André
SAVORET
Librairie HEUGEL - Éditions "PSYCHÉ"
7 - Rue Séguier -7
PARIS 6e
-1939
Dénoncer les méfaits de la psychanalyse dans une revue comme celle-ci, n'est
pas précisément chose aisée. Certaines discussions qui porteraient sur des
points fondamentaux et les éclaireraient d'un jour un peu cru ne peuvent
malheureusement être abordées qu'avec d'infinies précautions, on devine
pourquoi. La responsabilité de celui qui écrit sur de tels sujets est immense. Les yeux qui le liront peut-être un jour « à la
sauvette », dans la boîte de quelque bouquiniste, pourraient être ceux
d'enfants, dont notre Maître a dit : « Si quelqu'un scandalise un de ces petits
qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on lui pendît au cou une de
ces meules qu'un âne tourne et qu'on le jetât au fond de la mer. »
Mais, d'autre part,
n'est-il pas nécessaire de mettre en garde contre une science maléfique ses
victimes éventuelles et, d'abord, les parents dont les enfants ne doivent pas
servir de cobayes médico-pédagogiques à nos modernes apprentis sorciers ?
Le sujet qui nous
occupe a déjà été envisagé, à d'autres points de vue, (voir Psyché 1933), par
M. Jacques Heugel (1), puis par nous (2).
Rappelons pour
mémoire que la psychanalyse n'est pas, malgré son nom avantageux, une étude des
facultés de l'âme, mais une méthode qui fait appel à l'Inconscient ou plutôt à
l'Infra-conscient et qui plonge la Psyché humaine dans un ténébreux bourbier.
Cette méthode est d'autant plus illogique qu'elle s'applique, en tant que
thérapeutique, à des êtres déjà tarés, amoindris ou déséquilibrés, et, en tant
qu'elle touche à la pédagogie, à des enfants et des adolescents, pratiquement
sans défense.
Ajoutons que ses
procédés d'investigation louvoient sans cesse entre l'hypnotisme et la suggestion
d'une part, la « confession » quasi religieuse (quoiqu'en mode inversif)
d'autre part, tandis que le raisonnement, les déductions sur lesquels on
s'appuie pour formuler le diagnostic, reposent sur une interprétation
systématiquement abjecte des faits, que ce soient les images du rêve ou les
manifestations verbales et graphiques de ce qu'on pourrait nommer « rêve
éveillé » ou « rêverie lucide » (3).
Mais la psychanalyse
étend plus loin son empire. Toutes les branches de l'activité humaine, en tout
premier lieu les activités supérieures (arts, morale, religions, etc.) sont
réputées justiciables de cette méthode inconcevable, qui prétend appliquer au
conscient et au supra-conscient les règles (d'ailleurs arbitraires) établies
d'après ce qu'on croit connaître de l'Infra-conscient. C'est le jugement du
Haut par le Bas, du Supérieur : par l'Inférieur, - c'est Belzébuth explicitant
à sa façon les choses du Ciel !
Ici, nous avons
quitté le domaine légitime de la science, même matérielle, nous nous débattons
en plein cauchemar,
« Un cauchemar rempli de choses inconnues,
« De fœtus qu'on fait cuire au milieu des
sabbats... »
Un de ces
cauchemars, en somme, que ces Messieurs Psychanalystes excellent à nous
traduire en clair, si l'on ose employer ce terme pour un jargon barbare et
impressionnant où la « régression névrotique » voisine avec le « complexe du
Monsieur qui en a bouché un coin au Sphinx » (à moins que ce ne soit, par vertu
d'« ambivalence » le « complexe de castration »), tandis que le profane se perd
dans les complications de l'amour « objectal » ou de l'« attitude narcissique »
et qu'il ploie douloureusement l'échine sous le poids excessif des « affects »
dont on le surbâte... Tout cela sent son pédant - son pédant d'outre-Rhin - et
ne brille pas précisément par la netteté des idées.
Quant à
l'originalité de tout ce bric-à-brac impressionnant, elle réside surtout dans
le vocabulaire employé ; psychiatres, théologiens, éducateurs et pédagogues
n'ayant pas attendu Freud pour s'apercevoir des luttes qui dédoublent, pour
ainsi dire., l'homme et dont tous les auteurs classiques, depuis Sophocle
jusqu'à Corneille, depuis Eschyle jusqu'à Shakespeare, ont démonté cent fois le
mécanisme !
Seulement - et ici
l'unanimité est remarquable - tout le monde s'accordait sur la nécessité de
donner la victoire au conscient sur l'inconscient, sauf nécessités d'ordre
littéraire et théâtral, auquel cas la surrection de l'inconscient déclenchait
la catastrophe finale. Les vieux
moralistes n'étaient pas précisément tendres à l'égard des impulsions venues
d'En-Bas et, s'ils ne niaient pas sottement l'existence du monde trouble et
malsain où se complaît l'imagination parfois délirante des disciples de
l'obsédé viennois, si même ils avaient sur lui des notions autrement étendues
que nos modernes psychologues, ils savaient pertinemment tout le danger qu'il y
a à s'appesantir sur certaines matières et à se pencher sur certains bas-fonds.
Enfin, tous s'accordaient encore pour penser que les œuvres les plus hautes de
l'esprit humain : poésie, musique, art, requéraient d'autres collaborations,
d'autres inspirations, d'autres origines que celles, peu reluisantes, que la
psychanalyse cherche à faire passer au premier plan.
Pour citer un
exemple (que nous édulcorerons de notre mieux), la musique, considérée dans son
élément rythmique, est envisagée par un de ces dangereux maniaques comme
engendrée par les rythmes du cœur, de la respiration, de la tétée, de la
mastication, des contractions stomacales et annexes, et... de tous les rythmes
solitaires ou dualistiques, infantiles, prépubériens et autres, grâce auxquels
on pose une explication « en profondeur » de l'« origine et du sens de l'art
musical » !
À cette « lumière »,
un Beethoven, un Chopin, un Mozart n'ont plus de secrets pour nos intrépides
investigateurs, soucieux d'explorer chez autrui, un génie qui leur est presque
offense personnelle, à l'aide de leur matériel d'égoutier.
Un psychanalyste
notoire, après s'être livré aux exercices usuels pour nous « expliquer » le
génie musical de Chopin, nous livre cette clé inédite de l'œuvre du maître : «
La musique de Chopin est donc, à double titre, une fantaisie œdipienne. » On
s'abstiendra ici de post-poser, à la fantaisie freudienne de l'auteur, le
qualificatif qu'elle appellerait...
*
* *
Il en va des plus
hautes efflorescences de l'esprit humain comme des fleurs de nos jardins. Le
terreau qu'elles sublimisent en leur alchimie merveilleuse n'est que putridité
et décomposition. Mais cet élément « infra-végétal », pourrait-on dire, n'est
ni la graine, ni la fleur : il en est la pâture ! Les
éléments qui montent, par cette dernière, vers le soleil, transformant ainsi
leur nauséabondité en parfum, ne sauraient rendre raison de Celle qui les élève
vers le ciel ; ils ne l'explicitent en aucune manière ; ils ne nous livreront
jamais le secret de sa vie et de sa beauté.
On peut en dire
autant pour le terreau infrahumain. Rendre raison d'une symphonie en termes de
pathologie et d'érotologie, explorer les lavabos d'un grand homme pour y
retrouver la « source » de son inspiration, telle est la dangereuse manie (au
sens médical du terme) de ces inconscients souilleurs d'âmes.
On nous objectera,
peut-être, que nous sommes injustes ; que tous les psychanalystes ne sont pas
obsédés par la libido, comme l'est le clan des disciples de Freud ; en d'autres
termes que nous identifions à tort psychanalyse et freudisme, de telle sorte
que nos appréciations sévères, motivées si l'on considère les excès des uns,
deviennent gratuitement injurieuses dès qu'on les applique aux autres.
Tout en faisant la
part de la bonne foi, du désir légitime de soulager des affections
particulièrement rebelles aux traitements habituels, de la modération dans les
idées et du tact dans les démarches, autant de traits qui honorent nombre de
vrais savants pour qui la psychanalyse n'est qu'un instrument de travail, au
même titre que les autres, il n'en est pas moins vrai que :
1° - Ces savants ne
représentent pas, tant s'en faut, la psychanalyse ; ils constituent plutôt des
sectes dissidentes, eu égard à l'orthodoxie freudienne ;
2° - La littérature
psychanalytique, en tant qu'elle atteint le grand public, l'atteint justement
grâce à ce qu'elle offre de plus « croustillant », de plus malsain, s'adressant
on en conviendra, à des êtres dont la majorité n'obéit certainement pas à des
curiosités purement scientifiques et désintéressées ;
3° - Comme nous le
verrons plus loin, l'ensemble des théories et des méthodes visées relève d'un
état d'esprit très spécial, d'autant plus inquiétant qu'il agit simultanément
dans d'autres domaines (littérature, musique, poésie, politique, morale pour y
engendrer, y entretenir et y porter à son comble la plus parfaite confusion
mentale et le détraquement de tous les ressorts internes et externes de l'homme
et de la société. Ainsi rattachée à ses causes secrètes et située à la place qui
lui revient parmi les éléments de subversion individuels et sociaux, la
psychanalyse, restreinte ou généralisée, outrancière ou pondérée, qu'elle
s'offre à nous sous les nuances Freud, Jung, Claparède, Laforgue ou
Dupont-Durand, la psychanalyse, affirmons-le hautement, constitue un ensemble
qui vaut, essentiellement, ce que valent les causes auxquelles nous faisions
allusion. Ces causes peuvent se ramener à une seule, fondamentale, à savoir :
L'activité protéenne d'un principe dont les manifestations visent à instaurer
définitivement, sur cette terre, le Règne de la Bête !
Il s'ensuit
nécessairement que les distinguo quant aux personnes, aux responsabilités
individuelles, au degré de conscience atteint par chacun et du rôle qu'il joue
et du Maître qu'il sert, ne sont pas susceptibles d'influer sur le principe
dont nous venons de parler, ni de modifier les fins auxquelles il tend,
invinciblement, par son essence même.
C'est pourquoi les
appréciations que nous portons, sous forme dépouillée de toute aménité
superflue, (chacun, d'ailleurs, devant assez se connaître pour en prendre,
comme on dit, « pour son grade » !) visent aussi bien le clan Freud que les
clans dissidents, du fait qu'ils sont dans une mesure différente mais difficile
à évaluer, des serviteurs du même Maître.
Quand on songe que
ce qui est en jeu, à l'heure présente, c'est à la fois l'existence même de
toute société et le salut des âmes de nos contemporains comme de nos
descendants, aucune hésitation n'est permise ; aucune demi-mesure n'est honnête
; aucun compromis, justifiable !
*
* *
C'est que, parmi les
innombrables prétentions de la psychanalyse, il en est une qui s'affirme avec
une particulière insistance et offre le danger le plus insidieux le plus
immédiat, le plus redoutable aussi par ses conséquences à longue portée. C'est
celle qui consiste à vouloir s'annexer l'éducation en faisant tache d'huile
parmi le corps enseignant, nullement qualifié au point de vue médical pour
mettre en œuvre le redoutable arsenal qu'on le presse d'utiliser. Le mot
d'ordre, en ce sens, a d'ailleurs été donné ouvertement par Freud lui-même.
On veut donc nous
faire glisser de l'éducation, sans épithète, à une « éducation psychanalytique
», d'abord larvée et honteuse, grâce à un noyautage de professeurs imbus des
théories nouvelles et désireux de passer à la pratique, puis un autre pas sera
fait, avec la multiplication des « écoles d'essai » et « écoles-communautés »,
jusqu'au couronnement du Grand-Œuvre : l'intronisation officielle de la
psychanalyse dans l'enseignement public, sous les formes les plus diverses,
qu'il s'agisse de l'enseigner, d'en appliquer les principes d'une façon
générale à l'éducation, ou d'en retenir les conclusions pour aboutir à l'un de
ces mirifiques « Statuts de l'École nouvelle » dont l'élaboration est à l'ordre
du jour dans certaines Loges Maçonniques, particulièrement avancées.
« L'être humain - a
écrit Sédir - ressemble à une maison où les greniers, les resserres et les
caves prennent beaucoup plus de place que les chambres habitées ».
Comparaison exacte,
à laquelle on ne saurait reprocher qu'un excès de modération. En plus des caves
et des greniers, l'être humain a ses cloaques et ses égouts, de même qu'il a
ses terrasses et ses observatoires braqués vers les Cieux.
Jusqu'à ces derniers
temps, les éducateurs visaient à rendre l'homme conscient de ses possibilités
les plus hautes, à le détourner de l'attraction d'En-Bas, à le mettre en garde
contre l'emprise fatale de l'« inconscient », de l'imagination et des forces
obscures de l'instinct En somme, on le voulait maître de lui, contrôlant ses
impulsions, positif par rapport à sa propre nature inférieure.
