décembre 12, 2019

Christianophobie et incendie des lieux de culte


Tous ces christianophobes sont incapables d’expliquer par des mots, une démonstration raisonnée, leur rejet du Christianisme, aussi ne parviennent-ils à s’exprimer que par la haine et la destruction.

JPB


http://www.thomasjoly.fr/2016/12/la-creche-de-noel-incendiee-dans-une-eglise-a-metz.html?fbclid=IwAR1uNgJBWeN-2o0MNeh-nt1ixszDy6q4F9DXz3-EovaiafyvE1vF8yPoi4M

décembre 09, 2019

Économie et acribie


Dans quelle mesure l’application stricte de la loi canonique peut-elle être modérée par les réalités pastorales concrètes ?
Rémi Chéno

Dans quelle mesure l’application stricte de la loi canonique peut-elle être modérée par les réalités pastorales concrètes ? La tradition orthodoxe de l’économie peut susciter de nouvelles approches de la question du côté catholique.

Basile de Césarée
C’est à propos de la question de l’accueil dans la communion ecclésiale des hérétiques qui reviennent à la foi que Basile de Césarée, au 4e siècle, va poser des principes qui vont constituer la base de la théorie orthodoxe de l’économie. Deux lettres de Basile à Amphiloque d’Iconium sont concernées : la lettre 188, qu’on appelleracanonica prima, et la lettre 199, la canonica secunda. Ces deux lettres sont entrées dans la grande collection des sources du droit orthodoxe [1] Dans sa lettre 188, au canon 1, Basile distingue trois catégories parmi les « allodoxes » : (1) les hérétiques [αἱρέσεις] à proprement parler (pour des questions de doctrine), (2) les schismatiques [σχίσματα] (en matière disciplinaire) et (3) les conventiculaires [παρασυναγωγαί] (des communautés insubordonnées). La question se pose autour du baptême de ces allodoxes : faut-il les rebaptiser s’ils reviennent à l’Église ? Basile répond que le baptême des hérétiques est absolument nul [παντελῶς ἀθετῆσαι], on reçoit celui des schismatiques et on corrige les conventiculaires par une pénitence lourde avant de les réunir à leur rang, en réintégrant à leur rang les clercs. Les Pépuziens (Montanistes) doivent être tenus pour hérétiques. Le cas des Cathares (Novatiens), Encratites, Hydroparastates et Apotactites, qui sont des schismatiques, doit être ramené à celui des hérétiques, car, dit Basile, ils n’ont plus en eux la grâce du Saint Esprit [οὐκέτι ἔσχον τὴν χάριν τοῦ ἁγίου πνεύματος ἐφ’ ἑαυτούς]. Survient alors la phrase la plus discutée de ce canon 1 : « Cependant, comme certains dans le diocèse d’Asie ont décidé de reconnaître leur baptême [des Cathares, Encratites, Hydroparastates et Apotactites] sans faire de distinction, pour le bien d’un grand nombre, qu’il soit reconnu [2]. »

La coutume asiate en question, c’est un accueil dans la communion de l’Église par l’onction chrismale, sans rebaptisation. Basile applique ici le principe de l’économie [οἰκονομίας ἔνεκα τῶν πολλῶν] pour légitimer la reconnaissance du baptême de certains hérétiques par une condescendance pour la brebis perdue qui veut revenir. C’est très clair dans le second emploi du mot οἰκονομία dans ce canon 1, à propos des Encratites.

« Cependant, si cela devait constituer un obstacle à l’économie générale [Ἐὰν μέντοι μέλλῃ τῇ καθόλου οἰκονομίᾳ ἐμπόδιον ἔσεσθαι τοῦτο], il faut nous plier à la coutume et suivre les Pères qui ont géré les affaires ecclésiastiques [τοῖς οἰκονομήσασι τὰ καθ’ ὑμᾶς πατράσιν ἀκολουθητέον] ; j’ai bien peur en effet, que voulant les amener à abandonner la rebaptisation [que pratiquent les Encratites], nous ne mettions obstacle au salut par la sévérité de notre conduite. […] De toute façon, on doit observer la pratique établie [τὸ τῆς προτάσεως αὐστυρόν] d’oindre du saint chrême en présence des fidèles ceux qui ayant reçu leur baptême reviennent à nous et alors seulement les admettre à la communion des mystères. »

Basile maintient qu’aucun véritable sacrement ne peut être reçu en dehors de la véritable Église, et que donc le baptême de ces hérétiques ou de ces schismatiques n’est pas valide. Pourtant, par « économie », on ne réitérera pas leur baptême et on ne suivra donc pas l’application stricte du droit, c’est-à-dire l’ » acribie » [ἀκριβεία κανόνων] pour deux motifs : (1) la pratique générale (à l’économie générale), au nom de la communion de l’Église ; (2) le souci pastoral pour l’individu, puisqu’un converti sincère pourrait être découragé par la rigueur de la loi canonique.

Le régime de l’économie
À partir de cette réponse de saint Basile, on va donner un sens nouveau au mot économie, déjà bien connu en théologie. À la fin du IXe siècle, le patriarche Photius de Constantinople, dans une réponse à un certain Amphiloque, va ainsi expliquer : « On parle d’économie au sens propre pour l’incarnation du Verbe, admirable au delà de toute intelligence. Et en sens contraire au droit strict, l’économie se comprend comme la suppression pour un temps donné, ou une suspension ou l’introduction de relâchements en faveur de la faiblesse des justiciés, le législateur organisant alors économiquement sa prescription [3]. »

Dans le monde orthodoxe, l’économie est donc une dérogation exceptionnelle et dûment motivée d’une, ou de plusieurs normes disciplinaires, mais qui n’institue pas pour autant une dérogation générale et définitive de ces normes : c’est une suspension passagère de l’acribie en une circonstance particulière [4]. Autrement dit, c’est une façon d’apporter un adoucissement de la loi au motif d’une gestion pastorale des situations concrètes des personnes, mais toujours dans le respect de la communion ecclésiale et en s’appuyant sur les canons et la pratique des Pères.

En fait, le binôme économie/acribie ne fait pas l’unanimité parmi les théologiens orthodoxes : ce sont surtout les théologiens grecs qui y font appel sans tous l’interpréter de la même façon. Le rapport plus souple et plus pastoral à la loi et à une conception fortement juridique de l’Église qu’il permet s’explique historiquement par une volonté de se démarquer du juridisme catholique, souvent perçu comme exagéré par les Orientaux. Mais le théologien russe Georges Florovsky voit justement dans cette cause historique la preuve du caractère purement conjoncturel de cette théorie et de sa faiblesse. Il écrit, sévèrement : « L’explication “économique” n’est pas un enseignement de l’Église. Elle n’est qu’une “opinion théologique” personnelle, très tardive et contestable, née au cours d’une période de décadence de la théologie, d’un désir hâtif de se distinguer nettement de la théologie romaine [5]. »

Réception de l’économie dans le monde catholique
Dans la troisième partie d’un article de 1972 [6], Yves Congar a rassemblé des éléments possibles d’une théorie de l’économie dans la tradition occidentale : il énumère ainsi la dispense (avec la distinction d’Hincmar de Reims en 859/860 entre jugement large d’indulgence et jugement strict [7]), l’équité canonique, l’épikie (ἐπιεικεία, qu’on traduit souvent par équité), l’application du principe Ecclesia supplet ou encore la sanatio in radice.

Thomas d’Aquin, dans la Somme de théologie, explique ainsi : « Comme il a été dit plus haut quand il était traité des lois, puisque les actes humains, à propos de quoi les lois sont données, consistent en des faits singuliers et contingents, qui peuvent connaître des variations infinies, il n’est pas possible d’établir aucune règle de loi qui ne soit quelquefois prise à défaut ; mais que les législateurs regardent à ce qui se produit le plus souvent, en fonction de quoi ils proposent une loi qu’en de certains cas il est pourtant contraire à une justice équitable d’observer, ainsi qu’au bien commun, qui est le propos visé par la loi. Ainsi la loi stipule qu’on restitue les dépôts, puisque c’est ce qui est juste dans la plupart des cas. Mais il arrive parfois que cela soit préjudiciable, comme lorsqu’un fou a laissé son épée en dépôt et la réclame alors qu’il connaît un accès de folie, ou si on la réclame pour combattre contre le pays. Dans ces cas-là et dans d’autres semblables il est mauvais de suivre la loi établie, et il est bon au contraire, passant outre aux termes de la loi, de suivre ce que réclame l’esprit de la justice et l’utilité commune. C’est à cela que s’ordonne l’epieikeia, qu’on nomme chez nous équité. Il apparaît clairement de là que l’epieikeia est une vertu [8]. »

Mais on trouve une réception directe de la première lettre canonique de Basile par le magistère le plus solennel de l’Église catholique dans le document conciliaire Orientalium Ecclesiarum, à propos de lacommunicatio in sacris entre catholiques et orientaux : « […] La pratique pastorale montre, cependant, en ce qui concerne les frères orientaux que l’on pourrait et devrait considérer les multiples circonstances relatives à chacune des personnes, circonstances dans lesquelles ni l’unité de l’Église ne se trouve blessée, ni les périls à éviter ne se présentent, mais dans lesquelles au contraire la nécessité du salut et le bien spirituel des âmes constituent un besoin urgent. C’est pourquoi l’Église catholique, en raison des circonstances de temps, de lieux et de personnes, a souvent adopté et adopte une manière d’agir plus douce, offrant à tous les moyens de salut et présentant le témoignage de la charité entre les chrétiens, par la participation aux sacrements et aux autres célébrations et choses sacrées. En cette considération, le Saint Concile, “afin que nous ne soyons pas un obstacle par la sévérité d’une sentence envers ceux qui sont sauvés” [en note : S. Basile, Epistula canonica ad Amphilochium, PG. 32, 669 B], en vue de favoriser toujours davantage l’union avec les Églises orientales séparées de nous, a fixé la manière d’agir suivante. […] [9] »

