RENTREE
SOLENNELLE DE LA CONFERENCE DU STAGE ET
DU BARREAU DE PARIS
4 DECEMBRE 2009
THEATRE DU CHATELET
***
DISCOURS DE LOUISE TORT
DEUXIEME SECRETAIRE DE LA
CONFERENCE
Un procès
important a beaucoup plus
d’influence sur
la vie d’un peuple que
1.000
billevesées mathématiques et
100.000 discours
sur les prix d’Académie.
VOLTAIRE
Monsieur le Bâtonnier,
Mesdames et Messieurs,
Chers Confrères,
Tout va bien.
Tout va bien.
Rien ne sert de s’inquiéter, elle
est là, juste de l’autre côté.
2
Traversez la Seine en sortant du
Châtelet, et vous la verrez : Sereine, elle sait prendre
le temps et la peine de se
concentrer sur l’essentiel, de s’intéresser à ce qu’il y a de
plus important, pour vous, pour
nous, pour nos enfants.
Entrez dans une salle d’audience,
et vous l’entendrez : Rassurante, elle sait chaque
fois trouver les mots pour
soigner même les pires des maux.
Elle sait quand il le faut, se
donner les moyens d’arriver à ses fins.
Attendez le délibéré et vous
l’admirerez : Indépendante, elle sait que l’exemplarité de
l’impunité ne saurait être
tolérée, et que bien entendu, les coupables sont toujours
parmi les prévenus.
Oui tout va bien, car elle est
là, elle nous protège, la belle, la grande, l’immaculée
Justice de FRANCE.
Celle qui nous éblouit chaque
jour de ses lumières, et qui sait bien comment, pour
panser nos plaies, nous devons
traiter les barbares de notre temps.
Alors, en ces temps troublés,
profitons de ce jour de rentrée, de commémoration du
passé, pour célébrer ensemble
notre grand destin, et nous rappeler que ce grand
dessein était engagé il y a bien
longtemps déjà.
Ainsi, en 1386, se dressait non
loin d’ici, dans le bassin de Normandie, une Cité
puissante et convoitée, dont la
justice punissait déjà les barbares du moment, et
parvenait ainsi à protéger et à
rassurer les pauvres gens.
FALAISE, Capitale du HOULME,
régnant tant sur les francs que les Normands,
réunit alors pas moins de 336
paroisses.
Elle est dirigée, depuis 6 ans
déjà, par le Vicomte REGNAULT RIGAULT,
représentant du Duc de Normandie,
et du Roi de France,
Un Vicomte qui, chargé d’exercer
la justice sur la roture et le tiers état, permit à cette
Cité de s’illustrer aussi par un
grand procès.
Tout commence alors que s’écoulent
les premières heures de cette nouvelle année.
FALAISE, endormie, respire le
calme et la sérénité.
Les festivités de la veille,
présidées par le vicomte REGNAULT RIGAULT en
personne, se sont
merveilleusement déroulées, et dans le silence de la nuit noire, on
peut encore entendre résonner les
rires et les chants des enfants ;
Mais quand la brume vient chasser
l’obscurité et commence à entourer les épais
remparts de la ville, quand les
premiers rayons de l’année viennent se poser sur les
murs de l’Eglise de la Trinité,
le silence est presque parfait.
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Lorsque soudain, un cri,
effroyable, un hurlement venu du tréfonds des enfers,
transperce la ville endormie et
glace chaque esprit.
Rue des Capucins, Marie de MEAUX,
à genoux dans un recoin de la métairie, tremble
de tout son être, ses mots
semblent incohérents.
Elle pleure, elle crie, elle
prie, elle mendie, elle maudit :
- « Du sang, du sang ! Mon
enfant ! Aidez moi ! Monstres !
Mon Dieu,
qu’avez vous fait ? »
Marie tient dans ses mains le
corps sans vie de l’enfant qu’elle avait tant désiré,
qu’elle avait si durement mis au
monde seulement trois mois auparavant, et dont les
grands yeux si éveillés avaient
généré tellement de fierté.