Là s'arrêtait
l'éducation laïque. L'éducation religieuse allait plus loin et se flattait de
le mettre en contact avec les forces divines, dans les limites où sa nature le
permettait.
Orienté dans le sens
spirituel par cette éducation, l'homme pouvait évidemment rester indéfiniment
stationnaire, nul n'ayant à charge de vouloir, choisir et agir pour autrui. Du
moins lui évitait-on nombre de pièges où risquaient de sombrer son honneur, sa
santé ou sa raison.
Autre point
important. L'éducation, la première éducation surtout, était d'abord l'œuvre
des parents. Elle était essentiellement familiale ; accessoirement scolaire et
confessionnelle.
Cette façon de voir
apparaît scandaleusement rétrograde aux « hommes de progrès », et de nouvelles
méthodes, issues de nouveaux principes, se généralisent sans bruit, et l'on ne
voit pas que les intéressés réagissent bien vigoureusement, soit qu'ils
n'aperçoivent pas le danger, soit qu'ils se méprennent sur sa nature, soit,
enfin, qu'ils le sous-estiment. Le devoir strict est pourtant de chercher à
être éclairés sur le véritable but poursuivi - quels qu'en soient les prétextes
: ils ont charge d'âmes - et non seulement de corps !
Selon les nouvelles
conceptions éducatives, à la fois barbares et savantes, il semble que l'enfant
doive être réduit, de plus en plus, au rôle de « cobaye ».
Il n'est plus la
précieuse individualité qu'on aide à s'épanouir mais devient, par une
incroyable aberration, un prétexte à expériences qui réussiront ou ne
réussiront pas. Dans ce dernier cas, n'a-t-il pas une vie entière pour expier
les fautes de ses singuliers éducateurs ?
Pour ceux-ci, le
sort d'une âme, de centaines ou de milliers d'âmes même, ne pèse pas lourd en
regard d'une belle communication dans une revue spécialisée ! Les parents doivent donc veiller au grain et ne se
désintéresser sous aucun prétexte de la vie scolaire de ceux dont ils ont la
charge. Ils ne doivent non plus laisser le personnel enseignant empiéter sur
les droits naturels qu'ils possèdent, droits qui sont aussi de stricts devoirs.
L'intervention de la
psychanalyse dans le domaine pédagogique, qu'il s'agisse de son enseignement
aux élèves ou de son emploi par les instituteurs, est susceptible de provoquer
des perturbations graves. Elle est liée - et c'est un fait qu'il faut bien
mettre en valeur - à des conceptions qui, dans l'école freudienne sont
indubitablement athéistes et bolchévisantes. Non que la psychanalyse, en soi,
conduise nécessairement à de telles conceptions, mais parce que tout se tient
dans l'univers comme dans la société. Au même titre que le sans-dieuisme, le
communisme, la musique nègre, la science dite « des religions », la
transformation de la femme en une poupée aux ongles peints et aux sourcils
épilés, la publicité intensive, et mille autres manifestations qu'on pourrait
juger disparates, la psychanalyse est révélatrice d'un certain stade de
l'histoire de l'humanité, ce stade qui précède immédiatement celui où tous les
hommes, comme il est écrit dans l'Apocalypse, porteront au front le stigmate
infamant de la Bête.
*
* *
Au surplus, si, pour
parler « drap », il vaut mieux s'adresser au drapier, pour parler «
psychanalyse », demandons à des psychanalystes de nous renseigner (4).
« Pour deux raisons,
l'enseignement de Freud paraît s'appliquer avec fruit à l'éducation des
enfants.
« Tout d'abord, il
est à remarquer que dans chaque cas de névrose, il faut rechercher l'origine de
la névrose chez l'enfant, et toujours dans la première enfance du malade. Par
conséquent l'éducation doit tendre à éviter les névroses [même quand elles sont
héréditaires, sans doute ?].
« Ensuite, la
Pédagogie ne peut pas ignorer la psychologie profonde dérivée de la
psychanalyse... Autrefois, dans l'enseignement, on estimait, suffisant de
savoir lire, écrire, calculer, réciter son catéchisme (5).
« Freud lui-même
[jolie référence !] a approuvé la pratique de la psychanalyse en matière
d'éducation et il s'est élevé publiquement contre ceux qui seraient tentés de
restreindre son enseignement à la médecine.
« Pour ma part, je
suis convaincu que la psychanalyse pédagogique contribuera davantage au bonheur
de l'humanité que la psychanalyse médicale... grâce à l'appui des pédagogues
qui apprendront à la connaître et à s'en servir...
« Il s'agit de
savoir si, parmi les pédagogues, la majorité aura assez d'énergie pour se
soumettre à une cure psychanalytique(6).
« La peine qu'on a,
le temps qu'on donne, les dépenses qu'on fait [car ça n'est pas gratis pro...
diabolo !] paraissent peu de choses si l'on tient compte du bénéfice d'une
analyse réussie : augmentation de la capacité de travail [!!!] et possibilité
d'une plus grande somme de bonheur » (7).
Le même auteur
développe ensuite ses vues sur l'École-communauté qui se répand de plus en plus
dans tous les pays d'Europe, France y compris, comme il a la gentillesse de
nous l'apprendre. Sa caractéristique, outre le mélange des sexes, c'est de
donner la toute première importance « aux rapports entre les maîtres et les
élèves » (8).
Sachons, pour notre
gouverne, que dans ce système, « des sentiments définis, [?] relient les élèves
au maître »... La classe « a sa physionomie, donnée par la volonté-conductrice
du maître » (9).
De cette classe, on
nous conte merveille : « L'ancienne école encourageait l'individualisme mal
compris et égocentrique : mieux faire, mieux savoir que son camarade, se
mesurer intellectuellement pour dépasser l'autre... Dans l'école-communauté,
chacun doit donner le meilleur de ses forces pour le bien de l'ensemble ». Le
travail individuel a « peu ou point d'importance » ; il procède, nous
affirme-t-on gravement, « du sentiment de responsabilité de l'individu envers
l'ensemble » ; l'élève « ne veut pas FAIRE TACHE dans le cadre de la communauté
».
On nous dit bien que
pour, réaliser « la classe idéale » [construite en pierre philosophale] il faut
des personnalités prêtes à donner « jusqu'à leurs dernières forces pour l'idéal
de leur profession », mais on omet d'ajouter qu'avec de pareilles vues il
faudrait des élèves faits sur mesure... Bref, il paraît que les pédagogues
devraient être mieux informés sur la « psychologie des masses » afin d'éviter
les insuccès ; on précise même qu'il s'agit de « psychologie dynamique des
masses » laquelle devient un jeu d'enfants « grâce aux recherches
psychanalytiques ».
Et voici qui
réjouira tous les éducateurs : « quand on lit des rapports sur les classes
d'essais, on s'étonne de ne jamais y trouver d'insuccès ».
Pourquoi faut-il
que, même à l'auteur que nous citons, un pareil triomphe semble un peu
suspect...
C'est qu'il y a des
causes de désenchantement. Une telle classe, une telle collectivité est sans
cesse menacée dans son équilibre instable et il suffit d'un seul récalcitrant
pour démantibuler « la structure psychique de l'ensemble ». Voilà qui est peu
rassurant, on en conviendra !
D'autant plus qu'un
ou une élève, pour provoquer ce beau chambardement, n'a qu'à substituer dans
son inconscient le maître à une autre personne, généralement à son père (10). Dans ce cas l'élève « ne se sent plus comme faisant
partie d'un ensemble, donc de la classe. Il se, comporte comme si les autres
n'existaient pas ou comme s'ils étaient ses rivaux ». Il arrive « à avoir avec
le maître une RELATION À DEUX ».
On nous dit que le
maître qui connaît la psychanalyse « ne favorisera pas les prétentions
libidinales des écoliers » qui se verront obligés « de renoncer à la
satisfaction de leur libido pour lui » (11).
Alors,
ajoute-t-on, se réalise « ce phénomène psychologique que la science [pédante]
qualifie d'introjection ». Les
élèves s'identifient (!!!) avec le maître ; ils l'incarnent, pour ainsi dire,
en esprit... L'idéal commun les enchaîne intérieurement les uns aux autres ; il
s'ensuit des sentiments de fraternité (tels qu'on les rencontre dans les
communautés religieuses et dans l'armée) (12) ; les individus s'identifient aussi entre eux, et
c'est ainsi que l'« ensemble » se forme.
Et pour qu'on ne se
méprenne pas sur la nature et l'origine supposée de ces beaux sentiments - dont
le moins qu'on puisse dire est qu'ils sont intolérablement équivoques - on nous
renvoie sans transition à un « parallèle phylogénétique »(13) qui laisse rêveur et qu'on nous dispensera de
reproduire textuellement (14). Voici ce dont il s'agit : La tribu primitive se
composait - nous explique-t-on - d'un Père omnipotent, qui monopolisait
l'élément féminin du groupe en expulsant au loin tous les fils. Ces exilés
formaient entre eux « la Communauté des Frères », unis par un lien « affectif »
résultant de leur situation anormale.
Un jour, les frères
se décident à revenir à la tribu, égorgent le père et en font un festin.
Celui-ci s'avérant d'une digestion pénible est suivi de cérémonies
magico-religieuses, visant à effacer l'acte sanglant et à le purifier.
Des tendances aux
remords s'éveillent dans le cœur des frères et (faisant alors le contraire de
ce pourquoi ils étaient revenus assassiner leur père) ils n'osent se partager
le harem paternel et vont chercher fortune dans d'autres tribus (15) ; d'où l'exogamie.
Pour combler le vide
regrettable causé par le décès irrégulier du père, ses enfants éplorés se choisissent
un chef. On ne nous dit d'ailleurs pas si c'est pour lui faire subir le même
sort. Par contre, on nous prie de croire que « cette nouvelle société, issue du
meurtre du père, a suivi le même développement que traverse aujourd'hui tout
homme civilisé quand s'ébranle son complexe d'Œdipe »... « Comme tous les
élèves portent en eux inconsciemment le péché d'Œdipe, il s'agit pour le maître
d'école de devenir le chef-conducteur d'une libre communauté ».
Chacun tirera de
cette petite histoire la morale qui lui conviendra. Nul doute que l'application
de la psychanalyse à l'éducation des « fils » par leur « maître-conducteur »,
hypostase ou plutôt ersatz de l'autorité paternelle, ne réjouisse bien vivement
le cœur des chefs de famille qui ne seront pas délibérément « hostiles au
progrès » ou - comme disent les sapients - « misonéistes » !
Une telle éducation,
nous affirme-t-on, « fait éprouver un sentiment de liberté »(16).
En fait de « liberté
», il semble qu'on fait ici assez bon marché de celle des éducateurs naturels
et responsables : les parents : « L'essentiel dans les écoles nouvelles sera
l'éducation dans le sens le plus restreint qui, pour des raisons sociales et
économiques, échappe de plus en plus à l'influence de la maison paternelle, et
devient l'affaire de l'éducateur professionnel ».
Ce trait suffit à
caractériser un programme bien moins désintéressé qu'il n'y paraissait de prime
abord.
En somme, on se
propose (et se réjouit) de retirer progressivement aux parents, éducateurs
naturels, la tâche sacrée qui leur incombe de droit, pour la confier à un
étranger inconnu, peut-être pervers et vicieux, peut-être honnête, mais en tous
cas déformé à jamais par sa marotte psychanalytique, imbu d'une soi-disant
supériorité parce qu'il ne croit plus à rien. Il n'est bon qu'à déflorer l'âme
de l'enfant avec ses suppositions ou ses questions, et à instaurer le chaos
dans sa pauvre tête, en la remplissant des sornettes dont la sienne est
bourrée.
En arrachant à cette
pseudo-science le masque dont elle s'affuble, nous découvrons une fois de plus
(hélas ! sans surprise), de vieilles connaissances : l'antichristianisme,
l'athéisme, le matérialisme, l'égalitarisme niais, la haine de toute autorité
légitime et naturelle, l'attirance pour le monstrueux, l'anormal et le
stercoraire. En résumé, la « griffe », aisément reconnaissable, qui a marqué
ces fronts bas du Sceau de la Bête.
Exagérons-nous ?
Qu'on en juge !
Lorsque Freud
proclame ouvertement en quelle sympathie il tient « la grande expérience
culturelle » qui se poursuit chez les Soviets ; quand il traite la religion de
« névrose obsessionnelle universelle » ; quand il prône, sans oser en garantir
les conséquences, « l'essai d'une éducation a-religieuse » (17) ; quand, enfin, il qualifie la communion chrétienne
un repas totémique, répétition du double crime d'Œdipe, « l'objet de l'acte du
sacrifice étant toujours le même, celui qui est maintenant adoré comme un Dieu,
c'est-à-dire le père » (Totem et Tabou, P. 208), il nous montre son vrai visage
- à dire vrai assez répugnant !