Il semble donc possible, dans certaines circonstances particulières et par souci pastoral, d’adoucir la rigueur de la loi, sans la remettre en cause. En tout cas, le magistère le plus solennel de l’Église le revendique. Le dernier canon du Code de droit canonique de 1983 s’achève avec un appel à l’équité canonique [10] à propos du transfert d’un curé : « Can. 1752. Dans les causes de transfert, les dispositions du can. 1747 seront appliquées, en observant l’équité canonique et sans perdre de vue le salut des âmes qui doit toujours être dans l’Église la loi suprême. » Cette dernière maxime, « le salut des âmes doit toujours être dans l’Église la loi suprême » ne conclut-elle pas de façon résolument « économique » les textes de lois de l’Église ?
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[1] Les sources de la discipline canonique antique sont éditées par Périclès-Pierre Joannou, Fonti. Fascicolo IX. Discipline générale antique (IVe–IXe s.), t. II : Les Canons des Pères grecs, Grottaferrata : Tipografia Italo-Orientale, 1963 (Pontificia Commissione per la redazione del Codice di Diritto Canonico Orientale).
[2] Ἐπειδὴ δὲ ὃλως ἔδοξέ τισι τῶν κατὰ τὴν Ἀσίαν οἰκονομίας ἓνεκα τῶν πολλῶν δεχθῆναι αὐτῶν τὸ βάπτισμα, ἔστω δεκτόν.
[3] Ad Amphilochiam quæstio I, 14 = PG 101, 64–65.
[4] Voir par exemple la définition qu’en donne Jérôme Kotsonis, Problèmes de l’économie ecclésiastique, (Recherches et synthèses. Section de dogme, 2), Duculot, Gembloux, 1971 (1ère éd. : 1957), p. 182 : « L’Économie existe lorsque par nécessité ou pour le plus grand bien de certains ou de l’Église entière, avec compétence et à certaines conditions, une dérogation de l’Akrivie [= l’acribie] a été permise, temporairement ou de façon permanente, pour autant qu’en même temps la piété et la pureté du dogme demeurent inaltérées. »
[5] « Les limites de l’Église », Messager de l’Exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale 10/37 (1961) 28-40, 1ère éd. : 1934, p. 35. P. 33, il estime que l’économie est une « capitulation devant l’équivoque et le vague ». Voir aussi sa note 1, p. 31.
[6] Yves Congar, « Propos en vue d’une théologie de l’“Économie” dans la tradition latine », Irénikon 45 (1972) 155-206
[7] Hincmar de Reims, de prædestinatione. Dissertatio posterior, c. 37, n. XI [PL 125,411D] : hæ sententiæ [sur la réception des clercs hérétiques] ad illam canonum formam pertinent, qua secundum rationis et temporis qualitatem aut propter ecclesiæ utilitatem, aut propter pacis et concordiæ unitatem, non præiudicatis maiorum statutis, quædam aliquando indulgentur, non ad illam qua pro lege irrefragabiliter tenenda constituuntur.
[8] Summa theologiæ, IIa IIæ, q. 120, c.
[9] Orientalium Ecclesiarum, 26 § 1.
[10] Sur l’équité canonique, on consultera en particulier le can. 19 et les commentaires qui en sont faits.

décembre 08, 2019

Emmanuel LEVYNE et la question du Sionisme


Voici trois documents extraits du site Union Juive Française pour la Paix
UJFP http://www.ujfp.org/. Ces documents ne sauraient remplacer les publications toujours à compte d’auteur d’Emmanuel LEVYNE que j’eus la chance de bien connaître, ses livres sont à lire et conserver, il était un très grand Spirituel.

JPB


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"Ils ont permis au profane de conquérir le sacré"
Cet article d’Emmanuel Lévyne est paru dans le numéro 5 de la revue Tsedek en mars 1957. Les "larges extraits de l’étude de Léon Tolstoï" évoqués au début de celui-ci ont été publiés sur notre site ici.
Le véritable sionisme
On aura lu, dans le dernier numéro, de larges extraits d’une étude de Léon Tolstoï, ce prophète moderne, sur le sionisme. On aura constaté que les idées exprimées par le célèbre écrivain russe n’ont pas vieilli ; c’est surtout aujourd’hui qu’elles prennent tout leur sens et qu’elles projettent une vive lumière sur le drame palestinien. Tout homme en qui souffle l’esprit divin ne peut penser et parler autrement que l’auteur de "Résurrection".
L’idée dominante du message de Tolstoï est la suivante : le sionisme, politique est un mouvement ayant sa source non pas dans la pure Tradition d’Israël, mais dans l’esprit européen du XIXème siècle, qui s’est exprimé et manifesté par des principes et des institutions diamétralement opposés aux enseignements de Moïse et des Prophètes : Athéisme, Agnosticisme, Matérialisme scientifique, Patriotisme guerrier, Colonialisme, Mercantilisme, Capitalisme, Machinisme, etc… Le sionisme politique, créé et animé par des personnalités appartenant à l’élite qui donnait le ton au siècle de Victor Hugo, fut fatalement entaché des vices du siècle qui lui donna naissance. Le sionisme politique, qui a trouvé sa pleine expression dans la création de l’Etat d’Israël, a fixé le Judaïsme, dans la mesure où celui-ci s’identifie avec lui, au niveau de l’Europe du XIXème siècle. En termes métaphysiques, c’est une régression de l’Eternel au temporel, de l’Universel au local, de l’Esprit à la matière ; c’est un nouveau retour d’Israël à l’idolâtrie, à une époque où les peuples tendent de plus en plus à se détacher de toutes les formes anciennes et modernes de paganisme, pour accéder à l’essence du monothéisme, qui est la souveraineté absolue, directe, de Dieu et de Sa loi, sans aucun intermédiaire humain.
Le sionisme politique a principalement de fortes affinités avec une des institutions les plus exécrables du siècle passé : le colonialisme.
Les colonialistes, comme le dit Tolstoï, ce sont des européens malheureux qui, pour échapper à la misère matérielle et sociale, "se sont jetés sur les pays lointains peuplés d’hommes pacifiques "non civilisés" pour les exploiter et les asservir" non seulement matériellement, mais aussi - et c’est peut-être le plus grave -moralement et spirituellement, en les détachant de leurs religions, de leurs modes de vie ancestraux par les appâts sataniques de la civilisation industrielle de l’Occident ; ce sont des hommes, élevés dans les pays chrétiens qui ont pris comme principe d’action le contraire de l’enseignement biblique, ordonnant de ne pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’il nous fasse ; ce sont des "visages pâles" , qui n’ont pas trouvé mieux pour se relever que d’aller humilier des hommes de couleur. Le colonialiste, c’est l’esclave qui veut jouer au maître avec des plus petits que lui.
Ne trouve-t-on pas de ces caractères dans l’œuvre sioniste ?

A la lumière de ces quelques considérations, l’hostilité des nations orientales, des Arabes en particulier, au sionisme apparaît sous un jour nouveau. L’opposition fanatique, apparemment irrationnelle et irraisonnable des Arabes au Sionisme n’est pas inspirée par la haine mortelle du Juif, comme on veut nous le faire croire -(si c’était le cas, les masses arabes n’auraient fait qu’une bouchée des minorités juives désarmées qui ont vécu dans leurs territoires pendant des siècles) ; elle n’est même pas provoquée par la présence des Juifs en Palestine - (les Juifs pieux qui venaient en Terre Sainte pour y mourir ou pour y mener une vie sainte étaient estimés par la population arabe au milieu de laquelle ils vivaient en paix ; les attaques systématiques contre les Juifs n’ont commencé qu’avec la création et le développement du sionisme politique, comme l’a fait remarquer l’écrivain israélien pacifiste, Simon Wolf).
Pour le Musulman fanatiquement religieux, et non fanatiquement sanguinaire (les fours crématoires, qui ont englouti 6.000.000 de Juifs et les bombes modernes et atomiques qui ont massacré des dizaines de millions d’enfants, de femmes, de vieillards, et qui risquent de détruire la vie sur la planète, ont-ils été inventés et utilisés par les Arabes ?) - pour le musulman fanatiquement religieux, disions-nous, le sioniste est à priori un Occidental, c’est-à-dire un athée, un impie, un matérialiste mercantile qui veut asservir, exploiter et débaucher l’Oriental. L’hostilité de l’Arabe au sionisme est un aspect particulier de la lutte de plus en plus dramatique entre l’Orient et l’Occident. L’antisionisme de l’Arabe procède du sentiment, plus ou moins conscient, que le Juif parti en Exil foncièrement oriental, c’est-à-dire religieux, revient, comme sioniste, foncièrement occidental, c’est-à-dire impie.- Le drame palestinien est le drame même du colonialisme : l’incompréhension, l’hostilité entre deux conceptions de vie, deux mentalités opposées ; entre l’oriental spiritualiste et l’occidental matérialiste [1].
Le fait qu’une minorité juive ultra-orthodoxe, les "Netouré Karté", qui rejetant la civilisation occidentale, vouent une haine aussi farouche que celle des Arabes à l’Etat d’Israël, nous confirme bien dans notre manière de voir. Très significative aussi est l’attitude des nations orientales n’ayant jamais été hostiles aux Juifs et ayant une vie spirituelle intense et raffinée, comme l’Inde, qui se montrent solidaires avec les Arabes dans leur conflit avec Israël et les puissances colonialistes. Bref, pour les Orientaux, les sionistes sont des Occidentaux qui se sont installés et imposés sur une terre orientale.
C’est pourquoi, il faut bien comprendre que jamais Israël ne trouvera grâce aux yeux des Arabes, tant qu’il apparaitra comme un représentant de l’Occident voulant créer au Moyen-Orient, région biblique, une succursale dernière modèle de la civilisation industrielle dans sa forme la plus achevée. Ce n’est certainement pas en promettant aux Arabes de contribuer à l’américaine à leur prospérité matérielle, en leur construisant des hôpitaux, des centrales électriques, des usines, des tracteurs, des routes et des ponts, etc ... qu’il s’attirera leur sympathie ; c’est au contraire, en reniant la diabolique civilisation occidentale et en optant pour une civilisation naturelle et spirituelle comme le prône la Sainte Torah, qu’il trouvera le chemin du cœur de l’Orient religieux. Le rôle prédestiné d’Israël est celui qu’assume l’Inde de nos jours ; c’était à Israël de donner naissance à des géants spirituels, à des Ramakrichnas, des Vivekanandas, des Aurobindos, des Gandhis, des Krishnamurtis, dont la lumière émanant de leur vie sainte et de leurs enseignements divins jette un peu de clarté dans les ténèbres spirituelles de l’Occident ; c’était à Israël de prendre la défense des peuples d’Afrique et d’Asie asservis et opprimés par le colonialisme européen, comme le furent jadis les Hébreux par les Egyptiens ; c’était à Israël de se proposer d’arbitrer les conflits entre les Nations, d’être le pacificateur du monde.
Cependant si la Vérité et la Justice, c’est-à-dire Dieu, dont nous voulons être le serviteur zélé, nous contraignent à dénoncer les erreurs et les injustices sionistes, nous remplirions bien incomplètement notre mission, si nous taisions les erreurs et les injustices arabes. Et l’erreur des Arabes, c’est principalement de vouloir combattre les injustices dont ils sont victimes par la violence, dont l’emploi conduit fatalement à créer d’autres injustices. Nous le proclamons bien haut ; nous condamnons sans réserve toute violence d’où qu’elle vienne, car l’utilisation de la force brutale pour défendre le droit implique l’idée impie que Dieu est impuissant à gouverner le monde seul, qu’il a besoin des mains impures de l’homme pour exercer la Justice ; ce qui est le réduire à l’image de l’homme, c’est-à-dire professer l’idolâtrie. L’homme qui fait le justicier agit comme si Dieu n’existait pas. C’est pourquoi, si nous reprochons au sionisme politique d’avoir implanté en Terre Sainte des institutions et des modes de vie païens, nous condamnons sans équivoque la violence arabe dont sont victimes, avant tout, les pauvres masses juives innocentes, dont les politiciens des Nations et d’Israël ont exploité les souffrances, et aussi les nobles sentiments nationalistes, à des fins politiques. En versant le sang innocent de l’ouvrier ou du paysan juif, l’Arabe fait le jeu des forces impures qui inspirent et animent les politiciens sionistes, qui, comme tous leurs collègues des autres nations, et malgré leurs déclarations démagogiques, ont besoin du sang des enfants d’Israël, donc d’ennemis extérieurs, de guerres, pour affermir leur Etat-idole, qui risque d’être dangereusement miné par les divisions intestines. En faisant couler le sang juif, l’Arabe qui, théoriquement, représente le spirituel, souille la Terre Sainte autant que les institutions sionistes ; par là son opposition au sionisme perd tout son sens et n’a plus sa raison d’être.
Maintenant que notre réquisitoire contre le sionisme politique n’induise pas le lecteur en erreur et lui fasse croire que, pour nous, la Terre d’Israël ne représente plus rien, et, que le drame palestinien se résoudra dans l’établissement d’un Etat arabe moderne, obtenu par la renonciation pure et simple de tout droit juif sur la Terre biblique.

