Esprit. Basile parle aussi de la descente et de la demeure en l'homme de l'Esprit, bien qu'il n'use pas du même vocabulaire.

La causalité provoque en Dieu la distinction des personnes qui occupent une certaine place dans la Trinité. Le Père est non-engendré, le Fils est engendré et l' Esprit procède<28>; leurs attributs distinctifs correspondants sont la paternité, la filialité et la sanctification<29>. Mais tandis que le terme de gennasthai exprime globalement un mode de dérivation de manière compréhensible, il n'en est pas de même du mot ekporeuesthai car ce terme ne dé peint pas précisément l'origine de l'Esprit. C'est la raison pour laquelle saint Basile affirme que l'Esprit procède de manière ineffable<30> du Père; la procession désigne la familiarité et préserve une mode d'existence inexprimable; mais il ne doute jamais de la personnalité de l'Esprit.

Α aucune époque, les Pères, quels qu'ils soient, n'ont déclaré que l'Esprit procède aussi du Fils. Certains passages de Cyrille d'Alexandrie, parlant de la dérivation de l'Esprit du Fils, font allusion, non à la cause, mais à sa mission; la Trinité entière participe à sa mission par une énergie commune, parce que toutes les énergies divines sent communes à l'ensemble de la Tritιité: Le fait que les deux hypostases derivent du Père seul crée l' impression facile à dissiper de la monarchie de l' hypostase du Pére. Mais les propriétés du Fils et de l'Esprit ne sont certainement pas considérées comme inférieures à celles du Père; elles ne sont en effet distinguées qu'en rapport avec la cause qui doit rester rigoureusement unique pοιιr éviter tout dualisιne, mais elles ne le sont pas par rapport à la nature incrééee. Les hypostases ne sont pas première, seconde, troisiéme, elles sont d'egale valeur -et non numérotées- et elles sont désignées par leιιr nom saint: ιιn seul Dieu, le Père,.un seul engendré, le Fils, un seul Saint-Esprit. Τοute subordination conduit au polythéisme<31>.

Ces hypostases distinctes sont liées de telle sorte qu' aucune ne peut être conçue sans les autres et que chacune: présιιppose les deux autres, et qu'elles constituent trois personnes parfaites, inséparablement unies: "car οù le Saint-Esprit est présent, là est aussi le Clιrist et οù est le Christ, le Père est aιιssi présent"<32>. Εn sorte que quiconque ne croit pas en l 'Esprit, ne peut certainement pas croire au Fils et qui ne croit pas au Fils ne peut certainement pas croire en Dieu le Père<33> Εn quoi consiste l'unité des hypostases? Tout d'abord, elle peut consister dans l'ousia commune. Selon Aristote, ousia peut signifier deux choses: a) ce qui est commun à tous et ne peut être objet de perception que par l'intellect et b) l'existence individuelle. Dans certaines de ses lettres, saint Basile emploie des expressions aristotéliciennes pour définir l'ousia (au premier sens) et l'hypostase (ousia au second sens)<34>. Ιl n'est pas entièrement satisfait de ces catégories, parce qιιe la logique aristotélicienne exige des divisions et des classifications qu'il rejette absolument comme inapplicables à Dieu. Parfois, il caractérise les hypostases comme étant de même ousiα, homoousios<35>. C'est conforme au dogme de Nicée, mais il s'agit d'intégrer cette notion dans les structures de la triadologie de l'école de Cappadoce, dans laquelle ousia n'est pas une chose plus élevée que les personnes, une sorte de source dont les personnes tireraient leur origine.

Le terme d'ousia, en outre, donne à première vue l'impression d'une chose matérielle et créée, bien que son usage en théologie en ait fati' un terme particulier. La manière dont saint Basile évite d'appliquer le terme homoousios au Saint-Esprit peut s'expliquer par ses hésitations en présence du mot ousia, pour les raisons mentionnées et pour cette autre raison qu'il était utilisé par les Pneumatomaques pour designer ιιηe subordination. Saint Basile ne se sert de ce terme que lorsqu'il est absolument indispensable. Ses principes théologiques ne lui permettaient pas d'insister trop sur le homoousios. ΙΙ ne veut pas donner l'impression que Dieu cοnsiste en telle et telle ousia, parce qu'il est incompréhensible et ne peut être défini. Ιl n'a pas explique le homoousios en identifiant l'essence et l'hypostase, car la personne s'y confondrait, mais en distinguant l'essence de l'hypostase, ce qui établissait la distinction des personnes. Ainsi, en tant qu'ousia la vision sans limite et incompréhensible de Dieu demeure. Pour éviter tout malentendu, saint Basile écarte délibérément le terme homoousios en ce qui concerne le Saint-Esprit, comme le fera ultérieurement le second concile oecumenique. Selon cette optique, la Trinité n'est pas composée d'une οu plusieurs ousia, mais elle est constituée par trois personnes définies. Parce que les personnes ont leur valeur et leur dignite individuelles -les mêmes pour toutes les trois- le Saint- Esprit possède le même honneur que les autres personnes de la Trinité, il est homotimos.

Saint Basile est plus à l'aise en employant les termes de physis et de theotês: "Le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont la même nature et sont un seul Dieu"<36>. Le Saint-Esprit est une "nature divine et sainte"<37>. Nature est le mot qui convient le mieux à la personne, parce qιι'il ne décrit pas la constitution matérielle d'une chose, mais caractérise le mode d'existence.

Saint Basile n'attribue pas à l'Esprit le nom de Dieu. Αtlιanase a motivé ce refus au nom de Ια dispensation de l'oikonomia et Grégoire le Théologien l'a justifiée pour des raisons de prudence. Mais ce dernier a été parfois troublé par cette réserve et lui a demandé jusqu'à quand il cacherait la lumière sous le boisseau<38>. D'autres ont considéré Basile comme moderniste en ce qui concerne ce point, tandis que les Ariens le considéraient comme moderniste pour des raisons contraires. Les avis selon lesquels saint Basile a formulé son enseignement trinitaire soit pour des raisons d'opportunisme politique, soit par sympathie pour les Homéousiens ne semblent pas répondre à la situation de fait. Il y là d'autres raisons théologiques d'importance. Dans le système theologique de Basile, nous trouvons Dieu (= le Père), Dieu de Dieu (= le Fils) et ce qui procède de Dieu (= l'Esprit). Ιl ne doute pas que les trois soient Dieu; mais s'il nomme avec logique les trois personnes Dieu, il craint d'être accusé d'adopter trois Dieux, parce qu'il serait forcé de les placer dans un certain ordre, comme premier, second et troisième; il redoute davantage encore de détruire le caractère unique de la causalité dans la Trinité. Pour cette raison, il préfère donner aux trois personnes les noms qui les distinguent: Père, Fils et Saint-Esprit. Le nom de Saint-Esprit signifie plusieurs choses, entre autres qu'il est Dieu, ce qui suffit à le caractériser. Ιl est indiscutable qu'il considère le Saint-Esprit comme Dieu, comme il accepte qu'il soit homoousios. Ιl l'a clairement déclaré dans des conversations privées, d'après ce qu'affirme Grégoire le Théologien<39>. Εn outre, ce qu'il a dit de l'Esprit était encore trop. D'autres appelaient en fait le Saint-Esprit Dieu, sans employer la formule syn tο pneumati dans la doxologie. Car s'il est très important d'appeler Dieu le Saint-Esprit, dans certaines conditions, l'homme aussi est appelé Dieu! Ce qui est plus important, c'est de lui adresser des prières comme à Dieu.