Si, de ces «
hauteurs », nous revenons à l'« école-communauté », nous y constatons une
mystique (à rebours) juchée sur un dogmatisme d'autant plus intransigeant qu'il
repose sur des postulats invérifiables, en vif contraste avec ce fameux « esprit
de liberté » au nom duquel on se flatte de parler.
À la base : la
petite historiette de la « Tribu primitive », de ses pompes et de ses œuvres ;
le souvenir inconscient de ce « péché originel » d'un genre spécial, pesant sur
tous les hommes (supposés les descendants de cette tribu, plus mythique cent
fois que celles des Lapithes et des Centaures) ; le postulat que tout homme,
tout enfant surtout, doit être traité en anormal, et vingt affirmations de la
même trempe, pour lesquelles on attend. encore le plus petit commencement de
preuve
De ce néant pur et
simple, on s'autorise pour violer des âmes, souiller des cœurs, battre en
brèche l'autorité parentale et l'autorité spirituelle. C'est inconcevable, mais
c'est ainsi. Il est permis de plaindre les parents trop confiants ou trop mal
informés qui laisseront ces gens noyauter irrésistiblement le Corps enseignant
et feront de leurs enfants de petits monstres, révoltés et précoces.
Il est vrai qu'on
nous vante les bienfaits supposés d'une éducation où une large place est tenue
par des contrefaçons de l'« esprit d'équipe ».
Voyons cela de plus
près. Au lieu de développer des individualités conscientes, distinctes, chacune
selon sa voie et ses possibilités, on veut voir des « masses » et niveler
impitoyablement tout ce qui, dépassant ces « masses », fait nécessairement «
tache » dans le troupeau.
Chacun ne doit viser
« qu'au bien de l'ensemble ». Ouais !.. Ce que la jeunesse pense du « bien de
l'ensemble » ne doit pas valoir très cher. Le fameux « sentiment de
responsabilité de l'individu envers l'ensemble », à quelques nobles exceptions
près, n'existe ni chez l'enfant, ni même chez l'homme sauf, bien entendu, en
paroles.
Tout ce vocabulaire,
digne de nos affiches électorales, qui ne voit pas où il tend et ce qu'il
dissimule ? Une fois de plus, on se sera servi du nom de la Science pour
justifier des niaiseries d'abord, de dangereuses manies ensuite, enfin,
éventuellement, de véritables crimes moraux.
Et ceci nous amène à
d'autres constatations.
Le caractère
monstrueux, régressif même, de notre société moderne, dès qu'on l'envisage à un
point de vue autre que le point de vue « utilitaire » nous échappe trop
facilement, accoutumés que nous sommes à cette ambiance malsaine qu'elle a
créée et qui exerce progressivement, très progressivement, sur nous, son action
nocive.
Emportés dans le
tourbillon collectif, nous n'avons pas plus conscience du mouvement qui nous
entraîne que nous n'avons conscience de ceux de la planète qui nous porte.
Mais nous pouvons
échapper à ces relativités et observer les circonstances d'un poste fixe :
celui de la loi morale et spirituelle dont ces circonstances ne peuvent
modifier le caractère.
Considérées de ce
point fixe, les choses mouvantes nous laissent mieux préciser le sens et
l'aboutissement de leurs trajectoires. Nous nous rendons compte, alors, à
quelle cadence accélérée l'humanité s'enfonce dans le gouffre qui semble devoir
l'engloutir, à moins qu'un miracle n'enraye cette chute.
Rétrécissons notre
horizon. La vie urbaine, telle qu'elle se développe aujourd'hui autour de nous,
justifie toutes les appréhensions. Ceux à qui leur âge permet de comparer ce
qu'elle était voici 25 ou 30 ans ne peuvent pas échapper à l'angoisse. Des
organismes déficients, surmenés, hyperesthésiés (18) sont soumis à des surtensions psychiques, à des
tentations de tous ordres, sont littéralement saturés d'excitants
physiologiques et autres, gracieux cadeaux de la fée progrès.
Les tristes « distractions » et les « loisirs »
(plus ou moins bien organisés) de notre vie artificielle n'arrivent ni à
vaincre l'angoisse des âmes qui souffrent, ni à secouer l'apathie des âmes qui
capitulent et s'abandonnent au courant.
Tout converge vers
la perversion systématique de l'homme, dès la première enfance, vers un
abêtissement et un primitivisme infra-humains, avec une telle constance qu'il
n'est pas besoin d'une imagination débridée pour y entrevoir l'exécution
méthodique d'on ne sait quel plan mystérieux.
Nous avons vu des
malheureux gosses d'une dizaine d'années, les yeux brillants de haine, lever un
poing grotesque vers le ciel en défilant au chant ignoble de l'Internationale.
Nous en voyons, dans
les cinémas, accompagnés de parents placides et satisfaits, s'initier aux
avant-derniers arcanes d'une passion trop bien mimée.
À l'école, autre
chanson, guère différente dans bien des cas. Et ces Messieurs du clan Freud
nous promettent mieux. À la maison, lecture des journaux et quels !
Dernièrement, dans
la boutique d'un coiffeur, nous observions un tout jeune enfant attendant son
tour, lisant, prise au hasard dans un tas de revues et de journaux, une
publication de la plus basse pornographie, au texte explicité par des photos
émoustillantes. Et ne parlons que pour mémoire de l'étalage des kiosques à
journaux...
Qui n'a vu, sur nos
places publiques, ces gamins se faufilant dans un groupe compact de badauds,
reprenant au refrain une de ces chansons « réalistes » qu'éructe dans un
porte-voix une commère à l'accent canaille et aux gestes expressifs ?
Quant à la T. S. F.,
on s'aperçoit déjà des ravages qu'elle exerce ? On en verra, on en entendra
plutôt, bien d'autres ! (19)...
Toute cette boue
jetée à pelletées, sans discontinuer, sur ces âmes enfantines, croit-on qu'elle
ne les souille pas irrémédiablement ?
L'enfant croît, déjà
handicapé par des tares et des tendances, des déficiences physiologiques aussi,
qu'ignoraient les générations précédentes. Il se développe anormalement, en «
serre chaude », dans une atmosphère, une ambiance, où tout est combiné pour
mettre ses nerfs à nu et exciter en lui on ne sait quelle monstrueuse
précocité.
Sont-ce là des
imaginations, des exagérations, ou le simple exposé de faits partout
vérifiables ? La réponse ne nous semble pas douteuse.
S'ils sont plus
ignares que jamais, grâce à des programmes scolaires à la fois surchargés,
incohérents et inconsistants, en revanche, nos enfants n'ont qu'à prêter
l'oreille et à ouvrir l'œil pour acquérir des connaissances prématurées et, à
défaut d'une syntaxe avec laquelle ils sont, en général, en délicatesse, ils
jouent avec virtuosité d'un vocabulaire qui laisse rêveur.
Dans notre petite
ville, ni pire ni meilleure que bien d'autres, les enfants du voisinage, dont
l'aîné n'a pas dix ans, se lancent à la tête plus de jurons en un jour qu'un
charretier n'en profère en une semaine. Ce sont là faits journaliers !
Quant au respect des
parents, il marche de pair avec le reste. Il est vrai que les parents, trop
souvent, font tout ce qu'il faut pour saper leur propre autorité(20).
Dans ce concert
ravissant, la psychanalyse joue son rôle, rôle encore modeste mais qui, demain,
sera peut-être prépondérant.
Une fois de plus,
que ceux qui ont des oreilles pour entendre et des yeux pour voir veuillent
bien observer autour d'eux, et conclure.
*
* *
C'est dans ses
rapports avec la religion et la magie (primitive ou non) que la Psychanalyse
trahit le mieux son essence secrète. Nous ne pouvons qu'effleurer ce sujet, car
il faudrait exposer ici les principales conceptions, plausibles ou saugrenues,
auxquelles ont donné naissance deux faits réputés « primitifs » : le Totem et le
Tabou. Ce ne sera pas trop d'une étude particulière pour en traiter, même
sommairement.
Nous n'insisterons
pas, pour cette fois, sur l'attitude des psychanalystes en face du fait
religieux ou des questions magiques et totémiques. Elle est d'ailleurs assez
connue.
Soulignons plutôt
ceci : la psychanalyse, qui se prétend indûment « science », offre à qui
l'examine un peu sérieusement et refuse de se payer de mots, les caractères
d'une religion inversive, d'ailleurs farouchement agressive, avec tout
l'attirail de ses rites, de ses sacrements ; avec ses Mystères et ses formules
solennelles. Elle empiète sur le domaine périlleux de la magie et de la
métapsychique ; enfin, elle substitue aux Sacerdoces de Lumière son sacerdoce
de ténèbres. Autant de traits qui rappellent (et le rapprochement n'est pas
aussi purement « externe » qu'on le penserait sans autre examen) un certain
spiritisme, dont on ne sait trop s'il se veut « religion » ou « science ».
« Produits d'une
longue évolution qui a son principe dans le « péché originel », des monstres
variés se meuvent dans les profondeurs de notre subconscience. Ces monstres
cherchent à venir au plein jour. Et notre âme s'émeut et s'effraie de les
sentir vivre dans l'ombre. Les
laisser monter à la lumière, les y amener de force, prendre ainsi sur eux
l'avantage, enfin les tuer ou les enchaîner, œuvre héroïque assurément, mais
que ne peut entreprendre sans fol orgueil celui qui n'a pas à sa disposition la
massue d'Hercule ou le glaive de l'Archange. Cette sorte d'initiation
prématurée que préconise le freudisme ne peut mener qu'à la ruine, et des âges
devront ensuite s'écouler avant que la demeure puisse être rebâtie (21). »
La méthode
psychanalytique se flatte d'amener l'Inconscient à la lumière du jour : ce
qu'elle réalise quand, par malheur, elle atteint son objectif, c'est la
submersion de l'être conscient dans le subconscient ; l'emprise définitive de la
sphère instinctive sur la sphère intellectuelle. Initiation « prématurée » -
nous dit justement Jacques Heugel. Oui, certes !... Mais initiation à quoi ?
Toute initiation donne accès dans un certain mode de vie et transporte la
conscience de l'initié dans un certain monde qui lui était fermé ou même
interdit auparavant (22).
L'initiation
prématurée, c'est le plus souvent la mort du corps ou la perdition de l'âme ;
c'est toujours le naufrage de la conscience trop faible pour supporter
certaines visions, certains contacts, certaines radiations inconnues.
Nul ne contestera
que l'initiation freudienne met l'homme en présence de monstres hideux, puissants,
fascinants, ni que le monde nouveau dans lequel elle l'introduit soit un monde
de cauchemar dont les lois nous sont mal connues, monde rempli de pièges et de
prestiges, monde, enfin, où la divine Sagesse ne permet pas à l'homme normal de
pénétrer.
Or nos modernes
apprentis sorciers osent jeter dans ce bourbier, non des hommes équilibrés
exceptionnellement armés pour la lutte, mais, de préférence, des enfants sans
défense et de malheureux anormaux, voire de véritables fous (23).
Et qu'on ne vienne
pas nous parler des « cures » psychanalytiques. Même restreinte au domaine
médical, cette science luciférienne ne donne pas ce qu'elle promet. Les cas d'aggravation, nombreux, ceux du passage
d'un simple déséquilibre passager à la folie incurable, à la hantise du suicide
et à l'obsession, compensent tristement les quelques « cures » réellement
obtenues par de telles méthodes.
Matérialistes de principe,
nos savants sont incapables de guérir des déments, ignorant, du haut de leur
science, qu'un dément est un possédé. Comme ces Messieurs ne croient pas plus à
la « possession » qu'à l'existence des êtres redoutables qui l'exercent (24), ils n'en sont que plus impuissants à en préserver
leur patient. Plus justement, ils font exactement le contraire de ce qu'il
faudrait : Au lieu d'exorciser, ils évoquent ; ayant évoqué, ils ne savent pas
ce que sait le dernier des sorciers de canton, renvoyer vers les siens le
monstre entr'aperçu. C'est au malheureux « cobaye » à se débrouiller tout seul,
avec un Adversaire dont il ignore la nature, tout autant que son singulier «
thérapeute » !
Ce dernier ramène
tout à des phénomènes étiquetés « psychologiques ».
Avec de pareilles
œillères, il serait difficile de remonter bien haut dans l'enchaînement des
effets aux causes. Il ne suffit pas de dire, comme Freud, « nous savons que...
démons et dieux sont des créations des forces psychiques de l'homme ». Mais
non, Docteur Miracle, nous ne « savons » pas. Vous nous affirmez une chose
indémontrée, et d'ailleurs parfaitement indémontrable.
