juillet 07, 2013

L'EUTHANASIE DANS LE DÉBAT ÉTHIQUE ET THÉOLOGIQUE Charbel ChlÉla



Revue Théologique de Kaslik 1 (2007) 185-217
Charbel ChlÉla
L'EUTHANASIE DANS LE DÉBAT ÉTHIQUE ET THÉOLOGIQUE
Introduction
Qui d'entre nous ne souhaite pas «bien mourir» ? En d'autres termes, qui ne souhaite pas une « euthanasie » ? Mais, malheureuse­ment, ce terme a pris une connotation négative suscitant des débats et des réactions dans plusieurs pays du monde. Pourtant, il faut savoir que le débat sur l'euthanasie occupe la scène depuis longtemps. Il ré­apparaît de temps en temps en force pour s'éteindre, au moins en ap­parence, un moment avant de réapparaître à nouveau. Les parlementai­res des Pays-Bas ont voté, le 10 avril 2001, une loi autorisant l'euthanasie1. Us se vantent d'être le premier pays au monde à sortir de l'hypocrisie et de la clandestinité et d'avoir mis le droit en accord avec le fait. Depuis cette décision, des voix s'élèvent en France et ailleurs pour l'approuver ou la désapprouver. Le comité consultatif national d'éthique en France considère, dans son rapport de mars 2000, que les positions favorables ou défavorables à l'euthanasie sont légitimes et respectables, mais contradictoires et ne mènent qu'à l'impasse2. Il pro­pose d'en sortir en instituant « l'exception d'euthanasie ». Ce rapport a accéléré le débat en France.
Dans ce débat qui s'annonce rude, un discours théologique pour­rait apporter une autre compréhension de l'être humain, une autre conception des valeurs, de la souffrance et de la mort. L'Église catho­lique s'est prononcée clairement depuis dans l'encyclique Evangelium Vitae (1995) où le vénéré pape Jean-Paul II a tiré la sonnette d'alarme sur la montée de la culture de mort.
Nous nous concentrerons, dans cet article, sur les situations de fin
*    Prof, de théologie morale à la FPT (USEK).
1       Cette loi est entrée en vigueur en 2002.
2       Avis n° 63. Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie, 27 janvier 2000, www.ccne.fr

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de vie, puisque c'est là que réside le plus l'enjeu principal en cas de dépénalisation de l'euthanasie. Il y a une fin de vie quand « la per­sonne soignée est engagée dans un processus de dépérissement qui la conduira à la mort à plus ou moins brève échéance... un processus de maladie ou d'affaiblissement dont les moyens médicaux ne peuvent arrêter la progression, et l 'inéluctabilité de la mort, même si celle-ci peut encore être retardée pendant des semaines et des mois »'.
Parcours terminologique
Aujourd'hui règne une grande confusion autour du terme eutha­nasie. D'où la nécessité de clarifier la terminologie, en commençant pas son histoire, son utilisation actuelle et la définition qui nous paraît la plus adaptée.
Étymologie et historique du terme « euthanasie »
Connaître l'étymologie et l'évolution historique de ce terme per­met de dissiper quelques malentendus. Le terme euthanasie du grec euthanatos se compose du préfixe eu qui se traduit par« bien » et du terme thanatos qui se traduit par « mort ». 11 s'agit d'une façon heu­reuse de mourir. L'étymologie n'avait pas le sens de provoquer la mort, mais de faciliter le passage de la vie à la mort en supprimant, en partie ou totalement, la souffrance. L'intention ou la finalité poursui­vie n'était pas de provoquer ou de hâter la mort, mais de maintenir pendant ce difficile passage une qualité de vie acceptable à la per­sonne mourante.
Le substantif grec euthanasia désignait toujours dans l'antiquité gréco-romaine un vécu, une bonne mort, une douce mort. Platon (427-348 av. J.C.) l'utilise dans La République (III, 410) où il demande qu'on laisse mourir tous ceux qui ont le corps mal constitué. Certains commentateurs le rangent parmi les partisans de l'euthanasie sociale. D'autres expliquent ce comportement comme étant un refus de recours déraisonnable à la médecine, en d'autres termes contre ce que l'on ap-
3    Verspieren Patrick, Le soin des malades enfin de vie. Aspects éthiques, Centre Sèvres, Paris, 1987, p. 3.

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pelle aujourd'hui l'acharnement thérapeutique4. Posidippe (300 av. J.C.) l'utilise pour signifier la mort douce, ou la bonne mort ; « De tout ce que l'homme désire obtenir, il ne désire rien de mieux qu'une mort douce» (fragment 19). Cicéron (106 av. J.C), dans une de ses lettres à Atticus (en latin), utilise ce terme grec dans le sens de mort digne et glorieuse ; Il lui dit : «Il y a dans ta lettre un passage qui n 'a pas fini de m'étonner : "bravo, donc, pour ton choix d'une mort douce ! bravo ! Déserte ta patrie ! " Comment ? Je déserterais ma patrie, ou du moins je te donnerais cette impression, et toi, loin de m'en empê­cher, tu m'approuverais ?» (Livre XVI, 7,3)5. L'historien latin Sué­tone (68-120 ap. J.C.) et secrétaire de l'empereur Hadrien décrit la mort « douce » d'Auguste en disant qu' « // eut une fin douce et telle qu 'il l'avait toujours désirée; car s'il entendait dire que quelqu 'un fût mort promptement et sans souffrance, il souhaitait pour lui et pour les
4      Dans l'Antiquité on parlait plutôt du suicide ; la personne se donnait la mort pour se libérer de sa souffrance trop grande à supporter. Cette pratique n'était pas rare, bien qu'elle ait été mal vue dans la tradition religieuse et médicale (rappelons-nous du serment d'Hippocrate). Dans les dialogues de Platon (Gorgias 512 a), il est dit que « si quelqu 'un est atteint d'une maladie incurable, il vaut mieux mou­rir ». Il est très difficile d'en déduire s'il s'agit là de l'euthanasie dans le sens ac­tuel, car dans Phédon (62 b-c), il est dit qu' « il n 'est pas permis de nous priver de la vie, à moins que Dieu ne nous y oblige, car l'homme est la propriété des dieux ». De même dans les Lois (IX, 873 c), Platon estime qu'il faut appliquer des peines sévères pour réprimer le suicide. Mais il le tolère quand il est imposé par la justice (le suicide d'un criminel) ou par des souffrances aiguës (Lois 854c). Aris-tote aussi tolère le suicide uniquement dans des cas extrêmes (Ethique à Nicoma-que (1116 a 12-15), sinon la personne est considérée lâche et manque de courage. Aristote considère que le suicide est une autodestruction, une faute contre l'amour de soi (1166 b 11-18). Les philosophes étaient par la suite partagés entre l'importance de rester en vie pour acquérir la sagesse et la peur de la souffrance et de la vieillesse. Mais ils étaient attirés par la pratique du suicide. Plotin refuse d'accélérer la mort bien qu'il justifie le suicide, par exemple, en cas de menace de la perte de la raison (Ennéade, I, 9). Les auteurs chrétiens étaient influencés par les philosophes de l'Antiquité et insistaient sur l'interdiction de quitter ce monde sans l'autorisation de Dieu. De plus, la vie est donnée par Dieu et l'homme ne peut pas en disposer. La vieillesse est un moment opportun pour enrichir son ex­périence spirituelle. Supporter avec patience les épreuves de la vie prépare le chré­tien à la vie éternelle auprès de Dieu. Le christianisme n'a pas cessé d'insister sur l'importance de porter secours aux personnes souffrantes et abandonnées.
5      Ciceron, Correspondance, t. 10. texte traduit et annoté par Jean Beaujeu, Paris, 1991, p. 37.

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siens une mort semblablement heureuse, qu 'il nommait en grec eutha-nasia »6. Philon d'Alexandrie utilise euthanasia comme une belle mort ; Il considère « qu 'une belle vieillesse et une belle mort sont les plus grands biens de l'homme, alors que la nature n 'a part ni à l'une ni à l'autre puisqu'elle ne connaît ni la vieillesse ni la mort» ''. Le verbe euthanateô utilisé surtout par les stoïciens avait le sens de bien mourir, dans la maîtrise de soi, et si nécessaire par suicide, mais ja­mais dans le sens de donner la mort à quelqu'un.
Le terme s'est perdu pour réapparaître au XVIe siècle avec Tho­mas More (1478-1534) dans son livre YUtopie (1516).8 Mais c'est sur­tout l'homme d'État et philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626) qui l'utilise en 1605 dans The Advancement ofLearning (du progrès et de la promotion du savoir) où il écrit : « Les médecins devraient à la fois perfectionner leur art et apporter secours pour faciliter et adoucir l'agonie et les souffrances de la mort »9. Sa définition définitive a été donnée dans Instauratio Magna (Première partie, livre IV, chap. 2) en 1623 où il écrit : « L'office du médecin n 'est pas seulement de rétablir la santé, mais aussi d'adoucir les douleurs et les souffrances atta­chées aux maladies, et cela non pas seulement en tant que cet adou­cissement de la douleur considérée comme symptôme périlleux contri­bue et conduit à la convalescence, mais encore afin de procurer au malade, lorsqu 'il n 'y a plus d'espérance, une mort douce et paisible ; car ce n 'est pas la moindre partie du bonheur que cette euthanasie (qu'Auguste souhaitait si fort pour lui-même), et qu'on observa aussi au décès d'Antonin-le-Pieux, qui semblait moins mourir que tomber
6      SUETONE, Histoire des douze Césars, t. I, trad. fr. Maurice Levesque, Paris, 1808, p. 353.
7      PHILON D'Alexendrie, De sacrificiis Abelis et Caini ; Introduction, traduction et notes par Anita Méasson, Paris, 1966, p. 55 et 157.
8      Thomas More, L'Utopie, trad. fr. André Prévost, Paris, 1978, p. 120 : « les Uto-piens affirment d'abord l'éminente dignité de l'être humain et le caractère trans­cendant de son destin. Ils entourent les malades et les vieillards d'une sollicitude qui témoigne que leur valeur n 'est en rien diminuée par la déchéance physique. Inversement le suicide est un crime sanctionné de peines infamantes, comme la privation de la sépulture : il constitue un attentat à la dignité et à la valeur sacrée de la vie humaine. »
9      Cité par Abiven, Chardot et FRESCO, Euthanasie. Alternatives et controverses, Presses de la Renaissance, Paris, 2000, p. 22.