L'unité des hypostases de la triade est heureusement exprimée par l'identitication de la puissance, de l'énergie et de la vοlonté. Un courant indivis d'énergie existe entre le Père, le Fils et l'Esprit: "Ainsi, la manière de connaître Dieu vient de l'unique Esprit, par le Fils et va au Père ιιnique; et à l'inverse, la bonté naturelle, la sanctification et l'office royal viennent du Père par le Fils unique vers l'Esprit"<40>. L'activité de la Trinité est commune, bien que certaines energies paraissent parfois séparément en raison: des hypostases. Dans la création, par exemple le Père est la cause initial de tout ce qui est créé dans le monde, le Fils la cause créatrice et l'Esprit la cause perfective, mais la source est unique. Sans doute aucune des hypostases n'a d'activité imparfaite en sorte que le secours des autres soit nécessaire. Ιl s'agit là d'une volonté unifiée; chaque hypostase a la volonté d'agir en accord avec les autres<41>. Mais surtout, l'unité des hypostases est exprimée par leur source commune, qui est le Père, comme cela a été dit plus haut.

Saint Basιle caractérise l'Esprit par une périphrase, comme image du Fils<42>, parce qu'en lui et par lui, les hommes voient le Fils. Les hypostases se font chacune la révélatrice des autres aux hommes; l'Esprit reflète en lui-même l'image du Fils, le Fils celle du Pére. Ainsi l'itinéraire de la connaissance de Dieu part de l'Esprit, par le Fils pour arriver au Père. Mais dans la .Trinité; il n'existe pas d'image de l'Esprit, de sorte qu'il demeure moins connu que les autres hypostases. Le Fils a parlé du Père et a été manifesté par l'Esprit qui a parlé dans le passé aux prophétes; comme il parle aujourd'hui à l'Eglise. Nous trouvons dans les Ecritures d'abondants témoignages sur ces deux personnes, les Père et le Fils. En outre, leur oeuvre est objective -la création du monde et l'ιnstitution des conditions de la régénérationa de l'homme- et elle tombe immédiatement sous les sens. Quant à l'Esprit, ce n'est qu'occasionnellement que l'Ecriture le mentionne. Sans doute habite-t-il dans l'Eglise et se fait-il connaître par ses énergies, mais l'expérience spirituelle que les illuminés acquièrent est souvent peu précise et ne permet pas une compréhension complète de sa personnalité. Pour cette raison, les Pères ont évité de préciser ses origines. Même le terme de "procession", comme οn l'a dit ailleurs, ne dissipe pas notre ignorance du mode de son existence, ignorance que saint Basile considère d'ailleurs comme sans importance<43>. C'est la raison pour laquelle, en interprétant l'origine du Saint-Esprit en termes non bibliques, nous avons procédé avec prudence: "Car il est typique de l'homme pieux de ne rien dire, du Saint-Esprit que les Ectitures passent sous silence; et cela, parce qιιe c'est notre convιction que l'experience et la compréhension à son sujet résident pour nous dans le monde à venir"<44>. Ιl était aussi prudent lorsqu'il caractérisait l'Esprit comme homoousios et comme Dieu, ainsi que nous l'avons dit. L'Eglise a toujours eu et a toujours concervé cette attitude de prudence; bien qu'elle ait composé des hymnes à. l'Esprit, elle n'a pas composé de prières qui lui fussent adressées, à l'exception d'une seule. Dans ses prières à Dieu, elle appelle cependant en général l'Esprit Saint, co-éternel, de valeur identique,de même gloire et homoousios. L'hymnologie de l'Eglise reflète l'enseignement de Grégoire le Théologien qui etait plus hardi dans sa manière de présenter la divinité de l'Esprit, tandis que les prιères de la Pentecôte reflètent l'enseιgnement de Basile le Grand.


NOTES

* Ρubliée dans Etudes Patristiques: Le traité sur le Saint Ésprit de Saint Basile, Verbum Caro vοl. ΧΧΙ1 (Νo 88), pp. 158-171.

26. Catéch. 16, 4; ΡG 33, 921-924.

27. Oratio 41, 5; ΡG 36, 436.

28. Epist. 125, 3; PCi 32, 549.

29. Epist. 236, 6; PG 32, 884. Loeb, 3, p. 402. De Fide 4; PG 31, 685 ss.

30. Contra Sab. et Ar. et Anom. 7; ΡG 31, 616.

31. De Spir. Sancto, chap. 18, 44-47; ΡG 32, 148-153.

32. Contra Sαb. et Ar. et Anom. 5, ΡG 31, 609.

33.
De Spir. Sancto, chap. 11, 27; PG 32, 116.

34. Epist. 214, 4; PG 32, 789; Epist. 236, 6; ΡG 32, 884, Loeb, 3.

35. Ibid. 214, 4; PG 32, 789.

36. Epist. 210, 4; ΡG 32, 773.

37. Epist. 125, 3; PG 32, 549.

38. Epist. 58; PG 37, 116.

39. Oratio 43, 69; ΡG 36, 589.

40. De Spir. Sancto, chap. 18, 47; PG 32, 153.

41. Chap. 16, 38; Ρ 32, 136. Cf. aussi 8, 2Ι; ΡG 32, 105. Epist. p. 402.

42. De Spir Sancto, chap. 9, 23; ΡG 32, 109, 26, 64; ΡG 32, 185. 18, 47; ΡG 32, l53.

43. Contrα Sab. et Ar. et Anam. 6; PG 31, 613.

44. Contra Εun. 3, 7; ΡG 29, 669.



5. L' économie de l'Esprit

Les activités de l' Esprit, ineffables dans leur ampleur et innombrables<45>, se rapportent à l'enseignement, à l'adaptation filiale et en particuliers à la répartition des charismes; aucun charisme n' est accordé à la créature sans l'action de l'Esprit<46>. Saint Basile résume leurs fruits dans les termes de confirmation, sanctification et perfection. Il définit ainsi l'activité des hypostases dans la creation des puissances angéliques: "Par conséquent, le chiffre trois vient à l'esprit: le Seigneur ordonne, le Logos qui crée et l'Esprit qui affermit. Or, qu'est-ce que c'est qu'affermir, sinon parfaite en sainteté, ce mot désignant sûrement le fait d'être ferme, immuable et solidement fixé dans le bien. Il n'y a pas de sanctification sans l'Esprit"<47>.

