septembre 07, 2011

SPIRITISME ET CHRISTIANISME


(Réponse à M. Gaston LUCE)

     Dans le Numéro de Psyché d'Avril, nous avons consacré quelques pages à l'analyse du livre de M. E. Christophe « Mensonge et Danger du Spiritisme », sous les initiales A. S.
M. Gaston Luce, dans le numéro de juillet des « Annales du Spiritisme Christique », nous répond par une lettre ouverte à laquelle nous devons une réponse, tout en regrettant que notre ami s'en prenne à nous plutôt qu'à l'ouvrage même de M. Christophe. De la réfutation de l'auteur distingué de « De Platon à Dante par la Voie Royale », mettons d'abord sous les yeux de nos lecteurs les passages les plus saillants.
     « La thèse que soutient l'auteur de Mensonge et Danger du Spiritisme comporte, selon vous, deux parties principales, à savoir : 1°) que la Bible réfute le spiritisme ; 2°) que le spiritisme est la contradiction du christianisme. C'est donc la réédition pure et simple d'un argument essentiellement sacerdotal... Il faut voir avec quel entrain M. l'abbé Mermet applaudit au geste de M. Christophe « Il est impossible de lire votre magnifique ouvrage sans être convaincu de cette autre vérité (la première est que le spiritisme nie habilement le dogme chrétien) que s'adonner au spiritisme c'est tout à la fois abandonner la vraie foi, la santé, la fortune et... la raison. »
     « Je pense, mon cher Savoret, que vous trouvez que l'abbé exagère... Je veux donc, mon cher ami, tenter de vous rassurer... Le titre même de la revue où j'écris y devrait suffire : Annales du spiritisme christique. À l'affirmation osée de M. l'abbé Mermet que le spiritisme est la négation habile, déguisée, mais très certaine de la Rédemption, de la divinité du Christ et de toutes les autres vérités chrétiennes, j'opposerai l'affirmation tranquille, vérifiée ici même régulièrement, que le spiritisme est au contraire la reconnaissance ferme et sans restriction aucune de l'action divine et rédemptrice du Christ... Il est entendu que nous parlons ici pour nous, spirites christiques, laissant à d'autres, s'ils le jugent à propos, le soin de définir leur doctrine.
     « Notre point de vue personnel est ferme, inattaquable : nous faisons confiance à l'Esprit. C'est lui le seul dispensateur de lumière ; c'est lui notre guide en toutes choses. Nous révérons des maîtres comme Allan Kardec et Léon Denis... mais nous considérons avant tout que le spiritisme est une doctrine en voie d'élaboration et non fixée. Retenons toutefois ce qui, dès le début, a été nettement défini par le fondateur, à savoir que le spiritisme n'est autre chose qu'une dispensation nouvelle du christianisme originel. L'argument des adventistes qui nous, opposent périodiquement certains passages du Lévitique et des textes d'Isaïe est éculé.
     « Allan Kardec, Léon Denis et maints auteurs autorisés ont mis constamment leurs lecteurs en garde contre le danger de certaines pratiques. Mais les hommes sont les hommes, qu'ils se disent spirites ou non : quand la présomption les tient, elle ne les lâche pas de sitôt. Danger, soit ! Mais danger qu'on peut éviter et qu'il n'y a pas lieu de s'exagérer.
     « Vous éprouvez des craintes à cause des ombres inquiétantes qui gravitent autour d'un spiritisme mal compris. Elles existent en effet, mais ce n'est pas le spiritisme mal compris qui les a engendrées. Ce qui leur a donné barre sur nous c'est la folie, le vice, la fureur des hommes et leur indignité. Et ce serait vraiment nous faire un triste procès que de nous prétendre coupables de ce lamentable désordre. Les spirites sont généralement de bonne foi. Esprits en quête de vérité, on ne saurait leur faire grief de chercher la voie en dehors des dogmes confessionnels ; il n'y a pas là de quoi les vouer aux gémonies.
    « L'auteur du livre en question leur reconnaît, dites-vous, un seul mérite : d'avoir démontré expérimentalement que les phénomènes sont, non pas illusoires, mais réels. Savez-vous que c'est tout simplement la constatation d'une des plus grandes conquêtes de la pensée moderne, et peut-être la plus grande ? Qui vous dit que ce n'est pas de cette « terre inconnue » que va venir la délivrance ? Dévoyés aujourd'hui, les hommes seront peut-être demain libérés par des alliances qu'ils auront contractées dans ce nouveau domaine... C'est tout le problème de la Rédemption que tient en réserve ce monde spirituel qui nous entoure de sa protection.
     « Le problème de l'Esprit s'impose à notre attention. Il doit être par nous résolu ou nous devons en tenter la solution, non au moyen de formules confessionnelles rigides et caduques, mais par les voies du cœur et de la raison.
     « À ceux qui disent « le spiritisme sera scientifique ou ne sera pas », nous opposons la formule


     Le spiritisme sera tout simplement le fait de l'Esprit »... Dernièrement le Père Pinard de la Boullaye a exécuté le tour de force de parler de la « religion de l'Esprit » sans faire allusion à ces charismes qui ont fixé l'atmosphère de la primitive Église. Eh bien ! Je vous le demande, en quoi ces charismes qui vainquirent le paganisme ancien seraient-ils devenus malsains au milieu de notre paganisme moderne...
     « Loin de moi de croire que ces quelques lignes suffiront à éclairer le débat, mais je devais à la sympathie que je vous porte de vous donner mon sentiment propre, qui est, j’ose le croire, celui des Annales ».
 
 


     Nous remercions d'abord M. Gaston Luce de sa sympathie, dont nous n'avons jamais douté, en le priant bien sincèrement de croire à notre amicale admiration pour l'auteur de tant d'études savantes et de tant de vers savoureux. Mais ici, nos sentiments personnels doivent se taire. Nous ne sommes pas d'accord avec les idées émises par lui. Nous avons à le dire puisqu'il nous met en cause. Tâche ingrate dans laquelle nous nous efforcerons d'éviter le ton de la polémique.
En premier lieu, réfutation de fait. Nous n'avons jamais voué les spirites « aux gémonies » ; nous n'avons non plus déclaré qu'ils étaient « coupables ». Nous n'avons pas caché notre sympathie pour Léon Denis et n'avons pas limité tout le spiritisme à l'horizon kardéciste.
 


     Passons à d'autres points plus importants.
     M. Luce se retranche derrière le titre même des Annales du spiritisme CHRISTIQUE, pour déclarer que le spiritisme ne nie ni la Rédemption, ni la divinité du Christ. Tout d'abord, nous lui ferons remarquer que ce point de vue est celui d'un petit groupe de spirites, plus ou moins considéré comme « schismatique » par les autres. Ensuite, dans le même numéro des Annales nous lisons cette affirmation de M. Luce, nous pouvons lire (page 4) sous le titre : Correspondance spirituelle : « Peut-on croire que Jésus soit Dieu ? Dieu est la perfection : il se suffit donc à lui-même, n'a besoin que de lui-même. Comment alors admettre que Jésus soit Dieu, lui aussi. Jésus n'a jamais annoncé qu'il était Dieu. Ne priait-il pas son Père. Pourquoi, s'il était Dieu sur la terre, y priait-il Dieu au Ciel, c'est-à-dire lui-même ? Il n'y a dans les Évangiles aucune preuve affirmative que Jésus soit Dieu.. »


     Il faut donc penser que, si M. Gaston Luce croit la divinité du Christ et à la Rédemption, il est à peu près seul de son avis, même dans les « christiques » Annales du Spiritisme.
     On conçoit donc que, lorsque nous jugeons du spiritisme (en général nous nous voyons obligé de conclure, d'accord en cela avec M. Christophe, que spiritisme et christianisme sont deux choses différentes.


     Il serait d'ailleurs trop long de réfuter le jugement porté sur le Christ dans les Annales. Disons seulement qu'en pure doctrine catholique - et en laissant de côté les arguments des théologiens - Jésus étant homme et Dieu à la fois peut très bien, en tant qu'homme, prier son Père sans contradiction ni sottise. N'avait-il pas d'ailleurs à donner l'exemple de la prière ? Quant aux Évangiles, celui de Jean est assez explicite. Parlant du Verbe, différent du Père en fonction, non en essence, il ajoute « le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous ». De plus, Celui qui dit de Lui « Je suis la VIE, je suis la VÉRITÉ, avant qu'Abraham fut, j'ÉTAIS », ne saurait être une créature. La créature A la Vie, mais elle n'EST pas la Vie

     Qu'il y ait un mystère dans ce double aspect du Christ ; que ce mystère ait été défini dans un dogme (défini mais non expliqué), c'est certain, Mais si les spirites se défient des dogmes, s'ils voient dans le mystère un « obscurantisme » (Annales, p. 6), ils font preuve d'une vue terriblement courte. Le « mystère » ? Mais il est partout Le spiritisme ne l'éclaircit pas davantage dans le domaine spirituel que la science ne l'éclaircit dans le domaine matériel
     L'électricité est un « mystère », la matière en est un autre et nulle recherche scientifique, nulle révélation spirite n'en ont donné la clef. Or le dogme est la formule du mystère. Il est l'énoncé du problème. Prendre le dogme pour ce qu'il n'est pas, c'est-à-dire pour une « explication », c'est prendre le problème à rebours.


     Si le spiritisme d'autre part est « en voie d'élaboration », c'est qu'il rejette implicitement la révélation, c'est qu'il se veut scientifique (selon la parole d'Allan Kardec, que rejette M. Luce mais qui est « parole d'Évangile » pour des millions d'autres), c'est qu'il dépend de l'expérimentation. En somme un pragmatisme Si donc la science change continuellement sans jamais approcher de la vérité essentielle, le spiritisme semble condamné, dans sa progression expérimentale, à n'énoncer des lois que pour les remplacer ensuite par d'autres, à tâtonner sans fin - chacun restant libre de voir plus clair que le voisin. Quant aux révélations des « esprits » elles sont assez contradictoires pour qu'on n'en puisse jamais tirer la moindre synthèse, ni scientifique, ni philosophique, ni religieuse. Veut-on parler de « réincarnation » ? La plupart des « esprits » la proclament. Mais d'autres, moins nombreux, la nient formellement. Lesquels croire ? Et le nombre est-il une présomption en faveur de la vérité ?

     Les pères du spiritisme nous parlent des dangers des pratiques spirites. Très bien ! Mais, sans lesdites pratiques, il n'y aurait pas de spiritisme... Si chacun reste juge de sa propre « qualification » pour le spiritisme expérimental, chacun, évidemment, se trouvera suffisamment « qualifié ». Nous tournons toujours dans le même cercle, et nous ne pouvons ici que renvoyer M. Luce à ce que nous écrivions en rendant compte, dans Psyché de juin, du livre de M. Philippe Encausse.

     Voyons un autre point. M. Luce prend acte de ce que, pour M. Christophe comme pour nous, les phénomènes spirites sont réels, pour voir dans ces phénomènes « peut-être la plus grande conquête de la pensée moderne ». Nous ne saisissons pas bien son point de vue. En quoi un fait expérimental constitue-t-il une conquête de la pensée ?

     En fait d'expériences, d'ailleurs, l'antiquité en savait cent fois plus long que le moderne spiritisme. Mais elle n'était pas dupe du phénomène. Quand Homère, croyons-nous, nous montre son héros évoquant l'ombre d'Achille, il a bien soin de nous apprendre que la personnalité d'Achille est et reste parmi les Immortels. Quand, plus près de nous, Éliphas Lévi évoque l'ombre d'Apollonius de Tyane, il n'est pas non plus dupe de son visiteur « Concluraije que j'ai réellement évoqué (et touché le grand APOLLONIUS DE TYANE ? Je ne suis ni assez halluciné pour le croire, ni assez peu sérieux pour l'affirmer. »

     Aussi, quand notre ami Gaston Luce nous expose que « dévoyés aujourd'hui, les hommes seront peut-être demain libérés par des alliances qu'ils auront contractées dans ce nouveau domaine », nous croyons devoir lui crier casse-cou !

     Ce domaine n'est pas celui de l'Esprit, mais celui des « esprits ». Qui sont-ils ? Sont-ce même des « désincarnés » ? Sont-ils forcément ceux qu'ils nous disent être ? Satan ne peut-il jouer les anges de Lumière ? De cette « alliance », de ce « pacte » écririons-nous volontiers, que peut-il sortir ?

     Nous le supplions d'ouvrir les yeux à ce fait qu'il n'ignore pas
     Bien avant notre ère, depuis des millénaires, les hommes ont fait « alliance » avec des êtres de ce plan dont la sollicitude divine nous sépare par d'utiles garde-fous. Qu'en est-il résulté ? Et si la « libération » devait sortir de là, n'en serait-elle pas déjà sortie ? Et pourtant, dans ce passé lointain, il y avait une science secrète réelle. Et pourtant, les spirites n'ont pas découvert le dixième de ce qu'avaient découvert les Sages de Celtide ou d'Égypte. Les « Charismes » ? Voyez comme l'Apôtre Paul s'en méfie ! Voyez en quoi ils ont dégénéré trop souvent !...
     On nous répondra, comme M. Luce, que le spiritisme n'est pas coupable ; que les coupables ce sont la folie, le vice et l'indignité des hommes !
     Serions-nous aujourd'hui moins indignes qu'hier ? L'immense extension du spiritisme parmi les masses, initiation sans degrés, sans épreuves, sans directeurs qualifiés dans tant de cas, peut-elle être envisagée comme un bienfait ? Nous ne le pensons pas. Il nous serait facile, en fouillant dans, nos propres souvenirs, dans nos propres expériences, de montrer quels ravages peut faire la doctrine spirite dans des âmes faibles, des cerveaux frustes, des cœurs cupides ou orgueilleux. Or, parmi les millions de spirites, quel pourcentage minime d'êtres au cœur à peu près pur, à l'âme droite et forte, au cerveau à peu près solide ?


     La lumière ? Elle vient de l'Esprit - mais pas par l'intermédiaire de la table, de l'ardoise ou du oui-ja ! Jésus nous enseigne à nous adresser directement au Père, à faire les œuvres de l'Amour, à nous sacrifier en prenant exemple sur lui - en puisant notre réconfort en lui Quant au monde des « esprits », il ne nous enseigne pas à nous mettre en rapport avec lui. Celui qui suit sa voie, sans effort, sans medium, peut, lorsque la chose est utile, entrer en contact avec tous les mondes - dont celui des esprits » du spiritisme n'est qu'une fraction modeste - et même avec le monde de l'Esprit que jamais le spiritisme n'atteindra. Certes, ces hauteurs sont rarement atteintes ; l'effort nécessaire pour les gravir n'est aussi que rarement fait. Le succès du spiritisme est qu'on peut y entrer, pour ainsi dire, de plain-pied. Son succès - et son danger.
     Car M. Luce aura beau prévenir et crier gare Il aura beau mettre en garde les « apprentis spirites », il prêchera dans le désert ! Les condamnerons-nous ? Non ! M. Luce remarque, avec raison, que la plupart des spirites sont sincères. Nous critiquerons donc le spiritisme, mais voulons respecter la sincérité des spirites - qui n'est pas en cause.
La « lettre ouverte » de notre ami ne nous a pas convaincus. Nous venons d'exposer sommairement pourquoi. Notre réponse le convaincra-t-elle ? Nous ne le croyons pas. Si nous avons réussi à exposer notre point de vue sans avoir blessé une amitié ou froissé un sentiment, nous nous en tiendrons pour satisfait.
 


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(Seconde Réponse à M. Gaston LUCE)



     M. Gaston Luce ayant exposé de nouveau son point de vue dans les Annales du Spiritisme Christique d'Octobre, au sujet des idées que nous exprimions sous le même titre dans cette revue, nous ne croyons pas pouvoir éviter de nouveaux développements - auxquels, du reste, il nous convie très amicalement.
     Cette seconde réponse sera très probablement la dernière. L'essentiel aura été dit, de part et d'autre. Pour préciser au mieux les points sur lesquels nous sommes en désaccord, nous nous contenterons de commenter sommairement les passages saillants de l'article de notre distingué contradicteur. Notre controverse y gagnera en précision ce qu'elle perdra du point de vue littéraire - qui est bien le dernier de nos soucis.
     « Qu'est le Christ ? Ah ! Certes, le problème nous dépasse tous singulièrement, écrit M. Luce ; toutefois ce nous est un devoir d'en sonder les sublimes, profondeurs. »
     Au risque de passer pour un esprit timoré, nous déclarerons ici candidement que nous ne croyons pas que l'humanité actuelle soit capable de définir le Christ. Plus haut qu'elle, nous voyons les quelques-uns qui sont ou furent Ses amis se refuser à Le définir en mode intellectuel, à nous en donner une idée qui, vraie pour eux, deviendrait fausse en passant par notre cerveau compliqué, et se contenter en règle générale d'œuvrer comme Lui - nous montrant implicitement par leur exemple quel chemin, quel unique chemin pouvait mener à la vraie compréhension du plus insondable des mystères.