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peu à peu dans un sommeil doux et profond. (...). Mais de notre temps les médecins semblent se faire une loi d'abandonner les malades dès qu 'ils sont à l'extrémité ; au lieu qu 'à mon sentiment, s'ils étaient ja­loux de ne point manquer à leur devoir ni par conséquent à l'humanité, et même d'apprendre leur art plus à fond, ils n 'épargneraient aucun soin pour aider les agonisants à sortir de ce monde avec plus de douceur et de facilité. »10
Le texte de Bacon a été utilisé aussi bien par les partisans que par les détracteurs de l'euthanasie dans son sens actuel. En fait, le terme utilisé par Bacon signifie le vécu de la personne proche de la mort, la qualité de ses derniers moments. Il garde le sens connu dans l'Antiquité. Si on prend en considération le contexte dans lequel fut écrit ce texte, on comprend que Bacon qui manifeste un intérêt pour le progrès des sciences, se montre critique envers les médecins. Il leur reproche leur négligence et l'abandon rapide des malades. Et le texte cité dans cette étude montre la critique de Bacon envers les médecins qui ne soulagent pas les malades de leur douleur. Il les encourage à la fois à chercher à soulager les douleurs afin de transformer les derniers moments de la vie du patient et à lui assurer un accompagnement spi­rituel afin qu'il prépare bien son âme. Cette attention permet au pa­tient, selon Bacon, de s'éteindre d'une manière douce et paisible. Cette mort, il l'appelle euthanasie. Il encourage toute forme de soula­gement médical, psychologique, affectif et spirituel jusqu'à ce que vienne la mort.
Ce n'est qu'au XIXe siècle, et grâce aux apports de la chimie qui a permis à la médecine de disposer de moyens efficaces pour aider le malade, que commence à apparaître dans les pays anglo-saxons l'idée d'un acte médical donnant la mort sans souffrance et par compassion. D'où un passage radical entre un « savoir bien mourir » et un « savoir quand et comment faire mourir un malade incurable ». Le terme eu­thanasie prend alors un deuxième sens, sans pour autant en perdre le premier11. Il ne s'agit pas seulement de procurer une mort douce, mais
10       Francis Bacon, Œuvres philosophiques, morales et politiques, Bureau du Pan­théon Littéraire, Paris, 1854, p. 113-114.
11 On continuait à utiliser les moyens simples : aération de la chambre, position du malade, présence des proches, recours à des traitements moins lourds, etc..

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surtout de mettre délibérément fin à la vie du malade. L'euthanasie est devenue un acte de tuer par compassion. Son sens est devenu péjoratif à travers les pratiques d'euthanasie eugénique au nom d'une certaine race pure sous le régime nazi et celles d'euthanasie économique au nom du coût excessif des soins appliqués sur des personnes âgées, des incurables et des inutiles pour la société comme c'est le cas en Angle­terre et aux États-Unis.
Les définitions des dictionnaires
Le grand Robert de la langue française garde les deux sens :
-       Mort douce et sans souffrance, survenant naturellement ou grâce à l'emploi de substances calmantes ou stupéfiantes.
-       Usage des procédés qui permettent de hâter ou de provoquer la mort pour délivrer un malade incurable de souffrances ex­trêmes, ou pour motif d'ordre éthique12.
Le Petit Larousse le définit comme l'« acte d'un médecin qui provoque la mort d'un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie, illégal dans la plupart des pays »13.
L'ambivalence de ce terme crée une certaine confusion. Quel sens faut-il appliquer quand le médecin utilise des analgésiques dans le but d'adoucir la douleur du patient sachant qu'il prend un risque faible mais réel pour le malade ? Quel sens faut-il appliquer si on s'abstient ou on arrête une technique inappropriée à la situation du pa­tient ?
Termes utilisés actuellement : définitions et distinction
Il est vrai que la confusion des termes est actuellement liée en partie à l'évolution des moyens de réanimation permettant de mainte­nir artificiellement la personne en vie. Il s'agit aussi des moyens an­talgiques qui peuvent provoquer la mort. Pour cela, on a essayé d'ajouter des adjectifs qualificatifs pour distinguer les différents actes. On distingue souvent « euthanasie active » et « euthanasie passive » :
12        Voir édition revue par Alain Rey, 1985.
13        Larousse, 1999.

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a)   L'euthanasie active ou l'euthanasie directe
C'est l'action qui provoque la mort des incurables pour faire ces­ser leurs douleurs, soit en administrant un taux élevé d'analgésiques, soit en procédant à l'injection de doses létales14. Elle est volontaire lorsqu'elle est exécutée sur demande du malade ou avec son consen­tement, ou bien involontaire lorsqu'elle est pratiquée à l'insu du ma­lade ou sans son consentement13.
b)   L'euthanasie passive ou l'euthanasie indirecte
Il s'agit soit de laisser mourir le malade par abstention ou suspen­sion de traitement, jugé disproportionné entre ses inconvénients pour le malade et les bénéfices escomptés, soit d'employer des analgési­ques susceptibles de calmer la douleur, mais dont les effets secondai­res peuvent entraîner la mort. À noter que l'euthanasie passive pour­rait être également volontaire ou involontaire.
Cette distinction entre « euthanasie active » et « euthanasie pas­sive » ne reçoit pas l'unanimité et nous paraît ambiguë. En fait, dans l'euthanasie active, il y a un acte posé, avec l'intention de donner la mort. L'euthanasie passive comporte deux attitudes contradictoires : d'une part, l'abstention ou la cessation de soins, suite à la constatation médicale du caractère inéluctable du processus naturel de la mort et là nous ne pouvons pas parler d'euthanasie. D'autre part, l'abstention ou la suspension des soins en vue de hâter la mort et là, il y a une volonté euthanasique.
14        II s'agit d'un cocktail lytique. Il a été conçu dans les années 50 par les Pr. Hugue-nard et Laborit pendant la guerre d'Indochine, pour provoquer « une lyse tempo­raire » du système nerveux autonome et réduire ainsi, voire supprimer les effets nocifs de certains chocs particulièrement dans le cas des soldats sur le front. En­suite ce coktail fut utilisé en anesthésie dans le but de prévenir un choc opératoire. Puis il a été utilisé pour mettre fin à la vie. Car en poursuivant des injections pen­dant un temps suffisant et en dose suffisante, il provoque au bout de trois jours une mort douce. Le cocktail lytique est composé de : Dolosal et de deux psycho­tropes : le Largactil et le Phénergan, d'où le nom abrégé : DLP. Il est administré en général par perfusion. Selon les dosages, il est soit antalgique, soit anesthési-que, soit létal.
15        L'euthanasie active peut désigner aussi l'assistance au suicide lorsque le malade se donne la mort en recourant à l'aide d'un tiers quelconque.

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À notre avis, cette distinction ne fait qu'amplifier la confusion. L'acte posé est moralement tout autre selon l'intention de l'agir : s'agit-il de donner la mort ou de l'adoucir sans la provoquer ? Bien évidemment il faut rester prudent car les dérives sont faciles. S'ajoute à cette confusion la question de savoir qui a formulé la demande, qui a l'intention de donner la mort et qui agit. Pour cela, toutes ces qualifi­cations n'enlèvent pas la connotation négative qui est actuellement liée à l'euthanasie. Nous préférons ne pas utiliser ce mot, vu son am­biguïté, nous prenons acte de sa connotation et nous adoptons la défi­nition donnée par le théologien français Patrick Verspieren.
Essai de définition
Patrick Verspieren propose une définition qui exclut de son champ les soins palliatifs et la distinction entre euthanasie active et passive ; « Le terme 'euthanasie ' évoque désormais la responsabilité d'un professionnel de la santé ou d'un proche dans la mort d'un ma­lade ou d'un handicapé. Dans une telle perspective, est euthanasique le geste ou l'omission qui provoque délibérément la mort du patient dans le dessein de mettre fin à une vie marquée par la souffrance » . L'euthanasie est aussi « tout comportement suivi d'effet dont l'objectif est de provoquer la mort d'une personne, pour lui éviter ainsi des souffrances, que la personne l'ait demandée ou non »   .
La Congrégation pour la doctrine de la foi a donné une définition similaire : l'euthanasie est « une action ou une omission qui, de soi ou dans l'intention, donne la mort afin de supprimer ainsi toute dou­leur. »18 Le vénéré Jean-Paul II, dans l'encyclique Évangile de la vie au n° 65, donne une définition similaire à celle de la Congrégation avec une petite modification : « une action ou une omission qui, de soi et (au lieu de ou) dans l'intention, donne la mort afin de supprimer
16        Verspieren Patrick, « Euthanasie », dans Encyclopedia Universalis, vol. 9, Paris, 1996. Cette définition est aussi celle des juristes.
17        Verspieren Patrick, « L'euthanasie : une porte ouverte? », dans Études, janvier 1992, p. 63.
18        Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration sur l'euthanasie, cité dans Verspieren Patrick, Biologie, médecine et éthique. Le Centurion, Paris, p. 415.