Ces énergies se sont manifestées de toute éternité: avant le monde invisible et en-deça du temps. Elles recouvrent toutes les époques de l'histoire de l'être capable de raison. Βasile semble exclure de l'activité de l'Esprit la créature dépourvue de raison et c'est juste parce que seuls les êtres doués de raison et de personnalité οn le besoin et la capacité de perfection par leur élévation au rang de peraonnalités. Ιl et significatif que saint Basile, dans le passage de sa seconde homelie sur l'hexaéméron οú il est obligé d'interpréter le texte: "Et Ι'Esprit de Dieu se mouvait sur les eaux"; ne présente pas une interprétation de son crû mais en appelle à l'autorité unanime pour montrer que cette phrase biblique signifie la vivification de la natιιre de l'eau par l'Esprit. Ιl a rendu parfaites les puissances angéliques par la sanctification, lors de la création du monde; au cours de la progressive restauration de l'humanité, il a fait don d'un de ses charismes les plus importants, la prophétie<48>l; au moment de la véritable restauration; il etait présent et actif avec le Christ<49> 8; dans la vie de l'Eglise, il crée son ornementation<50> et lors du jugement dernier, il sera avec le Jιιge<51>. D'un certain point de vue, l'activité par excellence de l'Esprit est la conservation continuellement active de la revelation et sa répartition individuelle aux êtres particuliers.

L'Esprit habite dans l'Eglise et est possédé simultanement par l'ensemble de ses membres comme par chacun en particulier. C'est le lien qui rattache ses membres dans le temps et dans l'espace<52>. Les ministres de l'Eglise sont éclaires pour devenir de bons bergers et les fidèles sont fortifiés pοιιr devenir un bon troupeau. Dans les deux cas, l'activité de l'Esprit se rapporte à la personnalité de celui qui en est le porteur.

L'activité de l'Esprit est bien plus personnelle dans la vie privée du croyant. Descendu sur tous les croyants, il touche seulement celui qui est pur de coeur, comme le soleil ne touche que l'oeil en bonne santé<53>. Sur ce point, οn prend conscience des tendances ascétiques de Basile.

L'illumination de l'Esprit touche davantage l'âme et le coeur que l'intellect. Sa grâce, ineffablement unie à la personnalité et à l'existence humaine, est une puissance de régénération permanente en elles qui les rend spirituelles et porteuses de l'Esprit<54>. Aussi l'Esprit peut-il être designe comme l'eidos<55>, qui donne une forme à l'homme naturel, le libère de l'esclavage aux puissances et aux nécessités naturelles, et en fait une personnalité libre par une métamorphose pleine de force<56>. L'homme spirituel est rendu conforme à l'image de Dieu, il est en quelque sorte l'image de l'Εsprit<57>, qui, alors (qu'on ne le trouve pas dans la Trinité, apparait dans l'humanité.

Demeurant dans les saints, l'Esprit est vu par eux mystiquement; l'ignorance originelle est ainsi surmontée existentiellement. Ιl ne se manifeste pas seulenιent lui-même à eux, il manifeste aussi la gloire du Fils et la vision archétypique. "Puisque nous voyons la beauté de l'image invisible de Dieu dons au spectacle surnaturel des archetypes, nous y trouvonis aussi, inséparablement uni à Dieu, l'Esprit de connaissance qui offre en lui-même aux amateιιrs de la vérité le pouvoir de voir l'image. . . Ιl manifeste ainsi en lui-même la glnire du Fils et il offre en lui-même la gloire du Fils et il offre en lui même lα connaissance de Dieu aux vrais adorateurs<58>. Le but du pélerinage de l'homme spirituel est la vision du Dieu triadiqιιe.Cela veut dire qu'il a déjà atteint un tel degré de perfection qu'il peut habiter avec Dieu, lui être semblable et devenir Dieu <59>. Par l'activité du Saint-Esprit, l'humanité est reliée à la Trinité.



NOTES

* Ρubliée dans Etudes Patristiques: Le traité sur le Saint Ésprit de Saint Basile, Verbum Caro vοl. ΧΧΙ1 (Νo 88), pp. 158-171.

45. De Spir. Sαncto, chap. 18, 48; PG 32, 156.

46. Chap. 24, 55; Ρ 32, 172.

47. Chap. 16, 38; ΡG 32, 136.

48. Chap. 16, 38; PG 32, 137.

49. Chap. 18, 42; PG 32, 157.

50.
Chap. 16, 39; PG 32, 140.

51. Chap. 16, 40; PG 32, 141.

52. Chap. 26, 61; PG 32, 181.

53. Chap. 9, 23; PG 32, 109.

54. Ibid.

55. Chap. 21, 52; PG 32,165.

56. Chap. 26, 61; PG 32, Ι80.

57. Chap. 26, 61; PG 32, 180.

58. Chap. 18, 47; PG 32, 153.

59. Chap. 9, 23; PG 32, 109.

 


L'origine de la controverse palamite:


L'origine de la controverse palamite: la première lettre de Palamas à Akindynos

Jean Meyendorff
Théologia ΚΕ, Athènes 1954, p.603-613.


Chapitre 1

Nous avons eu récemment l'occasion de publier dans «Θεολογία» (Tome 24, 1953, pp. 557 - 582) la troisième lettre que le grand théologien byzantin du XlVe siècle, St Grégoire Palamas, plus tard archevêque de Théssalonique, a adressé à son futur adversaire Akindynos à quelques mois du concile de 1341, où les deux thèses s'affronteront officiellement et qui verra la première victoire du Palamisme. Aujourd'hui nous revenons quelques années en arrière, vers un texte lui - aussi inédit qui nous place aux origines premières de la controverse.

Nous avons donné ailleurs (1) un bref historique des circonstances dans lesquelles la controverse a vu le jour, avec une analyse des documents qui s'y rapportent. En 1333 ou 1334, des légats romains, deux dominicains, François de Camerino, évêque de Cherson, et Richard, évêque du Bosphore, viennent à Constantinople entamer des pourparlers d'union avec l'empereur Andronic III Paléologue. Barlaam le Calabrais, officiellement chargé de parler au nom de l'Eglise grecque, rédigea un assez grand nombre d'ouvrages de polémique antilatine. A l’exception d'un seul, ils sont tous inédits (2). Six d'entre eux forment un traité à part et constituent le prétexte de la présente lettre de Palamas (3).

Le théologien hésychaste rédigea en même temps deux «Λόγοι ἀποδεικτικοί, ὅτι οὐχί καί ἐκ τοῦ Υἱοῦ, ἀλλ' ἐκ μόνου τοῦ Πατρός ἐκπορεύεται τό Πνεῦμα τό ἄγιον» (4) que qui fût adopté par l'Eglise occidentale dans son ensemble. La théologie byzantine, au contraire, n'est jamais sortie du cadre trinitaire élaboré par les Pères Cappadociens. Son conservatisme rigide ne lui a généralement pas permis de concevoir une réponse bien constructive à la théologie latine, mais son opposition au «Filioque» fut néanmoins très nette.

Le raisonnement latin affirme à son point de départ que seule une relation d'origine peut constituer une distinction entre les Hypostases divines. Il en résulte que c'est bien d'une relation d'origine qu'il s'agit lorsqu'on distingue l'Esprit et le Fils. Cette conception, latente chez St Augustin, exprimée plus parfaitement par Anselme de Cantorbéry et développée dans le Thomisme, fut considérée par les Grecs comme une renaissance du Sabellianisme: les Personnes divines, en effet, y perdaient leur existence propre au profit d'une essence divine, au sein de laquelle les «oppositiones relationis» seules constituaient les distinctions entre les Hypostases. On connaît la formule anselmienne : «Nec unitas admittat aliquando suam consequentiam, ubi non obviât aliqua relationis oppositio» (5).