Votre disciple - dissident
- le Dr Jung, considère comme n'étant pas du domaine de la science tout
problème qui se trouve « au-delà de la capacité humaine de perception et de
jugement et, par Suite, au-delà de toute possibilité de démonstration ».
En ce cas, la «
phylogénétique de la tribu primitive » et la transmutation des dieux et démons
en « affects » ou en « phénomènes psychologiques » ne sont pas des vérités
d'ordre scientifique mais des articles de foi et le doctoral « nous savons »
devrait être remplacé par un modeste mais loyal « nous supposons » !
Tous ces
hors-d'œuvre psychologiques et psychanalytiques sont donc indubitablement
extra-scientifiques. Sont-ils philosophiques ? Métaphysiques ? Pas davantage.
Jung, déjà cité, qualifie la métaphysique d'enfantine et d'absurde. Pour P.
Germain, « elle se tient éloignée des réalités ». Le même pince-sans-rire nous
affirme, dans Musique et Psychanalyse que la Volonté Schopenhauerienne est... «
l'ancêtre de la Libido » freudienne. Avec de telles conceptions, il vaut mieux,
en effet, s'abstenir de toute métaphysique...
Mais si la
psychanalyse n'est, à strictement parler, ni science, ni métaphysique,
qu'est-elle au juste ? Elle est d'abord un « art », comme l'est la médecine,
empruntant à toutes les sciences justes ce qu'il faut de matériaux pour édifier
des systèmes au goût du jour, en négligeant volontairement ce qui ne cadrerait
pas avec lesdits systèmes. Mais cette définition est encore incomplète et,
surtout, superficielle. Si elle vaut - et encore ! - pour la psychanalyse, elle
n'explique pas certains traits essentiels du psychanalyste, de ce qu'on
pourrait appeler la mentalité psychanalytique.
La psychanalyse, qui
côtoie à certains égards la métapsychique, le spiritisme, la suggestion et la
sorcellerie ; qui plonge ses sujets dans un état de passivité nécessaire au
développement sans entraves de l'activité infra-consciente de l'être (comme on
le voit par ses différentes méthodes d'« analyse » et par ses incursions dans
le domaine du rêve), la psychanalyse, dirons-nous, est une religion : religion
d'athées (ou plutôt d'anti-thées), religion luciférienne, ignorant quel Maître
elle sert, on veut le croire, mais religion quand même, que ses champions en
conviennent ou non, qu'ils en aient ou non conscience.
Religion dont les
médecins psychanalystes sont les prêtres et les instituteurs psychanalysants
les sacristains... sans compter les comparses : jolies perruches et cacatoès
bavards ; snobinets et snobinettes, qui jouent les chaisières, les enfants de chœur
et les marchands de cierges, tandis que de malheureux désaxés, en quête d'une
panacée, forment la nombreuse cohorte des fidèles et alimentent le « denier de
Saint Freud » !...
Voici quelques mois(25), M. Guénon consacrait à la déviation psychanalytique
quelques pages pénétrantes, dont nous extrayons ce qui suit :
« Il est trop
évident que l'usage principal de la psychanalyse, qui est son application
thérapeutique, ne peut être qu'extrêmement dangereux pour ceux qui s'y
soumettent, et même pour ceux qui l'exercent, car ces choses sont de celles
qu'on ne manie jamais impunément ; il ne serait pas exagéré d'y voir un des
moyens mis en œuvre pour accroître le plus possible le déséquilibre du monde
moderne... En réalité, la psychanalyse ne peut avoir pour effet que d'amener à
la surface, en le rendant clairement conscient, tout le contenu de ces «
bas-fonds » de l'être qui forment ce qu'on appelle le « subconscient »...
L'être psychanalysé... risque fort de sombrer irrémédiablement dans ce chaos de
forces ténébreuses imprudemment déchaînées ; si cependant il parvient malgré
tout à y échapper, il gardera du moins, pendant toute sa vie, une empreinte qui
sera en lui comme une souillure ineffaçable.
Le même auteur
montre ensuite que le point sensible de la pratique psychanalytique est
justement « la nécessité imposée à qui veut pratiquer professionnellement la
psychanalyse d'être préalablement « psychanalysé » lui-même ».
L'être qui a subi
cette opération n'est donc plus, ensuite, ce qu'il était auparavant : « Elle
lui laisse une empreinte ineffaçable, comme l'initiation, mais en quelque sorte
en sens inverse, puisqu'au lieu d'un développement spirituel, c'est d'un
développement du psychisme inférieur qu'il s'agit ici ».
C'est une véritable
cérémonie de magie inversive, encore que rudimentaire, analogue à la «
transmission de la baguette », que cette « transmission des pouvoirs » psychanalytiques.
Aussi M. Guénon
pose-t-il cette question... indiscrète :
« L'invention de la
psychanalyse est chose toute récente : d'où les premiers psychanalystes
tiennent-ils les « pouvoirs » qu'ils communiquent à leurs disciples, et par qui
eux-mêmes ont-ils bien pu être « psychanalysés » tout d'abord ?... »
« Il y a là une «
marque » véritablement sinistre par les rapprochements auxquels elle donne lieu
: la psychanalyse présente, par certains côtés, une ressemblance plutôt
terrifiante avec certains « sacrements du diable » ! »
Et vraiment la
religion psychanalytique présente dans son sacrement majeur, l'analyse, une
analogie peu rassurante avec l'ordination et la pénitence !
Ses pontifes ne
sont-ils pas prêtres et confesseurs du Très-Bas ? La « confession »
psychanalytique, imposée au malade ou au récipiendaire par son « initiateur »
ne singe pas seulement la confession chrétienne par quelques ressemblances
externes. Non ! Elle vise aussi à absoudre le patient de ses péchés conscients
et... subconscients, à commencer par le « péché originel », envisagé comme le
fatum d'Œdipe !
Non content
d'usurper la place du confesseur, le psychanalyste se fait catéchiste, en
cherchant à faire pénétrer ses idées et ses méthodes dans les milieux
scolaires, afin de substituer son emprise injustifiable à la légitime autorité
des parents, des éducateurs et des maîtres « vieux jeu » (26).
Cette attitude
zélatrice et militante ; cette position de combat qui fait des disciples de
Freud les ennemis irréductibles de la religion, de la sainteté du foyer, de
l'autorité spirituelle et parentale ; ce ferment de subversion individuelle et
sociale (car ces Messieurs sont aussi sociologues !) qu'ils déposent dans les
cerveaux et dans les cœurs ; ce viol moral, enfin, que constituent leurs
méthodes et leurs enseignements, tous ces faits concourent au même but,
s'éclairent l'un par l'autre, supposent une même intention maléfique.
Ce but et cette
intention procèdent visiblement d'une Volonté inflexible de nuire et décèlent,
par là même, leur origine luciférienne. Que la plupart des psychanalystes n'en
soient pas pleinement conscients, que quelques-uns en soient totalement
inconscients, c'est probable.
Ce n'est pas une
raison suffisante pour leur laisser le champ libre, car ce serait abdiquer
devant cette Puissance ténébreuse dont ils sont les médiums, Puissance dont
tout chrétien doit savoir qui elle est et ce qu'elle veut.
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TOTÉMISME
ET FREUDISME
AVANT-PROPOS
Le mot « totémisme »
est un terme commode mais un peu vague, sur le sens duquel les savants ne
paraissent guère s'accorder.
Nonobstant
l'incertitude qui plane sur l'origine, les caractères fondamentaux et les
répercussions sociales et psychiques du totémisme, cent théories, plus
audacieuses l'une que l'autre, ont été échafaudées pour l'expliquer. En
particulier, les psychanalystes, à la suite de Freud, y ont cherché la
justification de leurs théories spéciales. En y incluant leurs idées concernant
le tabou et en y intégrant un peu arbitrairement le phénomène, très embrouillé,
de l'exogamie, ils ont proposé de ces trois éléments totem, tabou, exogamie,
audacieusement associés, une explication - si l'on peut dire ! - qu'on pourrait
condenser en deux mots : Névrose obsessionnelle.
Nos chercheurs
modernes prétendent volontiers que « l'ère mythique » est close, remplacée
maintenant, affirment-ils, par « l'ère scientifique ». On leur répondrait sans
peine que l'ère prétendue « scientifique » fourmille de mythes dont le moins
curieux n'est certes pas celui du totémisme !
Mythe ou roman, le totémisme,
tel qu'il nous est offert après avoir été décomposé par le prisme mental des
spécialistes, mérite qu'on s'y arrête, ne serait-ce que pour ramener à leur
valeur assez minime des conceptions souvent puériles et, parfois, franchement
néfastes.
Ces conceptions sont
liées aux idées courantes sur la « mentalité primitive », de telle sorte qu'on
en tire des conséquences aussi douteuses que ces mêmes idées, conséquences
qu'on applique froidement à l'existence sociale et individuelle des civilisés d'aujourd'hui
et d'hier, comme si elles découlaient de prémisses indiscutables.
La religion même est
prise à partie et, il faut l'avouer, il ne semble pas que ses docteurs aient
bien compris sur quel terrain dangereux l'on cherche à les entraîner, si l'on
en juge par la timidité et le manque d'à-propos de leurs réactions à quelques
exceptions près.
Un Salomon
Reinach pouvait retrouver du « totémisme » chez les Celtes (mais où n'en
retrouvait-il pas ?), tandis que Durkheim voyait en lui le point de départ de
toutes les religions. Ces théories, dira-t-on, sont en partie périmées. Soit !
Est-ce à dire que les théories plus récentes, à commencer par celles de Freud,
marquent un progrès sensible sur les précédentes ? Nous ne le pensons pas.
C'est pourquoi sans
entrer dans les infinis détails d'un sujet dont la seule bibliographie
remplirait un gros volume, nous en considérerons quelques aspects essentiels,
avec le seul souci de montrer la faiblesse des théories « explicatives » et
l'ingéniosité un peu... inquiétante de leurs auteurs. Nous nous attacherons
principalement au plus inquiétant de tous, nous voulons dire S. Freud. Sans
références spéciales, c'est à son ouvrage Totem et Tabou (Payot 1924) que nous
emprunterons citations et résumés. Chacun pourra s'y référer.
*****************
QU'EST-CE
QUE LE TOTÉMISME
Le bon sens indique
qu'on ne peut fournir une explication générale valable pour un groupe de
phénomènes avant d'avoir démontré qu'ils sont apparentés, d'avoir situé leur
place dans le phénoménisme universel et d'en avoir fourni une définition
satisfaisante.
Si nous interrogeons
les spécialistes, nous constatons leur parfait désaccord quant à la définition
même du totémisme.
Pour Van Gennep, le
totémisme est caractérisé par la croyance en un lien de parenté qui lierait un
groupe humain et une catégorie d'objets ou une espèce animale et végétale.
Cette croyance s'exprime par des rites (cérémonies d'agrégation au groupe
totémique, danses rituelles, etc.) et, négativement, par des tabous ou
interdictions. Socialement, elle implique une réglementation matrimoniale
particulière (exogamie). De plus, le groupe totémique ou clan porte le nom de
son totem.
Salomon Reinach,
lui, nous fournit l'analyse suivante : Le totémisme est caractérisé par le
respect et la sollicitude dont le groupe totémique entoure son animal totem,
qu'il évite de tuer et de manger.
Lorsque la nécessité
entraîne à tuer un animal de l'espèce totem, des cérémonies spéciales visent à
atténuer la violation du « tabou » ou, si l'on veut, du code d'obligations
mutuelles existant entre le clan et son totem. Lorsque l'animal est sacrifié
rituellement, il est solennellement pleuré. Dans certaines cérémonies, les
membres du clan revêtent la peau de leur totem. Des tribus et des individus se
donnent des noms d'animaux totem et ces animaux leur servent d'armoiries dont
ils ornent leurs armes, leurs demeures ou leur peau (tatouage).
Même si le
totem est un animal dangereux, il est admis qu'il épargne les membres du clan
portant son nom. Il les défend et les protège, il annonce l'avenir à ses
fidèles et leur sert de guide. Enfin, les membres d'une tribu totémiste croient
souvent qu'ils sont rattachés à l'animal totem par les liens d'une origine
commune.
Frazer dit à peu
près les mêmes choses, ajoutant seulement que les membres d'un clan totémique
se considèrent comme frères et sœurs, que les liens totémiques sont plus forts
que les liens de famille et ne coïncident pas avec eux, le totem se transmettant
généralement en ligne maternelle, d'où ce tabou : les membres d'un même clan
totémique ne doivent pas contracter d'union entre eux (exogamie).