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ainsi toute douleur »19. Dans le Catéchisme de l'Église catholique, on trouve la définition suivante : « Une action ou une omission qui, de soi ou dans l'intention, donne la mort afin de supprimer la douleur, cons­titue un meurtre gravement contraire à la dignité de la personne hu­maine et au respect du Dieu vivant, son Créateur. L'erreur du juge­ment dans laquelle on peut être tombé de bonne foi, ne change pas la nature de cet acte meurtrier, toujours à proscrire et à exclure. »
Pour Verspieren. l'arrêt d'un traitement curatif n'est pas considéré comme une forme d'euthanasie. Par contre, il refuse l'arrêt de tout trai­tement ordinaire21. Rappelons la position de Pie XU qui fait la distinc­tion entre les moyens ordinaires et les moyens extraordinaires. Il affir­mait en 1957 que : « Le devoir que l'homme a envers lui-même, envers Dieu, envers la communauté humaine, et le plus souvent envers certai­nes personnes déterminées (...) n'oblige habituellement qu'à l'emploi de moyens ordinaires (suivant les circonstances de personnes, de lieux, d'époques et de cultures), c'est-à-dire des moyens qui n'imposent au­cune charge extraordinaire pour soi-même ou pour un autre. » 2
Cette même position est réaffirmée en 1980 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi dans la Déclaration sur l'euthanasie, mais en remplaçant les catégories « moyens ordinaires » et « moyens extra­ordinaires », moins éclairantes en raison de l'imprécision du terme et de l'évolution rapide de la thérapeutique par « proportionnés » et « disproportionnés » : « On appréciera les moyens en mettant en rap­port le genre de thérapeutique à utiliser, son degré de complexité ou de risque, son coût, les possibilités de son emploi, avec le résultat qu 'on peut en attendre, compte tenu du malade et de ses ressources physiques et morales. »
19         Jean-Paul II, Évangile de la vie, Mame/Plon, Paris, 1995.
20    Catéchisme de l'Église catholique, n° 2277, Centurion/Cerf/Fleurus-Mame, Paris, 1998, p. 470.
21         La distinction entre moyens extraordinaires et moyens ordinaires est relative, car elle est liée au développement scientifique et aux moyens disponibles. Il existe des états de vie si détériorés que même les actes ordinaires sont inappropriés.
22         Pie XII, Problèmes religieux et moraux de l'analgésie (1957), cité dans Verspie­ren Patrick, 1987, op. cit., p. 368.
23         CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration sur l'euthanasie, p. 420.

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Dans le Catéchisme de l'Église catholique, article n° 2278, il est affirmé que : « La cessation de procédures médicales onéreuses, péril­leuses, extraordinaires ou disproportionnées avec les résultats atten­dus, peut être légitime. C'est le refus de "l'acharnement thérapeuti­que ". On ne veut pas ainsi donner la mort ; on accepte de ne pas pouvoir l'empêcher. Les décisions doivent être prises par le patient s'il en a la compétence et la capacité, sinon par les ayants droits lé­gaux, en respectant toujours la volonté raisonnable et les intérêts légi­times du patient. »
À travers ces moyens ordinaires, c'est la situation du malade qui est importante. 11 s'agit dans cette distinction de laisser au malade lui-même la responsabilité de prendre la décision adéquate d'ordre théra­peutique qui va lui permettre de vivre selon ses capacités. Donc une décision qui n'écarte pas la qualité de la vie. En d'autres termes, l'acharnement thérapeutique n'est pas nécessaire pour respecter la vie.
Il y a une sorte de consensus dégagé aujourd'hui sur l'importance d'éviter l'acharnement thérapeutique déraisonnable25. Ce qui est de­mandé en fin de vie, quand tout a été essayé d'une façon raisonnable, c'est d'ajuster les soins à la réalité du malade afin de diminuer autant que possible l'angoisse de la mort et d'éviter les déceptions. De plus, il s'agit d'accepter avec humilité les limites du pouvoir médical et cel­les de toute personne humaine.
Mais le père Verspieren ajoute que : « Même ainsi défini, le terme reste, dans certains cas-frontières, de maniement délicat. Tout un tra­vail d'analyse des gestes posés et des intentions qui ont guidé l'action est indispensable pour discerner si ce qui a été appartient au domaine du soin ou à celui de la recherche d'une mort accélérée. »
En conclusion, nous pouvons dégager les points suivants :
24    Catéchisme de l'Église catholique, n° 2278, Centurion/CerfFleurus-Mame, Paris, 1998, p. 470.
25         Voir également l'avis n° 26 du Comité consultatif national d'éthique français au sujet de la proposition de résolution sur l'assistance aux mourants adoptée le 25 avril 1991 au Parlement Européen par la Commission de l'environnement, de la santé publique et de la protection des consommateurs, dans Comité consultatif national D'ÉTHIQUE, disponible sur www.ccne.org.
26         Verspieren Patrick, L'euthanasie : une porte ouverte?, article déjà cité, p. 67.

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-        La frontière entre l'euthanasie et l'arrêt du traitement est fine, car il s'agit dans les deux cas d'un acte volontaire. Mais dans l'arrêt d'un traitement extraordinaire, le malade meurt de sa maladie et non du produit toxique. Pour cela, le père Verspie­ren utilise le terme « comportement », pour éviter ce piège. De ce fait, l'arrêt d'un traitement ordinaire pourrait être aussi un acte euthanasique, surtout quand il s'agit d'une personne in­consciente.
-        Cette définition exclut désormais l'emploi du terme euthana­sie lorsqu'il s'agit de parler des méthodes modernes de traite­ment de la douleur qui prévient la souffrance aiguë d'un ma­lade en fin de vie. Dans certains cas, le traitement présente certains risques pour le malade, mais il ne s'agit pas d'une re­cherche délibérée de la mort du patient27. Cette définition ex­clut aussi les décisions médicales axées non sur la prolonga­tion de la vie, mais sur le respect de la liberté et de la dignité du malade, sur son bien-être ou sur le soulagement de sa souf­france. Le malade est libre de refuser des soins jugés dispro­portionnés s'il est lucide et responsable. Le médecin doit en fait respecter sa volonté. Et là, il n'y a aucunement lieu de parler d'euthanasie. Quand le malade est incapable de prendre une décision, le médecin n'est pas tenu de le soumettre à tou­tes les pratiques thérapeutiques et son abstention n'est pas considérée comme euthanasique. La mort du malade peut sur­venir un peu plus tôt, mais le médecin n'a pas mis délibéré­ment fin à la vie du malade.
-        La distinction entre l'arrêt de traitement et l'accélération de la mort. Il ne s'agit pas ici de faire la distinction entre une passi­vité ou omission et une action, ou même de chosifier le geste en refusant de les distinguer. Dans les deux cas, il y a une dé­cision. Le théologien et le bioéthicien Hubert Doucet trouve que « s'il y a distinction, elle n 'est pas entre agir ou ne pas agir, mais réside dans la réalité différente de l'agir. »

27    PIE XII, Problèmes religieux et moraux de l'analgésie, cité dans Verspieren, p. 363.
28    Doucet Hubert,Promesses du crépuscule. Réflexions sur l'euthanasie et l'aide médicale au suicide, 1998, p. 139.

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Quatre éléments caractérisent cette position :
-  La mort est un événement normal de la vie.
-  L'ambiguïté morale des techniques de pointe.
-  Les limites du pouvoir médical sur la vie et la mort.
-  Les soignants doivent prendre soin du patient en soulageant ses souffrances et en l'accompagnant dans le respect.
Exception d'euthanasie
Nous abordons à présent la notion de l'« exception d'euthanasie » proposée par le Comité d'éthique français (CCNE) dans son avis n° 63 intitulé Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie29. Cet avis a suscité beau­coup de réactions allant de la protestation, avec la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, à l'approbation avec l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, en passant pas quelques réserves exprimées par certains hommes politiques et famil­les spirituelles.
Présentation de l'avis du CCNE
L'avis du Comité est composé d'une introduction et quatre parties :
-      Vivre et mourir aujourd'hui.
-      Mieux mourir aujourd'hui.
-      Des situations aux limites : l'euthanasie en débat.
-      Engagement solidaire et exception d'euthanasie.
Dans l'introduction, et après avoir fait allusion à l'effacement des frontières entre la mort et la vie et d'une certaine manière, à une dé-sappropriation par le mourant de sa propre mort, le Comité reconnaît qu'il a réagi dans l'urgence, dans son Avis n° 26 concernant la propo­sition de résolution sur l'assistance aux mourants adoptée le 25 avril 1991 au Parlement européen où il est dit entre autres : « La légalisa­tion de l'euthanasie, même pour des cas exceptionnels, serait source d'interprétations abusives et incontrôlables : la mort serait décidée, à la demande du patient — une demande certes respectable —, mais dont l'ambivalence est profonde. »
29    Comité consultatif national d'éthique, disponible sur www.ccne.org.
30         Comité consultatif national d'éthique, Avis n° 26 du 24 juin 1991. Cette résolution a été déposée par le député européen Louis Schwartzenberg, mais elle