Maculée du sang de sa chair, elle
tient tout contre elle son corps désarticulé ;
Pour ne pas le voir, mutilé, le
bras presqu’intégralement arraché, retenu seulement
par quelques lambeaux de chair
ensanglantée,
Pour ne pas le voir, défiguré,
l’oeil, entièrement exorbité, la joue, déchiquetée.
Son fils adoré, qui venait à
peine d’avoir un nom, n’avait plus de visage.
Alors Marie ne comprend pas
pourquoi, elle ne comprend pas comment, il peut se
trouver là, meurtri, froid, dans
ses bras.
Et comme si son coeur avait pu le
lui dire, contre le sien elle le serre, encore, encore,
plus fort.
Petit à petit, comprenant d’où
proviennent ces grands cris qui confinent à la folie, la
foule s’est progressivement
attroupée autour de la demeure endeuillée.
Elle sait désormais pourquoi
Marie, si discrète et si polie, ne peut ce matin retenir ses
hurlements de désespoir.
Face à l’horreur, à la douleur,
Face à l’enfant massacré, à ses
parents anéantis,
la foule se joint, la foule
s’incline, la foule s’inquiète.
En ce 1er janvier 1386, sous le
choc de l’impensable, de l’innommable,
FALAISE tremble,
FALAISE n’est plus qu’une immense
rumeur
FALAISE a peur.
Jean, le père de l’enfant, décide
de raisonner :
Il va donc s’armer.
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Maçon, il s’empare de tous les
outils en sa possession, pour dénicher et terrasser de
ses mains l’infâme, le monstre
qui a osé s’en prendre aussi sauvagement à son
nourrisson.
Il fait le tour de son établi,
arpente chaque recoin de la métairie, fouille chaque pièce
de sa petite maison ;
Mais rien.
Alors, comme lui, les hommes
décident eux aussi de raisonner :
Ils vont donc s’armer.
Lames, pelles, pieux, torches,
arcs, lances, masses ; les chiens sont lâchés sur la piste
de l’infâme, la battue est lancée
dans toute la Cité.
Chacune de ses ruelles creusées
est arpentée, chacune de ses maisons de châtaigner
est fouillée, chaque porte
dérobée est enfoncée.
Et très rapidement, le coupable,
ce monstre, cette bête, est débusqué.
Il ne fut en effet pas besoin
d'aller bien loin :
C’est le voisin de Jean qui l'a
trouvé vautré près de la porte de son grenier.
Encore couvert du sang frais de
sa pauvre petite victime, celui que toute la ville
recherchait s’était simplement
assoupi là, se reposant tranquillement de son forfait.
Aidé de la foule ameutée par ses
cris, le voisin de Jean le roue de coups de poings, de
pieds, de masse, de bâton.
Avant même de se réveiller, le
meurtrier est assommé, neutralisé, saucissonné.
Chacun découvre alors stupéfait,
qu’il n’est autre que ce vagabond qu’on a pris
l’habitude de tolérer, et qu’on
se souvient tous avoir croisé la veille ou l’avant-veille
dans les rues de la Cité.
La garde se saisit alors du
nauséabond prisonnier, lui évitant ainsi d'être lynché par la
foule, qui l'accompagne d’un
cortège d’insultes et de cris jusqu’au château, où il sera
mis aux arrêts.
Tandis que ses hommes prennent en
charge le meurtrier conspué, Colin GISLIN, le
lieutenant général du Vicomte
REGNAULT RIGAULT, dûment avisé et missionné,
s’emploie à rassurer la foule
déchainée :
- « Falaisiens,
gens de bien, voilà l’assassin !
L’assassin du
pauvre petit infant de notre ami et frère Jean !
L’assassin, dont
le corps, et même les dents, sont encore souillés de son sang
innocent!
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Cet étranger,
nommé Claudon selon les premiers éléments découverts par ma
garnison, sera,
soyez-en certains, sévèrement puni et châtié pour son crime, au nom
de notre bien
aimé Vicomte REGNAULT RIGAULT !