L'examen le plus rapide des traités antilatins de Barlaam nous fait aboutir à cette première constatation : le_Calabrais n’était en aucune mesure un représentant de la scholastique occidentale, comme l’on pensé certains auteurs (6). Nous le voyons au contraire défendre le point de~vnîe™ orthodoxe' JtiadTfionriei. Ses oeuvres furent extrêmement populaires à Byzance et reçurent une très large diffusion : nous , les trouvons en effet dans un très grand nombre de manuscrits d'origines très diverses. Il a entre autres grandement inspiré Nil Cabasi-las, dans sa grande oeuvre contre la doctrine latine delà Procession, la plus importante qu'ait vu le Moyen - Age byzantin. Ce dernier répète
parfois mot pour mot les arguments, les citations de Barlaam (7). L'ouvrage de Nil, d'autre part, a servi de source principale à l'argumentation des Grecs au concile de Florence (8), ce qui n'est peut-être pas étranger au fait que le parti «humaniste» delà délégation ait finalement cédé aux conclusions latines, rejetées par le palamite Marc d'Ephèse.

Dans sa théologie de la procession, Barlaam déclare souvent suivre la doctrine des Pères qu'il assimile à une révélation divine indémontrable (9). "Ὣσπερ κανόσι, écrit - il dans le traité qui justement fait l'objet des critiques de Palamas, καἰ ὁμολογουμέναις ἀρχαῖς χρῆσθαι αὐτοῖς πρὸς τὴν τῶν ἐκάστοτε ζητουμένων δογμάτων εὓρεσιν, ὅσα δὲ οὔκ εἰσιν ἐπί ρητοῖς ἐν τοῖς λογίοις ἀποφανθέντα, οὐδ' ἄλλως ἐστί γνώριμα ἐπαναφέροντας αὐτὰ ἐπὶ τὰ ἤδη ὁμολογούμενα σκοπεῖν χρὴ, εἰ ἐκείνοις ὁμοφωνεῖ, καί τὰ μὲν συνάδοντα ἐγκριτέον, τὰ δὲ μὲ τοιαῦτα ἀποκριτέον (10). Ἑκάστη τῶν ἀποφάνσεων, ὅσαι ἡμῖν περὶ τῶν θείων ὑπὸ τῶν ἁγίων ἀνδρῶν ἀπεφάνθησαν, ἀρχὴ καὶ ἀξίωμα (11). Barlaam réitère sa fidélité absolue et aveugle aux Pères chaque fois qu'il veut se défendre contre les critiques de Palamas: τὰς τῶν λογίων ἀποφάνσεις, ὅπερ ποτ' ἔχουσιν, ἀποδείξεως πάσης ἀνώτερον τίθημι (12).





Notes

1. «Les débuts de la controverse hésychaste» — Byzantion, Bruxelles, 1954, i.

2. Voir leurs titres dans Fabricius — Harles XI, p. 462 (PG. CLI, 1250 — 1252).

3. Ce sont les No. II, III, IV, V, XVII et XVIII d'après Fabricius. La tradition manuscrite à peu près unanime les groupes en un seul tout (Paris, gr. 1257, 1278, 1308, 2751; Marc. gr. 152 et 153; Mosq. syn. 249 et 251; Vatic, gr. 1106 et mo; Matrit. gr. 4802, etc.). L'auteur lui-même les considère comme une seule «Πραγματεία» (Paris, gr. 1278, fol. 89v).

4. Traités publiés à Constantinople en 1627 (cf. Legrand, Bibliographie hellénique du XVIIe siècle», I, pp. 234 - 237) et considérés à tort par M. Jugie comme datant de la fin de la vie de St Grégoire Palamas («Palamas»— Dict, de Théol. Cath., XI, 2, col. 1743).

5. De proc. S.S. II - PL CLVIII, col. 288 C. Il nous est naturellement impossible d'évoquer ici le problème dans son ensemble. Nous renvoyons donc le lecteur aux ouvrages qui traitent de la question et qui sont assez nombreux. Deux conférences récentes de théologiens catholiques et orthodoxes ont tenté d'examiner le problème, dont ils ont réalisé l'ampleur et l'acuité. Des compte - rendus complets de ces deux conférences ont été publiés par deux revues catholiques: 1) Eastern Churches Quarterly VII (1948) — Supplement issue. 2) «Russie et Chrétienté», 1950, No 3-4. Les débats ont montré que les tentatives de concilier les deux doctrines comme celle de I. Chevalier («St Augustin et la pensée grecque. Les relations trinitaires» Fribourg— en—Suisse, 1940) n'ont pas amené à un résultat satisfaisant.

6. S. Guichardan, « Le problème de la simplicité divine en Orient et en Occident aux XIVe et XVe siècles», Lyon 1933. p. 64 ; Tatakis « Histoire de la philosophie byzantine», Paris, 1949, p. 230, etc.

7. L'ouvrage de Nil a été en partie publié par E. Caudal «Nilus Cabasilas et theologia S. Thomae de processione Spiritus Sancti> Studi e testi, 116 — Città del Vaticano, 1945. Nous avons relevé un grand nombre de parallélismes entre cette oeuvre et les traités inédits de Barlaam : voir notamment le titre de l'introduction de Nil — "Ὅτι ἀδύνατον ἐστι Λατίνοις συλλογισμοῖς χρωμένοις ἀποδεῖξαι ὅτι οὐ μόνος ὁ Πατήρ ἀρχὴ θεότητας, qui est également celui du traité XVII de Barlaam. Le parallélisme entre les deux auteurs a déjà été remarqué par Béssarion de Nicée, d'après lequel Barlaam aurait fourni à Nil des arguments scottistes contre la théologie thomiste (PG CLXI, col. I93 D - 196 A).

8. Syropoulos— Historia vera unionis non verae — éd. Creyghton, Hagae - Comitis. 1660, III, 7, 50.

9. Αἱ τῶν Πατέρων ἀναπόδεικτοι φράσεις τὸ κῦρος κατὰ πάντων ἐχέτωσαν. Paris gr. 1278, fol. 165v.

10. Ibid., fol. 32V.

11. Première réponse à Palamas — éd. Schiro, ASCL, 1936, I - II, p. 88.

12. 2e réponse à Palamas (Marc. gr. 332, Fol. 128v — cf. fol. 133v, 136). Dans ses «Λύσεις εἰς τὰς ἐπενεχθείσας αὐτῷ ἀπορίας παρὰ τοῦ σοφωτάτου Γεωργίου του Λαπίθου (Inc.—Ἐν τοῖς πρώτοις περί...), une oeuvre inédite se trouvant dans le Vatic, gr. ino, fol. 8o-g4v, il affirme que les données de la révélation τὸν ἀνθρώπινον νοῦν ὑποκεῖσθαι ἀναγκάζει, ὥστε οὐδεμία ἀνάγκη τὰ ὑπὸ Θεοῦ γιγνόμενα ἤ περὶ Θεοῦ λεγόμενα ὡς συμφωνοῦντα ταῖς κοιναῖς ἐννοίαις ζητεῖν (fol. 93)

.