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a) Vivre et mourir aujourd'hui
Le Comité insiste sur le fait que :
-       Les progrès de l'hygiène et de la médecine font évoluer la qualité de la vie.
-       Ces avancées médicalisent encore plus les fins de vie.
-       Cette médicalisation devient préoccupante quand la mort est inéluctable et quand la prolongation de la vie entraîne des conséquences peu compatibles avec la qualité de la vie.
-       Cette médicalisation alimente l'espoir d'échapper à la mort conduisant bien souvent « à déposséder la personne de sa mort ».
-       La mort fait partie de la vie ; « elle l'achève et la clôture et lui permet d'arriver à une forme d'unité ».
C'est dans ce contexte que la question de l'euthanasie se pose, mais dans un sens de « bonne mort », introduisant ainsi la deuxième partie.
b) Mieux mourir aujourd'hui
Le Comité met en garde contre toute utopie qui consisterait à croire que serait à portée de main ou de technique une bonne mort ou une belle mort et encourage les soins palliatifs : « Ces soins palliatifs se présentent comme des soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave évolutive ou terminale. Leur objectif est de soulager les douleurs physiques ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique et spirituelle. Ces soins peuvent se pratiquer tant en institution qu 'au domicile du malade... Au delà de l'attention à la personne enfin de vie, l'ensemble des membres d'une unité ou d'une équipe de soins pal­liatifs veille à maintenir ou recréer les liens familiaux, en apportant à la famille les dispositions matérielles et le soutien psychologique né-
n'a pas été retenue. Elle visait l'assistance aux personnes en fin de vie et souhai­tait que le Parlement déclare que l'on doit satisfaire toute demande d'un patient pleinement conscient, réclamant d'une manière continue qu'il soit mis terme à son existence qui a perdu pour lui toute dignité. Cette demande ne doit être acceptée que si les soins curatifs ne sont plus efficaces, ainsi que les soins palliatifs et à condition qu'un autre médecin puisse constater les faits soulignés.

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cessaires pour qu 'elle puisse vivre l'accompagnement de son parent dans des conditions de confort matériel et moral satisfaisantes. »
Le Comité encourage aussi l'accompagnement des personnes en fin de vie reconnu comme une partie essentielle des soins pallia­tifs visant à réinscrire la fin de vie dans le cadre des relations sociales habituelles. Mais, par contre, il condamne l'acharnement thérapeuti­que défini comme une obstination déraisonnable, refusant par un rai­sonnement buté de reconnaître qu'un homme est voué à la mort et qu'il n'est pas curable. Il faut tout faire pour ne pas entrer dans le cer­cle vicieux d'un acharnement qui ferait prévaloir le fonctionnement du système de soins sur le respect de la personne. Ces soins aident la per­sonne à réapproprier sa mort et diminuent les demandes d'euthanasie sans les faire pour autant disparaître. Le Comité aborde le nouveau sens de l'euthanasie pour introduire ainsi sa troisième partie.
Ainsi nous constations que dans les deux parties de l'avis, le Co­mité prend en quelque sorte ses distances par rapport au premier sens du terme euthanasie : une bonne mort.
31 C'est l'anglaise Cicely Saunders, née en 1919, qui était derrière le lancement de ces soins dans les hôpitaux de Londres. Elle a acquis successivement une forma­tion d'infirmière, de travailleuse sociale et de médecin pour venir en aide à ceux qui meurent lorsqu'il n'y a rien à faire pour les guérir. Elle constate en tant qu'infirmière à l'hôpital St. Luke que l'attention de l'équipe et le contrôle de la douleur améliore la fin de vie. Elle introduit par la suite ces méthodes à l'hôpital St. Joseph. Et une fois médecin elle fonde dans les années soixante le Saint Chris-topher's Hospice, premier établissement de soins palliatifs. En France les soins palliatifs furent reconnus en 1986 dans une circulaire ministérielle du ministre Edmond Hervé, le 26 août 1986, relative à l'organisation des soins et à l'accompagnement des malades en phase terminale. C'est Maurice Abiven qui a fondé la première unité de soins en France en 1987 à l'Hôpital International de l'Université de Paris et c'est Robert Zittoun qui fonde la première unité mobile à l'Hôtel-Dieu de Paris en 1989. En 1998, la France avait 50 unités de soins pallia­tifs (570 lits) et 70 unités mobiles. La loi du 9 juin 1999 (n° 99-477) garantit à toute personne malade le droit à l'accès aux soins palliatifs et à un accompagne­ment. Ce droit a été affirmé par le Conseil de l'Europe en mai 1999. Au Liban'une unité de soins palliatifs a été fondée récemment à la maison Notre Dame pour les personnes âgées sous la direction des sœurs des Saints-Cœurs à Hadeth -Beyrouth. Notons que le Catéchisme de l'Eglise Catholique encourage les soins palliatifs (cf. n° 2279).

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c) Des situations aux limites : l'euthanasie en débat
Le Comité définit l'euthanasie comme étant «l'acte d'un tiers qui met délibérément fin à la vie d'une personne dans l'intention de mettre terme à une situation jugée insupportable. Le comité unanime condamne un tel acte, envisagé et effectué hors de toute forme de de­mande ou de consentement de la personne elle-même ou de ses repré­sentants »j2. Mais il n'exclut pas la difficulté à concilier le respect de la volonté de chaque personne et la défense et la promotion des va­leurs où le médecin est en ligne de mire puisque sa vocation est de soigner, d'aider à la vie et de préserver la confiance que le patient a en lui. Le Comité expose deux positions qui illustrent bien ces dilem­mes :
La première position s'appuie sur le respect de toute vie humaine et refuse le droit à l'euthanasie. En fait, il lui semble qu'autoriser l'euthanasie provoquerait une brèche morale et sociale considérable dont les conséquences sont difficiles à mesurer. Cette position n'est pas fermée à toute détresse et n'exclut pas que les juridictions fassent preuve d'indulgence. Les arguments avancés sont les suivants :
-        Le tiers ne peut pas disposer d'une vie qui n'est pas la sienne.
-        La dignité reste un caractère intrinsèque de toute personne.
-        Il est difficile de se prononcer à l'avance sur une demande de mort en cas de maladie grave.
-        L'entourage du malade peut le pousser à demander sa mort.
-        Le médecin a pour devoir de soigner, soulager et refuser toute obstination thérapeutique déraisonnable et recourir à la séda-tion lorsqu'elle est le seul moyen de soulagement.
-        Mettre en péril les soins palliatifs.
La deuxième position s'appuie sur le droit de mourir dans la di­gnité. Ce droit doit être reconnu à celui qui en fait la demande. Les ar­guments avancés sont les suivants :
-        La liberté de l'individu à être seul juge de la qualité de sa vie et de sa dignité car c'est son regard sur lui-même qui compte.
-        Personne ne peut obliger quelqu'un à vivre. Revendiquer le droit à l'euthanasie n'est pas en opposition avec les soins pal­liatifs.
32 Avis CCNE n° 63.

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- « Le droit de mourir dans la dignité se présente non pas comme un droit accordé à un tiers de tuer, mais comme la fa­culté pour une personne consciente et libre d'être comprise et aidée dans une demande exceptionnelle qui est celle de mettre fin à sa vie. »
Cette position est attentive aux dérives de l'euthanasie et propose de prendre des précautions en insistant surtout sur la possibilité don­née au malade de révoquer son consentement. Cette position considère que dans certaines circonstances, il serait admis des dérogations et des exonérations quant à la culpabilité de celui qui aide à mourir. Le geste d'interruption de sa vie par un tiers « ne devrait pas être incrimina-ble » lorsque les souffrances physiques mais aussi existentielles, psy­chologiques et sentimentales sont insupportables. Rappelons que cette position est défendue entre autres par les militants de l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD)33.
Le CCNE reconnaît que ces deux positions sont porteuses de va­leurs fortes et méritent attention et respect, mais bien qu'elles soient légitimes, elles sont contradictoires et inconciliables et elles mène­raient à une impasse. Afin d'éviter ce genre de situation, le Comité propose d'aborder le problème différemment.
d) Engagement solidaire et exception d'euthanasie
Sans toucher à « la valeur fondatrice de l'interdit du meurtre » et refusant de transformer le soignant à un prestataire de services, le Comité accepte des « ouvertures exceptionnelles » à des actes eutha-
33 ADMD fut créée par l'universitaire et l'homme de lettres franco-américain Michel Landa (1928-1981) à la fin des années soixante dix. Au départ, cette association, alors qu'elle prenait en compte les besoins physiques, psychologiques et spirituels de la personne en fin de vie, défendait la nécessité de prendre en compte les de­mandes des malades d'euthanasie volontaire. En 1985, le testament biologique est remplacé par une « déclaration de volonté de mourir dans la dignité ». Nous signa­lons qu'en application de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, la Commission nationale française d'agréer les associations représentantes des usa­gers dans les hôpitaux a rendu au début de l'été 2006 un avis donnant à l'ADMD l'agrément officiel qui lui permet de siéger dans les conseils d'administration et les commissions d'usagers d'hôpitaux. Cet agrément remet en cause tout le travail qui est fait depuis plusieurs années par les équipes de soins palliatifs.