Ainsi, le bon
Jean de MEAUX sera vengé, et une telle monstruosité, je vous le
promets, ne se
reproduira jamais ! »
Sur ordre du Vicomte, le
meurtrier nommé Claudon est immédiatement jeté au
cachot dans le Donjon du Château.
Dès lors, précisait la lettre de
cachet du Duché :
« Le coupable
sera traité comme il l’a mérité, sans pouvoir propager son
immoralité ; Et
la procédure sera efficacement menée. »
L’affaire est confiée au Sieur
Guillaume LE DIACRE, Promoteur des causes d’office
de la Vicomté ; seul et unique
inquisiteur et enquêteur d’une Justice saine, sereine et
équitable, chargé de procéder,
avec l’aide de ses gens et de ses substituts, à
l’instruction criminelle de la
sordide affaire.
Mais, extrait de son cachot dès
le lendemain des faits, Claudon lui, ne semble pas
disposé à favoriser la
manifestation de la vérité.
Loin de s’expliquer et d’implorer
le pardon lors de cette première comparution,
l’infâme ne daigne même pas
écouter les questions.
Son regard vide et cruel reste
fixe et droit, puis s’agite de manière insensée, mais dans
tous les cas, et c’est à
désespérer, il ne répond pas.
Après une journée entière de
questions sur les faits, aucun mot n’aura été prononcé
par ce maudit Claudon. Il sera
donc décidé de lui appliquer la Question.
Car si sa culpabilité est d’ores
et déjà avérée dans ce dossier, il a bien du sang sur les
dents, il manque encore aux
Falaisiens une réponse qui seule pourrait leur apporter
la paix : Quand ?
Quand Claudon a-t-il mordu et
dépecé sa victime ?
A quelle heure a-t-il osé dévorer
la chair ce petit ?
Avant ou après minuit ?
Jeudi, ou Vendredi ?
Car si au-delà de l’atrocité de
son crime, Claudon est allé jusqu’à violer la loi divine,
jusqu’à transgresser le
commandement sacré, en osant consommer de la chair un
vendredi, sa peine doit en être
lourdement aggravée !
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C’est pourquoi, dans un cas, il
sera étranglé et pendu, alors que dans l’autre, il sera
brûlé vif.
La réponse à cette question est
ainsi absolument cruciale, et puisqu’il se refuse à
toute déclaration, la Question de
Claudon, résolument indispensable.
Le lendemain, il sera donc
Questionné, jusqu’à ce qu’il se décide enfin à parler.
Dès les premières heures de la
matinée, Claudon est installé, solidement attaché,
pour être, un peu, écartelé.
Et là, mais qui pouvait en
douter?
Face à la douleur de ses
responsabilités, l’infâme, dont la veulerie était allée jusqu’à
s’en prendre à un nouveau né,
s’est comporté comme ce que chacun savait déjà qu’il
était : un lâche ! Car, enfin, il
a parlé.
A la question : « Claudon,
vous avez dévoré l’enfant de Jean de MEAUX, le
reconnaissez-vous
? Bourreaux, faites avancer les chevaux! »
Il a crié.
A la question : « L’avez-vous,
Claudon, dévoré avant minuit ? Bourreaux, faites
avancer les
chevaux !
»
Il a crié.
« L’affaire est faite »,
s’exclame LE DIACRE, avant d’intimer à sa garde l’ordre de se
saisir du meurtrier pour le
ramener au cachot.
Mais assoiffé de vérité absolue,
Colin GISLIN, le lieutenant général du Vicomte,
intervient et exige que Claudon
soit ramené à la question pour une ultime
interrogation, bien plus
importante encore :
« L’avez-vous Claudon, dévoré
après minuit ? Bourreaux, faites avancer les
chevaux ! »
Il a encore crié.
« Cette fois, l’affaire est
faite », proclame Colin GISLIN.