     « La théologie, nous concède M. Luce, est un monument grandiose qui ne manque pas de solidité ni de noblesse, mais ce n'est pas un monument éternel ».
     Ici nous sommes à peu près d'accord La théologie est œuvre humaine et, comme telle, sujette à l'erreur. Elle n'est d'ailleurs pas article de foi. Si elle était éternelle, elle vaudrait demain comme hier, comme valent et vaudront les Évangiles, les Paroles du Christ.
     Du seul fait que les théologiens ne sont pas toujours d'accord, voici notre Conscience à tous deux en repos...
« Nous ne rejetons pas la tradition ; notre ouvrage, que M. Savoret a bien voulu mentionner élogieusement, en fait foi. Mais nous pensons que la révélation se parfait avec les cycles d'évolution. »
     Ici, nous nous permettrons d'apporter un correctif aux paroles de M. Luce avant de nous déclarer d'accord La « Révélation » ne saurait se parfaire sous peine de n'être pas d'origine divine. Ce n'est pas elle, mais bien les hommes qui la reçoivent qui doivent « se parfaire » pour la comprendre. Telle elle a été donnée, telle elle restera éternellement puisqu'elle se confond avec la Vérité. Cette vérité, le cœur du simple chrétien la pressent, mais elle resplendit dans le cœur des saints et dans leur esprit illuminé par le foyer cardiaque. Elle reste lettre morte ou prétexte à controverses pour ceux qui font un dieu de leur cerveau. La Révélation est donc immuable ou n'est pas. Elle n'est pas destinée à satisfaire les jeux de la pensée puisque les philosophes, les cerveaux exercés et cultivés, passent à côté d'elle sans la voir. Elle s'adresse en nous au seul point de contact de notre fini avec l'infini, le cœur.      C'est donc le cœur qui doit se parfaire pour accéder à l'invariable vérité.


     C'est ce qu'ont compris les grands saints, dont parle plus loin M. Luce « Sait-on seulement lire les Évangiles ? Sait-on les recevoir en esprit ? S'est-on abreuvé à la source véritable ? Seuls les grands saints nous ont montré la voie... »
Oui, ils nous ont montré la voie. Comment ? En nous donnant l'exemple d'un travail acharné sur eux-mêmes, sur ce cœur où combattent sans merci l'ange et la bête. Voilà l'athanor où doit éclore le Grand Œuvre, où doit irradier, consumant toute impureté, l'Amour, suprême feu philosophique.
     « L'apanage sacré de l'homme est la liberté. Ainsi pensaient les vieux druides, pères de la philosophie. Nous aimons la vérité et, pour la suivre nous n'userons que d'un moyen unique suivre le Maître et ses loyaux serviteurs ».
Très juste ! C'est ce que firent les rares vrais chrétiens se sacrifier, se taire, se mettre au service de l'humanité, non en paroles mais en actions, porter sa besace sans se plaindre et prendre en plus celle du voisin qui trébuche sur la route, sans avoir le sentiment d'avoir accompli un tour de force. Cela, c'est suivre la voie qui mène au Christ détenteur de la pure Vérité. C'est le chemin direct et sûr mais quelque peu broussailleux et désert. Comme un homme, qui fonce farouchement vers son but à travers les ronces qui le déchirent, n'ayant ni l'humeur ni le temps de beaucoup philosopher, ainsi celui qui suit la Voie ne fait guère de réflexions sur la qualité ou la nature du Logos ou sur le fonctionnement de la Trinité. Il sait le but, il veut l'atteindre, il sait que là se tient la lumineuse Révélation, là seulement, aussi hâte-t-il le pas, peu pressé d'anticiper sur son aspect. Seulement pour déployer un tel effort il faut la Foi - une Foi bien en dehors des relatives certitudes rationnelles. Mais, à ce degré, spiritisme, théologie, ésotérisme ne doivent pas peser bien lourd dans les préoccupations ? C'est du moins l'idée que nous nous en faisons « du dehors », en serviteur inutile et infidèle.
     « Notre spiritisme sera donc essentiellement christique et il comportera, en plus d'une ascèse, un pragmatisme... Il n'y a pas à séparer l'un de l'autre... Si l'on admet que ce pragmatisme s'opère par l'effusion de « l'agent divin » que l'on nomme Esprit, on comprendra que le spiritisme, dans son mode supérieur, n'est pas si éloigné du christianisme que certains le prétendent. Inspiration, transformation, prophétisme, possession, sur les modes opposés, entrent directement dans le champ de ses recherches. Et, mon Dieu, ces recherches sont tout l'essentiel du problème humain. »


     Il y a ici, pensons-nous, plus d'un point discutable. Entre le spiritisme tel qu'il se pratique et le christianisme, il est difficile de trouver un « pont ». Le spiritisme est, dans sa racine, la volonté de pénétrer dans l'invisible par une porte normalement fermée. La clef (le plus souvent une fausse clef) qui sert à ouvrir ladite porte se nomme le medium. Qui est-il ? On l'ignore, car les hommes ne connaissent pas les autres hommes et ne se connaissent pas bien eux-mêmes pour la plupart. Tout être est, naturellement, médium, car ce mot signifie seulement « intermédiaire ». Cela indique que chaque être est l'intermédiaire conscient ou inconscient, volontaire ou involontaire, entre l'humanité et... Dieu ou le diable. En d'autres termes, entre le plan spirituel et le plan... disons astral, inférieur ou supérieur

     Or le plan véritablement spirituel est, si nous ne nous abusons, bien rarement entrevu par des mortels, lesquels, dans ce cas, sont des saints évidemment mais non des spirites. Il ne faudrait pas s'abuser sur les mots : les « esprits » du spiritisme sont une chose. L'Esprit en est une autre. Rien ne permet de les confondre. Le mot spiritualisme même est employé - ceci est une importation anglaise - pour désigner le spiritisme. Il y a là, à notre sens, une confusion regrettable.

     Revenons au « médium ». Celui-ci ayant ouvert la porte (d'un domaine forcément inconnu puisque c'est pour le connaître qu'on s'adresse à lui), quelles entités se pressent de l'autre côté ? Il y en a certainement de bien des sortes. Il en est qui blasphèment. Il en est qui tiennent des discours édifiants - comme beaucoup d'hommes sur cette terre, - d'autres ricanent ou cherchent à nuire. Puisque vous parlez de pragmatisme, dites-moi, à quoi cela sert-il ? Pas même à rendre la foi à ceux qui doutent, car la croyance aux « esprits » et la foi en Dieu ne sont pas forcément de même ordre ! C'est d'ailleurs le genre de foi qui illustra saint Thomas, à qui le Christ répondit seulement « heureux ceux qui croient sans avoir vu ! ». La « foi » spirite est la constatation pure et simple d'un fait. Elle n'est pas plus « foi » que ne l'est la conviction du savant devant l'évidence d'un phénomène physique. Elle peut entraîner éventuellement la foi en Dieu, mais cette conséquence n'est pas obligatoire. D'ailleurs, le chrétien, celui qui veut suivre le Maître et ses loyaux serviteurs, celui, donc, qui a entendu l'appel du Christ, ne devrait pas avoir besoin de ces adjuvants. Si, plus rarement peut-être que vous ne le supposez, quelques désincarnés encore assez proches de la terre viennent vous apporter confiance et espoir en Dieu, n'est-ce pas simplement parce que vous avez obturé oh ! Sans le vouloir - toute autre source de foi que la source spirite ? De cette accommodation à votre mentalité je ne puis retenir qu'une chose : dans toute situation Dieu cherche à éclairer Sa créature, même quand cette situation est quelque peu en marge de la norme. Je n'y puis voir une justification de principe du spiritisme. De ce qu'un prisonnier se convertit intra muros, je ne puis conclure que la prison est un précieux élément de conversion, ni qu'elle soit à recommander à tous.. L'exemple est un peu gros, mais il ne me semble pas dénué de tout bon sens...

     Qu'un chrétien se fasse spirite m'a toujours semblé une erreur. S'il est chrétien, il ne peut ignorer que Jésus a enseigné que ceux qui croiront en Lui vivront éternellement. Alors ? Qu'apporte de vraiment neuf, de vraiment indispensable le spiritisme - même supérieur ? Y a-t-il lieu d'attribuer à l'Esprit divin ces vaticinations ? Qu'apprennent-elles d'essentiel que le Christ n'ait dit ?

     L'inspiration, le prophétisme, peuvent être l'œuvre de l'Esprit divin - mais aussi de l'Autre... On doit les reconnaître à leurs fruits, dit Jésus - et seulement à leurs fruits. En tout cas l'inspiré ou le prophète « divin » ne font rien pour l'être. Le « médium » divin ne veut pas l'être ; son cœur et son esprit sont volontairement abandonnés à Dieu. Jeanne d'Arc, que vous me citez en exemple, fut un de ces « divins médiums », c'est entendu ! Mais ce fut à son corps défendant et non pour chercher à sonder « l'essentiel du problème humain ». Elle n'a jamais voulu ou tenté d'ouvrir des portes défendues. Elle s'est bornée à aimer son prochain comme elle-même et Dieu par-dessus toutes choses, en toute simplicité de cœur, jusqu'à la mort, comme Jésus, son modèle, auquel elle s'abandonna jusqu'au dernier souffle. Jeanne d'Arc ne fut jamais spirite, elle fut chrétienne. Parce qu'elle fut chrétienne, ses possibilités dépassèrent - et de loin - les promesses du spiritisme. Jamais ses « voix » ne la trompèrent, avoue-t-elle. Elles venaient donc - et toutes - du plan de la Vérité - et de lui seul ; quel spirite pourrait répéter un tel aveu ? C'est donc d'un autre plan que viennent en général les révélations spirites, d'un plan où le vrai se mélange au faux, dans des proportions diverses, d'un plan non pas vraiment « spirituel » mais seulement « des esprits ». Cette distinction est nécessaire.

     « Jésus n'est pas Dieu Lui-même, mais le premier être arrivé à l'éternité » nous dit M. Luce, d'accord avec l'auteur de l'article « Jésus est-il Dieu ? »
     Ici nous nous déclarons bien indigne. Quel est l'homme qui peut sans trembler résoudre cette question formidable ? Il y a bien longtemps que des conciles se sont injuriés à cause d'elle...
     Et pourtant, nous oserons dire notre conviction intime - puisqu'a été énoncée la conviction opposée : Jésus est Dieu ; non pas le Père, mais le Fils ; non pas comme le premier être « arrivé à l'éternité » mais comme Dieu éternel. Expliquons-nous - maladroitement, hélas
     Le Père est le Créateur ; c'est en Lui que s'élabore l'idée primordiale de la Création. L'homme aussi a l'idée de ce qu'il veut faire avant de le réaliser, encore qu'il soit un dieu bien chétif...
     Quand le Père réalisa la Création, Il délégua Son Verbe, Sa Parole vivante (les Grecs, avec leur Logos, ne l'ont pas inventé ; les Égyptiens non plus, qui connaissaient aussi « le Bon dont la Parole est Vérité »). En même temps (qu'on nous passe ce mot impropre) circula partout la pensée paternelle, l'Esprit Saint - partout où la Parole fut proférée. Il est la Voie, ce Verbe-Lumière, car il est chargé de guider les Créations vers leur Créateur. Il est la Vérité, car il ne saurait les mener à leur perte. Il est la Vie, au sens strict du mot, car c'est Lui qui l'a insufflée à tout ce qui vit. Pousser plus loin nos recherches nous semble bien vain. Nous ne croyons pas qu'on puisse faire tenir la Trinité très sainte dans une théorie humaine - fut-elle gnostique.


     « La Trinité dit : trois personnes en une seule nature. Mais pourquoi a-t-on omis de faire figurer dans cette hypostase la personne céleste que la théosophie chrétienne (notamment Boehme et Saint Martin) nomme la Sophia, dont la relation avec Maria est la même que celle du Christ avec Jésus ? Et qu'est l'Esprit Saint vis-à-vis d'elle ? »

     Nous pourrions répondre que les dix premiers versets du premier chapitre de la Genèse offrent là-dessus une solution satisfaisante (encore qu'intellectuelle, donc approximative).
     Ajoutons seulement que nous ne voyons pas de raisons valables de faire entrer la Sophia dans l'hypostase. Reprenant notre comparaison précédente, nous dirons que, quand on parle de l'idée d'un homme, on ne parle pas de son cerveau physique. Quant à dire que Sophia = Maria ou que Christ = Jésus, c'est aller rapidement en besogne. L'idée du Père se manifeste par le Fils, c'est la Création vivante. Mais pour la création matérielle - à quelque degré que ce soit, car il y en a beaucoup avant d'arriver au degré animalisé où nous sommes - il faut une matière ou plutôt une matrice. Elle est humble, puisqu'elle est la « servante » du Seigneur et qu'elle se ploie à toutes les formes. Elle est la Mère fécondée par le Père et d'où sortent toutes les créations. Quand le Fils doit prendre forme, c'est elle qui devient la matrice qui l'engendrera. C'est l'Esprit Saint qui transmet la volonté du Père et l'humble créature, ignorant sa grandeur cachée, répond à l'Ange « Je suis la servante du Seigneur ».
Elle est l'éternel « instrument » du Père, la Mère du Fils, mais aussi celle de tous les êtres. Quant à la relation du Christ avec Jésus, le mot hébreu Jésus et le mot grec Christ désignent tous deux le même être.
     
     M. Luce se refuse à admettre que l'Être ineffable ait supporté dans son Fils le traitement ignominieux que lui ont réservé les hommes.
     Il croit que c'est là le ramener à notre mesure humaine.
     Ce qui est humain, c'est de ne point pouvoir exprimer d'une manière adéquate des idées et des mystères de Dieu. Dire que le Père « souffre » est évidemment une manière humaine de traduire l'idée de mécontentement (autre mot trop étroitement humain, comme tout mot) du Créateur qui voit Sa créature suivre la voie de l'Adversaire. Il décide que le Fils prendra un corps humain, afin d'être en un certain sens le même être que les fils d'Adam. Certes, le Fils ne s'incarne pas tout entier. Mais l'homme non plus, d'ailleurs, et le mot incarnation, bon à défaut d'autre plus exact, est assez impropre. La partie qui s'est incarnée n'est, cependant pas un être matériel comme nous. Il n'y a qu'à lire l'Évangile pour voir combien le Christ se tient constamment au-dessus. Il est en relation constante avec Son Père (n'enseignait-il pas les docteurs à douze ans ? N'échappe-t-il pas à toutes les lois physiques ? Non une fois, mais toujours !). N'est-il pas inaccessible aux tentations ?


     Il est le modèle de l'Homme tel qu'il devrait être s'il n'était pas tombé, tel qu'il redeviendra s'il se régénère par le sacrifice volontaire comme Jésus dut le faire, sans l'avoir mérité, pour montrer le chemin. L'Évangile nous dit très clairement qu'à l'heure du sacrifice qu'Il savait nécessaire, auquel Il consentait, Il n'était plus qu'un homme en proie d'abord à la souffrance morale et spirituelle (abandon présumé du Père, abandon certain des disciples).
     Il fallait qu'il ressentit la souffrance de l'homme ordinaire. S'Il était resté le Fils, il eût pu échapper au supplice. « Le Pasteur donne sa vie pour ses brebis ». Les siennes étant perdues sans son sacrifice, il devait donner sa Vie. Mais elle n'a pas plus disparu que celle de l'homme qui meurt sur un gibet ou sur un lit. Lui qui est la Vie, mourrait-il quand, à dire vrai, nous ne mourons pas réellement ? Et le Père l'ignorait-il ? Il n'est donc pas nécessaire de dramatiser sa soi-disant cruauté.
Nous laisserons de côté d'autres questions impossibles à traiter pour le moment. Un dernier point. M. Luce nous impute une confusion entre l'Homme-esprit et une ombre falote. L'Homme-esprit existe bel et bien, mais ni l'ombre, ni les mânes, ni les apparitions fantômales, ni les esprits des spirites, ni l'homme ordinaire n'ont rien à faire avec lui.