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nasiques face à certaines détresses lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable34. Car ce qui ne saurait être accepté au plan des principes et de la raison discursive, la solidarité humaine et la compassion peuvent le faire leur. Mais pour le Comité, ces ouvertures exceptionnelles -et non une exception au prin­cipe de l'interdit- s'articulent autour de la notion de consentir et de consentement. Selon lui, trois éléments doivent être retenus :
-  Le consentement du malade formulé pendant ou avant sa mala­die, par soi-même ou à travers un tiers.
-  Consentir c'est accepter qu'une chose se fasse.
-  La décision d'actes euthanasiques n'est ni « solitaire » ni « arbi­traire » ; elle doit être le fruit de recherches tâtonnantes et communes, produit d'une réflexion aussi consensuelle que possible au sein d'une équipe et d'un entourage consentant à mettre en œuvre la moins mau­vaise solution face à une situation extrême.
Sur le plan juridique, il ne s'agit pas comme nous l'avons déjà dit, de dépénaliser l'euthanasie, ni de modifier le Code pénal. Mais on s'en remet aux juristes pour aménager les règles de la procédure pé­nale pour préciser les modalités. «L'acte d'euthanasie devrait conti­nuer à être soumis à l'autorité judiciaire. Mais un examen particulier devrait lui être réservé s'il était présenté comme tel par son auteur. Une sorte d'exception d'euthanasie, qui pourrait être prévue par la loi, permettrait d'apprécier tant les circonstances exceptionnelles pouvant conduire à des arrêts de vie que les conditions de leur réali­sation. Elle devrait faire l'objet d'un examen en début d'instruction ou de débats par une commission interdisciplinaire chargée d'apprécier le bien fondé des prétentions des intéressés au regard non pas de la culpabilité en fait et en droit, mais des mobiles qui les ont animés : souci d'abréger des souffrances, respect d'une demande formulée par le patient, compassion face à l'inéluctable. Le juge res­terait bien entendu maître de la décision. »
34         Sont évoqués à titre d'exemples : - Les cas exceptionnels où la douleur n'est pas maîtrisée, - La personne dépendante définitivement de la machine et demande à en finir, - La personne irrémédiablement privée de capacités relationnelles qui de­mande à ne pas voir sa vie prolongée, etc..
35         Avis CCNE n° 63.

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Bien qu'elle soit un geste de compassion et de solidarité, cette exception d'euthanasie reste un mal. Elle représente un geste qui ne visera jamais qu'à agir « au moins mal ». Le Comité rappelle à la fin de son rapport qu'il ne pourrait s'agir que des situations limites ou des cas extrêmes et que l'autonomie du patient devrait être respectée.
Critique du rapport
a) Le risque de compromis
Ce qui nous semble regrettable dans ce rapport du Comité, c'est qu'il a mis au même niveau deux positions en préférant trouver un consensus, un compromis entre elles alors qu'elles sont à ses yeux in­conciliables et même contradictoires. Il est pour une « exception d'euthanasie » qui n'est pas un vrai droit à l'euthanasie. Il a essayé de plaire à tout le monde. Il n'a pas voulu rechercher des critères satisfai­sants par « la pure rationalité », mais admet que « ce qui ne saurait être accepté au plan des principes et de la raison discursive, la solidari­té humaine et la compassion peuvent le faire leur »36. Il est vrai que la liberté de l'individu est une valeur forte mais son application d'une façon expansive risque de détruire le lien social. De plus le choix du respect de la vie ne peut en aucun cas être mis à pied d'égalité avec celui de donner la mort même avec le consentement du malade.
b) La dignité humaine
L'avis du Comité présente les deux conceptions de la dignité dé­fendues dans les deux positions inconciliables. Pour les défenseurs du respect de toute vie humaine, la dignité reste un caractère intrinsèque de toute personne. Du coup, tuer un sujet, même à sa demande et par compassion, c'est nier radicalement sa dignité ; c'est commettre une faute morale grave qu'aucune législation ne devrait dépénaliser ni lé­galiser sous peine d'ouvrir la porte au laxisme et au danger pour les plus faibles. Or les défenseurs de la possibilité de l'euthanasie la défi­nissent comme « convenance envers soi que nul ne peut interpréter ». Cela veut dire que la vie dans la dignité est celle qui est définie comme telle par le sujet ; celle qu'il peut mener sans souffrances, ni
36 Ibidem.

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dépendances, ni honte. Dans ce concept, on voit se mêler les notions de qualité et de liberté. Perdre sa dignité, c'est « ne plus être maître de soi », c'est perdre progressivement le contrôle de soi. Donc mieux vaut mourir avant de n'être plus humain.
Le Comité refuse de choisir entre les deux conceptions. Mais malheureusement il n'a pas retenu cette acception ontologique de la dignité défendue dans son Avis de 1991, déjà cité, où il est dit que « La Commission du Parlement européen ne mesure la dignité de l'homme qu'à son degré d'autonomie et de conscience. Or la dignité de l'homme tient à son humanité même. Les dommages physiques par la maladie ne saurait attenter à cette qualité inaliénable »37.
Le théologien français Michel Demaison réagit à cela en disant : « Quand les signataires de l'Avis disent accorder un égal crédit aux deux conceptions, ils accordent défait le crédit décisif et le vrai pou­voir à celle qui affirme que le respect de la dignité a le droit d'aller jusqu 'à légitimer éthiquement l'euthanasie. En effet, la seconde posi­tion qui refuse cette légitimité morale et légale ne contredit pas la rai­son avancée par la première, elle l'inclut même positivement, puis­qu'elle ne fait rien d'autre que respecter la dignité de la personne en l'accompagnant jusqu'à sa mort... Dans la confrontation entre deux conceptions de la dignité humaine, ce sont donc ceux-ci qui l'emportent et qui détiennent le pouvoir décisif. L'égalité de traite­ment n'est que rhétorique... »   .
À mon sens, la dignité est une notion difficile à définir. Il y a dans ce terme un mélange de grandeur, de noblesse, de respect de soi-même, mais aussi le reflet de ce que l'environnement social accorde à ce terme pour respecter et considérer la personne de l'autre. Mourir dans la dignité est un concept difficile à cerner. Serait-il possible de fixer la frontière entre une mort digne et une mort indigne ? La mort n'a ni dignité, ni indignité. Elle survient et s'impose, elle est. Il est vrai que le malade change avec la maladie et à la fin de sa vie mais au fond de lui-même il est toujours unique et irremplaçable. Il est vrai
37        Avis CCNE n° 26.
38        Demaison Michel, Le pouvoir sur la vie. Une approche théologique, Conférence du Centre Interdisciplinaire d'Éthique, Université Catholique de Lyon, décembre 2000 (document polycopié).

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que la proximité de la mort peut engendrer un sentiment d'indignité quant à l'image que chacun a de soi. Mais faut-il conclure que la di­gnité n'est pas le fondement de la vie humaine ? À dire vrai, la dignité n'est pas fluctuante ; elle n'est pas soumise à des conditions puis­qu'elle est inhérente au statut de l'homme en tant qu'homme, et en constitue la dimension morale irréductible. La mort qui survient et s'impose ne nous dépouille pas de toute dignité, car celle-ci ne se ré­duit pas à notre attachement à la vie. Elle s'exprime dans une disponi­bilité de l'homme à assumer son existence dans la responsabilité à l'égard de soi-même et de ses relations. Lutter pour la vie, c'est aussi et surtout assurer les conditions les plus humaines possibles de l'entrée dans la mort. La personne, en fin de vie, qu'elle soit délirante ou comateuse, a besoin d'être reconnue dans sa dignité d'être humain. Si démunie soit-elle, la personne a besoin d'être reconnue dans sa ca­pacité d'être responsable de sa vie. Si dépendante soit-elle, la per­sonne en fin de vie a besoin d'être reconnue dans sa capacité de don­ner et recevoir, une parole, un geste, une expérience, une caresse, etc. La personne humaine est digne parce qu'elle est inscrite dans une fi­liation d'humanité. Elle est un sujet, doué de raison, de responsabilité, de liberté et de sentiments qui en font un être de parole, relié à un en­tourage : « Sa dignité découle de cette structure même de son être ; elle est ontologique. Plus cette dignité est apparemment masquée, plus elle en appelle à notre assistance. »39
c) L'exception d'euthanasie
Le mot « exception » n'a pas dissipé l'ambiguïté qui règne par ailleurs sur tout l'Avis. Il a fallu l'intervention de Jean Michaud, membre du Comité pour l'expliquer sans pour autant lever cette ambi­guïté. Michaud considère qu'il y a eu une fausse interprétation du mot « exception » : « Nous avons préconisé non pas une euthanasie d'exception mais une exception d'euthanasie. La première de ces ex­pressions eût signifié que dans certaines circonstances le geste « eu­thanasique » était licite. Or, tel n'était pas le cas. La seconde est une expression procédurale dont l'acception est la suivante : l'euthanasie continue à relever de la juridiction pénale, mais au début du proèès,
39 Manger Colette et Dolard Elisabeth, L'euthanasie, Conférence du Centre Inter­disciplinaire d'Éthique, op. cit.