« Il ne vous reste plus qu’à
adresser le rapport de votre tabellion au Vicomte, dont je
sais qu’il
s’impatiente déjà de juger ce scélérat. »
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Chaque jour depuis le 1er janvier,
le Vicomte REGNAULT RIGAULT reçoit en effet
Jean de Meaux et ses proches au
Château.
Il leur assure quotidiennement
qu’il rendra justice à leur malheureux enfant, dont il
se sent tout autant le parent. Il
en va de son honneur et de son autorité.
Le Vicomte est donc immédiatement
informé que l’enquête est terminée, et fixe lui
même le procès au 8 janvier sur
la place de l’Eglise de la Trinité.
L’infâme Claudon y sera jugé
publiquement par le Vicomte et les sages qu’il aura
désignés pour l’entourer.
Chacun est convié, tous les
villageois et paysans doivent en être avisés.
Le moment est venu, pour
qu’enfin, Justice soit rendue. Nous sommes le 8 janvier.
Rapidement, la salle d’audience,
qui n’est autre que la place du Marché devant
l'Eglise, est pleine ; la Place
de FALAISE déborde.
Et lorsque le Vicomte et sa Cour
font leur entrée, ils sont littéralement acclamés :
« Pas de pitié ! Que Jean de
MEAUX soit vengé ! » Crie l’assemblée.
Pour les apaiser, REGNAULT
RIGAULT fait un geste de la main, permettant ainsi à
sa Cour de s’installer dignement,
alors que progressivement, le silence se fait.
Sur sa droite, LE DIACRE, le
promoteur des causes d’office, accompagné de ses
substituts et de ses gens, est
déjà attablé, serein et décontracté.
A gauche mes Chers Confrères,
mais plus bas, beaucoup plus bas, un homme, petit,
plutôt gras, un peu difforme, est
assis derrière une petite table.
Et devant lui, une lourde chaîne
a été scellée.
Subitement, la tension monte, des
mouvements se font sentir devant le Château.
Des cris de haine s’élèvent de
plus en plus fort, de plus en plus près, jusqu’à
enflammer tout entière la Place
de la Trinité.
L’accusé est avancé.
Les Falaisiens cessent de crier,
de parler, puis se mettent à chuchoter, et se taisent
enfin. Lorsque Claudon est
enchaîné, le silence est complet.
Le Vicomte rappelle les termes de
la prévention,
Les faits sont exposés, en
commençant par le détail des atroces blessures de l’enfant
et le résumé des hypothèses qui
peuvent être formulées.
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Mais ce faisant, REGNAULT RIGAULT
semble particulièrement indisposé, au point
d’hésiter plusieurs fois à
s’arrêter.
Et lorsqu’il en vient au récit de
l’interpellation, exaspéré, il s’interrompt, et se tourne
vers Claudon:
« C’est vous ? C’est vous qui
empestez comme ca ? »
Là, le petit homme se lève,
Et les regards se détournent
alors un instant de Claudon.
« Monsieur le
Vicomte, Monseigneur, Votre Honneur,
Je dois à la
vérité de dire qu’il est vrai que mon client sent extrêmement mauvais.
Mais si vous me
le permettez, je souhaiterais simplement souligner,
En ma qualité de
défenseur public du nommé Claudon,
Que ceci est
moins lié à sa volonté, qu’à sa condition… »
« Dois-je
comprendre que vous vous permettez de stigmatiser nos conditions de
détention ? Que
la défense ose se plaindre de ce que nous lui faisons, alors que votre
client lui, n’a
connu aucune pitié pour un pauvre nourrisson ! »
« Oh non,
Monsieur le Vicomte, Monseigneur, Votre honneur,
Je souhaitais
simplement, respectueusement attirer votre lumineuse attention sur le
fait qu’il est
impossible à mon client de n’être point nauséabond, puisque c’est un
cochon... rien
qu’un cochon. »
Reconnaissant à ce truisme une
certaine pertinence, le Vicomte ordonne que, pour
couvrir l’empestation,
l’accusé soit arrosé.
Puis il termine son exposé des
faits, et donne la parole à LE DIACRE, sur les
déclarations faites par Claudon.