W. Wundt résume
ainsi les éléments du totémisme qui lui paraissent être primitifs : « Les totems n'étaient primitivement que des animaux
et étaient considérés comme les ancêtres des tribus ; le totem ne se
transmettait héréditairement qu'en ligne maternelle ; il était défendu de le
tuer ; il était interdit aux membres d'un totem de contracter mariage avec des
membres du sexe opposé reconnaissant le même totem ».
Il saute aux yeux
que nous sommes là en présence de descriptions plutôt que de définitions. Et
ces descriptions ne concordent que partiellement. Nous verrons plus loin que
l'on est très divisé sur la question, pourtant capitale, du rattachement de
l'exogamie et des interdictions matrimoniales au système primitif du totémisme.
Mais, au fait,
qu'est-ce qui est vraiment « primitif » dans le totémisme ? Là-dessus, tous se
chamaillent pour n'aboutir qu'à des suppositions (27). Et ce totémisme lui-même, quelle est son origine ?
Est-ce la plus ancienne forme du phénomène religieux ? Et s'il l'est, pourquoi
n'en trouve-t-on de traces certaines qu'en Australie, dans quelques régions de
l'Inde, chez les Peaux-Rouges et peut-être en Afrique du Sud ? Il ne correspond
donc pas forcément à l'une des premières étapes de la « civilisation humaine »
!
D'autre part, des
spécialistes aussi écoutés que Frazer nient tout rapport interne entre
totémisme et religion. Pour le Père Mainage, le totémisme, loin d'être primitif
serait une création relativement récente et serait tout ensemble « une
dépravation de l'instinct religieux sous l'influence de la magie et une forme
d'organisation sociale ». Cette opinion n'est pas partagée par tous les
savants. Nombreux sont, au contraire, ceux qui pensent comme M. Monod-Herzen
(Essai sur le totémisme soudanais R. H. R. 1937) que les peuples aujourd'hui
civilisés chez qui l'on ne retrouve pas de traces du totémisme « ont pourtant
eu pour ancêtres des groupes primitifs qui possédaient très probablement des
totems. » Wundt est plus affirmatif : « Nous pouvons admettre, sans risquer de
trop nous écarter de la vérité, que la culture totémique a constitué partout
une phase préparatoire du développement ultérieur et une phase de transition
entre l'humanité primitive et l'époque des héros et des dieux ».
En somme le
totémisme est récent, à moins qu'il ne soit très vieux. Il est un phénomène
fortement localisé, sauf s'il représente une des premières étapes du
développement culturel de l'humanité entière. Il est à l'origine des religions,
à moins qu'il n'en soit une déviation ou qu'il n'ait rien de commun avec elles.
On le rencontre chez des « primitifs », lesquels « primitifs » sont peut-être
de simples dégénérés. Enfin, il possède avec l'exogamie un lien que les uns,
disent accidentel et les autres essentiel.
Tel est le dernier mot de la science...
On conçoit aisément,
d'après le peu qui précède, que les théories explicatives accusent des
divergences telles qu'on puisse demeurer sceptique devant les affirmations des
spécialistes, quelles qu'elles soient.
Ceux-ci, d'ailleurs,
savent parfaitement à quoi s'en tenir sur le degré de certitude de leurs
propres opinions à cet égard. André Lang (Secret of the Totem) note que « nous
ne trouvons nulle part un homme absolument primitif, ni un système totémique en
voie de formation » ; il admet que les formes originelles du totémisme et de
l'exogamie ont disparu en même temps que les conditions de leur formation, si
bien que nous en sommes réduits à suppléer aux FAITS qui manquent par des
HYPOTHÈSES et des CONJECTURES.
Me
Lennan, auquel nous devons la découverte de l'exogamie et du totémisme
s'interdit toute hypothèse. Honneur à ce sage ! Pour Keane (Ethnology) le totem
aurait eu pour point de départ les armoiries héraldiques. C'est aussi l'opinion
de Max Muller pour qui le totem aurait été d'abord un insigne de clan, ensuite
un nom de clan, enfin le nom d'un ancêtre du clan ou d'un objet vénéré par le
clan.
C'est ce qu'on
pourrait appeler la théorie de l'origine pictographique du totémisme. Elle
rentre dans ce que les spécialistes appellent la thèse, nominaliste : Une fois
que les sauvages se sont donné le nom d'un animal, ils en ont déduit l'idée
d'une parenté avec cet animal (Pikler).
A. Lang élude la
question de savoir pour quels motifs les tribus primitives se sont donné des
noms d'animaux. Les noms existent
L'origine en est oubliée. Or, pour le primitif, le nom est une des parties
essentielles d'un être. Portant le même nom qu'un animal, le primitif a établi
un lien entre cet animal et lui. Quel autre lien aurait-il pu concevoir.
[suivant Lang, bien entendu] si ce n'est un lien de sang ? De là découlent
toutes les prescriptions totémiques, exogamie y comprise, comme conséquences
directes du « tabou du sang ».
Voici quelques
autres sons de cloche (car on doit vraiment renoncer à résumer les quelque
cinquante ou soixante explications proposées) :
Le totémisme n'est
qu'une « hypertrophie de l'instinct social » (S. Reinach).
Le totem incarnerait
la collectivité qui, sous ses espèces, serait l'objet du culte rudimentaire qui
lui est rendu et qui constituerait la forme la plus primitive de la religion
(Durkheim).
Haddon, lui,
découvre le totémisme « économique » : Chaque tribu primitive consommait une
seule espèce d'animaux ou de plantes et en faisait commerce. Elle fut donc
désignée par le nom de son animal nourricier. D'autre part, l'interdiction de
manger de l'animal-totem aurait pour but (humanitaire, sans doute !) d'en
permettre la consommation à tous les autres clans, à titre de réciprocité.
Faut-il citer encore
la thèse « conceptionnelle » ? Les
théories de Robertson Smith sur l'assimilation du repas totémique aux
différents sacrifices religieux, thèse dont l'aboutissement logique est de
faire finalement de la communion chrétienne une simple survivance totémique ?
On verra plus loin comment Freud a repris ces idées et ce qu'il en a fait. Pour
l'instant soulignons quelques points.
Des tribus
pratiquant le totémisme connaissent l'exogamie, mais d'autres l'ignorent, ce
qui rend bien douteux un lien organique entre ces deux institutions, comme le
reconnaît explicitement Frazer. Cette exogamie même, on nous la présente
volontiers comme une conséquence de la « phobie de l'inceste ». Ce qui
n'empêche pas les Indiens Kwakiutis de pratiquer le mariage, de, préférence, à
l'intérieur du clan, tandis que leurs voisins s'y refusent.
Le « repas totémique
» lui-même, autour duquel on a mené grand bruit depuis la découverte de la
cérémonie de l'Intichiuma chez les Aruntas d'Australie, ne se rencontre pas
assez fréquemment pour qu'on puisse en tirer des conclusions valables. On
oublie trop, d'ailleurs, hypnotisé qu'on est par le totémisme animal, que le
totem peut aussi bien être une pierre, un arbre, un objet ou un phénomène
météorologique. Rien qu'en Australie, Howitt a relevé comme totems : La pluie,
la gelée, la lune, le vent, l'automne, l'hiver, certaines étoiles, le tonnerre,
la mer, etc... On ne voit pas très bien les clans porteurs de ces totems
communier sous ces espèces assez peu nourrissantes ou s'imaginer qu'un « lien
du sang » les relie aux saisons, au bruit du tonnerre ou aux lueurs des
éclairs...
Notons encore que le
totémisme ne se présente avec la plupart des caractères qu'on croit devoir lui
reconnaître que parmi les tribus australiennes, tribus fortement isolées de
tous les autres peuples, à tous points de vue : type physique, institutions,
civilisation (dont ils représentent le plus bas échelon connu), languie, etc...
En admettant que ces
malheureux Australiens appartiennent vraiment à l'espèce humaine proprement
dite - ce qui est un point à débattre - comment peut-on admettre que leurs
circonstances puissent être érigées en norme universelle et leur stade
d'évolution en stade « infantile » type de l'humanité ? Du coup, le fameux
mythe (moderne et scientifique) de la « tribu primitive », que nous
retrouverons plus loin, perd sa dernière chance d'être pris au sérieux par des
gens capables de raisonner par eux-mêmes !
Aux trois questions
: Qu'est-ce que le totémisme ? Quelle est son origine ? Quels sont les faits
qu'on peut y rapporter à coup sûr ?, la Science n'apporte aucune réponse ferme
et les savants se gourment à qui mieux mieux, en se bombardant d'in-folios et
d'in-octavos, bourrés de suppositions contradictoires !
C'est évidemment
leur droit. Mais qu'ils se permettent, ensuite, de faire de ces suppositions
des arguments et de ces hypothèses des axiomes, à seule fin de jeter bas les
fondements de la vie religieuse et spirituelle des peuples, voilà le scandale
un scandale qu'il importe de faire cesser ! La science véritable (toujours
modeste et prudente) n'y perdra rien, bien au contraire.
Si l'on n'avait pas
été obnubilé par le mirage du « primitivisme », ni influencé par l'idée
préconçue d'une commune origine des races humaines, on aurait peut-être vu un
peu plus clair dans la question du totémisme. Peut-être se serait-on aperçu
également qu'au lieu du totémisme-arché type qu'on prétend reconstituer (sans
même être sûr qu'il ait une fois existé), il existe des totémismes distincts
selon les races et les lieux, qui ne sont que des cas particuliers de certaines
conceptions démonologiques, relevant de la sorcellerie fruste plus que de la
religion à proprement parler. En d'autres termes, ce sont des points de vue
distincts mais rattachés à la théorie générale des « signatures » dont nous
ignorons aujourd'hui à peu près tout.
Les Anciens, en outre, qu'on les considère ou non
comme des « primitifs », enseignaient que toutes les parties de la création
étaient liées par des lois précises ou encore, selon l'adage bien connu, que
tout était en tout. Ils professaient que le monde visible et invisible
grouillait d'êtres plus ou moins dangereux, plus ou moins puissants, et que
l'homme pouvait se mettre en rapports avec eux sous certaines conditions, afin
de s'en faire des alliés, de les adoucir s'ils étaient à craindre et de les
bien disposer à son égard s'ils en étaient susceptibles.
Dans la conscience,
parfois assez obscure mais étonnamment intuitive, de ceux qui pratiquent ou ont
pratiqué un de ces modes d'alliance avec les forces de la nature qu'on classe
aujourd'hui sous l'étiquette : « totémisme », il existe dans l'animal, la
plante, l'homme, etc... des forces infernales qui peuvent se manifester de façon
préjudiciable (ou favorable) à ceux qui les avoisinent. Pour primitive qu'on la
suppose, cette conception n'est pas plus improbable qu'une autre. Nous ne la
discuterons pas ici. L'homme capable de se mettre en relation avec de telles
forces, c'est le sorcier, le griot, le shaman, l'homme de la Médecine. Il s'en
sert pour arriver à ses fins. Éventuellement, il « lie » les forces génétiques
- dont tel groupe animal ou végétal est l'expression pour ainsi dire « figée »
- à tel groupe tribal, en vertu de « correspondances » dont il est seul juge.
La clé de ces correspondances nous échappe. Rechercher son principe nous
entraînerait trop loin, car il faudrait d'abord remonter aux origines des
humanités terrestres. La Bible (en particulier la Genèse) contient là-dessus
quelques allusions aujourd'hui mal comprises, qu'il est inutile de relever ici.
Tel est un des,
aspects (il y en a d'autres) du problème totémique. Nous n'irons pas plus avant
dans cette voie car il nous semble superflu d'ajouter, aux cinquante solutions
proposées, une cinquante et unième, qui ne s'appliquerait d'ailleurs avec
quelque justesse qu'à un seul des nombreux systèmes qu'un maladroit esprit de
généralisation groupe tant bien que mal sous le vocable totémisme.
Il suffit de citer l'opinion
de Dim Delobson (Les Secrets des
Sorciers noirs ; Nourry 1934) à propos du lion-totem des Nabas de Sao, qui a
élu pour domicile un bois sacré près du village de Ghin : « Il n'est peut-être
pas sans intérêt de dire que si, d'une façon générale, on croit, au Mossi, que
la mort d'un animal totem est aussi cause de la mort d'une personne, il n'est
pas moins certain que c'est, croyons-nous, par simple reconnaissance d'un
service rendu que certaines catégories d'animaux... sont l'objet d'une
vénération spéciale. »
Dans son Essai sur
le Totémisme soudanais (R. H. R. 1937), M. Monod-Herzen parle du totem ou tana
acquis, commémorant « un événement passé où l'être choisi pour tana a joué,
pour le chef de famille, un rôle décisif ».