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l'accusé invoquant par exemple le mobile de compassion qui aurait inspiré son acte, soulève ainsi « l'exception d'euthanasie... En adop­tant cette position, le CCNE a entendu concilier le respect des textes en ce qu'ils sont protecteurs de la vie humaine et le souci d'humanité dont doivent être-empreintes les décisions de justice. »
Le Comité propose d'introduire dans la procédure une « excep­tion d'euthanasie » comme il y a des exceptions d'incompétence, d'illégalité, de minorité, que l'autorité juridictionnelle appréciera en examinant les circonstances dans lesquelles l'acte a été accompli : de­gré de souffrance, consentement du malade, attitude de la famille, etc.. Pour Patrick Verspieren, le terme désigne « une latitude accor­dée, ou même une invitation faite au juge, de mettre fin à toute pour­suite judiciaire, en fonction des circonstances et des mobiles des au­teurs d'un acte d'euthanasie. Circonstances et mobiles qui seraient préalablement examinés par une « commission interdisciplinaire ». Il s'agit donc d'une catégorie juridique portant sur un processus judi­ciaire (...et extra judiciaire !) qui, en elle-même, ne laisse rien prévoir de sa fréquence d'application... le texte montre la difficulté d'inscrire dans le droit des limites, dès lors que le repère majeur qu 'est l'interdit
i                                                                                                   41
du meurtre est remis en question. »
Pour Michel Demaison, l'exception appartient en général encore pleinement au champ d'exercice de la loi. Cette dernière définit les motifs, les conditions et les modalités de cette exception. L'exception n'est pas extérieure aux lois comme le sont les zones de non droit, ni opposée à elles comme le sont les infractions, les délits et les crimes. Elle en est une clause privative ou suspensive. Mais cette relation, en­tre exception et loi, « ne pose aucun problème de fond aussi long­temps que les textes législatifs ou réglementaires concernent la justice sociale, le fonctionnement de l'économie, les contrats, la circulation des biens, les échanges de services, les pratiques de soins, etc.. »42. Mais, en ce qui concerne l'euthanasie, l'application de cette relation
40    Michaud Jean, « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie, Retour sur le rapport n° 63 du CCNE », dans Les Cahiers du CCNE, n° 24, 2000, p. 3.
41         Verspieren Patrick, « L'exception d'euthanasie », dans Études, n° 3925, mai 2000, p. 582.
42    Demaison Michel, Le pouvoir sur la vie. Une approche théologique, op. cit.

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entre règle et exception pose un problème, Michel Demaison avance deux raisons :
-  La règle en question n'est rien de moins qu'un interdit à portée universelle... Prévoir des exceptions légales à son application ouvre des transgressions irréparables puisqu'elles attaquent ce qui fonde l'humain.
-  Légiférer sur des exceptions possibles à l'interdit de tuer signi­fie qu'une législation s'octroie le pouvoir de décider à qui s'appliquera cet interdit, à qui il pourra ne pas s'appliquer. Autrement dit, les lois positives, particulières, conjoncturelles, se mettent au des­sus et disposent à leur gré d'une loi fondamentale, non écrite, fonda­trice de toute norme, constitutive de la conscience droite, au lieu de se mettre à service43.
À notre avis, le Comité a fait l'amalgame entre le terme juridique d'exception et le sens plus flottant des cas exceptionnels. Il a refusé la dépénalisation de l'euthanasie et la modification des articles du Code pénal. Mais il a proposé de modifier la procédure pénale sans en don­ner pour autant les modalités. Comment peut-on modifier le code de procédure sans avoir des conséquences ? Le droit peut-il définir l'exception ? Pour le Comité, l'autorité judiciaire devrait apprécier les circonstances exceptionnelles et les conditions de réalisation de l'arrêt de vie. Il définit les circonstances exceptionnelles : les situations limi­tes ou cas extrêmes et l'autonomie du patient manifestée par une de­mande authentique. Mais il ne donne aucune indication sur les condi­tions de réalisation de l'arrêt de vie, par exemple : le témoignage d'autres confrères, la connotation avec les proches, la mise en œuvre de l'interruption de vie, qui est présent pendant l'acte ? etc... De plus, à quel stade de la procédure l'autorité judiciaire devrait-elle interve­nir ? Le Comité suggère que l'exception d'euthanasie soit envisagée en début d'instruction ou de débats par une commission interdiscipli­naire chargée d'apprécier le bien fondé des prétentions des intéressés au regard non pas de la culpabilité mais des mobiles.
La juriste française Pascale Boucaud considère que l'appréciation des   mobiles   relève   de   la  juridiction   de  jugement   et   non   de
43 Voir ibidem.

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l'instruction. Or le Comité souhaite abandonner cette procédure qui est en cours actuellement pour examiner l'exception en début d'instruction. L'exception d'euthanasie est assimilée à un fait justifi­catif de l'infraction pénale ainsi défini par Boucaud : « Un fait justifi­catif est une cause objective d'impunité, qui empêche le fait considéré d'être délictueux, et qui peut ainsi être relevé à tout stade de la procé­dure, de l'instruction au jugement. Si le juge d'instruction retient le fait justificatif il rend une ordonnance de non-lieu, évitant le renvoi devant la juridiction de jugement. »
Le Comité défend la valeur fondatrice de l'interdit du meurtre, mais propose par ailleurs des critères qui permettent de circonscrire la recevabilité de l'exception d'euthanasie. Si les juristes valident ces critères, ils affaiblissent l'interdit du meurtre. Le texte insiste sur l'engagement solidaire du médecin et du patient excluant la transfor­mation du médecin en simple « prestataire de service », pour autoriser la transgression de la règle, car la sollicitude est « le dernier moyen de faire face ensemble à l'inéluctable » ; la solidarité peut être mobilisée dans les cas où -sans doute rares- la mise en œuvre résolue des trois démarches évoquées, (soins palliatifs, accompagnement, refus de l'acharnement thérapeutique) se révèle impuissante à offrir une fin de vie supportable.
Il nous est difficile de comprendre comment le droit pourrait véri­fier que les trois démarches soient mises en œuvre. Comment définir le supportable et l'insupportable et pour qui ? Des questions peuvent aussi se poser à propos de la notion de « consentement ». Comment allons-nous pouvoir juger l'authenticité de ce consentement ?43 De plus, le Comité approuve l'exception d'euthanasie quand « la per­sonne irrémédiablement privée de capacités relationnelles a demandé à ne pas voir sa vie prolongée. » Comment le juriste va-t-il pouvoir juger des capacités relationnelles du malade ? Cela ne risque-t-il pas
44    Boucaud Pascale, Commentaire de l'avis du Comité National consultatif d'éthique du 27 janvier 2000, intitulé : « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie », Laennec, octobre 2000, p. 14.
45         Est-ce que consentir veut toujours dire demander? Ne faut-il pas distinguer la demande qui vient du malade de celle qui vient d'un tiers (parents, soignants) ? Qui aura la charge de prouver la demande ? La parole d'un tiers est-elle suffi­sante ?

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de mettre fin à la vie de quelqu'un qui ne souffre même pas, mais qui serait privé de la faculté de s'exprimer? Dans l'éditorial de la revue Esprit de juillet 2000, on estime que « le rôle du Comité était peut-être moins de valoriser le courage de ceux qui peuvent être appelés, dans certains cas exceptionnels, à donner la mort qu'à favoriser les soins palliatifs qui se trouvent bizarrement réduits à une intervention technique. Loin de respecter les convictions des uns et des autres, l'exceptionnalité couvre ici des pratiques hétérogènes qui ne se nour­rissent pas toujours de conviction fortes et affichées. »
d) Le décalage entre les règles affirmées et la réalité vécue
Pour le CCNE, ce décalage ne fait qu'encourager le comporte­ment hypocrite et clandestin. Admettons qu'il y a un décalage entre la loi et le vécu réel, n'est-ce pas une raison pour rappeler la loi protec­trice des valeurs fondamentales, garante de la cohésion sociale et sanc­tionnant toute dérive des mœurs ? Faut-il réduire le droit au fait ? Il est vrai qu'il existe des pratiques d'euthanasie partout dans le monde, mais il est vrai aussi que le développement des soins palliatifs, la for­mation des équipes soignantes dans l'accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs familles, contribuent à diminuer ce décalage et le Comité a bien insisté sur ce travail. Malgré le dispositif juridique pris aux Pays Bas en 1993, avant même la dépénalisation de l'euthanasie, les actes d'euthanasie continuaient à se pratiquer dans la clandestinité, se substituant aux soins palliatifs.
e)  La solidarité et la compassion appliquées pour des actes eutha­
nasiques
Le CCNE n'a pas souligné l'importance de la compassion et de la solidarité dans les soins palliatifs. Par contre, il a bien souligné leur importance dans l'acte euthanasique. La solidarité et la compassion peuvent selon l'Avis réaliser ce qui ne saurait être accepté par la raison discursive et les principes. Comme si la vie à respecter était placée du côté des principes et l'exception d'euthanasie du côté de la compas­sion et de la solidarité. Cela neutralise en quelque sorte les soins pal­liatifs défendus, comme étant incapables en quelque sorte de faire
46 Voir « Éditorial » dans Esprit, juillet 2000, n° 265, p. 3.