     Répétons que l'astral de la terre grouille d'êtres de toutes sortes et qu'il n'est pas très profitable à l'homme de s'en occuper de trop près. L'Adversaire les utilise souvent pour égarer les imprudents. Si certaines personnes ont des dispositions naturelles à voir les êtres de l'astral, on peut lire, entre autres, dans « La Voyante » de Prévorst combien c'est plaisant et quelle croix supplémentaire c'est pour l'heureux bénéficiaire d'une faculté plus enviée qu'enviable. Il vaut certes mieux, à notre humble avis, prier avec simplicité et méditer sur les Paroles que Jésus nous a laissées. Quant aux visions d'êtres spirituels réels, émanés du plan divin, elles sont, nous en sommes sûrs, excessivement rares et ne sont provoquées que pour de graves missions, dont celle de Jeanne d'Arc est le type achevé. Les « révélations » des médiums ne nous semblent pas avoir l'importance que leur attribuent trop souvent les spirites. Que peuvent-ils discerner ? Que savent-ils sur l'origine et les buts des êtres qui leur parlent ? Refrain (sempiternel) tout l'essentiel est dans l'Évangile. C'est lui qu'il faut consulter - et pratiquer. - Alors, le « cœur » s'éclairera et chacun sera un médium.

     Pour nous, un spiritisme « christique » ne saurait s'expliquer clairement que comme un christianisme pur et simple. C'est peut-être, au fond, la pensée de notre bien sympathique ami M. Luce.
Dans cette consolante espérance nous mettrons le point final à une controverse qui a eu au moins le mérite de nous permettre, à tous deux, de mieux préciser notre pensée.


A. SAVORET.

septembre 06, 2011

L'INVERSION PSYCHANALYTIQUE


André SAVORET 



Librairie HEUGEL - Éditions "PSYCHÉ"
7 - Rue Séguier -7 PARIS 6e -1939
 

     Dénoncer les méfaits de la psychanalyse dans une revue comme celle-ci, n'est pas précisément chose aisée. Certaines discussions qui porteraient sur des points fondamentaux et les éclaireraient d'un jour un peu cru ne peuvent malheureusement être abordées qu'avec d'infinies précautions, on devine pourquoi. La responsabilité de celui qui écrit sur de tels sujets est immense. Les yeux qui le liront peut-être un jour « à la sauvette », dans la boîte de quelque bouquiniste, pourraient être ceux d'enfants, dont notre Maître a dit : « Si quelqu'un scandalise un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on lui pendît au cou une de ces meules qu'un âne tourne et qu'on le jetât au fond de la mer. »

     Mais, d'autre part, n'est-il pas nécessaire de mettre en garde contre une science maléfique ses victimes éventuelles et, d'abord, les parents dont les enfants ne doivent pas servir de cobayes médico-pédagogiques à nos modernes apprentis sorciers ?

     Le sujet qui nous occupe a déjà été envisagé, à d'autres points de vue, (voir Psyché 1933), par M. Jacques Heugel (1), puis par nous (2).

     Rappelons pour mémoire que la psychanalyse n'est pas, malgré son nom avantageux, une étude des facultés de l'âme, mais une méthode qui fait appel à l'Inconscient ou plutôt à l'Infra-conscient et qui plonge la Psyché humaine dans un ténébreux bourbier. Cette méthode est d'autant plus illogique qu'elle s'applique, en tant que thérapeutique, à des êtres déjà tarés, amoindris ou déséquilibrés, et, en tant qu'elle touche à la pédagogie, à des enfants et des adolescents, pratiquement sans défense.

     Ajoutons que ses procédés d'investigation louvoient sans cesse entre l'hypnotisme et la suggestion d'une part, la « confession » quasi religieuse (quoiqu'en mode inversif) d'autre part, tandis que le raisonnement, les déductions sur lesquels on s'appuie pour formuler le diagnostic, reposent sur une interprétation systématiquement abjecte des faits, que ce soient les images du rêve ou les manifestations verbales et graphiques de ce qu'on pourrait nommer « rêve éveillé » ou « rêverie lucide » (3).

     Mais la psychanalyse étend plus loin son empire. Toutes les branches de l'activité humaine, en tout premier lieu les activités supérieures (arts, morale, religions, etc.) sont réputées justiciables de cette méthode inconcevable, qui prétend appliquer au conscient et au supra-conscient les règles (d'ailleurs arbitraires) établies d'après ce qu'on croit connaître de l'Infra-conscient. C'est le jugement du Haut par le Bas, du Supérieur : par l'Inférieur, - c'est Belzébuth explicitant à sa façon les choses du Ciel !

     Ici, nous avons quitté le domaine légitime de la science, même matérielle, nous nous débattons en plein cauchemar,
« Un cauchemar rempli de choses inconnues,
« De fœtus qu'on fait cuire au milieu des sabbats... »

     Un de ces cauchemars, en somme, que ces Messieurs Psychanalystes excellent à nous traduire en clair, si l'on ose employer ce terme pour un jargon barbare et impressionnant où la « régression névrotique » voisine avec le « complexe du Monsieur qui en a bouché un coin au Sphinx » (à moins que ce ne soit, par vertu d'« ambivalence » le « complexe de castration »), tandis que le profane se perd dans les complications de l'amour « objectal » ou de l'« attitude narcissique » et qu'il ploie douloureusement l'échine sous le poids excessif des « affects » dont on le surbâte... Tout cela sent son pédant - son pédant d'outre-Rhin - et ne brille pas précisément par la netteté des idées.

     Quant à l'originalité de tout ce bric-à-brac impressionnant, elle réside surtout dans le vocabulaire employé ; psychiatres, théologiens, éducateurs et pédagogues n'ayant pas attendu Freud pour s'apercevoir des luttes qui dédoublent, pour ainsi dire., l'homme et dont tous les auteurs classiques, depuis Sophocle jusqu'à Corneille, depuis Eschyle jusqu'à Shakespeare, ont démonté cent fois le mécanisme !

     Seulement - et ici l'unanimité est remarquable - tout le monde s'accordait sur la nécessité de donner la victoire au conscient sur l'inconscient, sauf nécessités d'ordre littéraire et théâtral, auquel cas la surrection de l'inconscient déclenchait la catastrophe finale. Les vieux moralistes n'étaient pas précisément tendres à l'égard des impulsions venues d'En-Bas et, s'ils ne niaient pas sottement l'existence du monde trouble et malsain où se complaît l'imagination parfois délirante des disciples de l'obsédé viennois, si même ils avaient sur lui des notions autrement étendues que nos modernes psychologues, ils savaient pertinemment tout le danger qu'il y a à s'appesantir sur certaines matières et à se pencher sur certains bas-fonds. Enfin, tous s'accordaient encore pour penser que les œuvres les plus hautes de l'esprit humain : poésie, musique, art, requéraient d'autres collaborations, d'autres inspirations, d'autres origines que celles, peu reluisantes, que la psychanalyse cherche à faire passer au premier plan.

     Pour citer un exemple (que nous édulcorerons de notre mieux), la musique, considérée dans son élément rythmique, est envisagée par un de ces dangereux maniaques comme engendrée par les rythmes du cœur, de la respiration, de la tétée, de la mastication, des contractions stomacales et annexes, et... de tous les rythmes solitaires ou dualistiques, infantiles, prépubériens et autres, grâce auxquels on pose une explication « en profondeur » de l'« origine et du sens de l'art musical » !

     À cette « lumière », un Beethoven, un Chopin, un Mozart n'ont plus de secrets pour nos intrépides investigateurs, soucieux d'explorer chez autrui, un génie qui leur est presque offense personnelle, à l'aide de leur matériel d'égoutier.

     Un psychanalyste notoire, après s'être livré aux exercices usuels pour nous « expliquer » le génie musical de Chopin, nous livre cette clé inédite de l'œuvre du maître : « La musique de Chopin est donc, à double titre, une fantaisie œdipienne. » On s'abstiendra ici de post-poser, à la fantaisie freudienne de l'auteur, le qualificatif qu'elle appellerait...

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*    *





     Il en va des plus hautes efflorescences de l'esprit humain comme des fleurs de nos jardins. Le terreau qu'elles sublimisent en leur alchimie merveilleuse n'est que putridité et décomposition. Mais cet élément « infra-végétal », pourrait-on dire, n'est ni la graine, ni la fleur : il en est la pâture ! Les éléments qui montent, par cette dernière, vers le soleil, transformant ainsi leur nauséabondité en parfum, ne sauraient rendre raison de Celle qui les élève vers le ciel ; ils ne l'explicitent en aucune manière ; ils ne nous livreront jamais le secret de sa vie et de sa beauté.

     On peut en dire autant pour le terreau infrahumain. Rendre raison d'une symphonie en termes de pathologie et d'érotologie, explorer les lavabos d'un grand homme pour y retrouver la « source » de son inspiration, telle est la dangereuse manie (au sens médical du terme) de ces inconscients souilleurs d'âmes.

     On nous objectera, peut-être, que nous sommes injustes ; que tous les psychanalystes ne sont pas obsédés par la libido, comme l'est le clan des disciples de Freud ; en d'autres termes que nous identifions à tort psychanalyse et freudisme, de telle sorte que nos appréciations sévères, motivées si l'on considère les excès des uns, deviennent gratuitement injurieuses dès qu'on les applique aux autres.

     Tout en faisant la part de la bonne foi, du désir légitime de soulager des affections particulièrement rebelles aux traitements habituels, de la modération dans les idées et du tact dans les démarches, autant de traits qui honorent nombre de vrais savants pour qui la psychanalyse n'est qu'un instrument de travail, au même titre que les autres, il n'en est pas moins vrai que :

     1° - Ces savants ne représentent pas, tant s'en faut, la psychanalyse ; ils constituent plutôt des sectes dissidentes, eu égard à l'orthodoxie freudienne ;

     2° - La littérature psychanalytique, en tant qu'elle atteint le grand public, l'atteint justement grâce à ce qu'elle offre de plus « croustillant », de plus malsain, s'adressant on en conviendra, à des êtres dont la majorité n'obéit certainement pas à des curiosités purement scientifiques et désintéressées ;

     3° - Comme nous le verrons plus loin, l'ensemble des théories et des méthodes visées relève d'un état d'esprit très spécial, d'autant plus inquiétant qu'il agit simultanément dans d'autres domaines (littérature, musique, poésie, politique, morale pour y engendrer, y entretenir et y porter à son comble la plus parfaite confusion mentale et le détraquement de tous les ressorts internes et externes de l'homme et de la société. Ainsi rattachée à ses causes secrètes et située à la place qui lui revient parmi les éléments de subversion individuels et sociaux, la psychanalyse, restreinte ou généralisée, outrancière ou pondérée, qu'elle s'offre à nous sous les nuances Freud, Jung, Claparède, Laforgue ou Dupont-Durand, la psychanalyse, affirmons-le hautement, constitue un ensemble qui vaut, essentiellement, ce que valent les causes auxquelles nous faisions allusion. Ces causes peuvent se ramener à une seule, fondamentale, à savoir : L'activité protéenne d'un principe dont les manifestations visent à instaurer définitivement, sur cette terre, le Règne de la Bête !

     Il s'ensuit nécessairement que les distinguo quant aux personnes, aux responsabilités individuelles, au degré de conscience atteint par chacun et du rôle qu'il joue et du Maître qu'il sert, ne sont pas susceptibles d'influer sur le principe dont nous venons de parler, ni de modifier les fins auxquelles il tend, invinciblement, par son essence même.

     C'est pourquoi les appréciations que nous portons, sous forme dépouillée de toute aménité superflue, (chacun, d'ailleurs, devant assez se connaître pour en prendre, comme on dit, « pour son grade » !) visent aussi bien le clan Freud que les clans dissidents, du fait qu'ils sont dans une mesure différente mais difficile à évaluer, des serviteurs du même Maître.

     Quand on songe que ce qui est en jeu, à l'heure présente, c'est à la fois l'existence même de toute société et le salut des âmes de nos contemporains comme de nos descendants, aucune hésitation n'est permise ; aucune demi-mesure n'est honnête ; aucun compromis, justifiable !

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* *

     C'est que, parmi les innombrables prétentions de la psychanalyse, il en est une qui s'affirme avec une particulière insistance et offre le danger le plus insidieux le plus immédiat, le plus redoutable aussi par ses conséquences à longue portée. C'est celle qui consiste à vouloir s'annexer l'éducation en faisant tache d'huile parmi le corps enseignant, nullement qualifié au point de vue médical pour mettre en œuvre le redoutable arsenal qu'on le presse d'utiliser. Le mot d'ordre, en ce sens, a d'ailleurs été donné ouvertement par Freud lui-même.

     On veut donc nous faire glisser de l'éducation, sans épithète, à une « éducation psychanalytique », d'abord larvée et honteuse, grâce à un noyautage de professeurs imbus des théories nouvelles et désireux de passer à la pratique, puis un autre pas sera fait, avec la multiplication des « écoles d'essai » et « écoles-communautés », jusqu'au couronnement du Grand-Œuvre : l'intronisation officielle de la psychanalyse dans l'enseignement public, sous les formes les plus diverses, qu'il s'agisse de l'enseigner, d'en appliquer les principes d'une façon générale à l'éducation, ou d'en retenir les conclusions pour aboutir à l'un de ces mirifiques « Statuts de l'École nouvelle » dont l'élaboration est à l'ordre du jour dans certaines Loges Maçonniques, particulièrement avancées.

     « L'être humain - a écrit Sédir - ressemble à une maison où les greniers, les resserres et les caves prennent beaucoup plus de place que les chambres habitées ».

     Comparaison exacte, à laquelle on ne saurait reprocher qu'un excès de modération. En plus des caves et des greniers, l'être humain a ses cloaques et ses égouts, de même qu'il a ses terrasses et ses observatoires braqués vers les Cieux.

     Jusqu'à ces derniers temps, les éducateurs visaient à rendre l'homme conscient de ses possibilités les plus hautes, à le détourner de l'attraction d'En-Bas, à le mettre en garde contre l'emprise fatale de l'« inconscient », de l'imagination et des forces obscures de l'instinct En somme, on le voulait maître de lui, contrôlant ses impulsions, positif par rapport à sa propre nature inférieure.

     Là s'arrêtait l'éducation laïque. L'éducation religieuse allait plus loin et se flattait de le mettre en contact avec les forces divines, dans les limites où sa nature le permettait.

     Orienté dans le sens spirituel par cette éducation, l'homme pouvait évidemment rester indéfiniment stationnaire, nul n'ayant à charge de vouloir, choisir et agir pour autrui. Du moins lui évitait-on nombre de pièges où risquaient de sombrer son honneur, sa santé ou sa raison.

     Autre point important. L'éducation, la première éducation surtout, était d'abord l'œuvre des parents. Elle était essentiellement familiale ; accessoirement scolaire et confessionnelle.

     Cette façon de voir apparaît scandaleusement rétrograde aux « hommes de progrès », et de nouvelles méthodes, issues de nouveaux principes, se généralisent sans bruit, et l'on ne voit pas que les intéressés réagissent bien vigoureusement, soit qu'ils n'aperçoivent pas le danger, soit qu'ils se méprennent sur sa nature, soit, enfin, qu'ils le sous-estiment. Le devoir strict est pourtant de chercher à être éclairés sur le véritable but poursuivi - quels qu'en soient les prétextes : ils ont charge d'âmes - et non seulement de corps !

     Selon les nouvelles conceptions éducatives, à la fois barbares et savantes, il semble que l'enfant doive être réduit, de plus en plus, au rôle de « cobaye ».

     Il n'est plus la précieuse individualité qu'on aide à s'épanouir mais devient, par une incroyable aberration, un prétexte à expériences qui réussiront ou ne réussiront pas. Dans ce dernier cas, n'a-t-il pas une vie entière pour expier les fautes de ses singuliers éducateurs ?

     Pour ceux-ci, le sort d'une âme, de centaines ou de milliers d'âmes même, ne pèse pas lourd en regard d'une belle communication dans une revue spécialisée ! Les parents doivent donc veiller au grain et ne se désintéresser sous aucun prétexte de la vie scolaire de ceux dont ils ont la charge. Ils ne doivent non plus laisser le personnel enseignant empiéter sur les droits naturels qu'ils possèdent, droits qui sont aussi de stricts devoirs.

     L'intervention de la psychanalyse dans le domaine pédagogique, qu'il s'agisse de son enseignement aux élèves ou de son emploi par les instituteurs, est susceptible de provoquer des perturbations graves. Elle est liée - et c'est un fait qu'il faut bien mettre en valeur - à des conceptions qui, dans l'école freudienne sont indubitablement athéistes et bolchévisantes. Non que la psychanalyse, en soi, conduise nécessairement à de telles conceptions, mais parce que tout se tient dans l'univers comme dans la société. Au même titre que le sans-dieuisme, le communisme, la musique nègre, la science dite « des religions », la transformation de la femme en une poupée aux ongles peints et aux sourcils épilés, la publicité intensive, et mille autres manifestations qu'on pourrait juger disparates, la psychanalyse est révélatrice d'un certain stade de l'histoire de l'humanité, ce stade qui précède immédiatement celui où tous les hommes, comme il est écrit dans l'Apocalypse, porteront au front le stigmate infamant de la Bête.