Chapitre 2

Dans ses traités polémiques, Barlaam cite souvent les Pères orientaux, surtout les Cappadociens et St Jean Damascène, mais il trouve aussi le moyen de considérer St Augustin comme un adversaire de la «double procession» (1). On remarque parfois chez lui une influence directe de la «Mystagogie du Saint • Esprit» de Photios, fait assez rare à Byzance, étant donnée la réputation d'humaniste et d'adversaire des moines que le grand patriarche du IXe siècle a gardé en Orient : cette influence est surtout sensible dans le traité I, suivant la numération de Fabricius reproduite dans Migne (2).

Les bases de son raisonnement sont toujours formellement traditionnelles. Il écrit: «Οἶμαι πάντας ἄν ὁμολογῆσαι τρία εἶναι, πρὸς ἅ δεῖ σκοπεῖν τὴν τῆς προκειμένης ὑποθέσεως ὁμολογίαν ἤ διαφωνίαν ἐν μὲν τὴν τῶν τριῶν προσώπων κατ' οὐσίαν ταυτότητα, δεύτερον δὲ τὴν προσωπικήν αὐτῶν διαφορὰν καί τρίτον τὰ ἐν τῇ θείᾳ γραφῇ περί Θεολογίας ρητά» (3). Ce principe général détermine le plan de l'ouvrage principal de Barlaam contre les Latins : les trois premiers traités défendent la doctrine grecque à partir des trois critères proposés (4), le quatrième réfute la doctrine latine à partir de ces mêmes critères (5), le cinquième affirme l'impossibilité de démontrer par voie de raisonnements aussi bien la doctrine latine, que la fausseté de la doctrine grecque (6) — point de vue qui provoquera l'indignation de Palamas —, le sixième enfin est consacré à la réfutation des principaux arguments latins, notamment la doctrine des «relationes» (7).

Le plus souvent, le Calabrais s'en tient au point de vue traditionnel à Byzance, affirmant la Monarchie du Père au sein de la Trinité, ne permettant de dépendance de l'Esprit par rapport au Fils que dans l'ordre de l’«οικονομία» temporelle, n'admettant pas que le Fils soit appelé «ἀρχὴ» de l'Esprit dans l'ordre des processions éternelles et qu'il soit considéré comme une source de son existence divine (8). Barlaam cherche également à ridiculiser la théorie «psychologique» d'Augustin, suivant laquelle le Fils et l'Esprit seraient, au sein de la Trinité, la raison et la volonté du Père : cette hypothèse inacceptable est d'après lui «le produit de je ne sais quelle imagination». Ιl défend fermement la conception personnaliste de la Trinité qu'il considère comme inconciliable avec la théologie trinitaire latine: «Ό μὲν γὰρ Υἱὸς καὶ ὁ Πατὴρ δύο εἰσὶ πρόσωπα τέλεια ἡ δὲ σοφία καὶ ὁ σοφὸς, οὔ. καὶ ὁ μὲν Υἱὸς, ὁμοούσιος τῷ Πατρί, ἡ δὲ σοφία τῷ σοφῷ οὐ» (9). Pour la même raison, il s'attaque à la doctrine des «oppositions de relation». Il admet que les Pères grecs voyaient dans les relations (τὰ πρὸς τι) entre les Personnes un élément d'«opposition» entre Elles, mais cet élément n'est pas le seul qui différencie les Hypostases. «Ἐγώ δ' ὅτι μὲν εἰσὶ τίνες ἐν τῇ Τριάδι διακρίσεις, ἅς οὗτοι ἀναγάγοιεν ἄν ὑπὸ τὰ πρὸς τι, οὐ διοίσομαι αὐτοῖς, ἀλλὰ συγκεχωρήσθω. Ὅτι δὲ αὕται μόναι εἰσί, τοσοῦτον δέω συμφάναι, ὥστε μὴ μόνον ἑτέρας φημὶ δείξειν ἐν τῇ Τριάδι διακρίσεις, ἀλλὰ καὶ ἔτι πλείονας διακρίσεως δηλωτικὰς ἤ ἐκεῖνας ἅς φαςὶν εἶναι κατά τὰ πρὸς τι»(10).

Le Calabrais a donc bien découvert le point qui représente la véritable difficulté pour concilier les deux théologies trinitaires : «Θωμᾶς μὲν οὐδένα τρόπον διαφοράς ἐν τῇ Τριάδι οἴεται εἶναι παρὰ τὸν κατά τὴν πρὸς ἄλληλα σχέσιν νοούμενον» (11). Il remarque aussi, en s'adressant aux Latins: «Ὑμεῖς μὲν οἴεσθε ἅπαν τὸ επί Θεοῦ λεγόμενον, οὐσίας δηλοῦν» (12). C'est donc dans l'essentialisme de la théologie latine qu'il voit l'origine des difficultés et cherche à maintenir les éléments qui, en dehors des relations, manifestent l'existence propre (τὸ συστατικὸν) des Hypostases, pour montrer que les relations ne déterminent pas à elles seules cette existence (13).

Les constructions théologiques des Latins paraissent absurdes à Barlaam: «Οὐδὲ τὸν αὐτὸν Θεὸν προσκυνεῖτε, ὅν οἱ Πατέρες διδάσκουσιν• εἰ γὰρ οἱ μὲν Πατέρες Θεόν ἡμῖν παραδιδόασιν, οὗ ἡ γέννησις καὶ ἡ ἐκπόρευσις κατ' οὐδένα τρόπον ἐγνωσμένον νοούνται, οὐδ' αὐτοῖς τοῖς ἁγιωτάτοις χερουβίμ, ὑμεῖς δὲ Θεόν διδάσκετε και τρόπον προόδων καὶ Τριάδος, ἃ καὶ τοῖς βρέφεσιν οἷόν τε γινώσκεσθαι, θελήσεις τινὰς καὶ νοήσεις λέγοντες, δῆλον ὡς πάμπολυ ἄν διαφέρει οὖτος ἐκείνου Θεός» (14). C'est ainsi qu'il en arrive à attaquer les spéculations rationnelles des Latins au nom du principe apophatique qui, d'après lui, est la caractéristique essentielle de la pensée patristique : «Ἡμεῖς δὲ, ὦ οὖτοι, οὐ τοιαύτης προσκυνηταὶ Τριάδος, οἵα τῇ μακρᾷ ἀδολεσχία τοῦ Θωμᾶ ὑπόκειται καὶ τοῖς ἐκείνου ληρήμασιν, ἧς οὐδὲν ἄγνωστον τι) ἐκείνου φαντασία ὑπάρχει, ἀλλὰ ταύτην μὲν ἡγούμεθα εἶναι ἀνάπλασμα τῆς ἐκείνου κακοδαίμονος καὶ φαντασιώδους διανοίας• Τριάδα δὲ ἡμεῖς προσκυνοῦμεν καὶ σεβόμεθα ἄρρητον, ἀκατανόητον, ἀπερίληπτον, ἀνεξιχνίαστον...» (15). C'est la prétention qu'avait Thomas d'appliquer la démonstration rationnelle à la théologie qui l'a amené à abandonner la tradition patristique et à soumettre la Trinité aux lois de la raison humaine(16).