Nous sommes profondément sionistes, mais notre sionisme procède des vérités éternelles et universelles d’Israël et non des erreurs temporelles et locales des nations, comme le sionisme israélien.

Qu’est-ce que la Palestine pour la Tradition prophétique et mystique dont nous nous réclamons ?
C’est la Terre Sainte, la Terre Spirituelle ; c’est l’esprit et le cœur d’où jaillit le sang cosmique, énergie vitale de l’univers. La Palestine est aux autres terres, ce qu’est Israël aux Nations ; l’âme au corps ; le sacré au profane ; elle est l’Eternel dans le temporel, l’Immortel dans le mortel, le monde futur dans le monde présent. C’est ce qu’exprimaient rituellement nos pieux parents en allant mourir en Terre Sainte ou, s’ils n’en avaient pas les moyens, en se faisant envoyer de la terre de Palestine pour qu’on la versât dans leur cercueil ; et les Juifs qui naissaient là-bas ou qui s’y rendaient pour y demeurer, menaient une vie sainte, une vie dépouillée, une vie céleste, comme s’ils vivaient déjà dans le Royaume de Dieu.
Telle était la Palestine avant la création du sionisme politique. Mais depuis, en introduisant toutes les institutions, tous les modes de vie, toutes les coutumes des nations ; en voulant coûte que coûte faire du pays de nos ancêtres un pays comme tous les autres, les sionistes- ont profané ce qui était saint. Ils ont fait, spirituellement parlant, de la Terre d’Israël, une terre des Nations ; ils ont permis au profane de conquérir le sacré.
Or, le véritable sionisme est tout le contraire : il ambitionne d’étendre la Terre Sainte jusqu’aux confins de la Planète, de faire que toute la Terre devienne Sion, la Terre d’Israël, c’est-à-dire le Royaume de Dieu.

De même que le corps doit devenir âme ; la matière, esprit ; le profane, sacré ; ainsi la sainteté de la Terre d’Israël doit s’étendre aux terres des Nations. Et les Juifs dans cette opération, dans cette extension universelle de Sion, ont le même rôle que les cellules du sang qui puisent dans les organes vitaux les éléments nécessaires à la vie pour les transporter à toutes les parties de l’organisme, même les plus basses. La place du sang est aussi bien dans le centre du corps, où logent les organes vitaux, que dans les membres les plus éloignés du cœur et des poumons. Si le sang ne circule pas dans tout le corps, c’est la congestion, c’est la mort. De même les Juifs doivent avoir un contact permanent avec la Palestine, cœur et centre vital de l’univers, pour y puiser les éléments nécessaires à la vie spirituelle du monde (la sainteté et la justice), mais ils doivent aussi circuler parmi les nations pour leur transmettre ces éléments vitaux afin qu’elles deviennent partie intégrante d’un même tout : le Royaume de Dieu.

Créer et entretenir en Palestine un puissant foyer de sainteté et de justice, dont les flammes illumineront les esprits et réchaufferont les cœurs de tous les peuples et de tous les hommes de la terre, voilà le but essentiel et exclusif du véritable sionisme, voilà ce que l’humanité attend d’Israël, voilà ce qui manque le plus au monde. Des nouveaux états on n’en a nul besoin, on en a déjà assez comme cela ; on commence à en avoir une indigestion et à les vomir, car ce sont eux, ces idoles, ces Molochs qui empoisonnent la vie spirituelle et sociale.
Durant l’Exil, Israël a tant bien que mal assuré son rôle physiologique. Mais l’Émancipation et le Sionisme politique ont gravement perturbé ses fonctions vitales, alors que ces deux mouvements auraient dû les parfaire, leur donner toute leur plénitude, pour le plus grand bonheur de toute l’humanité.
Par l’Émancipation et le Sionisme politique, le profane s’est introduit en Israël et a détruit sa sainteté et sa justice, alors que ces deux courants auraient dû, telle une rivière dans une terre aride, arroser abondamment le désert des nations de ces éléments vivifiants. En sortant du Ghetto, telles les eaux d’une source de montagne descendant vers la vallée, Israël devait purifier les terres des Gentils de toutes leurs souillures païennes (l’idolâtrie, les injustices sociales, les violences guerrières) pour permettre la culture des plantes messianiques de vérité, de justice et de paix. Sa tâche était d’autant plus facile que les philosophes français, véritables disciples des prophètes bibliques, en prêchant la Liberté, l’Egalité et la Fraternité, avaient préparé le terrain. Mais hélàs ! c’est le contraire qui s’est produit ; c’est le monde qui a contaminé les Juifs de ses vices, dont il est en train de périr, entraînant le peuple de l’Eternel dans sa descente aux abîmes, où gisent toutes les civilisations qui ont combattu la Nation Sainte.

C’est l’antisémitisme, c’est-à-dire la haine, qui a été cause de la création du sionisme politique de Herzl. Un mouvement dont l’essence créatrice est la haine ne peut que produire la haine, qui le nourrit. Et effectivement nous constatons que si le sionisme politique n’a pu réussir à déraciner l’antisémitisme en Ocoident -c’était là le but qu’il se proposait - il a par contre fait naître l’hostilité des nations orientales pour Israël, préparant ainsi le terrain à une tempête antisémite mondiale encore plus terrible que le Nazisme, dont souffriront tous les Juifs, même les non-sionistes, et dont les armées israéliennes seront bien impuissantes à arrêter le déferlement. Gandhi nous avait bien prévenus : "La violence ne vous conduira nulle part". En vérité, c’est à un suicide héroïque et militaire de la nation juive, dans la plus pure tradition païenne, que mène le sionisme politique.

Au contraire, le sionisme mystique et universaliste a son essence dans le plus profond de l’âme d’Israël, dans l’Éternel, dont le saint nom est lié aux sphères de la Justice et de la Miséricorde. Il est conditionné non par la haine de l’antisémite, mais par l’amour d’Israël pour tous les peuples et tous les hommes, auxquels il veut consacrer toutes ses forces spirituelles et matérielles, pour les aider à s’affranchir de toutes les oppressions et de tous les esclavages du corps et de l’esprit.
Le sionisme mystique et universaliste, dont l’essence est l’amour ne pourra que provoquer l’amour. Il éteindra toute haine antisémite ; il aboutira finalement à l’hyménée messianique d’Israël et des Nations.