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* *

     Au surplus, si, pour parler « drap », il vaut mieux s'adresser au drapier, pour parler « psychanalyse », demandons à des psychanalystes de nous renseigner (4).

     « Pour deux raisons, l'enseignement de Freud paraît s'appliquer avec fruit à l'éducation des enfants.

     « Tout d'abord, il est à remarquer que dans chaque cas de névrose, il faut rechercher l'origine de la névrose chez l'enfant, et toujours dans la première enfance du malade. Par conséquent l'éducation doit tendre à éviter les névroses [même quand elles sont héréditaires, sans doute ?].

     « Ensuite, la Pédagogie ne peut pas ignorer la psychologie profonde dérivée de la psychanalyse... Autrefois, dans l'enseignement, on estimait, suffisant de savoir lire, écrire, calculer, réciter son catéchisme (5).

     « Freud lui-même [jolie référence !] a approuvé la pratique de la psychanalyse en matière d'éducation et il s'est élevé publiquement contre ceux qui seraient tentés de restreindre son enseignement à la médecine.

     « Pour ma part, je suis convaincu que la psychanalyse pédagogique contribuera davantage au bonheur de l'humanité que la psychanalyse médicale... grâce à l'appui des pédagogues qui apprendront à la connaître et à s'en servir...

     « Il s'agit de savoir si, parmi les pédagogues, la majorité aura assez d'énergie pour se soumettre à une cure psychanalytique(6).

     « La peine qu'on a, le temps qu'on donne, les dépenses qu'on fait [car ça n'est pas gratis pro... diabolo !] paraissent peu de choses si l'on tient compte du bénéfice d'une analyse réussie : augmentation de la capacité de travail [!!!] et possibilité d'une plus grande somme de bonheur » (7).

     Le même auteur développe ensuite ses vues sur l'École-communauté qui se répand de plus en plus dans tous les pays d'Europe, France y compris, comme il a la gentillesse de nous l'apprendre. Sa caractéristique, outre le mélange des sexes, c'est de donner la toute première importance « aux rapports entre les maîtres et les élèves » (8).

     Sachons, pour notre gouverne, que dans ce système, « des sentiments définis, [?] relient les élèves au maître »... La classe « a sa physionomie, donnée par la volonté-conductrice du maître » (9).

     De cette classe, on nous conte merveille : « L'ancienne école encourageait l'individualisme mal compris et égocentrique : mieux faire, mieux savoir que son camarade, se mesurer intellectuellement pour dépasser l'autre... Dans l'école-communauté, chacun doit donner le meilleur de ses forces pour le bien de l'ensemble ». Le travail individuel a « peu ou point d'importance » ; il procède, nous affirme-t-on gravement, « du sentiment de responsabilité de l'individu envers l'ensemble » ; l'élève « ne veut pas FAIRE TACHE dans le cadre de la communauté ».

     On nous dit bien que pour, réaliser « la classe idéale » [construite en pierre philosophale] il faut des personnalités prêtes à donner « jusqu'à leurs dernières forces pour l'idéal de leur profession », mais on omet d'ajouter qu'avec de pareilles vues il faudrait des élèves faits sur mesure... Bref, il paraît que les pédagogues devraient être mieux informés sur la « psychologie des masses » afin d'éviter les insuccès ; on précise même qu'il s'agit de « psychologie dynamique des masses » laquelle devient un jeu d'enfants « grâce aux recherches psychanalytiques ».

     Et voici qui réjouira tous les éducateurs : « quand on lit des rapports sur les classes d'essais, on s'étonne de ne jamais y trouver d'insuccès ».

     Pourquoi faut-il que, même à l'auteur que nous citons, un pareil triomphe semble un peu suspect...

     C'est qu'il y a des causes de désenchantement. Une telle classe, une telle collectivité est sans cesse menacée dans son équilibre instable et il suffit d'un seul récalcitrant pour démantibuler « la structure psychique de l'ensemble ». Voilà qui est peu rassurant, on en conviendra !

     D'autant plus qu'un ou une élève, pour provoquer ce beau chambardement, n'a qu'à substituer dans son inconscient le maître à une autre personne, généralement à son père (10). Dans ce cas l'élève « ne se sent plus comme faisant partie d'un ensemble, donc de la classe. Il se, comporte comme si les autres n'existaient pas ou comme s'ils étaient ses rivaux ». Il arrive « à avoir avec le maître une RELATION À DEUX ».

     On nous dit que le maître qui connaît la psychanalyse « ne favorisera pas les prétentions libidinales des écoliers » qui se verront obligés « de renoncer à la satisfaction de leur libido pour lui » (11).

      Alors, ajoute-t-on, se réalise « ce phénomène psychologique que la science [pédante] qualifie d'introjection ». Les élèves s'identifient (!!!) avec le maître ; ils l'incarnent, pour ainsi dire, en esprit... L'idéal commun les enchaîne intérieurement les uns aux autres ; il s'ensuit des sentiments de fraternité (tels qu'on les rencontre dans les communautés religieuses et dans l'armée) (12) ; les individus s'identifient aussi entre eux, et c'est ainsi que l'« ensemble » se forme.

     Et pour qu'on ne se méprenne pas sur la nature et l'origine supposée de ces beaux sentiments - dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils sont intolérablement équivoques - on nous renvoie sans transition à un « parallèle phylogénétique »(13) qui laisse rêveur et qu'on nous dispensera de reproduire textuellement (14). Voici ce dont il s'agit : La tribu primitive se composait - nous explique-t-on - d'un Père omnipotent, qui monopolisait l'élément féminin du groupe en expulsant au loin tous les fils. Ces exilés formaient entre eux « la Communauté des Frères », unis par un lien « affectif » résultant de leur situation anormale.

     Un jour, les frères se décident à revenir à la tribu, égorgent le père et en font un festin. Celui-ci s'avérant d'une digestion pénible est suivi de cérémonies magico-religieuses, visant à effacer l'acte sanglant et à le purifier.

     Des tendances aux remords s'éveillent dans le cœur des frères et (faisant alors le contraire de ce pourquoi ils étaient revenus assassiner leur père) ils n'osent se partager le harem paternel et vont chercher fortune dans d'autres tribus (15) ; d'où l'exogamie.

     Pour combler le vide regrettable causé par le décès irrégulier du père, ses enfants éplorés se choisissent un chef. On ne nous dit d'ailleurs pas si c'est pour lui faire subir le même sort. Par contre, on nous prie de croire que « cette nouvelle société, issue du meurtre du père, a suivi le même développement que traverse aujourd'hui tout homme civilisé quand s'ébranle son complexe d'Œdipe »... « Comme tous les élèves portent en eux inconsciemment le péché d'Œdipe, il s'agit pour le maître d'école de devenir le chef-conducteur d'une libre communauté ».

     Chacun tirera de cette petite histoire la morale qui lui conviendra. Nul doute que l'application de la psychanalyse à l'éducation des « fils » par leur « maître-conducteur », hypostase ou plutôt ersatz de l'autorité paternelle, ne réjouisse bien vivement le cœur des chefs de famille qui ne seront pas délibérément « hostiles au progrès » ou - comme disent les sapients - « misonéistes » !

     Une telle éducation, nous affirme-t-on, « fait éprouver un sentiment de liberté »(16).

     En fait de « liberté », il semble qu'on fait ici assez bon marché de celle des éducateurs naturels et responsables : les parents : « L'essentiel dans les écoles nouvelles sera l'éducation dans le sens le plus restreint qui, pour des raisons sociales et économiques, échappe de plus en plus à l'influence de la maison paternelle, et devient l'affaire de l'éducateur professionnel ».

     Ce trait suffit à caractériser un programme bien moins désintéressé qu'il n'y paraissait de prime abord.

     En somme, on se propose (et se réjouit) de retirer progressivement aux parents, éducateurs naturels, la tâche sacrée qui leur incombe de droit, pour la confier à un étranger inconnu, peut-être pervers et vicieux, peut-être honnête, mais en tous cas déformé à jamais par sa marotte psychanalytique, imbu d'une soi-disant supériorité parce qu'il ne croit plus à rien. Il n'est bon qu'à déflorer l'âme de l'enfant avec ses suppositions ou ses questions, et à instaurer le chaos dans sa pauvre tête, en la remplissant des sornettes dont la sienne est bourrée.

     En arrachant à cette pseudo-science le masque dont elle s'affuble, nous découvrons une fois de plus (hélas ! sans surprise), de vieilles connaissances : l'antichristianisme, l'athéisme, le matérialisme, l'égalitarisme niais, la haine de toute autorité légitime et naturelle, l'attirance pour le monstrueux, l'anormal et le stercoraire. En résumé, la « griffe », aisément reconnaissable, qui a marqué ces fronts bas du Sceau de la Bête.

     Exagérons-nous ?

     Qu'on en juge !

     Lorsque Freud proclame ouvertement en quelle sympathie il tient « la grande expérience culturelle » qui se poursuit chez les Soviets ; quand il traite la religion de « névrose obsessionnelle universelle » ; quand il prône, sans oser en garantir les conséquences, « l'essai d'une éducation a-religieuse » (17) ; quand, enfin, il qualifie la communion chrétienne un repas totémique, répétition du double crime d'Œdipe, « l'objet de l'acte du sacrifice étant toujours le même, celui qui est maintenant adoré comme un Dieu, c'est-à-dire le père » (Totem et Tabou, P. 208), il nous montre son vrai visage - à dire vrai assez répugnant !

     Si, de ces « hauteurs », nous revenons à l'« école-communauté », nous y constatons une mystique (à rebours) juchée sur un dogmatisme d'autant plus intransigeant qu'il repose sur des postulats invérifiables, en vif contraste avec ce fameux « esprit de liberté » au nom duquel on se flatte de parler.

     À la base : la petite historiette de la « Tribu primitive », de ses pompes et de ses œuvres ; le souvenir inconscient de ce « péché originel » d'un genre spécial, pesant sur tous les hommes (supposés les descendants de cette tribu, plus mythique cent fois que celles des Lapithes et des Centaures) ; le postulat que tout homme, tout enfant surtout, doit être traité en anormal, et vingt affirmations de la même trempe, pour lesquelles on attend. encore le plus petit commencement de preuve

     De ce néant pur et simple, on s'autorise pour violer des âmes, souiller des cœurs, battre en brèche l'autorité parentale et l'autorité spirituelle. C'est inconcevable, mais c'est ainsi. Il est permis de plaindre les parents trop confiants ou trop mal informés qui laisseront ces gens noyauter irrésistiblement le Corps enseignant et feront de leurs enfants de petits monstres, révoltés et précoces.

     Il est vrai qu'on nous vante les bienfaits supposés d'une éducation où une large place est tenue par des contrefaçons de l'« esprit d'équipe ».

     Voyons cela de plus près. Au lieu de développer des individualités conscientes, distinctes, chacune selon sa voie et ses possibilités, on veut voir des « masses » et niveler impitoyablement tout ce qui, dépassant ces « masses », fait nécessairement « tache » dans le troupeau.

     Chacun ne doit viser « qu'au bien de l'ensemble ». Ouais !.. Ce que la jeunesse pense du « bien de l'ensemble » ne doit pas valoir très cher. Le fameux « sentiment de responsabilité de l'individu envers l'ensemble », à quelques nobles exceptions près, n'existe ni chez l'enfant, ni même chez l'homme sauf, bien entendu, en paroles.

     Tout ce vocabulaire, digne de nos affiches électorales, qui ne voit pas où il tend et ce qu'il dissimule ? Une fois de plus, on se sera servi du nom de la Science pour justifier des niaiseries d'abord, de dangereuses manies ensuite, enfin, éventuellement, de véritables crimes moraux.

     Et ceci nous amène à d'autres constatations.

     Le caractère monstrueux, régressif même, de notre société moderne, dès qu'on l'envisage à un point de vue autre que le point de vue « utilitaire » nous échappe trop facilement, accoutumés que nous sommes à cette ambiance malsaine qu'elle a créée et qui exerce progressivement, très progressivement, sur nous, son action nocive.

     Emportés dans le tourbillon collectif, nous n'avons pas plus conscience du mouvement qui nous entraîne que nous n'avons conscience de ceux de la planète qui nous porte.

     Mais nous pouvons échapper à ces relativités et observer les circonstances d'un poste fixe : celui de la loi morale et spirituelle dont ces circonstances ne peuvent modifier le caractère.

     Considérées de ce point fixe, les choses mouvantes nous laissent mieux préciser le sens et l'aboutissement de leurs trajectoires. Nous nous rendons compte, alors, à quelle cadence accélérée l'humanité s'enfonce dans le gouffre qui semble devoir l'engloutir, à moins qu'un miracle n'enraye cette chute.

     Rétrécissons notre horizon. La vie urbaine, telle qu'elle se développe aujourd'hui autour de nous, justifie toutes les appréhensions. Ceux à qui leur âge permet de comparer ce qu'elle était voici 25 ou 30 ans ne peuvent pas échapper à l'angoisse. Des organismes déficients, surmenés, hyperesthésiés (18) sont soumis à des surtensions psychiques, à des tentations de tous ordres, sont littéralement saturés d'excitants physiologiques et autres, gracieux cadeaux de la fée progrès.

     Les tristes « distractions » et les « loisirs » (plus ou moins bien organisés) de notre vie artificielle n'arrivent ni à vaincre l'angoisse des âmes qui souffrent, ni à secouer l'apathie des âmes qui capitulent et s'abandonnent au courant.

     Tout converge vers la perversion systématique de l'homme, dès la première enfance, vers un abêtissement et un primitivisme infra-humains, avec une telle constance qu'il n'est pas besoin d'une imagination débridée pour y entrevoir l'exécution méthodique d'on ne sait quel plan mystérieux.

     Nous avons vu des malheureux gosses d'une dizaine d'années, les yeux brillants de haine, lever un poing grotesque vers le ciel en défilant au chant ignoble de l'Internationale.

     Nous en voyons, dans les cinémas, accompagnés de parents placides et satisfaits, s'initier aux avant-derniers arcanes d'une passion trop bien mimée.

     À l'école, autre chanson, guère différente dans bien des cas. Et ces Messieurs du clan Freud nous promettent mieux. À la maison, lecture des journaux et quels !

     Dernièrement, dans la boutique d'un coiffeur, nous observions un tout jeune enfant attendant son tour, lisant, prise au hasard dans un tas de revues et de journaux, une publication de la plus basse pornographie, au texte explicité par des photos émoustillantes. Et ne parlons que pour mémoire de l'étalage des kiosques à journaux...

     Qui n'a vu, sur nos places publiques, ces gamins se faufilant dans un groupe compact de badauds, reprenant au refrain une de ces chansons « réalistes » qu'éructe dans un porte-voix une commère à l'accent canaille et aux gestes expressifs ?

     Quant à la T. S. F., on s'aperçoit déjà des ravages qu'elle exerce ? On en verra, on en entendra plutôt, bien d'autres ! (19)...

     Toute cette boue jetée à pelletées, sans discontinuer, sur ces âmes enfantines, croit-on qu'elle ne les souille pas irrémédiablement ?

     L'enfant croît, déjà handicapé par des tares et des tendances, des déficiences physiologiques aussi, qu'ignoraient les générations précédentes. Il se développe anormalement, en « serre chaude », dans une atmosphère, une ambiance, où tout est combiné pour mettre ses nerfs à nu et exciter en lui on ne sait quelle monstrueuse précocité.

     Sont-ce là des imaginations, des exagérations, ou le simple exposé de faits partout vérifiables ? La réponse ne nous semble pas douteuse.

     S'ils sont plus ignares que jamais, grâce à des programmes scolaires à la fois surchargés, incohérents et inconsistants, en revanche, nos enfants n'ont qu'à prêter l'oreille et à ouvrir l'œil pour acquérir des connaissances prématurées et, à défaut d'une syntaxe avec laquelle ils sont, en général, en délicatesse, ils jouent avec virtuosité d'un vocabulaire qui laisse rêveur.

     Dans notre petite ville, ni pire ni meilleure que bien d'autres, les enfants du voisinage, dont l'aîné n'a pas dix ans, se lancent à la tête plus de jurons en un jour qu'un charretier n'en profère en une semaine. Ce sont là faits journaliers !

     Quant au respect des parents, il marche de pair avec le reste. Il est vrai que les parents, trop souvent, font tout ce qu'il faut pour saper leur propre autorité(20).

     Dans ce concert ravissant, la psychanalyse joue son rôle, rôle encore modeste mais qui, demain, sera peut-être prépondérant.