Cette rencontre avec
Dim Delobson n'a rien de fortuit mais on conçoit que cette forme de totémisme
s'écarte assez de la définition classique pour que Van Gennep continue à mettre
en doute l'existence du totémisme vrai au Soudan.
Quant au totem du
clan, Monod-Herzen l'explique ainsi : « chaque catégorie de vie anime des êtres
de divers règnes. Cela crée entre ces règnes des liens de parenté spirituelle
qui sont les liens totémiques. En d'autres termes, la vie qui anime maintenant
un clan donné animait autrefois des animaux de la même espèce que son totem
actuel ».
« Bien entendu,
ajoute-t-il, chaque être a plusieurs totems, même s'il n'en connaît qu'un seul.
Le totem des esprits de la nature est l'oseille de Guinée... le scarabée
d'invulnérabilité a pour totem le potiron fleuri. »
On peut voir par ces
derniers exemples combien il est puéril de vouloir expliquer les diverses
sortes de totémisme à l'aide d'une même formule et combien il est facile de
prendre pour du totémisme des institutions totalement distinctes qui n'ont
d'autre lien avec celui-ci que le fait d'utiliser comme emblème tribal ou
symbole religieux des êtres du règne animal.
À ce compte,
en effet, où ne trouverait-on pas du totémisme ? Plus exactement, où n'en
a-t-on pas déjà trouvé ? Rien n'y échappe : Les
pièces héraldiques, la Louve romaine, le Coq gaulois, la Colombe du
Saint-Esprit, l'âne de la crèche, Artémis comme « biche-totem » et Athéna, à
titre de « chouette-totem », les quatre animaux d'Ézéchiel, le faucon Horus,
tout cela a été intégré dans la ménagerie totémique, pêle-mêle avec le
Bestiaire médiéval !
S'arrêter en si beau
chemin était difficile. Suivant la voie ouverte par Salomon Reinach, on ne
s'est plus contenté de faire d'Orphée, par exemple, le petit renard-totem d'une
quelconque tribu thrace ; on a mis à mal la symbolique animale (pourquoi pas le
langage des fleurs ou celui des timbres-poste ?) et le moindre emploi
allégorique ou métaphorique des noms et figures d'animaux a fourni de la copie
à nos infatigables chasseurs de totems.
Par exemple, rien,
absolument rien ne prouve que les Celtes aient, à un moment donné, connu le
totémisme. La notion leur en est étrangère, aucun terme connu ne l'exprime, et
les légendes, si prolixes pourtant, de l'Irlande ne laissent rien supposer de
tel. Certainement les tribus choisissaient un emblème ou un symbole qui leur
paraissait adapté. De là au totémisme, il y a un monde. L'alouette gauloise
représentait des qualités faciles à comprendre : gaîté, espoir, confiance - et
aussi légèreté, - le sanglier, c'était le courage sombre, jusqu'à la mort ; le
taureau, la force et la puissance, et ainsi de suite.
Rien ne permet
d'affirmer, comme l'ont fait certains, que l'animal représenté) ainsi l'était
en qualité de totem. À ce compte, il faudrait disculper Ésope et La Fontaine du
grief de totémisme et prendre pour des réminiscences de la trop célèbre « tribu
primitive » les hyperboles poétiques de nos bardes d'autrefois et de nos poètes
d'aujourd'hui, quand leur héros est un « taureau de bataille » ou leur héroïne
un « cygne immaculé »...
Inutile de
poursuivre ces plaisanteries faciles. Constatons que le romancero totémique
fait plus honneur à l'imagination qu'aux connaissances de ceux qui l'ont «
poussé au noir » et que le mythe de la « tribu primitive » a pris naissance,
dans un milieu scientifique et civilisé, où l'inconcevable candeur des uns
servit merveilleusement les passions anticléricales des autres.
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LE
TOTÉMISME SELON FREUD
Dans ce concert,
quelque peu discordant, une voix nouvelle s'éleva qui faillit bien couvrir
toutes les autres. C'était celle de Freud.
« L'homme de la
préhistoire... est jusqu'à un certain point notre contemporain ; il existe
encore des hommes que nous considérons comme étant beaucoup plus proches des
primitifs que nous ne le sommes et dans lesquels nous voyons les descendants et
successeurs directs de ces hommes de jadis. C'est ainsi que nous jugeons les
peuples dits sauvages et demi-sauvages, dont la vie psychique acquiert pour
nous un intérêt particulier, si nous pouvons prouver qu'elle constitue une
phase antérieure, bien conservée, de notre propre développement.
« Admettons que
cette preuve soit faite ; entre la psychologie des primitifs et celle du
névrosé... nous devons trouver de nombreux traits communs. »
C'est en ces termes
que, dès la première page de son livre, Freud pose la question totémique sur le
terrain de la Préhistoire... contemporaine.
Il l'aurait, du même
coup, résolue si... il pouvait prouver que la vie psychique des peuples
sauvages « constituait une phase antérieure de la nôtre ». Malheureusement, la
petite phrase : « Admettons que cette preuve soit faite », constitue un
escamotage en règle des arguments que le « si » précédent nécessitait. Et le
dit escamotage montre bien que ni Freud, ni aucun de ceux qui ont traité avant
lui la même question, n'ont pu apporter et pour cause ! - la moindre preuve à
l'appui de leurs affirmations gratuites.
« Voici le problème,
nous disent-ils. Eh ! bien, supposons-le résolu ! » C'est évidemment très
gentil, mais, pour peu qu'on y réfléchisse, on trouvera aussi cavalière que peu
probante cette manière d'échafauder tout un système sur de simples
suppositions, et pour tirer des conséquences avec le même flegme que si ces
suppositions étaient des faits inattaquables.
Et parmi ces «
Préhistoriques modernes », ce sont justement les indigènes de l'Australie qui
seront de Norme, malgré qu'ils soient considérés - Freud dixit - : « comme une
race à part, sans aucune parenté.. physique ni linguistique avec ses voisins..
habitant le plus jeune des continents qui a conservé jusque dans sa faune des
traits archaïques, introuvables ailleurs ».
Ces « misérables
cannibales nus » ont, il est vrai, un trait qui explique leur élection au grade
d'Homo primigenus : « Il n'est pas certain qu'on trouve chez eux des traces
d'une religion ». Voilà qui fait bien l'affaire de Freud !
Mais où veut-il en
venir ? Simplement à sa marotte bien connue. Le lien totémique empêche les
rapports charnels entre membres du même clan, sans égard à la parenté
consanguine, puisqu'un père du totem Kangourou peut avoir des rapports
incestueux avec sa fille Emou, le totem se transmettant en ligne maternelle.
Comment la
famille réelle a-t-elle été remplacée par le groupe totémique ? À cette
question Freud répond d'une façon assez dilatoire, sans se demander un instant
si la « famille réelle » a jamais existé chez les Australiens. Il note que les
désignations de parenté se rapportent « aux relations, non entre deux
individus, mais entre un individu et un groupe »... Un homme « appelle père non
seulement celui qui l'a engendré mais tout homme qui aurait pu épouser sa mère
et devenir son père »... Les noms de
parenté que deux Australiens s'accordent réciproquement ne désignent pas
nécessairement une parenté de sang ; « ils désignent moins des rapports
physiques que des rapports sociaux ». Et Freud d'aller rechercher chez Fison
l'institution des « mariages de groupe » où un nombre donné d'hommes exerce des
droits communs sur un nombre donné de femmes !
Nous dirons plus
simplement que ces traits ne sont pas tant « primitifs » qu'infra-humains.
Freud confond famille et couple. Nos Australiens sont évidemment supérieurs aux
animaux, aussi évidemment qu'ils sont inférieurs à tous les hommes des autres
races, même aux plus arriérés.
Ces humanimaux, pour
leur restituer le nom qui leur convient, n'appartiennent pas à la race d'Adam
et ne lui appartiendront jamais, pas plus que n'appartenait à notre race
l'homme de Broken-Hill ou celui de La Chapelle-aux-Saints dont les analogies
avec les crânes australiens sautent aux yeux. L'Australien n'est pas un
Broken-HiIl ou un Pittdown « évolué », mais ceux-ci, comme celui-là, sont des
représentants d'une espèce commune qui, à toutes les époques, depuis la fin du
Tertiaire jusqu'aux temps modernes, coexiste avec l'espèce proprement humaine,
l'Homo Sapiens, sans lui appartenir(28).
Les rapports « sociaux » dont fait état Freud sont,
à un degré un peu plus relevé, correspondants à la place des humanimaux dans
l'échelle qualitative des êtres terrestres, ceux qu'un chat, par exemple,
pourrait concevoir vis-à-vis de tous les mâles susceptibles de lui avoir servi
de géniteurs. Encore, ici, doit-on clairement substituer le mot mâle au mot
père !
Aux antipodes de
cette façon d'envisager les rapports matériels des consanguins (on n'ose
vraiment pas ici parler de « famille » !) se trouve la conception du « pater »,
mot qui tient au passé le plus reculé, le plus « primitif » de notre race, et
qui évoque avant tout la fonction sociale et juridique du père, du « protecteur
» (tel est le sens étymologique de ce mot), fonction également religieuse, car
le père était prêtre à son foyer.
Chez nos ancêtres,
soi-disant « primitifs », la famille, telle que nous l'entendons, la religion
et la société, telles que nous les entendons, existaient déjà sous une forme
dont on saisit - sans psychanalyse - les rapports logiques avec celle qu'elles
ont aujourd'hui.
Qu'avons-nous à voir
et qu'avons-nous jamais eu à voir (on peut le demander à tout homme d'esprit
sain), avec ces êtres semi-animaux, sans famille ni religion, sans parenté
ethnique, linguistique, morphologique ou culturelle (si l'on peut parler de
culture) avec nous ni avec nos ancêtres ? (29).
C'est pourtant à eux
que va s'adresser notre psychologue pour leur demander la clé de nos propres
énigmes, comme d'autres, qui ont eu leur heure de célébrité, ont été la
demander aux grands simiens. Telle est la déraison de la raison humaine
lorsqu'elle a perdu de vue son principe et ses fins !
La fragilité des
premières assises sur lesquelles Freud prétend édifier sa théorie, enlève à
celle-ci, d'ores et déjà, toute valeur autre que celle d'une hypothèse
passablement risquée.
Mais, stimulé par
son génie (ou son démon) libidinal, notre homme n'a cure de toutes les
invraisemblances qu'il accumule, tant il a hâte d'en arriver à ses conclusions
favorites :
« On retrouve dans
I'Œdipe-complexe les commencements à la fois de la religion, de la morale, de
la société et de l'art, et cela en pleine conformité avec les données de la
psychanalyse qui voit dans ce complexe le noyau de toutes les névroses. »
On sent bien qu'il
exulte et que, pour lui, ce sont ces conclusions qui importent vraiment.
Salir et détruire,
voilà sa Norme, voilà, dirons-nous dans son jargon, sa « névrose obsessionnelle
» ou son « complexe d'angoisse », et, dans le nôtre, moins « scientifique », le
but du démon qui l'obsède.
Au fond, la science,
en tout ceci, n'est qu'un prétexte : le vrai, le vivant, c'est une haine
sournoise du Christianisme d'abord ; de toutes les valeurs spirituelles,
morales et sociales reconnues par notre race, ensuite.
Il n'est vraiment
pas utile, au point où nous en sommes arrivé, de faire porter une critique
systématique et minutieuse sur des théories qui ne peuvent être que fausses,
puisqu'elles reposent sur un substrat irréel.
Pour prouver
l'existence de son fameux complexe d'Œdipe, Freud n'a guère à nous offrir que
des cas exceptionnels, recueillis - notons-le - chez des civilisés et non chez
des « sauvages ». Ce sont des cas d'enfants essentiellement anormaux, névrosés,
pervers ou pervertis. Soutiendra-t-on que les primitifs sont des anormaux ou des
névrosés ? En fait, n'est-il pas plus logique d'admettre que c'est notre monde
moderne, avec sa vie artificielle et trépidante, qui constitue bien plutôt le
milieu idéal de culture des névroses et des déviations du sens génésique ?
Pour Freud, tout est
limpide :
Le totémisme et
l'exogamie « coïncident quant à leur contenu, avec les deux crimes d'Œdipe, qui
a tué son père et épousé sa mère, et avec les deux désirs primitifs de l'enfant
» [parricide et inceste].