Il est alors longuement question
du déroulement de la Question et ainsi, des aveux du
cochon.
Puis la Cour d’entendre les
parents du petit Jean, venus dignement témoigner de la
douleur qui leur était infligée,
et dire à quel point ils étaient terrassés par la mort
affreuse de leur petit enfant.
Enfin, s’adressant à ses deux
sages acquiesçant, le Vicomte rappelle qu’au delà de
l’impérieuse nécessité de venger
Jean, l’éventualité que ce crime ait été commis le
vendredi, doit impérativement
être sanctionnée d’une peine d’autant plus sévère
qu’exemplaire.
« Pour qu’ils
comprennent !
Bon, nous en
avons terminé. L’accusé souhaite t-il dire quelque chose ? »
9
« Non, merci », répond le
défenseur après avoir sondé le cochon.
LE DIACRE a maintenant la parole
pour ses réquisitions.
Naturellement, il demande que
l’on condamne Claudon à la hauteur de la gravité de
ses actes et de ses évidentes
intentions.
Il rappelle dans quelles atroces
conditions, le pauvre petit a été mutilé, dépecé,
arraché à la vie, à une existence
qui lui aurait tant souri.
Il exhorte la Cour à songer à ses
parents, rongés par le chagrin, privés pour l’éternité
d’un de leurs adorés chérubins,
dans lequel ils avaient placé tant d’espoirs,
aujourd’hui devenus vains.
Il évoque le mal causé à toute la
Cité, FALAISE, meurtrie par ce crime, FALAISE
meurtrie par l’indécence, le
sacrilège, la barbarie.
« Il n’explique
rien, il ne s’excuse point.
Il n’a fait
montre d’aucune pitié, d’aucun respect !
Il a commis le pire,
il est le pire, il mérite le pire. »
Puis, la parole est au petit
défenseur qui se lève, vaillant.
« Monsieur le
Vicomte, Monseigneur, Votre Honneur,
Si vous me le
permettez, je souhaiterais seulement ajouter qu’il se peut parfaitement
que le crime reproché
à mon client ait été commis avant et non après minuit.
Car dans la
mesure où lors de la Question, Claudon a répondu de la même façon aux
interrogations
successives sur ce point, ses aveux ne démontrent rien. »
Et le défenseur se rassoit.
Le Président parle, les sages
opinent du chef. Et la Cour de se retirer, sous les
encouragements de la foule.
Le lendemain, elle rend son
délibéré, proclamé sur la Place de la Trinité, avant d’être
signifié à Claudon, dans son
cachot :
« Claudon, vous
êtes déclaré coupable du crime d’avoir, dans la nuit de jeudi à
vendredi, et en
tous cas depuis temps non prescrit, dévoré le petit de Jean de
MEAUX.
Et en
répression, La Cour vous condamne à être mutilé comme vous l’avez mutilé,
avant que d’être
pendu sur la Place publique. »
10
La foule attend impatiemment
l’exécution de Claudon.
Pendant qu’on avance la potence,
le condamné est retiré pour être préparé.
Il se voit alors habillé : d’une
veste, d’un haut de chausses, de beaux gants blancs aux
pattes avant, de chausses aux
pattes arrière, et d’un masque à figure humaine.
Puis le bourreau de FALAISE vient
le chercher pour le conduire devant le Vicomte et
sa Cour.
Là, sous les acclamations de la
foule, il brandit sa hache et arrache à l’animal hurlant,
un bout de groin et un bout de
patte, qui tombent au sol silencieusement, dans ce
vacarme assourdissant.
Ensuite, on le traîne jusqu’à la
potence.
Devant lui, monté sur son cheval
orné pour la cérémonie, le Vicomte recueille ses
dernières déclarations, avant de
le faire pendre à l’envers à une fourche de bois, ainsi
que l’exige la tradition.
Justice a été rendue à FALAISE,
et la ville entière acclame son prince.
Porté par cette liesse, le
Vicomte parade à cheval.
Mais son regard satisfait se pose
alors sur le visage blêmi et baigné de larmes de
Marie.