Barlaam s'élève ainsi contre le rationalisme de la pensée occidentale au nom de la théologie apophatique du Pseudo - Denis, dont il fût à Constantinople l'interprète attitré (17). Malheureusement, le Calabrais lui même n'admettait aucune autre voie vers la connaissance de Dieu que celle de l'intellect et son insistance sur la théologie apophatique aboutissait pratiquement à l'agnosticisme en matière de théologie. Son argument principal contre les Latins porte donc — et il le reconnaît explicitement — contre les Grecs: les deux partis doivent admettre le caractère relatif, «dialectique», et par conséquent les spéculations théologiques qui les divisent, dans la mesure où celles - ci ne cadrent pas avec la lettre des formules patristiques. Dans
ses arguments polémiques mêmes, il trouve ainsi une formule d'union sur la base du relativisme... Après avoir montré que «dialectiquement» les deux théologies étaient inconciliables, il cherche et trouve des formules qui leur permettraient de «coexister» en paix.

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Notes

1. Καὶ ὁ ἅγιος Αὐγουστῖνος, ἐν βίβλῳ πεντεκαιδεκάτῳ περὶ τῆς ἁγίας Τριάδος, οὐχ ἅπαξ ἀλλὰ πολλάκις τὸ Πνεῦμα τὸ ἅγιον κυρίως καὶ ἰδίως φησὶν ἐκ Πατρὸς ἐκπορεύεσθαι — Paris, gr. 1278, fol. 166.

2. Nous retrouvons dans ce traité l'exégèse fort originale de Photios (Myst. 20— PG Cil, 297-300) sur Jean XVI, 14: ἐκ τοῦ ἐμοῦ λήψεται, δηλονότι τοῦ Πατρός (cf. Paris, gr. 1278, fol. 158). On y rencontre aussi le reproche de Sabellianisme adressé aux Latins à l'instar de Photios.

3. Paris, gr. 1278, fol. 34.

4. Voici leurs titres : 1) Ὅτι ὑποκειμένου ἐκ μόνου τοῦ πρώτου αἰτίου τὸ Πνεῦμα τὸ ἅγιον ἔχειν τὴν ὕπαρξιν, οὐκ ἀναιρεῖται ἡ κατ' οὐσίαν ταυτότης Πατρός καί Υἱοῦ. 2) Ὅτι ὑποκειμένου ἐκ μόνου Πατρὸς ἒκπορεύεσθαι τὸ Πνεῦμα τὸ ἅγιον οὐκ ἀναιροῦνται αἱ προσωπικαί διαφοραὶ τῶν τριῶν προσώπων. 3) Ὅτι ὑποκειμένου ἐκ μόνου Πατρός ἐκπορεύεσθαι τὸ Πνεῦμα τὸ ἅγιον, οὐκ ἀναιροῦνται τὰ περὶ Θεολογίας ρητά.

5. Ὅτι ὑποκειμένου καὶ ἐκ τοῦ Υἱοῦ ἐκπορεύεσθαι τὸ Πνεῦμα τὸ ἅγιον, πολλὰ τῶν ὁμολογουμένων ἀναιρεῖται καὶ πολλοῖς ρητοῖς τῶν ἁγίων ἐναντίως ἔχει τοιαύτη ὑπόθεσις.

6. Πρὸς τοὺς ἀντιλογικοὺς τῶν Λατίνων, ὅτι αδύνατον ἐστιν αὐτοῖς πρὸς Γραικούς διαλεγομένους διὰ συλλογισμῶν ἀποδεῖξαι, ὅτι οὐ μόνος ὁ Πατήρ ἀρχὴ καὶ πηγὴ θεότητος.

7. Πρὸς τὰς κυριωτέρας τῶν Λατίνων ὑποθέσεις, ἐξ ὦν οἴονται δεικνύναι, ὅτι τὸ Πνεῦμα τὸ ἅγιον καὶ ἐκ τοῦ Υἱοῦ ἔχει τὴν ὕπαρξιν.

8. Voir surtout les traités III et IV tout entiers (Paris, gr. 1278, fol. 5iv-64 et 64v-76). Dans le 5e traité, Barlaam condense bien sa pensée : ἡμεῖς, ὡς πολλάκις καὶ ἐν τοῖς προτέροις λόγοις διωρισάμην, τὴν μὲν μεταδοτικὴν πρόοδον τοῦ ἁγίου Πνεύματος, τὴν πρὸς ἡμᾶς, εἴτε ἐπιφοίτησιν, εἴτε διανομήν, εἴτε χύσιν εἴτ' ἀποστολήν, εἴτ' ἀλλ’ ὁτιοῦν τούτων οἰκειότερον χαίροι τις αὐτήν ὀνομάζων, παρά τε Πατρός καὶ Υἱοῦ ὑπάρχειν ὁμολογοῦμεν τὴν δὲ ὑπαρκτικήν πρόοδον, ἥ οὐκ ἐστί πρὸς ἡμᾶς, ἀλλὰ καθ’ ἑαυτήν, ἐκ μόνου τοῦ Πατρός πιστεύομεν ἔχειν τὸ Πνεῦμα τὸ ἅγιον.— fol. 83v ; cp. fol. iiiv—112.

9. Fol. 95v.

10. Fol. 96.

11. Fol. 131v.

12. Fol. 138v.

13. Fol. 132 v- 133, etc.

14. Fol. 94v.

15. Paris, gr. 1278, fol. 138. Barlaam attaque souvent et nommément Thomas d'Aquin: l'un de ses traités est même intitulé «Κατά Θωμᾶ> (le No. X dans la numérotation de Fabricius • Paris, gr. 1278, fol. 131v- I32v; voir aussi ff. 88, 141v, 143 - 146, etc.).

16. Fol. 138v.
17. Nicéphore Grégoras, Hist. XIX, i - éd. Bonn, II, p. 923.


Chapitre 3

L'une des formules que Barlaam met ainsi en avant en tant que postulat commun aux Grecs et aux Latins, est l'expression de St Grégoire de Nazianze appliquant au Fils la qualité d'être «le principe, issu du principe» («ἡ ἐκ τῆς ἀρχῆς ἀρχὴ» (1). Il n'entend pas ainsi concilier les deux théologies, puisqu'il a lui - même montré qu'une telle conciliation était irréalisable, mais à inciter les Grecs à plus de tolérance à l'égard des Latins en leur rappelant qu'un Père de leur propre Église, auquel ils ont eux-mêmes assigné le titre de «Théologien», a employé quelques expressions susceptibles d'être considérées comme favorisant la thèse latine. Devant l'indignation qu'exprime Palamas au sujet de sa méthode, il essaie de démontrer dans sa réponse, d'une façon assez confuse, qu'en admettant avec Grégoire de Nazianze que le Fils est «principe issu du principe», on ne porte en aucune façon atteinte à la conception «monarchique» de la Trinité, tout en tenant compte formellement des principaux arguments latins en faveur de la procession de l'Esprit à partir du Fils (2).