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l'articulation entre le respect de la vie et la pratique de la compassion. On a l'impression que le principe du respect de la vie anéantit tout lien avec l'autre. Alors qu'il s'agit exactement du contraire. L'engagement solidaire et la compassion sont des notions très ambiguës : elles reflè­tent sans aucun doute des sentiments profondément humains, mais el­les peuvent aussi cacher des réalités inavouées : la peur de la mort, de la souffrance, de l'agonie trop longue, du poids financier, etc.. Même s'il peut y avoir parfois des cas exceptionnels, ne conviendrait-il pas de se poser la question : de quoi sommes-nous solidaires ?
RÉFLEXIONS THÉOLOGIQUES
Alors que les fins dernières n'ont jamais cessé de tourmenter l'homme, un lien important s'est créé entre la religion et la mort, ou plus exactement, entre la religion et l'angoisse de la mort. Les argu­ments avancés par la religion chrétienne jouent un rôle important dans la réflexion sur la responsabilité de l'homme face à la mort, malgré les attaques extérieures qui considèrent que l'intervention de la religion ne peut en aucun cas éclairer le débat. Il s'agit des arguments sui­vants :
La dignité de l'homme créé à l'image de Dieu
L'être humain tire sa dignité du fait qu'il est créé à l'image du Créateur et qu'il est enfant de Dieu. Son fondement est donc transcen­dant. Cette dignité appelle donc de la part des autres un respect in­conditionnel et exige de toute personne d'agir à la hauteur de ce qu'elle est. Cette corrélation entre dignité humaine et image de Dieu entraîne un regard original porté sur l'homme, une notion ou une quasi-définition de l'homme.
Cette image et la dignité qui lui est liée résident dans le fait de « pouvoir connaître et aimer le Créateur » et d'être capable de com­munion et de relation avec ses semblables à l'image du Dieu trinitaire, comme l'affirme Vatican II dans Gaudium et Spes au n° 12. Cette di­gnité, ajoute cette Constitution pastorale sur l'Église dans le monde de ce temps, réside aussi dans son intelligence et sa capacité à connaître la vérité, dans sa sagesse (n°15). Elle se trouve aussi dans sa cons­cience morale où la voix de Dieu se fait entendre et qui donne à

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l'homme la capacité de discerner le bien et le mal (n°l6). Elle apparaît encore dans sa liberté qui « est en l'homme un signe privilégié de l'image divine» (n°17). L'aspect le plus sublime de la dignité hu­maine se trouve dans cette vocation de l'homme à communier avec Dieu. Donc si la dignité de l'homme trouve son origine dans sa créa­tion à l'image de Dieu, celle-ci est inaliénable et il n'est donné à per­sonne de s'en faire juge ; cette dignité invite à regarder au-delà des apparences de dégradation de l'écorce afin de repérer cette étincelle divine qui brille avec parfois d'autant plus d'éclat47.
Prendre la place de Dieu
Cet argument est ancien, mais il est réactualisé avec le dévelop­pement de la technologie dans les sciences de la vie. Il est défendu par beaucoup de théologiens chrétiens de toute confession. Citons à titre d'exemple Karl Barth, protestant et Stanley Haraks, orthodoxe. Pour ces théologiens, les scientifiques prennent la place de Dieu (to play God) en cherchant soit à prolonger longtemps la vie de la personne, soit à la supprimer. Or le pouvoir sur la vie n'appartient pas à l'homme, la nature doit poursuivre son cours, puisqu'en respectant l'ordre naturel, on respecte l'ordre de Dieu et sa volonté. Cet argument suscite bien évidemment des interrogations sur le rôle de la médecine qui, en dehors de l'euthanasie, cherche à sauver des vies en contour­nant en quelque sorte le cours de la nature. Cet argument avance une sorte d'opposition entre le pouvoir de Dieu et celui de l'homme. En général, les catholiques et les protestants refusent cette interprétation puisque l'homme ne s'oppose pas à la volonté de Dieu en cherchant à améliorer la condition de la vie humaine et puisqu'il est collaborateur de Dieu sur le chantier du monde. Il nous semble que cet argument considéré comme fondamentaliste n'en est pas moins repris autrement par Jean-Paul II qui parle de l'euthanasie comme refus de la souverai­neté absolue de Dieu sur la vie et la mort. Dans son encyclique Évan­gile de la vie (EV), le pape présente l'euthanasie volontaire comme un refus ou oubli du rapport de l'homme avec Dieu. L'homme pense être pour lui-même critère et norme (EV n° 64). Pour l'euthanasie involon­taire, c'est une reproduction de la tentation d'Eden : où le médecin
47  Cf. Maret Michel, L'euthanasie. Alternative sociale et enjeux pour l'éthique chrétienne, Paris, 2000, p. 149.

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prend la décision du bien et du mal. Or seul Dieu a le droit de faire mourir et de faire vivre48. Par contre, Jean-Paul II n'utilise pas l'expression « prendre la place de Dieu ». D'ailleurs, il emprunte les termes de Grégoire de Nysse pour affirmer la responsabilité de l'homme à faire fructifier la vie : « Dieu a fait l'homme de telle sorte qu'il soit apte au pouvoir royal sur la terre... L'homme a été créé à l'image de Celui qui gouverne l'univers » (EV n° 52). Mais ce pou­voir est au service de la dignité de l'homme. L'homme doit être res­pecté dans sa dignité même s'il est en situation dramatique. Seule la reconnaissance de Dieu comme maître de la vie et de la mort permet de respecter la vie de toute personne surtout affaiblie par la maladie et la souffrance.
Le caractère sacré de la vie
Il est évident que cet argument est spécialement religieux, mais il est aussi partagé par des groupes de la société séculière. Pour cela, il est interprété différemment par l'un ou l'autre. En ce qui concerne l'interprétation théologique, Jean-Paul II insiste sur le lien entre la sa-cralité de la vie et son appartenance absolue à Dieu. Il rend compte du caractère sacré de la vie en affirmant que Dieu est le maître de la vie : « Dès son origine, la vie comporte l'action créatrice de Dieu et de­meure pour toujours dans une relation spéciale avec le Créateur, son unique fin. Dieu se proclame Seigneur absolu de la vie de l'homme, formé à son image et à sa ressemblance (voir Gnl, 26-28). Par consé­quent, la vie humaine présente un caractère sacré et inviolable, dans lequel se reflète l'inviolabilité même du Créateur » (EV n° 53)49. Il ajoute que « cela ne doit pas surprendre : tuer l'être humain, dans le­quel l'image de Dieu est présente, est un péché d'une particulière gravité. Seul Dieu est maître de la vie » (EV n°55).
48    Sur ce point, Hubert Doucet considère que la citation du Deutéronome (32, 39) est loin d'être proche de la problématique de l'euthanasie. Il s'agit du Cantique de Moïse, au terme de sa vie devant le peuple d'Israël, mettant en relief la grandeur et la bonté de Dieu et l'infidélité du peuple ; Doucet Hubert, Les promesses du crépuscule, op. cit., 1998, p. 83.
49    Voir aussi Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration sur l'euthanasie, Introduction, n° 5.

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Le caractère sacré de la vie ne fait pas de la vie un objet intou­chable. La sainteté de la vie - qui n'est pas mentionnée dans le NT -est reconnue par le fait que Dieu entretient une relation créatrice avec celle-ci. Elle est son œuvre et c'est lui qui la fonde. Cette attention à la vie est inséparable de la responsabilité de l'homme de la développer. Ce qui fait que sainteté de la vie devrait rimer avec qualité de la vie. Hubert Doucet s'interroge sur l'opportunité d'appliquer l'interdit « tu ne tueras pas » à l'euthanasie : « lorsqu'une personne est prolongée indéfiniment et au-delà de ses forces morales, rendant ainsi impossi­ble une qualité minimale de vie, ne serait-ce pas servir ses meilleurs intérêts que d'abréger sa vie à sa propre demande ? L'objectif ici visé est à l'inverse de celui qui conduit à interdire le meurtre » . Il est vrai que la grandeur de la vie tient dans son ouverture à plus qu'elle-même. Si le christianisme accepte de ne pas prolonger la vie, réduite unique­ment à sa condition biologique, incapable d'entrer en relation avec soi-même, les autres et Dieu, il n'accepte pas par contre sa mise à mort.
Jean-Paul II affirme : « la décision délibérée de priver un être humain innocent de sa vie est toujours mauvaise du point de vue mo­ral et ne peut jamais être licite, ni comme fin, ni comme moyen en vue d'une fin bonne » (EVn° 57). Ainsi, «L'euthanasie est une grave vio­lation de la Loi de Dieu, en tant que meurtre délibéré moralement inacceptable d'une personne humaine » (EV 65).
Certains penseurs ont repris l'expression « caractère sacré de la vie » pour l'interpréter dans un cadre séculier. On parle plutôt de vita-lisme. Quel que soit l'état du patient, il faut faire tout pour préserver sa vie. On a assisté et peut-être assiste-t-on encore, à des acharnements thérapeutiques. Il nous semble que cette interprétation durcit la posi­tion de l'Église catholique et fait l'équivalence entre le caractère sacré de la vie et le culte de la vie. Or, si on regarde de près les discours de Pie XII, on ne peut pas réduire l'un à l'autre. Le caractère sacré de la vie trouve sa source dans l'être humain lui-même, dans sa dignité comme être humain personnel et non comme particule de la bio­sphère.
50 Doucet Hubert, Les promesses du crépuscule, op. cit., 1998, p. 90.