Pensant y lire de la déception,
le Vicomte ordonne sur-le-champ que l’on détache
Claudon de la potence et qu’on le
fasse traîner par une jument à travers toute la ville,
jusqu’à la métairie de Jean.
Après ce nouveau supplice, le
corps du cochon nommé Claudon, vidé d’une partie de
son sang, mais probablement
toujours vivant, sera finalement brûlé, sur la Place de la
Trinité.
Telle est la décision de Justice
rendue et exécutée par la Vicomté de FALAISE le 9
janvier 1386, telle qu’actée par
le Tabellion GUIOT DE MONTFORT, et dont il ne
nous reste aujourd’hui qu’une
quittance, destinée à rémunérer le bourreau :
« 10 sous et 10
deniers tournois pour sa peine, ce dont il se dit bien content ;
Et 10 sous pour
des gants neufs ».
Pourtant, afin de garder la
mémoire du grand événement, le Vicomte avait fait
peindre, dans l’Eglise de la
Trinité, une immense et magnifique fresque, que l’on mit
des années à achever.
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L’enfant dévoré et l’un de ses
frères y sont représentés sur le mur occidental de la
croisée méridionale de l’Eglise,
proche de l’escalier qui mène au clocher, couchés côte
à côte dans un berceau.
Puis, vers le milieu de ce mur,
sont peints la potence et Claudon, habillé sous la forme
humaine, que le bourreau pend, en
présence du Vicomte à Cheval, un plumet à son
chapeau, le poing sur le côté,
regardant triomphant cette exécution.
Souvenir de la belle, la grande,
l’immaculée Justice de France, qui, pour panser ses
plaies, ne connaît que vengeance
et exemplarité.
Depuis, on s’est efforcé de l’effacer,
de masquer la grande fresque de l’Eglise de la
Trinité. Et en 1820, on l’a
recouverte d’une épaisse couche de chaux, la camouflant
sous un grand monochrome blanc.
Mais progressivement, doucement,
la chaux, avec le temps, disparaît.
Alors ne vous y trompez pas, elle
est là, juste de l’autre côté.
Car aujourd’hui comme hier,
Pour exorciser
le malaise du peuple, lui redonner un peu confiance dans le rythme
des jours, pour
chasser de lui l’impression que quelque chose s’est brisé au-dessus de
sa tête, et
qu’il est à la merci d’autres fléaux, et d’autres catastrophes, il ne faut
jamais le
frustrer d’un coupable, d’un procès ou d’une exécution publique, à laquelle
assisterait le
seigneur à cheval, coiffé de son chapeau à panache.
Et ainsi, tout va bien.
Tout va bien.
***
Merci aux Deuxièmes Secrétaires
de la Conférence, à mon fils ;
Merci aux Secrétaires de la
Conférence 2009, à Kyum, à Dan ;
Merci à mon père, à Karine, à
Mathieu.
12
BIBLIOGRAPHIE :
« Curiosités judiciaires et
historiques au Moyen Age, les procès contre les animaux»,
E. AGNEL, 1858, Paris.
« Des Jugements rendus au
Moyen Age contre les animaux », L. MENABREA, 1846,
Chambery.
« Les animaux célèbres »,
M. PASTOUREAU, 2001, Arléa.
« Les animaux dans les procès
du Moyen Age à nos jours », B. DABOVAL, 2003,
Thèse Ecole Vétérinaire Maison
Alfort.
« Les bêtes criminelles au
Moyen Age », A. MANGIN, 1865, Delagrave, Paris.
« Les procès d’animaux »,
M. ROUSSEAU, 1964, Wesmael Charlier.
« Les procès d’animaux du Moyen Age à nos jours »,
J. VARTIER, 1970, Hachette
Note ;
La validité au plan théologique et la licéité au plan canonique des procès
faits aux animaux ne fut jamais abordé, nous travaillons depuis bien des années
à regrouper toute la documentation sur ces affaires afin d’apporter cet
éclairage particulier et toujours omis