     Une fois de plus, que ceux qui ont des oreilles pour entendre et des yeux pour voir veuillent bien observer autour d'eux, et conclure.

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* *

     C'est dans ses rapports avec la religion et la magie (primitive ou non) que la Psychanalyse trahit le mieux son essence secrète. Nous ne pouvons qu'effleurer ce sujet, car il faudrait exposer ici les principales conceptions, plausibles ou saugrenues, auxquelles ont donné naissance deux faits réputés « primitifs » : le Totem et le Tabou. Ce ne sera pas trop d'une étude particulière pour en traiter, même sommairement.

     Nous n'insisterons pas, pour cette fois, sur l'attitude des psychanalystes en face du fait religieux ou des questions magiques et totémiques. Elle est d'ailleurs assez connue.

     Soulignons plutôt ceci : la psychanalyse, qui se prétend indûment « science », offre à qui l'examine un peu sérieusement et refuse de se payer de mots, les caractères d'une religion inversive, d'ailleurs farouchement agressive, avec tout l'attirail de ses rites, de ses sacrements ; avec ses Mystères et ses formules solennelles. Elle empiète sur le domaine périlleux de la magie et de la métapsychique ; enfin, elle substitue aux Sacerdoces de Lumière son sacerdoce de ténèbres. Autant de traits qui rappellent (et le rapprochement n'est pas aussi purement « externe » qu'on le penserait sans autre examen) un certain spiritisme, dont on ne sait trop s'il se veut « religion » ou « science ».

     « Produits d'une longue évolution qui a son principe dans le « péché originel », des monstres variés se meuvent dans les profondeurs de notre subconscience. Ces monstres cherchent à venir au plein jour. Et notre âme s'émeut et s'effraie de les sentir vivre dans l'ombre. Les laisser monter à la lumière, les y amener de force, prendre ainsi sur eux l'avantage, enfin les tuer ou les enchaîner, œuvre héroïque assurément, mais que ne peut entreprendre sans fol orgueil celui qui n'a pas à sa disposition la massue d'Hercule ou le glaive de l'Archange. Cette sorte d'initiation prématurée que préconise le freudisme ne peut mener qu'à la ruine, et des âges devront ensuite s'écouler avant que la demeure puisse être rebâtie (21). »

     La méthode psychanalytique se flatte d'amener l'Inconscient à la lumière du jour : ce qu'elle réalise quand, par malheur, elle atteint son objectif, c'est la submersion de l'être conscient dans le subconscient ; l'emprise définitive de la sphère instinctive sur la sphère intellectuelle. Initiation « prématurée » - nous dit justement Jacques Heugel. Oui, certes !... Mais initiation à quoi ? Toute initiation donne accès dans un certain mode de vie et transporte la conscience de l'initié dans un certain monde qui lui était fermé ou même interdit auparavant (22).

     L'initiation prématurée, c'est le plus souvent la mort du corps ou la perdition de l'âme ; c'est toujours le naufrage de la conscience trop faible pour supporter certaines visions, certains contacts, certaines radiations inconnues.

     Nul ne contestera que l'initiation freudienne met l'homme en présence de monstres hideux, puissants, fascinants, ni que le monde nouveau dans lequel elle l'introduit soit un monde de cauchemar dont les lois nous sont mal connues, monde rempli de pièges et de prestiges, monde, enfin, où la divine Sagesse ne permet pas à l'homme normal de pénétrer.

     Or nos modernes apprentis sorciers osent jeter dans ce bourbier, non des hommes équilibrés exceptionnellement armés pour la lutte, mais, de préférence, des enfants sans défense et de malheureux anormaux, voire de véritables fous (23).
 

     Et qu'on ne vienne pas nous parler des « cures » psychanalytiques. Même restreinte au domaine médical, cette science luciférienne ne donne pas ce qu'elle promet. Les cas d'aggravation, nombreux, ceux du passage d'un simple déséquilibre passager à la folie incurable, à la hantise du suicide et à l'obsession, compensent tristement les quelques « cures » réellement obtenues par de telles méthodes.

     Matérialistes de principe, nos savants sont incapables de guérir des déments, ignorant, du haut de leur science, qu'un dément est un possédé. Comme ces Messieurs ne croient pas plus à la « possession » qu'à l'existence des êtres redoutables qui l'exercent (24), ils n'en sont que plus impuissants à en préserver leur patient. Plus justement, ils font exactement le contraire de ce qu'il faudrait : Au lieu d'exorciser, ils évoquent ; ayant évoqué, ils ne savent pas ce que sait le dernier des sorciers de canton, renvoyer vers les siens le monstre entr'aperçu. C'est au malheureux « cobaye » à se débrouiller tout seul, avec un Adversaire dont il ignore la nature, tout autant que son singulier « thérapeute » !

     Ce dernier ramène tout à des phénomènes étiquetés « psychologiques ».

     Avec de pareilles œillères, il serait difficile de remonter bien haut dans l'enchaînement des effets aux causes. Il ne suffit pas de dire, comme Freud, « nous savons que... démons et dieux sont des créations des forces psychiques de l'homme ». Mais non, Docteur Miracle, nous ne « savons » pas. Vous nous affirmez une chose indémontrée, et d'ailleurs parfaitement indémontrable.

     Votre disciple - dissident - le Dr Jung, considère comme n'étant pas du domaine de la science tout problème qui se trouve « au-delà de la capacité humaine de perception et de jugement et, par Suite, au-delà de toute possibilité de démonstration ».

     En ce cas, la « phylogénétique de la tribu primitive » et la transmutation des dieux et démons en « affects » ou en « phénomènes psychologiques » ne sont pas des vérités d'ordre scientifique mais des articles de foi et le doctoral « nous savons » devrait être remplacé par un modeste mais loyal « nous supposons » !

     Tous ces hors-d'œuvre psychologiques et psychanalytiques sont donc indubitablement extra-scientifiques. Sont-ils philosophiques ? Métaphysiques ? Pas davantage. Jung, déjà cité, qualifie la métaphysique d'enfantine et d'absurde. Pour P. Germain, « elle se tient éloignée des réalités ». Le même pince-sans-rire nous affirme, dans Musique et Psychanalyse que la Volonté Schopenhauerienne est... « l'ancêtre de la Libido » freudienne. Avec de telles conceptions, il vaut mieux, en effet, s'abstenir de toute métaphysique...

     Mais si la psychanalyse n'est, à strictement parler, ni science, ni métaphysique, qu'est-elle au juste ? Elle est d'abord un « art », comme l'est la médecine, empruntant à toutes les sciences justes ce qu'il faut de matériaux pour édifier des systèmes au goût du jour, en négligeant volontairement ce qui ne cadrerait pas avec lesdits systèmes. Mais cette définition est encore incomplète et, surtout, superficielle. Si elle vaut - et encore ! - pour la psychanalyse, elle n'explique pas certains traits essentiels du psychanalyste, de ce qu'on pourrait appeler la mentalité psychanalytique.

     La psychanalyse, qui côtoie à certains égards la métapsychique, le spiritisme, la suggestion et la sorcellerie ; qui plonge ses sujets dans un état de passivité nécessaire au développement sans entraves de l'activité infra-consciente de l'être (comme on le voit par ses différentes méthodes d'« analyse » et par ses incursions dans le domaine du rêve), la psychanalyse, dirons-nous, est une religion : religion d'athées (ou plutôt d'anti-thées), religion luciférienne, ignorant quel Maître elle sert, on veut le croire, mais religion quand même, que ses champions en conviennent ou non, qu'ils en aient ou non conscience.

     Religion dont les médecins psychanalystes sont les prêtres et les instituteurs psychanalysants les sacristains... sans compter les comparses : jolies perruches et cacatoès bavards ; snobinets et snobinettes, qui jouent les chaisières, les enfants de chœur et les marchands de cierges, tandis que de malheureux désaxés, en quête d'une panacée, forment la nombreuse cohorte des fidèles et alimentent le « denier de Saint Freud » !...

     Voici quelques mois(25), M. Guénon consacrait à la déviation psychanalytique quelques pages pénétrantes, dont nous extrayons ce qui suit :

     « Il est trop évident que l'usage principal de la psychanalyse, qui est son application thérapeutique, ne peut être qu'extrêmement dangereux pour ceux qui s'y soumettent, et même pour ceux qui l'exercent, car ces choses sont de celles qu'on ne manie jamais impunément ; il ne serait pas exagéré d'y voir un des moyens mis en œuvre pour accroître le plus possible le déséquilibre du monde moderne... En réalité, la psychanalyse ne peut avoir pour effet que d'amener à la surface, en le rendant clairement conscient, tout le contenu de ces « bas-fonds » de l'être qui forment ce qu'on appelle le « subconscient »... L'être psychanalysé... risque fort de sombrer irrémédiablement dans ce chaos de forces ténébreuses imprudemment déchaînées ; si cependant il parvient malgré tout à y échapper, il gardera du moins, pendant toute sa vie, une empreinte qui sera en lui comme une souillure ineffaçable.

     Le même auteur montre ensuite que le point sensible de la pratique psychanalytique est justement « la nécessité imposée à qui veut pratiquer professionnellement la psychanalyse d'être préalablement « psychanalysé » lui-même ».

     L'être qui a subi cette opération n'est donc plus, ensuite, ce qu'il était auparavant : « Elle lui laisse une empreinte ineffaçable, comme l'initiation, mais en quelque sorte en sens inverse, puisqu'au lieu d'un développement spirituel, c'est d'un développement du psychisme inférieur qu'il s'agit ici ».

     C'est une véritable cérémonie de magie inversive, encore que rudimentaire, analogue à la « transmission de la baguette », que cette « transmission des pouvoirs » psychanalytiques.

     Aussi M. Guénon pose-t-il cette question... indiscrète :
     « L'invention de la psychanalyse est chose toute récente : d'où les premiers psychanalystes tiennent-ils les « pouvoirs » qu'ils communiquent à leurs disciples, et par qui eux-mêmes ont-ils bien pu être « psychanalysés » tout d'abord ?... »

     « Il y a là une « marque » véritablement sinistre par les rapprochements auxquels elle donne lieu : la psychanalyse présente, par certains côtés, une ressemblance plutôt terrifiante avec certains « sacrements du diable » ! »

     Et vraiment la religion psychanalytique présente dans son sacrement majeur, l'analyse, une analogie peu rassurante avec l'ordination et la pénitence !

     Ses pontifes ne sont-ils pas prêtres et confesseurs du Très-Bas ? La « confession » psychanalytique, imposée au malade ou au récipiendaire par son « initiateur » ne singe pas seulement la confession chrétienne par quelques ressemblances externes. Non ! Elle vise aussi à absoudre le patient de ses péchés conscients et... subconscients, à commencer par le « péché originel », envisagé comme le fatum d'Œdipe !

     Non content d'usurper la place du confesseur, le psychanalyste se fait catéchiste, en cherchant à faire pénétrer ses idées et ses méthodes dans les milieux scolaires, afin de substituer son emprise injustifiable à la légitime autorité des parents, des éducateurs et des maîtres « vieux jeu » (26).

     Cette attitude zélatrice et militante ; cette position de combat qui fait des disciples de Freud les ennemis irréductibles de la religion, de la sainteté du foyer, de l'autorité spirituelle et parentale ; ce ferment de subversion individuelle et sociale (car ces Messieurs sont aussi sociologues !) qu'ils déposent dans les cerveaux et dans les cœurs ; ce viol moral, enfin, que constituent leurs méthodes et leurs enseignements, tous ces faits concourent au même but, s'éclairent l'un par l'autre, supposent une même intention maléfique.

     Ce but et cette intention procèdent visiblement d'une Volonté inflexible de nuire et décèlent, par là même, leur origine luciférienne. Que la plupart des psychanalystes n'en soient pas pleinement conscients, que quelques-uns en soient totalement inconscients, c'est probable.

     Ce n'est pas une raison suffisante pour leur laisser le champ libre, car ce serait abdiquer devant cette Puissance ténébreuse dont ils sont les médiums, Puissance dont tout chrétien doit savoir qui elle est et ce qu'elle veut.

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TOTÉMISME ET FREUDISME

AVANT-PROPOS



     Le mot « totémisme » est un terme commode mais un peu vague, sur le sens duquel les savants ne paraissent guère s'accorder.

     Nonobstant l'incertitude qui plane sur l'origine, les caractères fondamentaux et les répercussions sociales et psychiques du totémisme, cent théories, plus audacieuses l'une que l'autre, ont été échafaudées pour l'expliquer. En particulier, les psychanalystes, à la suite de Freud, y ont cherché la justification de leurs théories spéciales. En y incluant leurs idées concernant le tabou et en y intégrant un peu arbitrairement le phénomène, très embrouillé, de l'exogamie, ils ont proposé de ces trois éléments totem, tabou, exogamie, audacieusement associés, une explication - si l'on peut dire ! - qu'on pourrait condenser en deux mots : Névrose obsessionnelle.

     Nos chercheurs modernes prétendent volontiers que « l'ère mythique » est close, remplacée maintenant, affirment-ils, par « l'ère scientifique ». On leur répondrait sans peine que l'ère prétendue « scientifique » fourmille de mythes dont le moins curieux n'est certes pas celui du totémisme !

    Mythe ou roman, le totémisme, tel qu'il nous est offert après avoir été décomposé par le prisme mental des spécialistes, mérite qu'on s'y arrête, ne serait-ce que pour ramener à leur valeur assez minime des conceptions souvent puériles et, parfois, franchement néfastes.

     Ces conceptions sont liées aux idées courantes sur la « mentalité primitive », de telle sorte qu'on en tire des conséquences aussi douteuses que ces mêmes idées, conséquences qu'on applique froidement à l'existence sociale et individuelle des civilisés d'aujourd'hui et d'hier, comme si elles découlaient de prémisses indiscutables.

     La religion même est prise à partie et, il faut l'avouer, il ne semble pas que ses docteurs aient bien compris sur quel terrain dangereux l'on cherche à les entraîner, si l'on en juge par la timidité et le manque d'à-propos de leurs réactions à quelques exceptions près.

      Un Salomon Reinach pouvait retrouver du « totémisme » chez les Celtes (mais où n'en retrouvait-il pas ?), tandis que Durkheim voyait en lui le point de départ de toutes les religions. Ces théories, dira-t-on, sont en partie périmées. Soit ! Est-ce à dire que les théories plus récentes, à commencer par celles de Freud, marquent un progrès sensible sur les précédentes ? Nous ne le pensons pas.

     C'est pourquoi sans entrer dans les infinis détails d'un sujet dont la seule bibliographie remplirait un gros volume, nous en considérerons quelques aspects essentiels, avec le seul souci de montrer la faiblesse des théories « explicatives » et l'ingéniosité un peu... inquiétante de leurs auteurs. Nous nous attacherons principalement au plus inquiétant de tous, nous voulons dire S. Freud. Sans références spéciales, c'est à son ouvrage Totem et Tabou (Payot 1924) que nous emprunterons citations et résumés. Chacun pourra s'y référer.

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QU'EST-CE QUE LE TOTÉMISME 




     Le bon sens indique qu'on ne peut fournir une explication générale valable pour un groupe de phénomènes avant d'avoir démontré qu'ils sont apparentés, d'avoir situé leur place dans le phénoménisme universel et d'en avoir fourni une définition satisfaisante.

     Si nous interrogeons les spécialistes, nous constatons leur parfait désaccord quant à la définition même du totémisme.

     Pour Van Gennep, le totémisme est caractérisé par la croyance en un lien de parenté qui lierait un groupe humain et une catégorie d'objets ou une espèce animale et végétale. Cette croyance s'exprime par des rites (cérémonies d'agrégation au groupe totémique, danses rituelles, etc.) et, négativement, par des tabous ou interdictions. Socialement, elle implique une réglementation matrimoniale particulière (exogamie). De plus, le groupe totémique ou clan porte le nom de son totem.

     Salomon Reinach, lui, nous fournit l'analyse suivante : Le totémisme est caractérisé par le respect et la sollicitude dont le groupe totémique entoure son animal totem, qu'il évite de tuer et de manger.

     Lorsque la nécessité entraîne à tuer un animal de l'espèce totem, des cérémonies spéciales visent à atténuer la violation du « tabou » ou, si l'on veut, du code d'obligations mutuelles existant entre le clan et son totem. Lorsque l'animal est sacrifié rituellement, il est solennellement pleuré. Dans certaines cérémonies, les membres du clan revêtent la peau de leur totem. Des tribus et des individus se donnent des noms d'animaux totem et ces animaux leur servent d'armoiries dont ils ornent leurs armes, leurs demeures ou leur peau (tatouage).