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La vie est un don de Dieu
Le christianisme considère que si la plupart des hommes estiment que la vie a un caractère sacré et que chacun ne peut en disposer à sa guise, les croyants y voient plus encore un don de l'amour de Dieu qu'ils ont la responsabilité de conserver et de faire fructifier. Cet ar­gument spécifiquement chrétien n'a pas d'équivalent séculier. La vie est un bien fondamental donné par Dieu. Ce don est une participation à la vie même de Dieu. Pour cela, le don ne peut pas être considéré comme un cadeau qu'on peut utiliser à sa guise, ce qui conduirait à admettre l'euthanasie comme possible. Concevoir la vie comme don de Dieu, c'est considérer l'homme moins comme locataire de son être - ce qui entraînerait un respect absolu de sa vie et donc on ne peut plus qu'encourager l'acharnement thérapeutique - et encore moins comme propriétaire pouvant en disposer à son gré (droit d'user et d'abuser selon le droit romain) sortant de toute perspective relation­nelle avec le donateur. Il s'agit en fait, comme le dit Hubert Doucet, d'une alliance5'. La vie est donnée par Dieu à l'homme comme une mission dont il porte la responsabilité. Ce don est de l'ordre de la rela­tion responsable et respectueuse. La Bible symbolise cette alliance, entre autres, par le thème de l'époux et de l'épouse52. Et là, la qualité trouve bien sa place sans pour autant conduire à mettre un terme à la vie. Le chrétien est membre du Corps du Christ et Temple de l'Esprit Saint et de ce fait, le disciple du Christ ne s'appartient pas (ICo 6,15 et 19). La perspective de l'alliance dans la vie d'ici-bas a un terme na­turel marquant l'entrée dans la vie éternelle qui est aussi don de Dieu. En demandant l'euthanasie, on ne respecte pas ce terme naturel, ce qui aurait des conséquences sur l'alliance avec Dieu. De plus, cet acte au­rait aussi des conséquences sur la relation qui lie tout être humain avec les autres, vu que l'alliance de Dieu est ouverture à tout homme.
Liberté autarcique et liberté relationnelle
Les défenseurs de l'euthanasie érigent la liberté en valeur su­prême. Il s'agit pour eux d'un acte individuel sans conséquences so-
51        Ibidem, p. 77-99.
52        Voir Os 1-3 ; Jr2, 2 ; 31,3 ; Ez 16,1-43.59-63 ; Is 54, 4-8 ; Jn 3,29 ; Ep 5,23-27 ; Mt9,15etc...

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ciales du fait qu'il ne lèse pas le droit des autres. Il nous semble que cette approche est une interprétation partielle de l'être humain. Il s'agit en fait d'une conception autarcique de la liberté. Le théologien français Xavier Thévenot définit l'autarcie dans le contexte même de l'euthanasie : « Le fait d'être en tout son propre maître et de disposer de soi-même, dans toutes ses dimensions d'un pouvoir absolu... il (le sujet) n 'a de compte à rendre à personne quant à l'usage qu 'il fait de son corps, de son intelligence, de son affectivité... et de sa vie. C'est affirmer le droit de quitter l'entretien social dans lequel il est entré le jour de sa conception. Or tant du point de vue de la philosophie que de  la  théologie,   l'autarcie  apparaît  comme   une   illusion  dange-
53
reuse. »
La liberté de l'homme est influencée par le contexte social. Elle a une dimension essentielle de réciprocité. Elle est une liberté relation­nelle, interdépendante, empreinte de responsabilité et de solidarité. L'individu n'est pas liberté pure, mais une liberté socialement incar­née. Dans l'acte de l'euthanasie, ce qui est en jeu ce n'est pas seule­ment la liberté du malade, mais aussi celle de la personne qui va réali­ser sa demande de mort.
Dans le message chrétien, la liberté a une dimension relationnelle essentielle. Or la conception de la liberté moderne exalte l'individu en occultant les dimensions sociales de responsabilité et de solidarité. Elle remet en cause la notion des droits humains fondamentaux pro­pres à toute personne et antérieurs à toute législation ou constitution. Le pape Jean-Paul II le précise bien dans son encyclique: « Si l'accomplissement du moi est compris en termes d'autonomie absolue on arrive inévitablement à la négation de l'autre, ressenti comme un ennemi dont il faut se défendre. La société devient ainsi l'ensemble d'individus placés les uns à côté des autres, mais sans liens récipro­ques » (EV n° 20). Pour le message chrétien, il s'agit d'une liberté pour et non une liberté de. Comme nous l'avons vu, Dieu crée l'homme et noue avec lui une relation d'alliance. Cette dernière le rend responsable (répondre de) de toute la création, de sa vie et des autres. La responsabilité pour un chrétien est un appel à se faire le
53  THÉVENOT Xavier, La bioéthique, La Bibliothèque de formation chrétienne, Cen-turion/Paulines/La Croix, Paris, 1989, p. 115.

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prochain de ses frères (voir aussi GS n°27). Confiant l'homme à l'homme, Dieu lui donne la liberté qui comporte cette dimension rela­tionnelle. Si la relation et la responsabilité sont inhérentes à l'essence de l'homme, sa liberté ne peut pas ne pas en être influencée. L'homme est libre avec et pour les autres. La responsabilité précède cette liberté et la fonde. Pour terminer, Jean-Paul 11, face au bouleversement des valeurs, invite la société occidentale à une transformation profonde : « Le tournant culturel ici souhaité exige de tous le courage d'entrer dans un nouveau style de vie qui adopte une juste échelle des valeurs comme fondement des choix concrets, aux niveaux personnel, familial, social et international : la primauté de l'être sur l'avoir, de la per­sonne sur les choses. Ce mode de vie renouvelée suppose aussi le pas­sage de l'indifférence à l'intérêt envers autrui et du rejet à l'accueil : les autres ne sont pas des concurrents dont il faut se défendre, mais des frères et des sœurs dont on doit être solidaire » (EV n° 98).
CONCLUSION
Avoir une vision globale de la personne malade
Ayant une spécialisation de plus en plus minutieuse, les médecins ont de moins en moins la possibilité de s'occuper du malade pris comme un tout, blessé dans son humanité. Il est nécessaire de respec­ter une histoire qui n'est pas encore terminée tant que la mort n'est pas advenue. Car mettre fin à une vie, même à la demande du patient, c'est mettre fin à une personne. La théologienne française Marie-Louise Lameau considère que « La proximité de la fin, bien loin de rendre insipides et « sans signification » les jours qui restent à vivre, leur donne de la densité, les ouvre sur une promesse. »3 Ce n'est pas parce que l'agir de la personne diminue, qu'elle n'a plus une histoire ou qu'elle n'est plus dans l'histoire. Donner la mort à quelqu'un met en danger le contrat social qui lie tout individu à la société. Le bien qu'on prétend rechercher dans le cas de l'euthanasie se présente par­fois comme celui de la société puisque l'individu devient un fardeau pour les autres. L'euthanasie peut donc apparaître comme un devoir social. Mais en réalité, elle remet en cause le rapport entre les biens-
54 Lameau Marie-Louise, Soins palliatifs, Le Centurion, Paris, 1994, p. 132. Voir également sur l'importance de l'accompagnement (EV 65 §3 ; 67 §1 ; 88 §4)

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portants et les malades et par le fait même la solidarité entre les géné­rations.
Réintégrer le thème de la souffrance dans la réflexion sur la maladie et la mort
Cela ne veut pas dire qu'il faut reconnaître la souffrance comme un bien. Si on prend l'exemple des soins palliatifs, il s'agit encore d'une action et donc d'une protestation contre la souffrance et contre tout ce qui contribue à diminuer la dignité de la personne qui souffre. Mais l'expérience des soins palliatifs montre que même les instants les plus douloureux peuvent être féconds. Car la souffrance n'est pas seu­lement liée à la douleur, qui devient maintenant de plus en plus contrôlable par la médecine, mais elle est liée aussi à toutes les dimen­sions de la personne : « La souffrance n'est pas « médicalisable », au sens qu'elle ne peut pas être réduite à ses composantes, c'est-à-dire aux symptômes physiques ou psychologiques. Les composantes exis­tentielles et spirituelles sont aussi essentielles. D'autre part, ces soins nous apprennent que toute souffrance n'est pas « traitable » ou contrô­lable. Le croire serait perdre de vue que la souffrance est la dégrada­tion qui s'exprime jusque dans les actions les plus simples de la vie. »55
La mort appartient à notre existence humaine
La mort n'est pas un mal absolu. « La mort biologique n 'estpas à comprendre comme un contre-pouvoir opposé à la vie, car ce serait lui accorder une sorte de réalité propre, une consistance égale à celle de la force vitale, sur laquelle elle exercerait un pouvoir finalement vainqueur, alors qu'elle n'est qu'une limite intrinsèque, une auto­limitation de ce phénomène biologiquement temporaire qu'est chaque vivant singulier, du fait qu 'il est assujetti à la contingence et au deve­nir, qu 'il est né, donc mortel. »56 II est important que la médecine fasse de son mieux pour diminuer les maladies ou du moins diminuer ses effets sur l'homme, mais elle ne peut pas fonder tout son agir sur une vision d'un monde sans maladie et sans souffrance. Les personnes
55        Ibidem, p. 153. Voir aussi (EV n° 88).
56        DemaISON Michel, Le pouvoir sur la vie. Une approche théologique, op. cit.

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qui demandent l'euthanasie sont parfois et même souvent, effrayées de voir que la maladie, la souffrance et la mort deviennent un problème médical à vaincre, plutôt qu'une composante de la condition humaine. Ce dont nous avons besoin, c'est aussi d'une présence et d'une atten­tion à la souffrance de l'homme en fin de vie et non pas d'un système de santé qui vise à vaincre la mort. La contribution chrétienne est né­cessaire pour rappeler les limites de notre réalité corporelle et insister sur le fait que la mort n'est ni une destruction ni un anéantissement de l'homme.