La citation de St Grégoire aussi bien que les commentaires qui l'accompagnaient ont disparu des oeuvres antilatines de Barlaam : le Calabrais lui-même les a effacés en tant que «causes de scandale» (3) et Palamas s'en est sincèrement réjoui dans la lettre qu'il lui adressa par la suite. Mais son point de vue relativiste n'en fût aucunement modifié. Avant de partir en Avignon comme négociateur de l'union des églises, il présente de nouveau au synode de Constantinople un projet qui reprend la formule de St Grégoire de Nazianze et propose une union sur la base du relativisme théologique, puisqu' aucun des deux partis ne peut être convaincu par l'autre (4).

L’attitude adoptée par St Grégoire Palamas sur la question de la procession est différente. Elle est déterminée avant tout par une autre conception de la valeur du raisonnement théologique. Ce dernier peut et doit avoir une valeur absolue, donc «apodictique», dans la mesure où l'esprit humain peut être guidé par Dieu et entendre la Révélation qui lui est faite en Christ. Barlaam ne tient aucun compte dans sa dialectique de la grâce divine qui illumine l'esprit humain et qui le fait sortir du domaine naturel pour lui révéler une vérité vivante et absolue. Toute la pensée du Calabrais est donc encore dépendante
qui n'a pas reçu la grâce de la seconde partie de la lettre a Akindynos que nous publions: nous y voyons clairement comment cette controverse sur la méthode théologique entre dans le cadre de la lutte qui opposait les partisans et les adversaires de la sagesse profane et annonce toute la discussion postérieure sur la grâce et les énergies divines.

En ce qui concerne la doctrine latine de la procession du Saint-Esprit, elle apparaît à Palamas comme fausse et il n'admet aucun compromis sur l'essentiel. Ce n'est pourtant pas un esprit fermé : vers la fin de sa vie, il sera captivé par certains aspects de la Triadologie augustinienne — notamment l'explication «psychologique» de la Trinité — et il ne craindra pas, tout en continuant à rejeter la procession à partir du Fils, d'adopter certains points de vue latins qui lui paraissent suggestifs et acceptables (5). Son attitude, tout en étant négative et intransigeante envers ce qu'il considère comme l'erreur principale des Latins, est en même temps vivante et créatrice. Il faut reconnaître cependant que vers 1336, il fait montre d'un bien moins grande connaissance de la théologie latine que Barlaam et ce dernier a raison d'affirmer que certains de ses arguments purement négatifs ne peuvent avoir qu'une portée limitée auprès des occidentaux.

Dans sa lettre à Akindynos, St Grégoire donne tout d'abord un bref compte - rendu du contenu suspect du dernier ouvrage de Barlaam qu'on lui a apporté le jour de la Pentecôte : il insiste surtout sur la référence inadéquate à St Grégoire de Nazianze et à la doctrine de la consubstantialité des Personnes (6). On ne peut dire en effet que le Père et le Fils ne font qu'un dans l'acte de la procession, comme les trois Personnes ne font qu'un dans l'acte de la création, parce que l'Esprit lui - aussi participe à leur commune nature, donc à tout acte divin procédant de cette consubstantialité : c'est ainsi que l'Esprit est Créateur de même que le Père et le Fils, et il devrait être sa propre origine ou être l'origine d'une quatrième hypostase, si l'acte de faire procéder -l'Esprit était un attribut de la nature commune du Père et du Fils donc aussi de l'Esprit (7). Nous voyons ici apparaître l'élément majeur qui caractérise la conception orthodoxe de la Trinité par opposition à la doctrine latine: les caractères (ιδιώματα) de Dieu se rapportent soit aux Personnes, soit à l'Essence commune, mais ne peuvent être des propriétés de l'Essence en étant communes à deux Hypostases, sans se rapporter aussi à la troisième. Il en résulte que l'acte de faire procéder l'Esprit, si on considère qu'il appartient au Fils comme au Père, est soit essentiel, soit hypostatique : dans le premier cas, il doit aussi appartenir à l'Esprit, dans le second, l'Esprit a deux principes, ce qui détruit la Monarchie du Père au sein de la Trinité (8).

Palamas produit de nombreux arguments en faveur du point de vue grec, qu'il emprunte d'ailleurs textuellement à ses propres «λόγοι ἀποδεικτικοί». Il admet avec toute la tradition patristique et byzantine que le Fils est «principe, source et cause» de l'activité providentielle et sanctificatrice de l'Esprit dans le monde (9). Dans ses grands traités, il remarque tout d'abord que les Pères parlent de la procession de l'Esprit «de l'hypostase de Père» et «de la nature du Père et du Fils» (10) : en tant que Personne divine, l'Esprit procède éternellement de la seule Personne du Père, quant à l'activité de l'Esprit (ἐνέργεια), elle a la nature divine pour origine et on peut dire qu'elle procède aussi bien du Père et du Fils, que de l'Esprit lui—même, les trois hypostases ayant une commune essence et une unique volonté (11). C'est dans ce sens que Palamas interprète les passages de St Cyrille d'Alexandrie sur la procession de l'Esprit à partir du Père et du Fils, en démontrant par là, contre les ariens, les adoptionistes ou les nestoriens, la consubstantialité des Personnes et la communauté de leur nature (12). D'ailleurs, s'il s'agit dans ces passages de la manifestation de l'Esprit, il ne peut s'agir que de son «énergie» et non de son Hypostase, qui reste inaccessible «en tant que telle», c'est-à-dire dans son essence (13). La doctrine de Palamas se résume bien dans le passage suivant : «L'Esprit - Saint appartient au Christ en tant que Dieu par son essence et son énergie ; par son essence et son hypostase il lui appartient, mais n'en procède pas, tandis par son énergie, il lui appartient et en procède» (14).
Nous voyons donc que les deux adversaires défendent chacun de leur côté le personnalisme traditionnel en Orient dans la doctrine de la procession contre la doctrine occidentale qui, d'après eux, confond les propriétés des hypostases avec celles de l'essence. Dans l'interprétation du dogme, Palamas introduit sa théorie des énergies. Cependant, la question du «Filioque» ne joue dans les débuts de la controverse qu'un rôle occasionnel: elle ne fait que manifester une profonde différence dans la doctrine de la connaissance de Dieu.

Palamas rédige sa lettre dans sa retraite du Mont-Athos après avoir reçu l’ouvrage de Barlaam ( § I ) et l’envoie à JThéssalonique où Barlaam se_trouve également. Par l’intermédiaire d'Akindynos, il veut poser au Calabrais «quelques questions des plus nécessaires». Son correspondant s'est d'ailleurs lui aussi solidarisé sur un point avec Barlaam, puisqu'il considère comme impropre le titre d'«apodictiques» que Palamas a donné à ses traités contre les Latins (§ 13).

On peut ainsi prévoir déjà le parti que choisira Akindynos en fin de compte. La lettre est rédigée sur un ton nettement amical: il faut particulièrement remarquer l'éloge explicite que Palamas adresse à Barlaam, «qui a quitté sa patrie par amour pour la véritable piété» (§ 4). La lettre nous prouve donc la bonne réputation qu'avait Barlaam à Byzance et les relations amicales qui unissaient les protagonistes avant que des divergences doctrinales ne les aient séparés.