« L'animal totémique
n'est autre que le père »... « Un jour [dans la fameuse horde primitive où le
père paillard et tyrannique expulsait les fils, futurs concurrents] les frères
chassés se sont réunis, ont tué et mangé le père... qu'ils haïssaient tout en
l'admirant. Après l'avoir supprimé, après avoir assouvi leur haine et réalisé
leur identification avec lui, ils ont dû se livrer à des manifestations d'une
tendresse exagérée... Ils le firent sous la forme du repentir... Le mort
devenait plus puissant qu'il ne l'avait jamais été de son vivant. Ce qu'il
avait empêché autrefois, les fils se le défendaient à présent, en vertu de
cette « obéissance rétrospective »... que la psychanalyse nous a rendue
familière. Ils désavouaient leur acte et renonçaient à en recueillir les fruits
en se détournant des femmes qu'ils avaient libérées. »
Le petit roman de la
« horde primitive » une fois forgé - encore que rien n'excuse cette façon, bien
peu positive, de faire d'une simple vue de l'esprit la pierre angulaire d'un
système à prétentions scientifiques -, il s'agissait de démontrer que nous
sommes tous responsables et portons tous l'empreinte indélébile d'un processus
psychique inhérent à une faute commise, on ne sait où ni quand, par une tribu
hypothétique. On s'y est employé de son mieux. Il est évident que la
transmission des activités psychiques à travers les générations suppose une
théorie de l'atavisme psychique, parallèle à celle de l'atavisme physiologique.
Et, à la base, il faut admettre nécessairement que toutes les races humaines sortent,
sans exception, de la horde présupposée !
Or,
scientifiquement, aucune certitude concernant l'unité originelle des humains
n'est acquise. Nous sommes donc, avec Freud, en présence d'un postulat
extra-scientifique. Ce mécréant, cet athée, ce savant n'en appelle pas à notre
raison mais à notre foi. Il n'énonce pas une vérité de fait, mais promulgue un
dogme !
Écoutons ce pontife
:
« Il n'a échappé à
personne que nous postulons l'existence d'une âme collective dans laquelle
s'accomplissent les mêmes processus que ceux ayant lieu dans l'âme
individuelle. Nous admettons en effet qu'un sentiment de responsabilité a
persisté pendant des millénaires... se rattachant à une faute tellement
ancienne qu'à un moment donné les hommes n'ont plus dû en conserver le moindre
souvenir. »
Donc la mémoire,
liée à la continuité de la vie psychique, serait l'apanage de l'âme collective
(autre notion extra-scientifique), les âmes individuelles n'ayant d'autre durée
que celle de la vie organique du corps qu'elles animent un court moment.
Nous sommes ici en
pleine théologie (encore que celle-ci ne postule pas de « Théos »). Cette âme
collective survient ici, deus ex machina, non par suite d'un raisonnement suivi
ou de quelque nécessité interne, mais en vertu de la nécessité tout externe où
Freud se trouvait, fût-ce au prix d'une concession « animiste », de jeter,
coûte que coûte, un pont quelconque entre un passé aussi lointain
qu'hypothétique et un présent sur lequel ce passé était censé influer encore.
Au point de départ,
une supposition gratuite : la horde primitive ! Au point d'arrivée, autre
supposition contestable : le parricide et l'inceste considérés, sinon comme un
des Beaux-Arts, du moins comme le ressort interne du psychisme de tout homme
venant en ce monde ! Entre ces deux points, autre supposition « bouche-trou » :
l'inconscient collectif !
On voit qu'en fait
de robustesse, la foi du psychanalyste n'a rien à envier à celle du charbonnier
!....
*
* *
Car c'est bien d'une
« foi » qu'il s'agit. Foi négative si l'on veut mais nécessaire, là où la
science se tait, là où la philosophie hésite. Nécessaire aussi par le but final
que le plus simple pourrait maintenant pressentir : La destruction des valeurs
morales et spirituelles de l'Occident, valeurs inséparables du Christianisme !
Suivant le mot connu, on ne détruit vraiment que ce qu'on remplace. C'est
pourquoi l'élément fidéiste est, pour les fins visées par Freud et ses
inspirateurs, un des meilleurs atouts de leur jeu.
Lorsqu'ils
substituent à la notion chrétienne du péché originel, celle du « complexe
d'Œdipe » ; lorsqu'ils identifient l'Eucharistie avec le « repas totémique » ;
lorsqu'ils remplacent notre Père céleste par le « père primitif », ils montrent
leur vrai visage de hérauts de l'Antéchrist.
Dans le domaine
social, même effort pour saper les anciennes valeurs et, en particulier, la
piété filiale, le respect dû aux ancêtres, la sainteté du foyer, la
responsabilité morale des consciences individuelles.
Écoutons encore
Freud :
« Nous attribuons
l'immutabilité et l'indestructibilité non aux processus conscients, mais aux
inconscients... »
Ici, toute morale
s'évanouit, toute responsabilité individuelle se dissout, et le monde social
retourne au chaos !
Autre chose :
Pour Freud, le «
tabou » est « une prohibition très ancienne, imposée du dehors (par une
autorité) et dirigée contre les désirs les plus intenses de l'homme », de même
ordre que « la prohibition obsessionnelle du névrosé », « dont les
prescriptions fondamentales sont inaccessibles à notre analyse, parce qu'elles
se rattachent au totémisme ». Si cette dernière proposition était exacte et si
le « mythe » de la horde primitive méritait le plus faible crédit, on devrait
partout retrouver des « tabous » conformes à la description donnée. C'est
justement ce qui n'arrive pas. On s'en tire, comme toujours, avec la petite
phrase soulignée plus haut : ça remonte trop loin et c'est « inaccessible à
notre analyse ».
Il est
remarquable que, dans le monde celtique le plus ancien, les prohibitions-tabous
offrent des caractères qui permettent de faire justice, en ce qui concerne nos
ancêtres, des fantaisies paratotémiques de Freud. On s'en serait déjà douté en
considérant que le totémisme, tel que notre docteur l'entend, n'a pas laissé
chez nous de traces perceptibles - si jamais il a existé, ce dont on peut
fortement douter. La liaison tabou-totem devient, de ce fait, une hypothèse
sans fondement.
La littérature
celtique nous montre différentes sortes de tabous « imposés du dehors ». Quand
on les regarde d'un peu près, on constate qu'ils se réduisent à des
incantations, à des épigrammes, à des malédictions. L'exemple typique est le
suivant : un barde est mal reçu chez un chef. En le quittant, il lui décoche
d'un trait le tabou inclus dans l'épigramme vengeresse qu'il compose et qui
est, au fond, un chant magique. Quant aux « tabous linguistiques » dont on a
fait un peu trop de cas (30), ils n'ont rien à voir avec le totémisme, pas plus
d'ailleurs, qu'avec l'« ambivalence des sentiments ».
Ce n'est qu'un cas
du procédé bien connu qu'on nomme euphémisme : les Furies redoutées sont
décorées du nom, moins rébarbatif, d'Euménides, tandis que, plus près de nous,
une opération chirurgicale devient la plus discrète des « interventions », et
que l'épouvantail : « dévaluation du franc », se transforme en la séduisante
poupée : « alignement de la monnaie » !...
Mais Freud, lui,
tient à son idée, d'autant plus que les prescriptions « tabou » lui permettent
de débrider un peu son imagination sadique :
« Chacun envie le
roi ou le chef pour ses privilèges ; et il est probable que chacun voudrait
être roi. Le cadavre, le nouveau-né, la femme dans ses états de souffrance
attirent, par leur impuissance à se défendre, l'individu qui vient d'atteindre
sa maturité et qui y voit une source de nouvelles jouissances. C'est pourquoi toutes
ces personnes et tous ces états sont tabous ; il ne convient pas de favoriser,
d'encourager la tentation. »
Personne n'enviera
le Pontife de la psychanalyse pour le triste privilège qu'il possède - moderne
Midas - de transformer tout ce qu'il touche en boue et en sanie !...
Et ces rêveries
malsaines et prétentieuses, nous l'avons déjà dit, aboutissent en fin de compte
à un « éreintage » perfide de la religion chrétienne :
« Le sacrifice divin
théo-anthropique... projette une lumière crue sur le passé et nous révèle le
sens des formes de sacrifice plus anciennes. Il nous montre... que l'objet de
l'acte du sacrifice était toujours le même, celui qui est maintenant adoré
comme un dieu, c'est-à-dire le père. La question des rapports entre sacrifices
animaux et sacrifices humains trouve maintenant une solution simple. Le
sacrifice animal primitif était déjà destiné à remplacer un sacrifice humain,
la mise à mort solennelle du père, et, lorsque cette représentation
substitutive du père eut recouvré les traits humains, le sacrifice animal put
se transformer de nouveau en un sacrifice humain...
« Admettons
maintenant comme un fait que, même au cours de l'évolution ultérieure des
religions, les deux facteurs déterminants, sentiment de responsabilité du fils
et son sentiment de révolte, ne disparaissent jamais...
« De plus en plus se
fait jour la tendance du fils à prendre la place du dieu-père. Avec
l'introduction de l'agriculture, l'importance du fils dans la famille
patriarcale augmente. Il se livre à de nouvelles manifestations de sa libido
incestueuse qui trouve une satisfaction symbolique dans la culture de la terre
maternellement nourricière. On voit alors apparaître les figures divines
d'Attis, Adonis, Tammuz, etc., à la fois esprits de la végétation et divinités
juvéniles, qui jouissent des faveurs de divinités maternelles et se livrent, à
l'encontre du père, à l'inceste maternel...
« Lorsque le
christianisme a commencé à s'introduire dans le monde antique, il s'est heurté à
la concurrence de la religion de Mithra... Le visage inondé de lumière du jeune
dieu perse nous est cependant resté incompréhensible. Les
légendes qui représentent Mithra tuant des bœufs nous autorisent peut-être à
conclure qu'il figurait le fils qui, ayant accompli tout seul le sacrifice du
père, a libéré les frères du sentiment de responsabilité qui les oppressait à
la suite de ce crime. Il y avait une autre voie pour supprimer ce sentiment de
responsabilité, et cette voie, c'est le Christ qui l'a suivie le premier : en
sacrifiant sa propre vie, il libéra tous ses frères du péché originel... Dans
le mythe chrétien, le péché originel résulte incontestablement d'une offense
envers Dieu le Père. Or, lorsque le Christ a libéré les hommes de la pression
du péché originel, en sacrifiant sa propre vie, nous sommes en droit de
conclure que ce péché avait consisté dans un meurtre... Et lorsque ce sacrifice
de sa propre vie doit amener la réconciliation avec Dieu le Père, le crime à
expier ne peut être autre que le meurtre du père... Mais ici se manifeste une
fois de plus la fatalité psychologique de l'ambivalence. Dans le même temps et
par le même acte, le fils, qui offre au père l'expiation la plus grande qu'on
puisse imaginer, réalise ses désirs à l'égard du père. Il devient lui-même dieu
à côté du père ou, plus exactement, à la place du père... Et pour marquer cette
substitution, on ressuscite l'ancien repas totémique, autrement dit on institue
la communion, dans laquelle les frères réunis goûtent de la chair, et du sang
du fils, et non du père, afin de se sanctifier et de s'identifier avec lui...
Mais la communion chrétienne n'est, au fond, qu'une nouvelle suppression du
père, une répétition de l'acte ayant besoin d'expiation. »
Ce n'est pas avec
des pincettes, mais avec l'instrument cher au père Ubu qu'il faudrait manier ce
texte fangeux et légèrement ahurissant !
On peut tout au moins
conseiller à notre docteur de se renseigner, fût-ce sommairement, avant de
faire le procès d'une religion qu'il a l'air d'ignorer tout autant que celle de
ce Mithra « au visage inondé de lumière » qui lui est cependant « resté
incompréhensible » - et pour cause !
On ne peut que lui
assurer que l'Eucharistie n'est pas un rite totémique - et le sacrifice rituel
d'un animal consacré aux dieux, pas davantage.
Mais on sent bien que
toute discussion est ici inutile, car il est difficile de prouver à un aveugle
qu'il fait clair en plein jour.
Au surplus, tous les
sophismes du monde ne peuvent prévaloir contre le bon sens qui veut - jusqu'à
nouvel ordre sans doute - que d'un principe faux on ne puisse tirer que des
conclusions fausses et de douteuses, d'un principe douteux.
La passion
anticléricale explique, mais n'excuse pas, l'escroquerie intellectuelle par
laquelle un Monsieur abuse du titre de savant, dont il se prévaut, pour donner
plus de poids à des théories qui n'ont avec la science, la vérité et le bon
sens que des rapports assez fortuits.
Quand ces théories,
plus que discutables, visent à tout subverser dans le domaine social comme dans
le domaine religieux, le Monsieur en question est un malfaiteur, conscient,
semi-conscient ou inconscient. À moins qu'il ne soit, à son insu, le plus bel
échantillon de ces névrosés et de ces obsédés qu'il croit voir partout.
Après ce rapide
examen d'une question complexe, une conclusion s'impose-t-elle ? Il nous semble
que chacun saura la tirer pour son compte.