      Même si le totem est un animal dangereux, il est admis qu'il épargne les membres du clan portant son nom. Il les défend et les protège, il annonce l'avenir à ses fidèles et leur sert de guide. Enfin, les membres d'une tribu totémiste croient souvent qu'ils sont rattachés à l'animal totem par les liens d'une origine commune.

     Frazer dit à peu près les mêmes choses, ajoutant seulement que les membres d'un clan totémique se considèrent comme frères et sœurs, que les liens totémiques sont plus forts que les liens de famille et ne coïncident pas avec eux, le totem se transmettant généralement en ligne maternelle, d'où ce tabou : les membres d'un même clan totémique ne doivent pas contracter d'union entre eux (exogamie).

     W. Wundt résume ainsi les éléments du totémisme qui lui paraissent être primitifs : « Les totems n'étaient primitivement que des animaux et étaient considérés comme les ancêtres des tribus ; le totem ne se transmettait héréditairement qu'en ligne maternelle ; il était défendu de le tuer ; il était interdit aux membres d'un totem de contracter mariage avec des membres du sexe opposé reconnaissant le même totem ».

     Il saute aux yeux que nous sommes là en présence de descriptions plutôt que de définitions. Et ces descriptions ne concordent que partiellement. Nous verrons plus loin que l'on est très divisé sur la question, pourtant capitale, du rattachement de l'exogamie et des interdictions matrimoniales au système primitif du totémisme.

     Mais, au fait, qu'est-ce qui est vraiment « primitif » dans le totémisme ? Là-dessus, tous se chamaillent pour n'aboutir qu'à des suppositions (27). Et ce totémisme lui-même, quelle est son origine ? Est-ce la plus ancienne forme du phénomène religieux ? Et s'il l'est, pourquoi n'en trouve-t-on de traces certaines qu'en Australie, dans quelques régions de l'Inde, chez les Peaux-Rouges et peut-être en Afrique du Sud ? Il ne correspond donc pas forcément à l'une des premières étapes de la « civilisation humaine » !

     D'autre part, des spécialistes aussi écoutés que Frazer nient tout rapport interne entre totémisme et religion. Pour le Père Mainage, le totémisme, loin d'être primitif serait une création relativement récente et serait tout ensemble « une dépravation de l'instinct religieux sous l'influence de la magie et une forme d'organisation sociale ». Cette opinion n'est pas partagée par tous les savants. Nombreux sont, au contraire, ceux qui pensent comme M. Monod-Herzen (Essai sur le totémisme soudanais R. H. R. 1937) que les peuples aujourd'hui civilisés chez qui l'on ne retrouve pas de traces du totémisme « ont pourtant eu pour ancêtres des groupes primitifs qui possédaient très probablement des totems. » Wundt est plus affirmatif : « Nous pouvons admettre, sans risquer de trop nous écarter de la vérité, que la culture totémique a constitué partout une phase préparatoire du développement ultérieur et une phase de transition entre l'humanité primitive et l'époque des héros et des dieux ».

     En somme le totémisme est récent, à moins qu'il ne soit très vieux. Il est un phénomène fortement localisé, sauf s'il représente une des premières étapes du développement culturel de l'humanité entière. Il est à l'origine des religions, à moins qu'il n'en soit une déviation ou qu'il n'ait rien de commun avec elles. On le rencontre chez des « primitifs », lesquels « primitifs » sont peut-être de simples dégénérés. Enfin, il possède avec l'exogamie un lien que les uns, disent accidentel et les autres essentiel.
Tel est le dernier mot de la science...

     On conçoit aisément, d'après le peu qui précède, que les théories explicatives accusent des divergences telles qu'on puisse demeurer sceptique devant les affirmations des spécialistes, quelles qu'elles soient.

     Ceux-ci, d'ailleurs, savent parfaitement à quoi s'en tenir sur le degré de certitude de leurs propres opinions à cet égard. André Lang (Secret of the Totem) note que « nous ne trouvons nulle part un homme absolument primitif, ni un système totémique en voie de formation » ; il admet que les formes originelles du totémisme et de l'exogamie ont disparu en même temps que les conditions de leur formation, si bien que nous en sommes réduits à suppléer aux FAITS qui manquent par des HYPOTHÈSES et des CONJECTURES.

     Me Lennan, auquel nous devons la découverte de l'exogamie et du totémisme s'interdit toute hypothèse. Honneur à ce sage ! Pour Keane (Ethnology) le totem aurait eu pour point de départ les armoiries héraldiques. C'est aussi l'opinion de Max Muller pour qui le totem aurait été d'abord un insigne de clan, ensuite un nom de clan, enfin le nom d'un ancêtre du clan ou d'un objet vénéré par le clan.

     C'est ce qu'on pourrait appeler la théorie de l'origine pictographique du totémisme. Elle rentre dans ce que les spécialistes appellent la thèse, nominaliste : Une fois que les sauvages se sont donné le nom d'un animal, ils en ont déduit l'idée d'une parenté avec cet animal (Pikler).

     A. Lang élude la question de savoir pour quels motifs les tribus primitives se sont donné des noms d'animaux. Les noms existent L'origine en est oubliée. Or, pour le primitif, le nom est une des parties essentielles d'un être. Portant le même nom qu'un animal, le primitif a établi un lien entre cet animal et lui. Quel autre lien aurait-il pu concevoir. [suivant Lang, bien entendu] si ce n'est un lien de sang ? De là découlent toutes les prescriptions totémiques, exogamie y comprise, comme conséquences directes du « tabou du sang ».

     Voici quelques autres sons de cloche (car on doit vraiment renoncer à résumer les quelque cinquante ou soixante explications proposées) :

     Le totémisme n'est qu'une « hypertrophie de l'instinct social » (S. Reinach).

     Le totem incarnerait la collectivité qui, sous ses espèces, serait l'objet du culte rudimentaire qui lui est rendu et qui constituerait la forme la plus primitive de la religion (Durkheim).

     Haddon, lui, découvre le totémisme « économique » : Chaque tribu primitive consommait une seule espèce d'animaux ou de plantes et en faisait commerce. Elle fut donc désignée par le nom de son animal nourricier. D'autre part, l'interdiction de manger de l'animal-totem aurait pour but (humanitaire, sans doute !) d'en permettre la consommation à tous les autres clans, à titre de réciprocité.

     Faut-il citer encore la thèse « conceptionnelle » ? Les théories de Robertson Smith sur l'assimilation du repas totémique aux différents sacrifices religieux, thèse dont l'aboutissement logique est de faire finalement de la communion chrétienne une simple survivance totémique ? On verra plus loin comment Freud a repris ces idées et ce qu'il en a fait. Pour l'instant soulignons quelques points.

     Des tribus pratiquant le totémisme connaissent l'exogamie, mais d'autres l'ignorent, ce qui rend bien douteux un lien organique entre ces deux institutions, comme le reconnaît explicitement Frazer. Cette exogamie même, on nous la présente volontiers comme une conséquence de la « phobie de l'inceste ». Ce qui n'empêche pas les Indiens Kwakiutis de pratiquer le mariage, de, préférence, à l'intérieur du clan, tandis que leurs voisins s'y refusent.

     Le « repas totémique » lui-même, autour duquel on a mené grand bruit depuis la découverte de la cérémonie de l'Intichiuma chez les Aruntas d'Australie, ne se rencontre pas assez fréquemment pour qu'on puisse en tirer des conclusions valables. On oublie trop, d'ailleurs, hypnotisé qu'on est par le totémisme animal, que le totem peut aussi bien être une pierre, un arbre, un objet ou un phénomène météorologique. Rien qu'en Australie, Howitt a relevé comme totems : La pluie, la gelée, la lune, le vent, l'automne, l'hiver, certaines étoiles, le tonnerre, la mer, etc... On ne voit pas très bien les clans porteurs de ces totems communier sous ces espèces assez peu nourrissantes ou s'imaginer qu'un « lien du sang » les relie aux saisons, au bruit du tonnerre ou aux lueurs des éclairs...

     Notons encore que le totémisme ne se présente avec la plupart des caractères qu'on croit devoir lui reconnaître que parmi les tribus australiennes, tribus fortement isolées de tous les autres peuples, à tous points de vue : type physique, institutions, civilisation (dont ils représentent le plus bas échelon connu), languie, etc...

     En admettant que ces malheureux Australiens appartiennent vraiment à l'espèce humaine proprement dite - ce qui est un point à débattre - comment peut-on admettre que leurs circonstances puissent être érigées en norme universelle et leur stade d'évolution en stade « infantile » type de l'humanité ? Du coup, le fameux mythe (moderne et scientifique) de la « tribu primitive », que nous retrouverons plus loin, perd sa dernière chance d'être pris au sérieux par des gens capables de raisonner par eux-mêmes !

     Aux trois questions : Qu'est-ce que le totémisme ? Quelle est son origine ? Quels sont les faits qu'on peut y rapporter à coup sûr ?, la Science n'apporte aucune réponse ferme et les savants se gourment à qui mieux mieux, en se bombardant d'in-folios et d'in-octavos, bourrés de suppositions contradictoires !

     C'est évidemment leur droit. Mais qu'ils se permettent, ensuite, de faire de ces suppositions des arguments et de ces hypothèses des axiomes, à seule fin de jeter bas les fondements de la vie religieuse et spirituelle des peuples, voilà le scandale un scandale qu'il importe de faire cesser ! La science véritable (toujours modeste et prudente) n'y perdra rien, bien au contraire.

     Si l'on n'avait pas été obnubilé par le mirage du « primitivisme », ni influencé par l'idée préconçue d'une commune origine des races humaines, on aurait peut-être vu un peu plus clair dans la question du totémisme. Peut-être se serait-on aperçu également qu'au lieu du totémisme-arché type qu'on prétend reconstituer (sans même être sûr qu'il ait une fois existé), il existe des totémismes distincts selon les races et les lieux, qui ne sont que des cas particuliers de certaines conceptions démonologiques, relevant de la sorcellerie fruste plus que de la religion à proprement parler. En d'autres termes, ce sont des points de vue distincts mais rattachés à la théorie générale des « signatures » dont nous ignorons aujourd'hui à peu près tout.

     Les Anciens, en outre, qu'on les considère ou non comme des « primitifs », enseignaient que toutes les parties de la création étaient liées par des lois précises ou encore, selon l'adage bien connu, que tout était en tout. Ils professaient que le monde visible et invisible grouillait d'êtres plus ou moins dangereux, plus ou moins puissants, et que l'homme pouvait se mettre en rapports avec eux sous certaines conditions, afin de s'en faire des alliés, de les adoucir s'ils étaient à craindre et de les bien disposer à son égard s'ils en étaient susceptibles.

     Dans la conscience, parfois assez obscure mais étonnamment intuitive, de ceux qui pratiquent ou ont pratiqué un de ces modes d'alliance avec les forces de la nature qu'on classe aujourd'hui sous l'étiquette : « totémisme », il existe dans l'animal, la plante, l'homme, etc... des forces infernales qui peuvent se manifester de façon préjudiciable (ou favorable) à ceux qui les avoisinent. Pour primitive qu'on la suppose, cette conception n'est pas plus improbable qu'une autre. Nous ne la discuterons pas ici. L'homme capable de se mettre en relation avec de telles forces, c'est le sorcier, le griot, le shaman, l'homme de la Médecine. Il s'en sert pour arriver à ses fins. Éventuellement, il « lie » les forces génétiques - dont tel groupe animal ou végétal est l'expression pour ainsi dire « figée » - à tel groupe tribal, en vertu de « correspondances » dont il est seul juge. La clé de ces correspondances nous échappe. Rechercher son principe nous entraînerait trop loin, car il faudrait d'abord remonter aux origines des humanités terrestres. La Bible (en particulier la Genèse) contient là-dessus quelques allusions aujourd'hui mal comprises, qu'il est inutile de relever ici.

     Tel est un des, aspects (il y en a d'autres) du problème totémique. Nous n'irons pas plus avant dans cette voie car il nous semble superflu d'ajouter, aux cinquante solutions proposées, une cinquante et unième, qui ne s'appliquerait d'ailleurs avec quelque justesse qu'à un seul des nombreux systèmes qu'un maladroit esprit de généralisation groupe tant bien que mal sous le vocable totémisme.

     Il suffit de citer l'opinion de Dim Delobson (Les Secrets des Sorciers noirs ; Nourry 1934) à propos du lion-totem des Nabas de Sao, qui a élu pour domicile un bois sacré près du village de Ghin : « Il n'est peut-être pas sans intérêt de dire que si, d'une façon générale, on croit, au Mossi, que la mort d'un animal totem est aussi cause de la mort d'une personne, il n'est pas moins certain que c'est, croyons-nous, par simple reconnaissance d'un service rendu que certaines catégories d'animaux... sont l'objet d'une vénération spéciale. »

     Dans son Essai sur le Totémisme soudanais (R. H. R. 1937), M. Monod-Herzen parle du totem ou tana acquis, commémorant « un événement passé où l'être choisi pour tana a joué, pour le chef de famille, un rôle décisif ».

     Cette rencontre avec Dim Delobson n'a rien de fortuit mais on conçoit que cette forme de totémisme s'écarte assez de la définition classique pour que Van Gennep continue à mettre en doute l'existence du totémisme vrai au Soudan.

     Quant au totem du clan, Monod-Herzen l'explique ainsi : « chaque catégorie de vie anime des êtres de divers règnes. Cela crée entre ces règnes des liens de parenté spirituelle qui sont les liens totémiques. En d'autres termes, la vie qui anime maintenant un clan donné animait autrefois des animaux de la même espèce que son totem actuel ».

     « Bien entendu, ajoute-t-il, chaque être a plusieurs totems, même s'il n'en connaît qu'un seul. Le totem des esprits de la nature est l'oseille de Guinée... le scarabée d'invulnérabilité a pour totem le potiron fleuri. »

     On peut voir par ces derniers exemples combien il est puéril de vouloir expliquer les diverses sortes de totémisme à l'aide d'une même formule et combien il est facile de prendre pour du totémisme des institutions totalement distinctes qui n'ont d'autre lien avec celui-ci que le fait d'utiliser comme emblème tribal ou symbole religieux des êtres du règne animal.

      À ce compte, en effet, où ne trouverait-on pas du totémisme ? Plus exactement, où n'en a-t-on pas déjà trouvé ? Rien n'y échappe : Les pièces héraldiques, la Louve romaine, le Coq gaulois, la Colombe du Saint-Esprit, l'âne de la crèche, Artémis comme « biche-totem » et Athéna, à titre de « chouette-totem », les quatre animaux d'Ézéchiel, le faucon Horus, tout cela a été intégré dans la ménagerie totémique, pêle-mêle avec le Bestiaire médiéval !

     S'arrêter en si beau chemin était difficile. Suivant la voie ouverte par Salomon Reinach, on ne s'est plus contenté de faire d'Orphée, par exemple, le petit renard-totem d'une quelconque tribu thrace ; on a mis à mal la symbolique animale (pourquoi pas le langage des fleurs ou celui des timbres-poste ?) et le moindre emploi allégorique ou métaphorique des noms et figures d'animaux a fourni de la copie à nos infatigables chasseurs de totems.

     Par exemple, rien, absolument rien ne prouve que les Celtes aient, à un moment donné, connu le totémisme. La notion leur en est étrangère, aucun terme connu ne l'exprime, et les légendes, si prolixes pourtant, de l'Irlande ne laissent rien supposer de tel. Certainement les tribus choisissaient un emblème ou un symbole qui leur paraissait adapté. De là au totémisme, il y a un monde. L'alouette gauloise représentait des qualités faciles à comprendre : gaîté, espoir, confiance - et aussi légèreté, - le sanglier, c'était le courage sombre, jusqu'à la mort ; le taureau, la force et la puissance, et ainsi de suite.

     Rien ne permet d'affirmer, comme l'ont fait certains, que l'animal représenté) ainsi l'était en qualité de totem. À ce compte, il faudrait disculper Ésope et La Fontaine du grief de totémisme et prendre pour des réminiscences de la trop célèbre « tribu primitive » les hyperboles poétiques de nos bardes d'autrefois et de nos poètes d'aujourd'hui, quand leur héros est un « taureau de bataille » ou leur héroïne un « cygne immaculé »...

     Inutile de poursuivre ces plaisanteries faciles. Constatons que le romancero totémique fait plus honneur à l'imagination qu'aux connaissances de ceux qui l'ont « poussé au noir » et que le mythe de la « tribu primitive » a pris naissance, dans un milieu scientifique et civilisé, où l'inconcevable candeur des uns servit merveilleusement les passions anticléricales des autres.

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LE TOTÉMISME SELON FREUD




     Dans ce concert, quelque peu discordant, une voix nouvelle s'éleva qui faillit bien couvrir toutes les autres. C'était celle de Freud.