Immanouel HALEVI

[1] Lors de l’agression contre l’Egypte, au début du mois de novembre 1956 , la collusion de la France et de l’Angleterre - les puissances les plus obstinément colonialistes - avec Israël, confirme définitivement et spectaculairement l’existence d’un lien affectif, naturel entre le colonialisme européen et le sionisme, lien que seuls quelques hommes clairvoyants avaient aperçu dès la création du mouvement de Théodore Herzl, qui apparaissait aux yeux du monde comme un mouvement philanthropique et spiritualiste .
Les blindés israéliens attaquant et fonçant dans le désert du Sinaï, pour permettre aux armées franco-britanniques, à la solde des actionnaires de Suez, de perpétrer un acte de piraterie coloniale condamnée par la conscience universelle ; les avions à réaction français, qui mitraillent et bombardent les populations algériennes aspirant à la liberté, soutenant fraternellement l’action militaire israélienne, c’est là une image lourde de signification, qu’un véritable Juif ne peut regarder sans indignation, sans serrement de cœur. Comment les sionistes ont-ils pu se solidariser avec les colonialistes européens qui infligent aux peuples arabes les traitements dont le peuple juif a tellement souffert pendant des siècles ? Comment les sionistes ont-ils pu aider les Anglais à commettre une action qui a provoqué dans le monde la même émotion que l’affaire de "l’Exodus" ? Comment les sionistes ont-ils pu se sacrifier pour réaliser les plus chers désirs des fascistes français, qui ont envoyé tant de juifs à Auschwitz ? Est-ce parce qu’ils crient et écrivent dans les rues de Paris "Les Juifs en Israël" ?
Si vraiment l’Israël sioniste était l’Israël, de Dieu - et en admettant que l’Israël de Dieu fût autorisé à se servir de la force armée - il n’aurait pu, sous aucun prétexte, même en cas de légitime défense, et à bien plus forte raison pour une agression, s’associer avec les pays qui assument de nos jours le rôle de l’Egypte du temps de Moïse, c’est-à-dire qui exploitent et asservissent les peuples plus faibles qu’eux. Quel choc positif aurait produit sur les cœurs des masses arabes l’Israël sioniste, s’il eût pris position contre l’agression impérialiste franco-britannique, au lieu de l’avoir rendue possible ! C’est par une telle prise de position, que les Juifs marocains ont certainement empêché le déclenchement de violentes manifestations antijuives en Afrique du Nord. C’est ainsi, en se désolidarisant de la politique sioniste opportuniste et athée, qui se moque éperdument de leur sécurité et de leurs intérêts, (les troubles antijuifs sont la propagande sioniste la plus efficace) que les Juifs de la Diaspora détourneront l’ouragan antisémite qui est en train de se former du côté de la Palestine, et que le vent israélien risque de pousser dans les cieux des communautés juives du monde, auxquelles les gouvernants israéliens ne demandent pas leur avis pour mener leur politique de suicide héroïque
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Un dialogue entre Emmanuel Lévyne et Abraham Serfaty (1970)

L’antisionisme est sans doute la tradition politique émancipatrice la plus caricaturée et la plus stigmatisée de nos jours, y compris sous un langage prétendument révolutionnaire. Dans ce texte extrêmement dense paru en janvier 1970 dans la revue Tsedek n°101 pages 7 à 12, Abraham Serfaty engageait un dialogue avec Emmanuel Lévyne, kabbaliste antisioniste de renom. Contrairement aux idées reçues, Serfaty montre que la perspective d’une Palestine démocratique et laïque, sur les frontières de 1948, n’implique en rien le reniement des traditions culturelles et religieuses, qu’elles soient juives ou musulmanes. Au contraire, fier de son héritage judéo-arabe, Serfaty souligne combien la révolution socialiste au Moyen-Orient nécessite une réappropriation des héritages messianiques, cultuels et éthiques communs aux « peuples du Livre ». Aux antipodes d’un marxisme-léninisme étriqué, Serfaty voit dans la lutte palestinienne un épanouissement possible de valeurs communautaires et religieuses, qui pourraient réenchanter un mouvement ouvrier occidental embourbé dans « les eaux glacées du calcul égoïste ». Cette contribution inestimable est un témoignage saisissant des tentatives communistes arabes de penser une théologie de la libération, qui combine résistance à l’impérialisme et hégémonie multiconfessionnelle.

NDLR : l’introduction et les notes sont d’Emmanuel Lévyne directeur de publication de la revue Tsedek

LETTRE D’INTRODUCTION A UN DOSSIER
Issy les Moulineaux le 26.5.69
M. Abraham SERFATY RABAT Maroc

Cher Frère et Ami,

Je regrette de ne pas vous avoir rencontré, mais votre lettre m’a fait bien plaisir. Cela faisait longtemps que je voulais entrer en contact avec des coreligionnaires des pays arabes. Pourquoi ne répondaient-ils pas à mon action qui allait tout à fait dans le sens de leurs intérêts immédiats, contrairement à l’action des sionistes qui veulent leur perte et cherchent à détruire leurs communautés qui ont été florissantes ? Il faut avoir beaucoup, de patience et tout ce que l’on espère finit par arriver, surtout quand on croit encore au Messie- c’est en cela que consiste la foi juive.
Toute la documentation que vous pourrez m’envoyer m’intéressera, et je la ferai circuler parmi nos amis.
Votre conception d’une Palestine arabe unifiée et démocratique m’intéresse beaucoup. Je pense également que les Juifs et les Arabes sont destinés à s’associer pour élaborer une conception plus humaine et plus spirituelle du socialisme. Israël n’a nul besoin d’avoir un Etat à lui, il doit féconder ceux des autres ne serait-ce que par sa simple présence. Mais tant qu’il existera un Etat juif en Palestine, il nous sera difficile de gagner la confiance des Arabes, qui nous tiendront pour suspects. C’est pourquoi il nous faut d’abord diriger notre lutte contre l’idéologie sioniste, et si elle est victorieuse, elle épargnera beaucoup de sang arabe et juif. L’Etat sioniste est une bombe qui risque de tous nous faire sauter, il faut la désamorcer en montrant aux masses juives que le sionisme va contre leurs intérêts et qu’il les utilise comme chair à canon pour servir les intérêts du capitalisme. Si nous réussissons nous-mêmes à abolir notre Etat, quel exemple pour le monde, nous apparaîtrons comme un peuple révolutionnaire modèle. Notre mission est de prouver qu’il est possible à une nation de s’émanciper de l’Etat et du Territoire et de se mondialiser ...
E. LEVYNE
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LETTRE D’UN FRERE JUIF DU MAROC
Rabat, le 25 Juin 1969
M.Emmanuel Lévyne
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Cher Frère,

Même si nous ne sommes pas d’accord sur tout, nous sommes frères, frères dans la lutte antisioniste, dans l’angoisse profonde que juin 67 a fait éclater en nous de voir le judaïsme auquel, croyants ou incroyants, nous ne pouvons pas dénier les valeurs qu’il a apportées à l’humanité, les valeurs dont nous avons été nourris, de voir le judaïsme sombrer dans cette monstrueuse entreprise qu’est le sionisme, j’ajouterai que le cri et l’angoisse de ce juif algérien (Roger Benhaim) déraciné me sont d’autant plus sensibles que j’ai fait ma vie de ce même rêve de fraternité humaine, ici, dans ce monde arabe qui reste le sien, malgré son exil.
Nous tous, juifs antisionistes dans le monde, nous devons effectivement contribuer à l’œuvre révolutionnaire contre l’Etat sioniste, contribuer ainsi à l’effort des révolutionnaires arabes pour ne pas tomber dans le piège du racisme, contribuer ainsi à ce que cette œuvre soit vraiment révolutionnaire, et pour le monde arabe, et comme apport à la lutte de toute l’humanité pour déraciner les formes d’oppression millénaire qui trouvent leur apogée dans l’agonie impérialiste.
Comme vous le dites, la vérité antisioniste se clarifiera, pour les juifs qui ont été mystifiés et trompés par le sionisme, de la libre confrontation, s’appuyant sur l’action pratique, de tous ceux qui, par des chemins divers, accèdent à la prise de conscience du crime contre le judaïsme et contre toute l’humanité qu’est le sionisme.

C’est pourquoi, je me dois de reprendre certaines de vos critiques concernant le socialisme et développer, comme vous m’y invitez, le concept de Palestine laïque, unifiée et démocratique, partie du monde arabe.

1/ Peut-on, concernant le socialisme, placer sur le même plan la réalisation concrète du socialisme dans le monde depuis cinquante ans avec ses imperfections humaines, et le monde pourri de l’impérialisme ? Faire cela serait rejoindre les sionistes qui actuellement organisent en grand une campagne antisoviétique sur les "juifs du silence" et convoquent à Londres une conférence à cette fin.

Alors que, tout de même, c’est bien le socialisme qui a mis fin aux pogromes en Russie, et les sacrifices des peuples d’Union Soviétique qui ont été le principal facteur d’écrasement du nazisme. Si le racisme ne s’efface que lentement des structures culturelles où il a été enraciné, les observateurs objectifs rapportent les changements radicaux connus sur ce plan en Union Soviétique, tel le reportage publié en mai par le journal "Le Monde", qui pourtant ne manque pas une occasion d’antisoviétisme, reportage sur les Républiques Musulmanes d’Asie Centrale, leur développement économique et culturel, la disparition de toute discrimination raciale ou religieuse, et la fraternité entre juifs et musulmans .

Bien sûr, le dépérissement même de l’Etat, lié aux changements profonds des structures culturelles enracinées par des siècles d’injustice, changements entrepris par la Révolution Soviétique et auxquels la Révolution chinoise, le combat des Vietnamiens, l’effort des Cubains, font de nouveaux apports, cet objectif est une œuvre qui demandera des générations. Il demande le déracinement des structures économiques d’exploitation de’ l’homme par l’homme, et, comme préalable, la liquidation, à l’échelle mondiale, de l’impérialisme, facteur permanent d’agression et de corruption.

En ce qui nous concerne, nous ne pouvons pas plus, dans cette lutte contre le sionisme, ignorer les liens de celui-ci avec l’impérialisme, que l’unité de la lutte antisioniste et anti-impérialiste avec les forces du socialisme dans le monde.

Dans cette unité, nous devons garder notre autonomie de jugement et de conduite, Et effectivement, l’œuvre révolutionnaire qui peut être accomplie dans le monde arabe avec la participation de juifs antisionistes pourra être un exemple pour le monde dans le déracinement du racisme et un apport spécifique important dans la construction d’une société juste assurant l’épanouissement humain.

Pour cela nous devons approfondir le sens de cette contribution en tant que juifs antisionistes.