Notre document est divisé en deux parties bien distinctes: i) La critique de la position de Barlaam concernant la question de la procession du Saint-Esprit (§§2-7); cette partie est en grande partie constituée par des emprunts aux «Λόγοι ἀποδεικτικοί». 2) Une défense convaincue de la possibilité de «démontrer» des vérités théologiques (§§ 8-i4).

Le texte de la lettre a été établi sur la base du très bon manuscrit de Paris, le Coislinus 100 du XVe siècle, ayant autrefois appartenu à la Grande Laure du Mont-Athos (fol. 12v). Les folios de ce volume (C) sont indiqués en marge du texte (15). Ce manuscrit de base se rapproche du Matritensis 4802 (Iriarte, 77) ff. 89v-99v, datant également du XVe siècle (M). Les autres manuscrits qui ont été à notre portée-le Laud. 87, ff. 46v-51 (O) du XVe, le Lavra 1626, ff. 574-578, s. XV (L), ainsi que les copies tardives, le Athon. 4506 (Iviron 366), s. XVI, ff. I35-145v (I), le Lavra 1945, s. XVIII, ff. 7-13 (K) et l'Atheniensis 2092, s. XVII, ff. 52-59 (A) - semblent dépendre d'un autre prototype dont nous indiquons quelques variantes, d'ailleurs tout a fait secondaires (16}. La lettre se trouve également dans le Mosq. syn. 249, le Metoch. S. Crucis 421 et le Taurin, gr. 316, c.II, 18 que nous n' avons pu collationner. Il faut mentionner enfin que quelques courts extraits de la lettre ont été publiés, d'après le manuscrit K, par Porphyre Uspenskij dans son «Pervoe putesestvie v afonskie monastyri», I, i, Kiev, 1877, pp. 229-233 et dans le «Vostok Christianskij. Istoria Afona, III. Afon Monaseskij, II, St Petersbourg, 1892, p.247 (texte grec dans les «Opravdanija»).





Notes

1. Homélie XLV, 9 - PG XXXVI, 633 C; cf. lettre à Ak., § z.

2.
Ed. Schiro, ASCL, 1935, fasc. I, pp. 64 - 77; 1936. fasc. I- II, pp. 80- 84.

3. Même lettre - ASCL, 1936, fasc. III - IV, p. 324. Le Calabrais que son relativisme théologique empêchait d'avoir des convictions très stables, reconnaît par ailleurs avoir plusieurs fois modifié le texte de ses traités (οἱ Λόγοι ἅπαξ καὶ δίς ὕστερον μεταβέβληνται—2e réponse à Palamas, Marc. gr. 332. fol. 125). Nous pouvons nous faire une idée de ces modifications, d'après celles que le P. Jugie a signalées dans la prière qui accompagne les traités antilatins du Calabrais (Inc.—Λόγε προάναρχε... ; éd. Schiro, ASCL, 1938, II, pp. 155 - 166). Dans cette prière, il admet la possibilité que l'Esprit procède du Fils et fait preuve d'une indécision évidente entre les deux doctrines adverses. Or, dans le Vatic, gr. mo, fol. 78v - 79, les passages de la prière où sont manifestées ces hésitations que Palamas relèvera par ailleurs avec indignation dans sa 2e «Triade pour la défense des hésychastes» (Coisl. 100, fol. 198v) sont grattés (Voir M. Jugie «Barlaam est - il né catholique?»—Echos d'Orient, XXXIX, 1940, pp. 122 - 123). C'est sous cette forme modifiée que nous trouvons la prière dans le Paris, gr. 1218, f. 529v.

4. Ed. C. Gianelli —«Un progetto di Barlaam per l'unione delle Chiese» — Miscellanea Giovanni Mercati, III — Studi e testi, 123, Città del Vaticano, 1946, p. 16753.

5. Κεφάλαια φυσικά, θεολογικά και ηθικά. — PG CL, 1144-1145• A notre connaissance, il est le seul théologien orthodoxe à avoir tenté une assimilation de la «théorie psychologique» à la théologie trinitaire orientale.

6. § 1-2.

7. § 2 - 4, 7. Cet argument est extrêmement courant dans la théologie byzantine depuis Photios (Myst. 6, 12, 17, 34-36, 46-47, 64 — PG CΙΙ, 288, 292, 296, 313-317. 324-325).

8. § 7.

9. § 5.

10. Οὐδεὶς οὐδέποτε τῶν ἀπ' αἰῶνος εὐσεβῶν θεολόγων ἐκ τῆς ὑποστάσεως εἶναι τοῦ Υἱοῦ τὸ Πνεῦμα εἶπεν, ἀλλ' ἐκ τῆς τοῦ Πατρός ὑποστάσεως ἐκ δὲ τῆς φύσεως τοῦ Υἱοῦ καὶ φυσικῶς εἶναι ἐξ αὐτοῦ εἴπερ τις φαίη, ἀλλ' ὡς μιᾶς καὶ τῆς αὐτῆς φύσεως οὔσης τοῦ Πατρός καὶ τοῦ Υἱοῦ...— Coisl. 100, fol. 57v.

11. Eἰ γὰρ κοινὸν ἀεὶ αὐτοῖς ὡς ἐξ αὐτῶν ἡ τοῦ Πνεύματος ἐκπόρευσις, ἐνέργεια ἄν τὸ Πνεῦμα εἴη μόνη.— Ibid., fol. 62V.

12. Coisl. loo, fol. s8v, etc.

13. [Τὸ Πνεῦμα] δι' Υἱοῦ καὶ ἐξ Υἱοῦ. . ἐκπορευόμενον, ἀλλ' ἡνίκα ληφθῆναι καὶ φανερωθῆναι ηὐδόκησε... οὐ γὰρ αὐτὴ καθ' ἑαυτὴν ἡ οὐσία καὶ ἡ ὑπόστασις φανεροῦταί ποτε τοῦ Θείου Πνεύματος.— fol. 62.

14. Τὸ Πνεῦμα τὸ ἅγιον τοῦ Χριστοῦ ἐστιν ὡς Θεοῦ καὶ κατ' οὐσίαν καὶ κατ' ἐνέργειαν, ἀλλὰ κατὰ μὲν τὴν οὐσίαν καὶ τὴν ὑπόστασιν αὐτοῦ ἐστιν, ἀλλ’ οὐκ ἐξ αὐτοῦ, κατὰ δὲ τὴν ἐνέργειαν καὶ αὐτοῦ ἐστι καὶ ἐξ αὐτοῦ — fol. 44ν.

15. Ce volume a été décrit très en détail par Montfaucon. La description est reproduite dans la PG CL, 833 - 838.

16. Nous tenons à remercier ici Monsieur Boris Bobrinskoy, chargé de cours à l'Institut de théologie orthodoxe de Paris, qui a bien voulu, lors de ses séjours à l’Athos collationner pour nous les manuscrits de la Sainte Montagne qui intéressaient la présente édition.