     « L'homme de la préhistoire... est jusqu'à un certain point notre contemporain ; il existe encore des hommes que nous considérons comme étant beaucoup plus proches des primitifs que nous ne le sommes et dans lesquels nous voyons les descendants et successeurs directs de ces hommes de jadis. C'est ainsi que nous jugeons les peuples dits sauvages et demi-sauvages, dont la vie psychique acquiert pour nous un intérêt particulier, si nous pouvons prouver qu'elle constitue une phase antérieure, bien conservée, de notre propre développement.

     « Admettons que cette preuve soit faite ; entre la psychologie des primitifs et celle du névrosé... nous devons trouver de nombreux traits communs. »

     C'est en ces termes que, dès la première page de son livre, Freud pose la question totémique sur le terrain de la Préhistoire... contemporaine.

     Il l'aurait, du même coup, résolue si... il pouvait prouver que la vie psychique des peuples sauvages « constituait une phase antérieure de la nôtre ». Malheureusement, la petite phrase : « Admettons que cette preuve soit faite », constitue un escamotage en règle des arguments que le « si » précédent nécessitait. Et le dit escamotage montre bien que ni Freud, ni aucun de ceux qui ont traité avant lui la même question, n'ont pu apporter et pour cause ! - la moindre preuve à l'appui de leurs affirmations gratuites.

     « Voici le problème, nous disent-ils. Eh ! bien, supposons-le résolu ! » C'est évidemment très gentil, mais, pour peu qu'on y réfléchisse, on trouvera aussi cavalière que peu probante cette manière d'échafauder tout un système sur de simples suppositions, et pour tirer des conséquences avec le même flegme que si ces suppositions étaient des faits inattaquables.

     Et parmi ces « Préhistoriques modernes », ce sont justement les indigènes de l'Australie qui seront de Norme, malgré qu'ils soient considérés - Freud dixit - : « comme une race à part, sans aucune parenté.. physique ni linguistique avec ses voisins.. habitant le plus jeune des continents qui a conservé jusque dans sa faune des traits archaïques, introuvables ailleurs ».

     Ces « misérables cannibales nus » ont, il est vrai, un trait qui explique leur élection au grade d'Homo primigenus : « Il n'est pas certain qu'on trouve chez eux des traces d'une religion ». Voilà qui fait bien l'affaire de Freud !

     Mais où veut-il en venir ? Simplement à sa marotte bien connue. Le lien totémique empêche les rapports charnels entre membres du même clan, sans égard à la parenté consanguine, puisqu'un père du totem Kangourou peut avoir des rapports incestueux avec sa fille Emou, le totem se transmettant en ligne maternelle.

      Comment la famille réelle a-t-elle été remplacée par le groupe totémique ? À cette question Freud répond d'une façon assez dilatoire, sans se demander un instant si la « famille réelle » a jamais existé chez les Australiens. Il note que les désignations de parenté se rapportent « aux relations, non entre deux individus, mais entre un individu et un groupe »... Un homme « appelle père non seulement celui qui l'a engendré mais tout homme qui aurait pu épouser sa mère et devenir son père »... Les noms de parenté que deux Australiens s'accordent réciproquement ne désignent pas nécessairement une parenté de sang ; « ils désignent moins des rapports physiques que des rapports sociaux ». Et Freud d'aller rechercher chez Fison l'institution des « mariages de groupe » où un nombre donné d'hommes exerce des droits communs sur un nombre donné de femmes !

     Nous dirons plus simplement que ces traits ne sont pas tant « primitifs » qu'infra-humains. Freud confond famille et couple. Nos Australiens sont évidemment supérieurs aux animaux, aussi évidemment qu'ils sont inférieurs à tous les hommes des autres races, même aux plus arriérés.

     Ces humanimaux, pour leur restituer le nom qui leur convient, n'appartiennent pas à la race d'Adam et ne lui appartiendront jamais, pas plus que n'appartenait à notre race l'homme de Broken-Hill ou celui de La Chapelle-aux-Saints dont les analogies avec les crânes australiens sautent aux yeux. L'Australien n'est pas un Broken-HiIl ou un Pittdown « évolué », mais ceux-ci, comme celui-là, sont des représentants d'une espèce commune qui, à toutes les époques, depuis la fin du Tertiaire jusqu'aux temps modernes, coexiste avec l'espèce proprement humaine, l'Homo Sapiens, sans lui appartenir(28).

     Les rapports « sociaux » dont fait état Freud sont, à un degré un peu plus relevé, correspondants à la place des humanimaux dans l'échelle qualitative des êtres terrestres, ceux qu'un chat, par exemple, pourrait concevoir vis-à-vis de tous les mâles susceptibles de lui avoir servi de géniteurs. Encore, ici, doit-on clairement substituer le mot mâle au mot père !

     Aux antipodes de cette façon d'envisager les rapports matériels des consanguins (on n'ose vraiment pas ici parler de « famille » !) se trouve la conception du « pater », mot qui tient au passé le plus reculé, le plus « primitif » de notre race, et qui évoque avant tout la fonction sociale et juridique du père, du « protecteur » (tel est le sens étymologique de ce mot), fonction également religieuse, car le père était prêtre à son foyer.

     Chez nos ancêtres, soi-disant « primitifs », la famille, telle que nous l'entendons, la religion et la société, telles que nous les entendons, existaient déjà sous une forme dont on saisit - sans psychanalyse - les rapports logiques avec celle qu'elles ont aujourd'hui.

     Qu'avons-nous à voir et qu'avons-nous jamais eu à voir (on peut le demander à tout homme d'esprit sain), avec ces êtres semi-animaux, sans famille ni religion, sans parenté ethnique, linguistique, morphologique ou culturelle (si l'on peut parler de culture) avec nous ni avec nos ancêtres ? (29).

     C'est pourtant à eux que va s'adresser notre psychologue pour leur demander la clé de nos propres énigmes, comme d'autres, qui ont eu leur heure de célébrité, ont été la demander aux grands simiens. Telle est la déraison de la raison humaine lorsqu'elle a perdu de vue son principe et ses fins !

     La fragilité des premières assises sur lesquelles Freud prétend édifier sa théorie, enlève à celle-ci, d'ores et déjà, toute valeur autre que celle d'une hypothèse passablement risquée.

     Mais, stimulé par son génie (ou son démon) libidinal, notre homme n'a cure de toutes les invraisemblances qu'il accumule, tant il a hâte d'en arriver à ses conclusions favorites :

     « On retrouve dans I'Œdipe-complexe les commencements à la fois de la religion, de la morale, de la société et de l'art, et cela en pleine conformité avec les données de la psychanalyse qui voit dans ce complexe le noyau de toutes les névroses. »

     On sent bien qu'il exulte et que, pour lui, ce sont ces conclusions qui importent vraiment.

     Salir et détruire, voilà sa Norme, voilà, dirons-nous dans son jargon, sa « névrose obsessionnelle » ou son « complexe d'angoisse », et, dans le nôtre, moins « scientifique », le but du démon qui l'obsède.

     Au fond, la science, en tout ceci, n'est qu'un prétexte : le vrai, le vivant, c'est une haine sournoise du Christianisme d'abord ; de toutes les valeurs spirituelles, morales et sociales reconnues par notre race, ensuite.

     Il n'est vraiment pas utile, au point où nous en sommes arrivé, de faire porter une critique systématique et minutieuse sur des théories qui ne peuvent être que fausses, puisqu'elles reposent sur un substrat irréel.

     Pour prouver l'existence de son fameux complexe d'Œdipe, Freud n'a guère à nous offrir que des cas exceptionnels, recueillis - notons-le - chez des civilisés et non chez des « sauvages ». Ce sont des cas d'enfants essentiellement anormaux, névrosés, pervers ou pervertis. Soutiendra-t-on que les primitifs sont des anormaux ou des névrosés ? En fait, n'est-il pas plus logique d'admettre que c'est notre monde moderne, avec sa vie artificielle et trépidante, qui constitue bien plutôt le milieu idéal de culture des névroses et des déviations du sens génésique ?

     Pour Freud, tout est limpide :

     Le totémisme et l'exogamie « coïncident quant à leur contenu, avec les deux crimes d'Œdipe, qui a tué son père et épousé sa mère, et avec les deux désirs primitifs de l'enfant » [parricide et inceste].

     « L'animal totémique n'est autre que le père »... « Un jour [dans la fameuse horde primitive où le père paillard et tyrannique expulsait les fils, futurs concurrents] les frères chassés se sont réunis, ont tué et mangé le père... qu'ils haïssaient tout en l'admirant. Après l'avoir supprimé, après avoir assouvi leur haine et réalisé leur identification avec lui, ils ont dû se livrer à des manifestations d'une tendresse exagérée... Ils le firent sous la forme du repentir... Le mort devenait plus puissant qu'il ne l'avait jamais été de son vivant. Ce qu'il avait empêché autrefois, les fils se le défendaient à présent, en vertu de cette « obéissance rétrospective »... que la psychanalyse nous a rendue familière. Ils désavouaient leur acte et renonçaient à en recueillir les fruits en se détournant des femmes qu'ils avaient libérées. »

     Le petit roman de la « horde primitive » une fois forgé - encore que rien n'excuse cette façon, bien peu positive, de faire d'une simple vue de l'esprit la pierre angulaire d'un système à prétentions scientifiques -, il s'agissait de démontrer que nous sommes tous responsables et portons tous l'empreinte indélébile d'un processus psychique inhérent à une faute commise, on ne sait où ni quand, par une tribu hypothétique. On s'y est employé de son mieux. Il est évident que la transmission des activités psychiques à travers les générations suppose une théorie de l'atavisme psychique, parallèle à celle de l'atavisme physiologique. Et, à la base, il faut admettre nécessairement que toutes les races humaines sortent, sans exception, de la horde présupposée !

     Or, scientifiquement, aucune certitude concernant l'unité originelle des humains n'est acquise. Nous sommes donc, avec Freud, en présence d'un postulat extra-scientifique. Ce mécréant, cet athée, ce savant n'en appelle pas à notre raison mais à notre foi. Il n'énonce pas une vérité de fait, mais promulgue un dogme !

     Écoutons ce pontife :

     « Il n'a échappé à personne que nous postulons l'existence d'une âme collective dans laquelle s'accomplissent les mêmes processus que ceux ayant lieu dans l'âme individuelle. Nous admettons en effet qu'un sentiment de responsabilité a persisté pendant des millénaires... se rattachant à une faute tellement ancienne qu'à un moment donné les hommes n'ont plus dû en conserver le moindre souvenir. »

     Donc la mémoire, liée à la continuité de la vie psychique, serait l'apanage de l'âme collective (autre notion extra-scientifique), les âmes individuelles n'ayant d'autre durée que celle de la vie organique du corps qu'elles animent un court moment.

     Nous sommes ici en pleine théologie (encore que celle-ci ne postule pas de « Théos »). Cette âme collective survient ici, deus ex machina, non par suite d'un raisonnement suivi ou de quelque nécessité interne, mais en vertu de la nécessité tout externe où Freud se trouvait, fût-ce au prix d'une concession « animiste », de jeter, coûte que coûte, un pont quelconque entre un passé aussi lointain qu'hypothétique et un présent sur lequel ce passé était censé influer encore.

     Au point de départ, une supposition gratuite : la horde primitive ! Au point d'arrivée, autre supposition contestable : le parricide et l'inceste considérés, sinon comme un des Beaux-Arts, du moins comme le ressort interne du psychisme de tout homme venant en ce monde ! Entre ces deux points, autre supposition « bouche-trou » : l'inconscient collectif !

     On voit qu'en fait de robustesse, la foi du psychanalyste n'a rien à envier à celle du charbonnier !....

*
*    * 

     Car c'est bien d'une « foi » qu'il s'agit. Foi négative si l'on veut mais nécessaire, là où la science se tait, là où la philosophie hésite. Nécessaire aussi par le but final que le plus simple pourrait maintenant pressentir : La destruction des valeurs morales et spirituelles de l'Occident, valeurs inséparables du Christianisme ! Suivant le mot connu, on ne détruit vraiment que ce qu'on remplace. C'est pourquoi l'élément fidéiste est, pour les fins visées par Freud et ses inspirateurs, un des meilleurs atouts de leur jeu.

     Lorsqu'ils substituent à la notion chrétienne du péché originel, celle du « complexe d'Œdipe » ; lorsqu'ils identifient l'Eucharistie avec le « repas totémique » ; lorsqu'ils remplacent notre Père céleste par le « père primitif », ils montrent leur vrai visage de hérauts de l'Antéchrist.

     Dans le domaine social, même effort pour saper les anciennes valeurs et, en particulier, la piété filiale, le respect dû aux ancêtres, la sainteté du foyer, la responsabilité morale des consciences individuelles.

     Écoutons encore Freud :

     « Nous attribuons l'immutabilité et l'indestructibilité non aux processus conscients, mais aux inconscients... » 

     Ici, toute morale s'évanouit, toute responsabilité individuelle se dissout, et le monde social retourne au chaos !

     Autre chose :

     Pour Freud, le « tabou » est « une prohibition très ancienne, imposée du dehors (par une autorité) et dirigée contre les désirs les plus intenses de l'homme », de même ordre que « la prohibition obsessionnelle du névrosé », « dont les prescriptions fondamentales sont inaccessibles à notre analyse, parce qu'elles se rattachent au totémisme ». Si cette dernière proposition était exacte et si le « mythe » de la horde primitive méritait le plus faible crédit, on devrait partout retrouver des « tabous » conformes à la description donnée. C'est justement ce qui n'arrive pas. On s'en tire, comme toujours, avec la petite phrase soulignée plus haut : ça remonte trop loin et c'est « inaccessible à notre analyse ».

      Il est remarquable que, dans le monde celtique le plus ancien, les prohibitions-tabous offrent des caractères qui permettent de faire justice, en ce qui concerne nos ancêtres, des fantaisies paratotémiques de Freud. On s'en serait déjà douté en considérant que le totémisme, tel que notre docteur l'entend, n'a pas laissé chez nous de traces perceptibles - si jamais il a existé, ce dont on peut fortement douter. La liaison tabou-totem devient, de ce fait, une hypothèse sans fondement.

     La littérature celtique nous montre différentes sortes de tabous « imposés du dehors ». Quand on les regarde d'un peu près, on constate qu'ils se réduisent à des incantations, à des épigrammes, à des malédictions. L'exemple typique est le suivant : un barde est mal reçu chez un chef. En le quittant, il lui décoche d'un trait le tabou inclus dans l'épigramme vengeresse qu'il compose et qui est, au fond, un chant magique. Quant aux « tabous linguistiques » dont on a fait un peu trop de cas (30), ils n'ont rien à voir avec le totémisme, pas plus d'ailleurs, qu'avec l'« ambivalence des sentiments ».

     Ce n'est qu'un cas du procédé bien connu qu'on nomme euphémisme : les Furies redoutées sont décorées du nom, moins rébarbatif, d'Euménides, tandis que, plus près de nous, une opération chirurgicale devient la plus discrète des « interventions », et que l'épouvantail : « dévaluation du franc », se transforme en la séduisante poupée : « alignement de la monnaie » !...

     Mais Freud, lui, tient à son idée, d'autant plus que les prescriptions « tabou » lui permettent de débrider un peu son imagination sadique :

     « Chacun envie le roi ou le chef pour ses privilèges ; et il est probable que chacun voudrait être roi. Le cadavre, le nouveau-né, la femme dans ses états de souffrance attirent, par leur impuissance à se défendre, l'individu qui vient d'atteindre sa maturité et qui y voit une source de nouvelles jouissances. C'est pourquoi toutes ces personnes et tous ces états sont tabous ; il ne convient pas de favoriser, d'encourager la tentation. »

     Personne n'enviera le Pontife de la psychanalyse pour le triste privilège qu'il possède - moderne Midas - de transformer tout ce qu'il touche en boue et en sanie !...

     Et ces rêveries malsaines et prétentieuses, nous l'avons déjà dit, aboutissent en fin de compte à un « éreintage » perfide de la religion chrétienne :

     « Le sacrifice divin théo-anthropique... projette une lumière crue sur le passé et nous révèle le sens des formes de sacrifice plus anciennes. Il nous montre... que l'objet de l'acte du sacrifice était toujours le même, celui qui est maintenant adoré comme un dieu, c'est-à-dire le père. La question des rapports entre sacrifices animaux et sacrifices humains trouve maintenant une solution simple. Le sacrifice animal primitif était déjà destiné à remplacer un sacrifice humain, la mise à mort solennelle du père, et, lorsque cette représentation substitutive du père eut recouvré les traits humains, le sacrifice animal put se transformer de nouveau en un sacrifice humain...