2/ Je pense, pour ma part, que cette contribution à la révolution dans le monde, à la révolution arabe plus spécifiquement, n’est pas en tant que "peuple juif". Elle est dans notre propre dépassement, pas seulement de "l’Etat juif", mais aussi de la conception d’une communauté culturelle au-dessus et au-delà des communautés nationales. Une telle conception, qui mène au concept de "peuple juif" et au sentiment de "supériorité juive", nourrit le sionisme. Elle est contraire au développement historique de l’humanité.

L’apport, sans doute spécifique, de la "question juive" dans le monde européen, et aujourd’hui, de façon aiguë, dans le monde arabe, est de ne pouvoir être dépassée et résolue que dans le dépassement et la révolution de l’ensemble des contradictions sociales qui aliènent l’homme.

L’étape historique que nous vivons n’est pas, comme le prétendent certains, d’effacement des spécificités nationales, mais celle de leur épanouissement au sein des ensembles nationaux qui font sauter les chaînes du capitalisme et de l’impérialisme et préparent ainsi un monde fraternel, par un dialogue sur un pied d’égalité entre les diverses cultures.

Notre contribution spécifique, en tant que juifs, à la construction de ces ensembles nationaux sur des bases révolutionnaires n’est pas en tant que "peuple juif" extérieur à ces communautés et s’y plaquant, mais en assumant notre double qualité de national et de juif par l’intégration de celle-ci à celle-là dans la participation active à cette construction. Cette intégration ne signifie pas l’effacement, mais effectivement, comme vous l’écrivez, "le renouvellement de nos valeurs traditionnelles essentielles, leur réexpression moderne."

Ce qui permettra l’unité de ce monde humain à construire, et dont les prémisses émergent des luttes révolutionnaires, sera l’épanouissement des hommes dans leurs diversités nationales. Le judaïsme doit, pour rester fidèle à ses valeurs essentielles, en assurer la réexpression dans ces diversités nationales.
L’une des spécificités de la révolution arabe est justement de demander, par sa nature même, cette réexpression. La fausse solution de la "question juive" est dans ce que Marx dénonçait sous le terme de " Etat politique " dans l’étude qu’il y a consacrée. Cet Etat est celui de la démocratie bourgeoise, où l’homme est désintégré. Les valeurs essentielles du judaïsme, comme de l’islam, expriment l’aspiration des sociétés communautaires rurales à l’épanouissement de l’Homme total.
La société européenne qui a subi -le plus profondément, dans ce que l’on appelle la "Culture Occidentale", l’emprise du capitalisme, a désincarné cette essence
C’est ce que Marx justement dénonce sous le terme de " juif réel " dans la société capitaliste européenne par opposition au " juif du sabbat ", dans la deuxième partie de sa "Question Juive" que certains auteurs, de mauvaise foi présentent comme un pamphlet antisémite (1). S’il faut critiquer ces déformations .de la religion, par les exploiteurs de l’humanité, une fausse conception du socialisme est de croire qu’il faut lutter contre ce que Marx appelait "l’esprit des temps sans esprit" (la religion) pour assurer cet épanouissement humain, alors que celui-ci précise, dans cette même étude : "l’esprit religieux ne saurait être réellement séculaire. En effet qu’est-il sinon la forme nullement séculaire d’un développement de l’esprit humain ? L’esprit religieux ne peut être réalisé que si le degré de développement de l’esprit humain, dont il est l’expression, se manifeste et se constitue dans sa forme séculaire."

En quoi ceci diffère-t-il de l’idéal judaïque et islamique de la réalisation sur cette terre du Royaume de Dieu.

La société arabe contemporaine, dans sa restructuration révolutionnaire, incluant celle d’une culture nouvelle émergeant de l’acquis culturel antérieur, pourra assurer la "réexpression moderne" de cet épanouissement humain que des structures communautaires qui ont marqué cet acquis culturel permettent, au contraire ..de la Société et de la culture bourgeoises .

S. Goiten a écrit ceci du passé commun judéo-musulman dans le monde arabe " L’islam est fait de la chair et des os du judaïsme. Il est pour ainsi dire une refon¬te et un élargissement de celui-ci, exactement comme la langue arabe est très étroitement apparentée à la langue hébraïque. Le judaïsme a pu par conséquent puiser dans cette civilisation ambiante, et en même temps préserver son indépendance et son intégrité beaucoup plus facilement que dans la société hellénistique d’Alexandrie ou dans le monde moderne ... jamais le judaïsme ne s’est trouvé dans des relations si étroites et dans un état de symbiose si fécond que dans la civilisation médiévale de l’islam arabe." (2)

Ce passé était encore vivant dans la vie quotidienne des communautés juives dans le monde arabe jusqu’à l’éclatement de ces communautés, sous l’emprise sioniste. Quel meilleur symbole que celui de la fête de Mimouna qui est traditionnellement, au Maroc, une fête d’amitié et de fraternité judéo-musulmane. Les premiers pains marquant la fin de Pessah étaient et sont encore offerts par les musulmans à leurs frères juifs, ce geste populaire marquant mieux que toute étude, la réexpression concrète du contenu de fraternité humaine biblique du pays de Canaan et le rejet de ses origines tribalistes et racistes. .

Voilà ce que signifie pour moi, et j’en suis convaincu, pour les révolutionnai¬res arabes conscients, quelle que soit leur origine religieuse, l’objectif d’un "Etat Palestinien Indépendant et démocratique" dont tous les citoyens, quelle que soit leur confession, jouiront de droits égaux, cet "Etat", partie de la Patrie arabe "devant contribuer activement à l’édification d’une société arabe progressiste et unifiée"’ (Programme de El-Fath)

Je montre, dans la deuxième partie de mon étude sur "Culture et Progrès scientifique" qu’une telle conception, redonnant vie au contenu humain et progressiste de la culture arabe pour la projeter dans la construction de l’avenir, est en même temps autrement plus porteuse de progrès, y compris scientifique, que celle du monde capitaliste et de sa "Culture Occidentale" décadente.

Cher frère, j’ai déjà été trop long. Je joins à la présente lettre quelques documents sur la lutte .antisioniste au Maroc. Vous remarquerez que jusqu’à la période récente, elle était restée sporadique et sans suite, j’en analyse quelques raisons dans une étude qui paraîtra dans quelques mois (3). Il est sûr que maintenant, nous appuyant sur un objectif déjà clarifié pour le monde arabe, cette lutte ne doit plus s’arrêter mais se développer.
Cher frère, ce n’est que l’amorce d’un combat commun. Nous devons ici organiser l’information antisioniste dans une communauté juive de plus en plus dépersonnalisée sous des influences conjuguées de la colonisation et du sionisme. La connaissance d’efforts comme les vôtres, comme ceux de tous les juifs antisionistes dans le monde, est un élément essentiel pour notre effort.

Je vous salue fraternellement
Abraham SERFATY

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(1) Dans une autre lettre, Abraham SERFATY nous écrit au sujet de ce passage :
"Vous en comprendrez l’importance puisque c’est bien par opposition à l’essence du judaïsme, celle du sabbat, que Marx a critiqué le "juif réel ", de même qu’il a critiqué la réalité prise par la religion en général, par opposition à son essence.
En ce temps où le courant révolutionnaire court le risque, du fait du sionisme, d’être influencé par le racisme anti-juif, il est important de ne pas laisser subsister de telles ambiguïtés. Ici, j’ai vu de jeunes étudiants prendre référence d’un ouvrage destiné aux lycéens de philosophie et écrit par un monsieur qui se prétend marxiste, Henri Lefebvre, ouvrage intitulé "Pour connaître la pensée de Marx", où ce monsieur entretient, dans un passage consacré à ce texte de Marx, de telles insanités."
Ce fameux texte de Marx sur "La Question Juive" et aussi et surtout le texte moins connu de Bruno Bauer auquel il répondait, nous aurons l’occasion d’en reparler. Car ils constituent une critique impitoyablement objective et difficilement réfutable de la société juive : l’essence du judaïsme étant la séparation du peuple juif du reste de l’humanité - l’existence privilégiée, égoïste, la même que celle de la bourgeoisie - comment ce peuple juif peut-il se plaindre d’être traité différemment ? Le juif et le bourgeois ont des affinités essentielles : ils sont des êtres élus, favorisés, privilégiés, supérieurs : le juif est un bourgeois spirituel comme le bourgeois est un juif social, et finalement le juif et le bourgeois devaient finir par se fondre en un même être et à s’identifier comme cela se produit de nos jours : "le juif, écrit Marx, qui se trouve placé comme un membre particulier dans la société bourgeoise, ne fait que figurer de façon spéciale le judaïsme de la société bourgeoise".
"Le Juif s’est émancipé d’une manière juive, non seulement en se rendant maitre du marché financier, mais parce que, grâce à lui et par lui, l’argent est devenu une puissance mondiale, et l’esprit pratique juif l’esprit pratique des peuples chrétiens. Les Juifs se sont émancipés dans la mesure même où les chrétiens sont devenus juifs."
"Le besoin pratique, l’égoïsme est le principe de la société bourgeoise". C’est aussi "la base de la religion juive". ("La question Juive", pages 50-52)
C’est pourquoi, de ce point de vue, on ne voit pas comment on peut détruire la société bourgeoise sans se heurter à la société juive, autrement dit comment on peut être révolutionnaire sans paraître "antisémite" ?
Mais Dieu, Moïse et les Prophètes, la Tora apparaissaient eux-mêmes comme des "antisémites" quand ils fulminaient contre le peuple juif qui adorait le veau d’or et le menaçaient d’extermination.
On peut aussi défendre le point de vue que la différenciation est un principe de vie et de création que le peuple juif est chargé d’incarner, de personnifier et de sauvegarder, et que son assimilation et sa disparition signifieraient la destruction de l’élément qualitatif de la vie, le règne de la quantité et de l’homme unidimensionnel.
Mais comme le fait remarquer Abraham Serfaty, Marx lui-même faisait une distinction entre le juif essentiel, le juif du sabbat, et le juif réel. Il est évident que les juifs représentatifs, les juifs auxquels le monde a affaire, ce ne sont pas les juifs essentiels, les juifs du sabbat, les juifs mystiques, les juifs aux psaumes, dont l’existence détachée de toute préoccupation contingente ne pose pas de problèmes sociaux et politiques, mais les juifs réels ce sont les Rothschild, les Dassault, les Bleunstein-Blanchet, les Lévitan, les commerçants de la rue du Caire ou du faubourg Saint-Antoine, et encore plus Ben-Gourion, Moché Dayan, Golda Mèïr et tout ce qui est israélien. Le judaïsme et les juifs réels ce sont bien eux. Ces juifs bourgeois, par l’effet de leur nature religieuse, sont infiniment plus bourgeois que les bourgeois non juifs : les défauts et les vices bourgeois se manifestent en eux avec une force mystique qui les rend absolus : c’est ce que nous voyons plus particulièrement avec l’Etat d’Israël créé par la bourgeoisie internationale enjuivée : tout Etat est un instrument d’exploitation et de domination mais infiniment plus l’Etat d’Israël - Etat absolu - Etat Dieu - : tout lui est permis et on n’ose rien lui refuser, le monde entier doit se plier à ses exigences, mais par là même il provoque infiniment plus la révolte et la haine de ses victimes, autrement dit l’antisémitisme ... qu’il se proposait d’éliminer !
La tradition mystique juive, la Kabbale, établit également la distinction entre les juifs essentiels - le véritable Israël, peuple de pauvres, doux et pacifiques, sans aucune ambition terrestre, tout occupés à l’étude et à la pratique de la Tora, comme les Netourei Karta - et les juifs apparents - le faux Israël, le ’’Erev Rav" , société de riches et de repus, méchants et violents, conquérants et dominateurs, maîtres et dirigeants de la Communauté juive, appelés à disparaître à la fin des temps .
Comme le dit le Zohar, la Bible de la Kabbale, il y a Israël et il y a Israël.
(2) S. Goiten, "Juifs et Arabes", Editions de Minuit.
Etude remarquable sur le passé commun des Juifs et des Arabes malgré une conclusion marquée d’aliénation à l’Occident. .
(3) Cette étude vient de paraître dans le dernier numéro spécial de la revue "Souffles" (4 avenue Pasteur, Rabat, Maroc) "Pour la Révolution Palestinienne" sous le titre "Le Judaïsme Marocain et le Sionisme". Dans ce même numéro, il y a une autre étude de ce même auteur "L’Etat d’Israël est-il une nation ?". Dans une note biographique, il est indiqué qu’Abraham Serfaty est "né en 1926 à. Casablanca. Ingénieur des Mines. Professeur à l’Ecole Mohammedia- d’ingénieurs, de Rabat. Milite dans le mouvement national depuis 1944."
Voir en ligne : l’article sur le site de la revue Période