Mais il est une
autre conclusion, d'ordre beaucoup plus général - et d'un plus vif intérêt -
qu'on nous permettra de présenter.
C'est un appel
pressant à la plus légitime vigilance, à la plus saine défiance, envers les
théories et les ouvrages tendancieux qui se réclament de la « Science ».
En fait de « science
», nous avons les opinions de tel ou tel, les systèmes échafaudés par celui-ci
ou par celui-là, ni plus ni moins « définitifs » que ceux qu'ils supplantent et
que ceux qui, très vite, les remplaceront.
Rendons hommage aux
vrais savants ; à leur labeur quand il est probe ; à leur ingéniosité quand
elle n'est pas nocive, mais ne confondons jamais le savant, toujours faillible,
avec la Science qui est le but qu'il se propose et non l'apanage dont il
dispose.
La multiplicité des
théories « explicatives » du totémisme - toutes plus « scientifiques » les unes
que les autres - en est la meilleure illustration.
Source ;
http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/ASavoret/biograp.html
(1)La
Mésaventure du Dr Jekyll et les Dangers du Freudisme.
(2)
Les Théories de Freud et le
Spiritualisme.
(3)
On devrait dire : rêverie semi-lucide, s'apparentant par plus d'un trait à
l'état de transe des spirites ou, mieux encore, à ce que les magnétiseurs
désignent sous le nom d'état de crédulité, dans la suggestion à l'état de
veille. Pour être ici, le plus souvent, involontaire, cette suggestion n'en
existe pas moins. La distance est mince entre l' « orientation d'un
interrogatoire-confession » et la suggestion proprement dite.
(4)
La plupart de nos citations seront empruntées à la Revue Française de
Psychanalyse, année 1928.
(5)Et
c'était d'ailleurs très suffisant, en général.
(6)
Nous reviendrons plus tard sur ce point de la plus haute importance : la
nécessité, pour le psychanalyste, de se soumettre d'abord à une « cure »
psychanalytique. Comme on le voit, ce n'est pas une science qui s'acquiert,
c'est un sacerdoce (et quel !) qui se transmet par la vertu d'une ordination à
rebours : l'analyse.
(7)Donc
le « bonheur » réside dans une analyse réussie... Que ne le vendent-ils en
foire !
(8)
On voit ici passer le bout de l'oreille : le pédagogue nouvelle manière se
substitue doucettement au père, à la mère et à l'éducateur religieux. Il est
père-mère-frère-confesseur, mais on préférerait lui voir enseigner, comme ses
prédécesseurs, la lecture, l'écriture et le calcul qui ont au moins cet
avantage d'être dans ses attributions !
(9)
Ce qui s'appelle proprement enfoncer une porte ouverte car, avec ou sans «
école-communauté », un tel résultat a toujours été et sera toujours obtenu par
de bons éducateurs. Quant aux médiocres, ce n'est tout de même pas la Grâce
psychanalytique qui les métamorphosera, du jour au lendemain ; tout au plus
accroîtra-t-elle dangereusement le champ de leur malfaisance.
(10)
La phrase n'est pas aussi anodine que pourrait le supposer un « non-initié »,
ignorant les idées très spéciales que se font les psychanalystes sur ce qui
constitue l'essence des rapports de fils à père.
(11)
Ce qui doit signifier, sauf erreur, que les malheureux maîtres « ancienne
manière », qui formèrent des générations de braves gens, devaient être la
cible... libidinale de leurs élèves...
(12)
On ne saurait plus mal choisir ses exemples. Chacun sait que ce n'est pas la
fraternité qui domine, en règle générale, dans les rapports entre membres des
communautés religieuses. Quant à l'armée, où se forment souvent, en effet, des
liens de fraternité, surtout en temps de guerre, ces liens n'ont rien à voir
avec l'action personnelle des chefs : ils se forment en dehors d'eux ; ils n'y
président pas ; leur départ et leur remplacement par d'autres chefs ne les
affectent guère.
Les rapports du
chef avec ses hommes sont une chose, ceux des hommes entre eux, à égalité de
grade, en sont une autre.
Lorsqu'une unité réelle se fait autour d'un chef (d'un vrai chef, bien
entendu), ce n'est pas en vertu de sa connaissance ou de sa méconnaissance des
lois de la psychanalyse, ce n'est pas par la grâce de la libido (qui ne
pourrait former que des liens de complicité) ; c'est parce que ce chef est un
homme, un caractère, une volonté et que ses inférieurs en ont conscience. Règle
générale : l'inférieur est un juge impitoyable, peu enclin à l'indulgence et sa
confiance, quand il la donne, est toujours fortement motivée. Inutile d'ajouter
que ces motifs ne relèvent ni de la « psychologie » même « collective », ni de
la pédagogie... et moins encore de la psychanalyse.
(13)
Voir S. Freud « Totem et Tabou » où ce parallèle est exposé dans ses
détails.
(14)
Voici donc une « science » qu'on fait reposer tout entière sur un mauvais
roman-feuilleton « préhistorique », que rien ne justifie et qui n'a même pas le
mérite de la vraisemblance. Décidément ces « libres-penseurs » sont doués d'une
foi (ou plutôt d'une crédulité) singulièrement robuste !
(15)
Notons qu'ils auraient pu commencer par là, ce qui leur aurait évité du coup
mœurs inversives, parricide, anthropophagie, indigestion... et même remords.
Mais, voilà : le petit roman sadico-authropophagique, si péniblement élaboré,
n'aurait plus de raison d'être !
(16)
Ou de licence. C'est la vieille formule : « Ni Dieu ni maître », ou plus
exactement : « Ni Dieu ni père », mais, pour combler un vide aussi abyssal, un
maître-chef-conducteur, psychanalyste et Copromane, quelque chose comme un
sous-Méphistophélès pour élèves internes !
(17)
En ce qui concerne l'attitude anti-religieuse, il est au moins curieux de
constater le touchant accord, quant au fond, entre le Juif Sigmund Freud et le
superAryen Hitler. Et, justement, en matière de pédagogie. L'Agence Fournier
(29 Avril) annonçait de Münich :
« Le ministre bavarois de l'instruction publique vient de réglementer par un
décret l'enseignement religieux dans les écoles.
« Ce décret précise notamment que pour les enfants âgés de moins de douze ans,
les parents ou ceux qui sont chargés de leur éducation, décideront si
l'enseignement religieux doit être donné ou non.
«
Les enfants âgés de douze à
quatorze ans ne pourront recevoir l'instruction religieuse que s'ils sont
consentants et si l'avis des parents est favorable.
« Quant aux enfants ayant dépassé quatorze ans, ils auront le droit de prendre
librement une décision, quelle que soit la volonté des parents.
« Cette mesure a provoqué une véritable consternation dans les milieux
catholiques. »
Tout commentaire affaiblirait la portée d'un tel texte.
(18)
Il suffit de rappeler que notre pain blanc, notre sel blanc, notre sucre blanc
ont été dépouillés, sciemment, des principes vitalisateurs et reminéralisateurs
nécessaires à l'entretien de notre santé.
Il est vrai qu'on peut se procurer séparément - et au prix fort - les éléments
nourrissants soigneusement éliminés de notre alimentation courante. Ces « spécialités
» coûteuses, d'ailleurs ignorées du plus grand nombre, sont une des hontes de
notre époque. C'est le « progrès », paraît-il, qui veut que nous payions de
plus en plus cher un pain de plus en plus appauvri et que nous récupérions,
quand l'épuisement vient, les éléments nutritifs qu'il ne renferme plus, sous
forme de spécialités vendues au poids de l'or.
(19)
Tous les auditeurs connaissent, par exemple, une certaine réclame en faveur
d'un produit revigorant dont les analogues, autrefois, n'étaient vantés que
dans les vespasiennes !
(20)
Et nous glisserons sur certains cas d'inconscience, moins rares qu'on ne pense,
de parents qui se permettent sans retenue devant des enfants curieux et
observateurs, des gestes et des actes qui mèneraient infailliblement des
étrangers sur les bancs de la correctionnelle...
(21)
Jacques Heugel : La Mésaventure du Dr Jekyll et les Dangers du Freudisme (Revue
PSYCHÉ, 1933).
(22)
« La psychanalyse porte... de préférence sur les tendances et les désirs avec
lesquels la conscience n'a jamais pactisé ; c'est ceux-là, en effet, qui seront
le plus violemment refoulés. L'examen de conscience (du chrétien) n'a pas à
pénétrer dans cette zone pour atteindre son but, qu'il soit fait en vue de la
confession ou non... Personne ne doit chercher quelles formes cachées cette
corruption a prises en lui. Ce qui sans dommage est rejeté dans l'inconscient
doit y rester enseveli. L'effort positif vers le mieux, le développement de
l'amour de la vertu, est le vrai moyen de réduire l'attrait, même inconscient,
du mal. »
Y. de Montcheuil, Freudisme et Psychanalyse (ÉTUDES,
5 Mai 1937).
(23)
Voyez ce qu'en dit le Docteur Biot : « Il n'y a pas d'arme plus dangereuse que
la psychanalyse. À ramener ainsi l'attention de la conscience, et de façon
obsédante, sur des images sexuelles, on risque de troubler de façon grave son
équilibre. On tente de mettre en quelque sorte la maison à l'envers, puisque
précisément le subconscient semble bien avoir pour fonction de mettre de
l'ombre sur certaines choses. » (Au Service de la Personne humaine, p. 316). Et
Yves de Montcheuil note là-dessus : « L'on ne voit pas bien ce qu'on aurait
gagné à transformer un refoulé en obsédé (« possédé », aurions-nous envie
d'ajouter !)... On risque bien davantage un effondrement psychologique et moral
sous l'effet d'une connaissance qu'on n'a pas la force de porter ».
(24)
« Ni l'angoisse ni les démons ne peuvent être considérés, en psychologie, comme
causes premières. Il faut remonter plus loin encore. Il en serait autrement si
les démons avaient une existence réelle ; mais nous savons que, tout comme les
dieux, ils sont des créations des forces psychiques de l'homme, et il s'agit de
connaître leur provenance et la substance dont ils sont faits ». S. Freud,
Totem et Tabou, p. 41.
(25)
Études Traditionnelles, Février 1938.
(26)
Des docteurs employant la psychanalyse sont aux antipodes de Freud en ce qui
concerne son emploi dans les milieux scolaires par des gens qu'aucune étude
médicale ne qualifie pour en user. On notera avec satisfaction l'opinion de
Régis et Hesnard (La Psycho-analyse des Névroses et des Psychoses) : « Une
telle thérapeutique, habituellement bienfaisante (à condition d'être maniée par
un homme d'une moralité supérieure, possédant un sens aigu des réalités et un
tact parfait), peut quelquefois être dangereuse. Ce n'est pas sans inquiétude
que nous voyons, par exemple, certains éducateurs ou moralistes non médecins
manier (en toute bonne foi, bien entendu) les plastiques virginités des
adolescents pour y déceler de façon précoce le moindre indice de quelque
inversion plus ou moins imaginaire. »
Très juste, mais on peut remarquer que, d'après nos auteurs la thérapeutique
psychanalytique n'est habituellement « bienfaisante » qu'à la condition d'être
maniée par des spécialistes d'une qualité morale et intellectuelle
exceptionnelle. C'est dire qu'elle doit être en fait très exceptionnellement
bienfaisante. Comme elle s'exerce aujourd'hui en grand, voilà qui n'est pas
trop rassurant !
(27)
Freud dit textuellement : « Il ne faut pas oublier que les peuples primitifs,
loin d'être des peuples jeunes, sont aussi vieux que les peuples les plus
civilisés et que l'on ne doit pas s'attendre à ce que leurs idées et
institutions primitives se soient conservées intactes et sans la moindre
déformation jusqu'à nos jours. Il est plutôt certain que des changements
profonds se sont produits chez les primitifs dans toutes les directions, de
sorte qu'on ne peut jamais dire ce qui, dans leurs idées et opinions actuelles,
représente comme une pétrification d'un passé primitif et ce qui n'est qu'une
déformation et une modification de ce passé... L'établissement de l'état
primitif reste ainsi toujours une affaire de construction.
(28)
Les anthropologistes ont souvent
rapproché certains hommes fossiles (l'Homo Neanderthalensis, par exemple) des
Australiens actuels... Nous avons devant nous, - sans y chercher aucune
parenté, - une image vivante des hommes du Moustérien européen. »
Eug. Pottard :
Les Races et
l'Histoire.
(29)
Voir les sages réserves de James de Morgan (L'Humanité Préhistorique, p. 245 et
suiv.) au sujet du totémisme chez les plus anciens habitants de notre sol.
(30) Par exemple pour le nom de l'ours, remplacé par une périphrase aimable,
en vertu de cet axiome de magie sympathique : nommer, c'est appeler !