     « Admettons maintenant comme un fait que, même au cours de l'évolution ultérieure des religions, les deux facteurs déterminants, sentiment de responsabilité du fils et son sentiment de révolte, ne disparaissent jamais...

     « De plus en plus se fait jour la tendance du fils à prendre la place du dieu-père. Avec l'introduction de l'agriculture, l'importance du fils dans la famille patriarcale augmente. Il se livre à de nouvelles manifestations de sa libido incestueuse qui trouve une satisfaction symbolique dans la culture de la terre maternellement nourricière. On voit alors apparaître les figures divines d'Attis, Adonis, Tammuz, etc., à la fois esprits de la végétation et divinités juvéniles, qui jouissent des faveurs de divinités maternelles et se livrent, à l'encontre du père, à l'inceste maternel...

     « Lorsque le christianisme a commencé à s'introduire dans le monde antique, il s'est heurté à la concurrence de la religion de Mithra... Le visage inondé de lumière du jeune dieu perse nous est cependant resté incompréhensible. Les légendes qui représentent Mithra tuant des bœufs nous autorisent peut-être à conclure qu'il figurait le fils qui, ayant accompli tout seul le sacrifice du père, a libéré les frères du sentiment de responsabilité qui les oppressait à la suite de ce crime. Il y avait une autre voie pour supprimer ce sentiment de responsabilité, et cette voie, c'est le Christ qui l'a suivie le premier : en sacrifiant sa propre vie, il libéra tous ses frères du péché originel... Dans le mythe chrétien, le péché originel résulte incontestablement d'une offense envers Dieu le Père. Or, lorsque le Christ a libéré les hommes de la pression du péché originel, en sacrifiant sa propre vie, nous sommes en droit de conclure que ce péché avait consisté dans un meurtre... Et lorsque ce sacrifice de sa propre vie doit amener la réconciliation avec Dieu le Père, le crime à expier ne peut être autre que le meurtre du père... Mais ici se manifeste une fois de plus la fatalité psychologique de l'ambivalence. Dans le même temps et par le même acte, le fils, qui offre au père l'expiation la plus grande qu'on puisse imaginer, réalise ses désirs à l'égard du père. Il devient lui-même dieu à côté du père ou, plus exactement, à la place du père... Et pour marquer cette substitution, on ressuscite l'ancien repas totémique, autrement dit on institue la communion, dans laquelle les frères réunis goûtent de la chair, et du sang du fils, et non du père, afin de se sanctifier et de s'identifier avec lui... Mais la communion chrétienne n'est, au fond, qu'une nouvelle suppression du père, une répétition de l'acte ayant besoin d'expiation. »

     Ce n'est pas avec des pincettes, mais avec l'instrument cher au père Ubu qu'il faudrait manier ce texte fangeux et légèrement ahurissant !
     On peut tout au moins conseiller à notre docteur de se renseigner, fût-ce sommairement, avant de faire le procès d'une religion qu'il a l'air d'ignorer tout autant que celle de ce Mithra « au visage inondé de lumière » qui lui est cependant « resté incompréhensible » - et pour cause !

     On ne peut que lui assurer que l'Eucharistie n'est pas un rite totémique - et le sacrifice rituel d'un animal consacré aux dieux, pas davantage.
     Mais on sent bien que toute discussion est ici inutile, car il est difficile de prouver à un aveugle qu'il fait clair en plein jour.

     Au surplus, tous les sophismes du monde ne peuvent prévaloir contre le bon sens qui veut - jusqu'à nouvel ordre sans doute - que d'un principe faux on ne puisse tirer que des conclusions fausses et de douteuses, d'un principe douteux.

     La passion anticléricale explique, mais n'excuse pas, l'escroquerie intellectuelle par laquelle un Monsieur abuse du titre de savant, dont il se prévaut, pour donner plus de poids à des théories qui n'ont avec la science, la vérité et le bon sens que des rapports assez fortuits.

     Quand ces théories, plus que discutables, visent à tout subverser dans le domaine social comme dans le domaine religieux, le Monsieur en question est un malfaiteur, conscient, semi-conscient ou inconscient. À moins qu'il ne soit, à son insu, le plus bel échantillon de ces névrosés et de ces obsédés qu'il croit voir partout.

     Après ce rapide examen d'une question complexe, une conclusion s'impose-t-elle ? Il nous semble que chacun saura la tirer pour son compte.

     Mais il est une autre conclusion, d'ordre beaucoup plus général - et d'un plus vif intérêt - qu'on nous permettra de présenter.

     C'est un appel pressant à la plus légitime vigilance, à la plus saine défiance, envers les théories et les ouvrages tendancieux qui se réclament de la « Science ».

     En fait de « science », nous avons les opinions de tel ou tel, les systèmes échafaudés par celui-ci ou par celui-là, ni plus ni moins « définitifs » que ceux qu'ils supplantent et que ceux qui, très vite, les remplaceront.

     Rendons hommage aux vrais savants ; à leur labeur quand il est probe ; à leur ingéniosité quand elle n'est pas nocive, mais ne confondons jamais le savant, toujours faillible, avec la Science qui est le but qu'il se propose et non l'apanage dont il dispose.

     La multiplicité des théories « explicatives » du totémisme - toutes plus « scientifiques » les unes que les autres - en est la meilleure illustration.



Source ; http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/ASavoret/biograp.html





(1)La Mésaventure du Dr Jekyll et les Dangers du Freudisme.

(2) Les Théories de Freud et le Spiritualisme.

(3) On devrait dire : rêverie semi-lucide, s'apparentant par plus d'un trait à l'état de transe des spirites ou, mieux encore, à ce que les magnétiseurs désignent sous le nom d'état de crédulité, dans la suggestion à l'état de veille. Pour être ici, le plus souvent, involontaire, cette suggestion n'en existe pas moins. La distance est mince entre l' « orientation d'un interrogatoire-confession » et la suggestion proprement dite.

(4) La plupart de nos citations seront empruntées à la Revue Française de Psychanalyse, année 1928.

(5)Et c'était d'ailleurs très suffisant, en général.

(6) Nous reviendrons plus tard sur ce point de la plus haute importance : la nécessité, pour le psychanalyste, de se soumettre d'abord à une « cure » psychanalytique. Comme on le voit, ce n'est pas une science qui s'acquiert, c'est un sacerdoce (et quel !) qui se transmet par la vertu d'une ordination à rebours : l'analyse.

(7)Donc le « bonheur » réside dans une analyse réussie... Que ne le vendent-ils en foire !

(8) On voit ici passer le bout de l'oreille : le pédagogue nouvelle manière se substitue doucettement au père, à la mère et à l'éducateur religieux. Il est père-mère-frère-confesseur, mais on préférerait lui voir enseigner, comme ses prédécesseurs, la lecture, l'écriture et le calcul qui ont au moins cet avantage d'être dans ses attributions !

(9) Ce qui s'appelle proprement enfoncer une porte ouverte car, avec ou sans « école-communauté », un tel résultat a toujours été et sera toujours obtenu par de bons éducateurs. Quant aux médiocres, ce n'est tout de même pas la Grâce psychanalytique qui les métamorphosera, du jour au lendemain ; tout au plus accroîtra-t-elle dangereusement le champ de leur malfaisance.

(10) La phrase n'est pas aussi anodine que pourrait le supposer un « non-initié », ignorant les idées très spéciales que se font les psychanalystes sur ce qui constitue l'essence des rapports de fils à père.

(11) Ce qui doit signifier, sauf erreur, que les malheureux maîtres « ancienne manière », qui formèrent des générations de braves gens, devaient être la cible... libidinale de leurs élèves...

(12) On ne saurait plus mal choisir ses exemples. Chacun sait que ce n'est pas la fraternité qui domine, en règle générale, dans les rapports entre membres des communautés religieuses. Quant à l'armée, où se forment souvent, en effet, des liens de fraternité, surtout en temps de guerre, ces liens n'ont rien à voir avec l'action personnelle des chefs : ils se forment en dehors d'eux ; ils n'y président pas ; leur départ et leur remplacement par d'autres chefs ne les affectent guère. Les rapports du chef avec ses hommes sont une chose, ceux des hommes entre eux, à égalité de grade, en sont une autre. 
Lorsqu'une unité réelle se fait autour d'un chef (d'un vrai chef, bien entendu), ce n'est pas en vertu de sa connaissance ou de sa méconnaissance des lois de la psychanalyse, ce n'est pas par la grâce de la libido (qui ne pourrait former que des liens de complicité) ; c'est parce que ce chef est un homme, un caractère, une volonté et que ses inférieurs en ont conscience. Règle générale : l'inférieur est un juge impitoyable, peu enclin à l'indulgence et sa confiance, quand il la donne, est toujours fortement motivée. Inutile d'ajouter que ces motifs ne relèvent ni de la « psychologie » même « collective », ni de la pédagogie... et moins encore de la psychanalyse.

(13) Voir S. Freud « Totem et Tabou » où ce parallèle est exposé dans ses détails.

(14) Voici donc une « science » qu'on fait reposer tout entière sur un mauvais roman-feuilleton « préhistorique », que rien ne justifie et qui n'a même pas le mérite de la vraisemblance. Décidément ces « libres-penseurs » sont doués d'une foi (ou plutôt d'une crédulité) singulièrement robuste !

(15) Notons qu'ils auraient pu commencer par là, ce qui leur aurait évité du coup mœurs inversives, parricide, anthropophagie, indigestion... et même remords. Mais, voilà : le petit roman sadico-authropophagique, si péniblement élaboré, n'aurait plus de raison d'être !

(16) Ou de licence. C'est la vieille formule : « Ni Dieu ni maître », ou plus exactement : « Ni Dieu ni père », mais, pour combler un vide aussi abyssal, un maître-chef-conducteur, psychanalyste et Copromane, quelque chose comme un sous-Méphistophélès pour élèves internes !

(17) En ce qui concerne l'attitude anti-religieuse, il est au moins curieux de constater le touchant accord, quant au fond, entre le Juif Sigmund Freud et le superAryen Hitler. Et, justement, en matière de pédagogie. L'Agence Fournier (29 Avril) annonçait de Münich : 
« Le ministre bavarois de l'instruction publique vient de réglementer par un décret l'enseignement religieux dans les écoles. 
« Ce décret précise notamment que pour les enfants âgés de moins de douze ans, les parents ou ceux qui sont chargés de leur éducation, décideront si l'enseignement religieux doit être donné ou non. 
« Les enfants âgés de douze à quatorze ans ne pourront recevoir l'instruction religieuse que s'ils sont consentants et si l'avis des parents est favorable. 
« Quant aux enfants ayant dépassé quatorze ans, ils auront le droit de prendre librement une décision, quelle que soit la volonté des parents. 
« Cette mesure a provoqué une véritable consternation dans les milieux catholiques. » 
Tout commentaire affaiblirait la portée d'un tel texte.

(18) Il suffit de rappeler que notre pain blanc, notre sel blanc, notre sucre blanc ont été dépouillés, sciemment, des principes vitalisateurs et reminéralisateurs nécessaires à l'entretien de notre santé. 
Il est vrai qu'on peut se procurer séparément - et au prix fort - les éléments nourrissants soigneusement éliminés de notre alimentation courante. Ces « spécialités » coûteuses, d'ailleurs ignorées du plus grand nombre, sont une des hontes de notre époque. C'est le « progrès », paraît-il, qui veut que nous payions de plus en plus cher un pain de plus en plus appauvri et que nous récupérions, quand l'épuisement vient, les éléments nutritifs qu'il ne renferme plus, sous forme de spécialités vendues au poids de l'or.

(19) Tous les auditeurs connaissent, par exemple, une certaine réclame en faveur d'un produit revigorant dont les analogues, autrefois, n'étaient vantés que dans les vespasiennes !

(20) Et nous glisserons sur certains cas d'inconscience, moins rares qu'on ne pense, de parents qui se permettent sans retenue devant des enfants curieux et observateurs, des gestes et des actes qui mèneraient infailliblement des étrangers sur les bancs de la correctionnelle...

(21) Jacques Heugel : La Mésaventure du Dr Jekyll et les Dangers du Freudisme (Revue PSYCHÉ, 1933).

(22) « La psychanalyse porte... de préférence sur les tendances et les désirs avec lesquels la conscience n'a jamais pactisé ; c'est ceux-là, en effet, qui seront le plus violemment refoulés. L'examen de conscience (du chrétien) n'a pas à pénétrer dans cette zone pour atteindre son but, qu'il soit fait en vue de la confession ou non... Personne ne doit chercher quelles formes cachées cette corruption a prises en lui. Ce qui sans dommage est rejeté dans l'inconscient doit y rester enseveli. L'effort positif vers le mieux, le développement de l'amour de la vertu, est le vrai moyen de réduire l'attrait, même inconscient, du mal. » 
Y. de Montcheuil, Freudisme et Psychanalyse (ÉTUDES, 5 Mai 1937).

(23) Voyez ce qu'en dit le Docteur Biot : « Il n'y a pas d'arme plus dangereuse que la psychanalyse. À ramener ainsi l'attention de la conscience, et de façon obsédante, sur des images sexuelles, on risque de troubler de façon grave son équilibre. On tente de mettre en quelque sorte la maison à l'envers, puisque précisément le subconscient semble bien avoir pour fonction de mettre de l'ombre sur certaines choses. » (Au Service de la Personne humaine, p. 316). Et Yves de Montcheuil note là-dessus : « L'on ne voit pas bien ce qu'on aurait gagné à transformer un refoulé en obsédé (« possédé », aurions-nous envie d'ajouter !)... On risque bien davantage un effondrement psychologique et moral sous l'effet d'une connaissance qu'on n'a pas la force de porter ».

(24) « Ni l'angoisse ni les démons ne peuvent être considérés, en psychologie, comme causes premières. Il faut remonter plus loin encore. Il en serait autrement si les démons avaient une existence réelle ; mais nous savons que, tout comme les dieux, ils sont des créations des forces psychiques de l'homme, et il s'agit de connaître leur provenance et la substance dont ils sont faits ». S. Freud, Totem et Tabou, p. 41.

(25) Études Traditionnelles, Février 1938.

(26) Des docteurs employant la psychanalyse sont aux antipodes de Freud en ce qui concerne son emploi dans les milieux scolaires par des gens qu'aucune étude médicale ne qualifie pour en user. On notera avec satisfaction l'opinion de Régis et Hesnard (La Psycho-analyse des Névroses et des Psychoses) : « Une telle thérapeutique, habituellement bienfaisante (à condition d'être maniée par un homme d'une moralité supérieure, possédant un sens aigu des réalités et un tact parfait), peut quelquefois être dangereuse. Ce n'est pas sans inquiétude que nous voyons, par exemple, certains éducateurs ou moralistes non médecins manier (en toute bonne foi, bien entendu) les plastiques virginités des adolescents pour y déceler de façon précoce le moindre indice de quelque inversion plus ou moins imaginaire. » 
Très juste, mais on peut remarquer que, d'après nos auteurs la thérapeutique psychanalytique n'est habituellement « bienfaisante » qu'à la condition d'être maniée par des spécialistes d'une qualité morale et intellectuelle exceptionnelle. C'est dire qu'elle doit être en fait très exceptionnellement bienfaisante. Comme elle s'exerce aujourd'hui en grand, voilà qui n'est pas trop rassurant !

(27) Freud dit textuellement : « Il ne faut pas oublier que les peuples primitifs, loin d'être des peuples jeunes, sont aussi vieux que les peuples les plus civilisés et que l'on ne doit pas s'attendre à ce que leurs idées et institutions primitives se soient conservées intactes et sans la moindre déformation jusqu'à nos jours. Il est plutôt certain que des changements profonds se sont produits chez les primitifs dans toutes les directions, de sorte qu'on ne peut jamais dire ce qui, dans leurs idées et opinions actuelles, représente comme une pétrification d'un passé primitif et ce qui n'est qu'une déformation et une modification de ce passé... L'établissement de l'état primitif reste ainsi toujours une affaire de construction.

(28) Les anthropologistes ont souvent rapproché certains hommes fossiles (l'Homo Neanderthalensis, par exemple) des Australiens actuels... Nous avons devant nous, - sans y chercher aucune parenté, - une image vivante des hommes du Moustérien européen. » 
Eug. Pottard : Les Races et l'Histoire.

(29) Voir les sages réserves de James de Morgan (L'Humanité Préhistorique, p. 245 et suiv.) au sujet du totémisme chez les plus anciens habitants de notre sol.
(30) Par exemple pour le nom de l'ours, remplacé par une périphrase aimable, en vertu de cet axiome de magie sympathique : nommer, c'est appeler !