Abraham Serfaty
Emmanuel Lévyne
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Souvenir de 1963 : quand l’idéologie sioniste se faisait allumer

A l’occasion de Hanoukka, la "fête des Lumières" , nous publions ici un chapitre du livre d’Emmanuel Lévyne "Judaïsme contre Sionisme" ( page 100-114) Editions Cujas 1969.
Décembre 1963

LE JUDAISME ET LA RÉSISTANCE
Un quatre est toujours un quatre

La lutte héroïque du prêtre Matthatias et de ses fils avait eu pour cause initiale leur volonté de libérer la nation juive de l’oppression spirituelle ; ils désiraient pratiquer leur religion sans aucune restriction et ne pas être assujettis à une culture étrangère : l’Hellénisme. Mais leur révolte légitime une fois victorieuse, ils devinrent pareils à leurs ennemis, ils adoptèrent leurs méthodes : expansion territoriale, expulsion des populations non juives de leurs terres, conversions forcées et massives, répression cruelle et brutale des mouvements populaires juifs. L’opprimé était devenu oppresseur. N’est-ce pas exactement ce qui se passe à nouveau en Palestine et dans le monde ? N’est-ce pas l’essence même du drame algérien ? Le mouvement sioniste est né de l’antisémitisme, c’est-à-dire de l’intolérance religieuse et politique ; il se proposait de mettre fin aux persécutions dont était victime le peuple juif, et pour atteindre ce but, il s’est constitué en force politique et militaire, puis en État souverain. Il portait donc dès sa genèse le signe de la malédiction du 4 de Canaan, et dès lors, il fut contraint d’obéir à la loi du 4, de la souveraineté et du pouvoir humains, qui conduisent inexorablement à l’asservissement et à l’oppression de l’homme par l’homme : d’abord de l’étranger, puis de son propre frère. Les 900 000 réfugiés arabes, Déïr-yacin, Kybia, Kfar-Kassem, Suez, la discrimination raciale envers les Juifs d’origine nord-africaine, les persécutions contre les Juifs orthodoxes et les opérations policières de style nazi dans les ghettos de Jérusalem, la collaboration avec l’armée allemande, tous ces événements tragiques étaient prévisibles dès la création du sionisme, ils étaient inscrits dans son destin à sa naissance, alors que ce mouvement était représenté par une poignée d’intellectuels idéalistes, disciples de Tolstoï qui auraient été bien incapables de tuer une mouche ; mais leur esprit, en concevant l’État juif, était en train de concevoir un monstre, qui ne pourrait se conduire autrement que comme un monstre et un moloch.
La révolte des Macchabées pouvait être considérée comme inspirée par l’idéal prophétique : révolte contre un pouvoir oppressif. Mais en utilisant la violence. Les Macchabées finirent eux aussi par former un pouvoir oppressif et par violer les principes les plus essentiels de la tradition juive pour la défense desquels ils avaient déclenché la révolte.

S’il est une institution que l’on peut considérer comme essentielle au Judaïsme, c’est bien le Sabbat. Comme le disent les Sages, l’observation du Sabbat équivaut à l’observation de toute la loi ; et il suffirait que tous les Juifs observent scrupuleusement deux Sabbats consécutifs pour que le Messie vienne. Le Sabbat est le fondement et le sommet de tout l’édifice mosaïque. il en est le couronnement. Et cette conception était tellement enracinée dans le peuple, que les Juifs préféraient mourir plutôt que de profaner le Sabbat. Ainsi des garnisons juives se laissaient massacrer plutôt que de profaner le Sabbat en portant des armes et en se battant. Or c’est à profaner le Sabbat et les autres lois religieuses que les Héllénistes poussaient et contraignaient les Juifs. C’est pourquoi, le prêtre Matthatias et ses fils appelèrent le peuple à se soulever à la suite de l’événement que l’on sait :

« L’occasion de la rébellion fut l’érection à Modin, village du prêtre Matthatias, d’un autel païen devant lequel la populace assemblée devait accomplir des sacrifices. Comme l’un des notables locaux se levait pour donner l’exemple, Matthatias, l’égorgea. Puis avec ses cinq fils, il se retourna contre le commissaire du roi qui partagea le même sort. Après avoir détruit l’autel, ils s’enfuirent dans les collines, suivis par les éléments les plus intransigeants de la population et levèrent l’étendard de la révolte. » (Cécil Roth, Histoire du Peuple Juif, p. 85) [1].

La Résistance commençait. Qui donc oserait condamner le geste du prêtre ? Dieu et la Justice étaient de son côté. C’était pour défendre la religion du Dieu d’Israël. Mais la contradiction inhérente à toute défense du droit et de la justice par la force brutale n’allait pas tarder à se manifester.
« Les grecs étaient passés maîtres dans l’utilisation d’une stratégie très simple contre les Juifs : ils se battaient contre eux le jour où les Juifs refusaient de se défendre. Un jour de sabbat, l’une des bandes d’insurgés se trouva encerclée, et se laissa égorger jusqu’au dernier homme, plutôt que de lever le plus petit doigt pour se défendre. Il devenait évident que si ce fait précédent se reproduisait l’écrasement de la révolte ne serait plus qu’une affaire de temps. Matthatias était assez puissant pour s’élever au-dessus des règles religieuses admises et il donna à ses compagnons des instructions pour que la lutte en cas de légitime défense fût considérée comme permise même le jour où Dieu avait commandé le repos. » (Ibid. p. 86).

Ainsi la Violence, par laquelle Matthatias voulait défendre la Loi, le contraignait à profaner et à violer cette Loi. N’est-ce pas là une preuve éclatante que cette Loi et cette Violence sont incompatibles ? Qui veut utiliser la Violence doit violer la Loi : et qui veut respecter la Loi doit s’interdire l’utilisation de la Violence. Ainsi se révèle le mensonge de ceux qui appellent à la violence pour défendre Dieu et la Justice. En réalité ce sont d’autres motifs, qui n’ont rien à voir avec Dieu et la Justice qui les inspirent et les animent et cela qu’ils en aient conscience ou non. Quels sont ces motifs ? Ils ne tarderont pas à se révéler. Pour le moment, soulignons bien la contradiction. Matthatias appelle à la violence pour défendre la Loi de Dieu, et lui, la violence le fait violer la Loi de Dieu. Matthatias s’hellénise en luttant contre les Hellénistes par la force brutale.

D’autre part admirons cette Loi de Moïse et la subtilité de son esprit pédagogique. Elle obligeait les Juifs à être objecteurs de conscience 1 jour sur 7 ; elle leur permettait théoriquement d’utiliser la violence, les autres jours, mais pratiquement elle le leur interdisait : engager une bataille dans la semaine, c’était se condamner à être mis hors de combat le Sabbat. Permettre théoriquement et interdire pratiquement ce qui est contraire à son esprit, par l’établissement de difficultés techniques presque insurmontables, telle est la méthode psychopédagogique de la tradition juive, qui explique et résout ses contradictions et ses incohérences formelles ; elle réalise l’esprit par l’antinomie et l’absurdité juridiques. Moïse n’était pas un législateur rigoureux, mais un pédagogue génial [2].
Après de nombreuses péripéties, des alternances de batailles gagnées et de batailles perdues, la révolte macchabéenne triompha ; et alors qu’elle s’était assigné comme but de rétablir la liberté religieuse, elle poussa jusqu’à la libération politique et nationale. Ce fut le dernier survivant des cinq fils de Matthatias, Siméon, qui eut l’honneur de faire disparaître les derniers vestiges de la domination étrangère. Et alors le motif profond de la révolte macchabéenne se révéla au grand jour : la conquête du pouvoir spirituel et temporel : Siméon se fit conférer les titres de grand prêtre et de prince de la nation juive, qui s’était de nouveau constituée en État indépendant et souverain. Le 4, le Nombre des trônes, de Juda, quatrième fils de Jacob, sortait grand vainqueur. Les Juifs n’allaient pas tarder à faire l’expérience qu’un 4 juif est toujours un 4, et qu’il n’a rien à envier au 4 grec, romain ou autre en ce qui concerne son caractère propre, existentiel ; un 4 est toujours un 4, c’est-à-dire une oppression et une exploitation de l’homme par l’homme.

Après la mort de Siméon, ce fut son troisième fils, Jean Hyrcan qui lui succéda. Sous son règne les caractères du 4 contenus en germe dans la révolte maccabéenne allaient se développer et se manifester avec éclat. Si encore du vivant de Juda, la révolte conserva son masque religieux et spirituel, après sa mort il tomba : ses frères découvrirent leurs intentions véritables, qui n’avaient rien à voir avec la défense de la religion juive et les principes essentiels de la Thora.
« Plus agressifs et plus ambitieux, relate Cécil Roth, ils se mirent délibérément à étendre les territoires sous leur loi. Ils obéissaient à l’âpre morale du combat qui était universellement dominante à cette époque. Les peuples conquis ne pouvaient guère s’attendre à être pris en considération par eux. Dans bien des cas ils étaient expulsés, dans les autres ils étaient convertis de force au Judaïsme... A ces acquisitions, Siméon ajouta l’important port maritime de Jaffa, dont il expulsa les habitants Gentils »(Ibid. p. 93).

L’histoire est un éternel recommencement, dit-on. On voit que l’histoire israélienne n’est que la répétition de l’histoire juive ancienne. L’histoire de l’Etat d’Israël était déjà terminée lorsqu’elle a commencé. La leçon de l’Histoire juive, celle des Macchabées en particulier, nous apprend avec précision et certitude le destin de l’Etat d’Israël.

L’impérialisme devint le contenu principal de la politique de Jean Hyrcan.

« Sous Jean Hyrcan, l’expansion devint le mot d’ordre de la politique nationale. Il repoussa les frontières de l’Etat de tous les côtés. Et toutes les populations des territoires conquis étaient obligées d’embrasser la religion juive »(Ibid.p.93).
Après la mort de Jean Hyrcan en 104, ce fut son fils aîné Juda ou Aristobule qui lui succéda. Il continua la politique d’expansion de son père. Un siècle après la révolte des Macchabées, la superficie de l’Etat juif avait décuplé. Cependant, si la politique extérieure était triomphale, la politique intérieure, elle, marchait moins bien : Matthatias et ses fils avaient réussi à soulever le peuple juif, parce qu’ils avaient donné comme but à la lutte la libération religieuse. Mais la Violence devait les entraîner sur les chemins du 4, qui tous mènent à « Rome », c’est-à-dire au Pouvoir, à la Possession, à la Souveraineté. Or la souveraineté humaine est contraire à l’essence de la Thora. Toute personne ou tout groupe d’hommes qui veut accéder à la souveraineté se condamne à rencontrer sur la voie royale l’opposition catégorique de Dieu et de la Thora en la personne de leurs serviteurs fidèles, donc à les combattre et à réprimer et à mâter leur opposition. Ainsi les Asmonéens qui avaient engagé la lutte contre le Pouvoir helléniste avaient maintenant pris sa place. Par rapport au peuple, ils occupaient exactement la même position que l’oppresseur étranger.

« Au cours de cette période, raconte Cécile Roth, le fossé s’agrandit entre la maison régnante et certains de ses sujets. Les frères Asmonéens avaient pris le pouvoir en tant que chefs de la révolte populaire. Le caractère héréditaire avait été conféré à leur maison par la grande assemblée des prêtres et du peuple et des chefs de la nation et des anciens du pays. Les éléments au moins d’une théocratie démocratique étaient saufs.
« Après le retour de l’exil, la plus haute autorité de l’Etat juif avait été le grand prêtre, dont l’influence s’exerçait uniquement en vertu de son office spirituel. Que Juda Aristobule et ses successeurs aient pris le titre de Roi, introduisait un élément tout à fait neuf dans la constitution.
« D’après une tradition immémoriale, la royauté était réservée à la maison de David. Mais cette conception n’était peut-être pas encore si généralement répandue qu’elle le sera plus tard. Néanmoins le cumul du rang de roi et de l’office de Grand Prêtre investissait la nouvelle dynastie d’un pouvoir que n’avaient pas connu même les souverains des jours héroïques du royaume israélite.

« Une puissante fraction du peuple trouvait à redire à cette concentration écrasante du pouvoir dans les mains d’une seule personne. Ils avaient bien voulu combattre pour leur religion. L’indépendance politique était, d’ autre part, un souvenir si lointain, qu’ils n’y attachaient pas grande importance... Quand la monarchie fut rétablie, et que les abus inhérents à l’institution se montrèrent d’eux-mêmes, quelques uns de ceux-là commencèrent à se rappeler presque avec regret les conditions antérieures, et le rétablissement de l’hégémonie des Gentils dans le domaine politique.

Cette « puissante fraction du peuple » qui s’opposait aux princes de l’Etat juif, à l’existence même de l’Etat juif, donna naissance au parti des Pharisiens. Comment se forma le parti des Pharisiens, quelles étaient ses tendances, dans quelles classes de la nation recrutait-il, voici ce que nous dit Cécil Roth :
« Au temps du premier Temple, et même après le retour de l’Exil, les prêtres avaient été considérés comme les dépositaires officiels de l’enseignement et de la tradition. Leur devoir était d’interpréter la « Thora » et de formuler des décisions sur les points difficiles de la loi et de la pratique. Mais, depuis les jours d’Esdras, la « Thora » était devenue la propriété du peuple tout entier. On la lisait et on la commentait fréquemment dans toutes les villes et les villages, et la déférence qui entourait les Prêtres, se trouva reportée sur tous ceux qui se montraient habiles à expliquer les Ecritures Saintes (leurs disciples les appelaient respectueusement « Rabbi », c’est-à-dire « Mon Maître »).

« La tradition s’était élargie par jurisprudence ; les décisions ou les pratiques d’un Rabbi servaient de guide aux générations suivantes ; une somme considérable de traditions orales se développa, renforçant et éclaircissant le texte biblique ; des idées neuves étaient assimilées et recevaient une teinture juive.
« C’est ainsi qu’était né un corps d’enseignement plus moderne, plus souple, plus vivant que les prêtres du Temple. L’interprétation de la Bible, telle que la concevaient les rabbis, était moins stéréotypée ; leurs décisions en matière légale tendaient à plus de douceur, et ils n’avaient pas de scrupules à tourner au besoin la lettre stricte de la « Thora » par des fictions légales transparentes. Ils consolaient des vicissitudes de ce monde par la doctrine de l’immortalité des âmes et de la résurrection des morts, que les prêtres niaient ardemment (ne pouvant s’autoriser d’aucun passage biblique sur ce point).« Pour la pratique, les décisions respectives en matière légale reflétaient des intérêts divergents des deux classes -aristocratie foncière d’une part, les artisans et les petits propriétaires de l’autre.

« C’est ainsi que se développèrent deux partis dans l’Etat :

l’un considérant le Temple comme le centre de l’instruction et d’un culte sacrificiel, tandis que l’autre cherchait la lumière où il pouvait la trouver. L’un était essentiellement conservateur, l’autre éclectique, tant pour la doctrine que pour la pratique. L’un était recruté principalement parmi les prêtres, épaulés par l’aristocratie et les propriétaires fonciers, l’autre parmi la basse et la moyenne classe. Le premier soutenait la monarchie absolue, dévolue aux Grands-Prêtres héréditaires, le second penchait pour la démocratie.

Graduellement, le premier parti prit le nom de la famille sacerdotale de Zadok, ancêtre des Asmonéens,« Tsedoukim », ou Sadducéens, tandis que les autres recevaient l’appellation de « Perouchim » (Pharisiens) ou dissidents » (Ibid. p. 96).
Dans les cours d’instruction religieuse des pays de langue française on se sert, pour l’Histoire Sainte, d’un manuel rédigé par Arthur Weil, rabbin de la communauté israélite de Bâle, qui présente ainsi aux enfants les événements :

« La fin du principat de Hyrcan fut troublée par des querelles religieuses auxquelles ce prince fut entraîné à prendre part. De son temps, en effet, une scission se produisit parmi les habitants de la Judée. La masse du peuple et ses guides religieux n’avaient d’autre ambition que de vivre tranquillement. La splendeur extérieure de l’Etat comptait peu à leurs yeux ; aussi avaient-ils la guerre en horreur et plaçaient-ils la béatitude du monde futur au-dessus de tout bien-être terrestre. Ils s’abstenaient scrupuleusement de toutes les choses prohibées par la Loi écrite ou par la loi orale et évitaient le contact avec les païens, qui avaient été cause de tant de malheurs. En raison de cette double abstention, leurs adversaires les qualifiaient du nom de Perouchim (Pharisiens) qui signifie : « séparés » (des autres).
« Les Sadducéens (Tsadoukim, probablement du nom de Tsadok, fondateur de cette secte) se recrutaient, au contraire, pour la plupart dans les familles riches, qui avaient des relations avec les païens et les peuples voisins de la Judée. Se sentant trop à l’étroit dans l’observance scrupuleuse de la Loi et des traditions juives, ils cherchèrent à se débarrasser des commandements qui n’étaient pas expressément formulés dans la Thora. Ils niaient toute tradition et rejetaient la doctrine des récompenses et des peines futures. L’éclat extérieur de l’Etat leur paraissait plus désirable qu’un fidèle attachement à la Thora. Ce parti était moins nombreux que celui des Pharisiens, mais il était plus puissant et cherchait à imposer ses conceptions par la force »(p. 190-191).

Ainsi le Pharisaïsme loin d’être le parti des dévots hypocrites, le parti des clercs au service de la classe dirigeante et bourgeoise, le Pharisaïsme était un parti révolutionnaire et libéral au service du peuple. Le parti de la classe bourgeoise et des dirigeants, des propriétaires fonciers, des riches, des généraux, des militaires, des prêtres était le parti des Sadducéens, c’est-à-dire des descendants de Zadok, ancêtre des Asmonéens. Les positions étaient maintenant bien nettes, sans aucune équivoque : la révolte macchabéenne avait été une révolte bourgeoise contre le peuple. Ce ne devait pas être la dernière fois que la bourgeoisie juive, sous le prétexte de le libérer et de l’émanciper, a entraîné le peuple dans des aventures sanglantes ce qui nécessitait préalablement et corrélativement de détruire l’autorité et l’influence de la Thora et des rabbis sur le peuple, lesquels ne pouvaient manquer de s’opposer aux entreprises criminelles de cette bourgeoisie. La liberté et l’émancipation du peuple sont dans la soumission et la consécration à la Thora et à Dieu ; quiconque veut libérer le peuple du joug de la Royauté du Ciel vise en réalité à le lier au joug des Rois de la Terre, au joug des banquiers, des politiciens, des militaires. Le parti du peuple libre, c’est le parti de la Thora et le parti de la Thora c’est le parti du peuple libre. Le parti qui est contre la Thora c’est le parti qui est pour l’Etat, c’est le parti qui livre le peuple aux puissances politiques, financières et militaires.

Ainsi, quel bon chrétien, fidèle lecteur de l’Evangile, l’aurait soupçonné, et même quel Juif, même religieux en a conscience : le Pharisien, à son origine, ne désigne pas un dévot hypocrite ou même sincère, mais un anarchiste ; il a une signification essentiellement politique [3] : adversaire de l’Etat et de ses représentants -de ses princes et de ses valets. Mais sa conviction politique, son anarchisme n’est pas la conséquence d’une recherche frénétique d’une liberté anarchique, individualiste et égocentrique ; au contraire, elle résulte de sa libre soumission, de son esclavage volontaire à la Loi et à Dieu. Comme Tolstoï, le Pharisien pensait « que pour avoir la force de refuser d’obéir à l’autorité humaine, il faut obéir à Dieu, car il est impossible de dire tout à coup je ne veux plus obéir aux hommes ». On ne peut le faire qu’en se soumettant à la loi divine suprême commune à tous. On ne peut être libre en violant la loi suprême. On ne peut être libre que dans la mesure où l’on observe la loi suprême. Et plus les hommes vivront ainsi, plus ils seront en mesure de ne plus se courber devant la puissance de l’homme et de s’en affranchir ». C’est pourquoi les Pharisiens étaient si attachés à la Thora, qu’ils la répandaient et la diffusaient dans le peuple, qu’ils la rendaient populaire. Le Pharisien était un profond et ardent humaniste, la personne humaine était sacrée à ses yeux, mais il avait conscience, comme le dit Berdiaev, que tout humanisme sans Dieu dégénère en inhumanisme.

« Dieu est humain, mais l’homme est inhumain ».

« L’humanisme se métamorphose en anti-Humanisme. L’affirmation que l’homme se suffit à lui-même, se transforme en négation de l’homme, aboutit à la décomposition du principe proprement humain en un principe prétendant dépasser l’humain, le « surhomme », et en un autre incontestablement inférieur à l’humain ; c’est l’animalo-divinité, au lieu de l’humano-divinité qui est ainsi affirmée ».

Le Pharisaïsme n’est pas une doctrine religieuse qui ne s’intéresse pas à la politique. Le Pharisaïsme, en son essence, est l’Anarchisme, qui est la doctrine politique de la Bible et de l’Hébraïsme, comme cela ressort avec éclat dans le chapitre VIII de Samuel. Mais c’est un anarchisme d’essence religieuse et mystique. Les anarchismes socialistes et athées en sont de pâles reflets, ils en représentent des formes dégradées.
Les véritables rabbins se reconnaissent non pas tant à leur érudition et à leur piété, mais à leur position envers l’Etat, ses princes et ses généraux. Les grands rabbis d’Israël, ceux qui ont fait du peuple juif un peuple de l’Eternel, un peuple indestructible, ont toujours adopté la même attitude, quelle que soit leur situation dans le temps ou dans l’espace, sur le plan politique : hostilité déclarée envers tout Etat juif et ses dirigeants, auxquels ils préfèrent la domination politique étrangère, à la condition que leur soit laissée une entière liberté et autonomie religieuse. Telle était la position des premiers pharisiens au temps de la Maison Asmonéenne, telle sera la position de Rabbi Yohanan Ben Zakaï au temps des Romains, telle est encore aujourd’hui la position des rabbis orthodoxes de Jérusalem -les « Netourei Karta ». Les rabbins et les religieux qui soutiennent un Etat juif sont de faux pharisiens. D’aucuns s’étonnent du climat hostile à la religion orthodoxe à l’intérieur de l’Etat d’Israël, et pensent qu’avec le temps les choses s’arrangeront. Ceux-là ne comprennent rien à la doctrine pharisienne : la Thora et l’Etat sont deux ennemis irréductibles : la force de l’un cause la faiblesse de l’autre. Les dirigeants de l’Etat d’Israël savent bien ce qu’ils font en désacralisant le peuple juif et ses institutions spécifiques ou en s’attachant des rabbins perfides pour bénir et sanctifier leur Etat. Les rabbins qui collaborent avec l’Etat d’Israël sont des néo-sadducéens.

Cécil Rhot dit que : « Tant que le danger extérieur fut menaçant l’unité nationale continua à se maintenir ». Le refrain n’a pas changé jusqu’aujourd’hui. Il n’y a pas d’exploitation et d’oppression à l’intérieur s’il n’y a pas d’ennemis à l’extérieur. L’Etat est une institution dont la fonction est d’exploiter et d’opprimer le peuple, de le faire suer sang et eau, au bénéfice de la classe dirigeante. L’ennemi extérieur lui permet, en jouant sur le sentiment national et patriotique, de lui faire avaler son sort malheureux. « Quiconque se révolte et fomente des troubles à l’intérieur, fait le jeu de l’ennemi, c’est un traître ». D’autre part, l’ennemi justifie la création et le développement d’une armée dont la puissance est souvent illusoire contre l’extérieur, mais qui est toujours assez forte pour maintenir l’ordre bourgeois à l’intérieur et réprimer toute tentative de soulèvement.
Mais tout système étatiste, surtout en Israël, porte les germes de sa propre destruction, et il est condamné, dès sa naissance, à dégénérer et à se disloquer tôt ou tard. C’est ce qui ne tarda pas à se produire avec l’Etat asmonéen.

« Vers la fin du règne de Jean Hyrcan, le caractère de la maison régnante commença à dégénérer. Son successeur, le roi Aristobule, singea les coutumes grecques, et se plongea dans une querelle de palais féroce, qui le conduisit à empoisonner sa nièce et à tuer son frère. Alexandre Jannée lui-même agit à la manière d’un despote oriental, sans scrupule, assoiffé de sang et passionné, et il maintint son autorité par l’épée de mercenaires étrangers » (Cecil Roth Histoire du Peuple Juif p. 97).
La révolte du peuple juif, des pharisiens, contre l’Etat éclata au cours d’une manifestation religieuse à l’occasion de la Fête des Cabanes :

« A un banquet donné en l’honneur du retour du roi d’une expédition militaire triomphale, un chef pharisien lui demanda ouvertement de dissocier les fonctions civile et religieuse qu’il remplissait, et de choisir l’une ou l’autre ; et une justification légale, de nature peu flatteuse, fut trouvée pour mettre en question son droit à la prêtrise. Sitôt après, à la fête des Tabernacles, alors qu’il officiait dans le Temple, le Roi prêtre pour se venger exprima publiquement son mépris de l’enseignement pharisaïque en versant la libation d’eau à ses pieds et non sur l’autel : point peu important mais qui indiquait son attitude envers le nouveau cérémonial non prescrit par le Pentateuque.

« Le peuple, irrité, lui jeta à la tête des cédrats apportés en l’honneur de la fête, et l’ordre ne fut rétabli qu’après bien des effusions de sang. Plusieurs chefs pharisiens s’enfuirent hors du pays.
« Le mécontentement continua de couver, jusqu’à ce qu’en 94, Alexandre revint, discrédité, d’une campagne malheureuse. Les sentiments du peuple s’exaspérèrent à nouveau. Jérusalem entra en rébellion. Pendant six ans la guerre civile fit rage férocement. Les insurgés pharisiens ne pouvaient s’égaler aux mercenaires endurcis du roi. Cependant ils refusaient de transiger, et préférant une loi étrangère à l’oppression arbitraire d’un fils de leur propre peuple, ils appelèrent à l’aide Demetrius II, maître de la Syrie à cette époque. Alexandre subit une défaite écrasante (Ibid, p. 97).

Tout cela se termina, ou plutôt commença à se terminer en 63 avant J.C. par la prise de Jérusalem par Pompée, dont l’intervention avait été souhaitée par tous les partis juifs. La fin de la fin fut la destruction du Temple en 70 et la grande dispersion.

Quand on considère la révolte macchabéenne, comment elle débuta et comment elle se termina, on ne peut s’empêcher de s’étonner qu’elle ait donné lieu à une fête, petite fête il est vrai, mais fête quand même. Peut-être faut-il voir dans la fête une leçon qui contredit et désavoue les événements qu’elle commémore. Elle se déroule en plein hiver à une époque où la lumière solaire est la plus réduite. Un midrach raconte que si les Juifs n’allumaient pas les bougies de ’Hanoukka, la lumière du soleil continuerait à décroître jusqu’à s’éteindre complètement. Et les lumières de Hanoukka ont elles-mêmes une origine miraculeuse ; une fiole d’huile qui ne pouvait alimenter les chandeliers du Temple que pendant une journée a suffi pour 8 jours. Lorsqu’lsraël est opprimé, lorsqu’Israël traverse l’hiver historique, qu’il plonge dans l’obscurité et que d’après les lois de la nature il devrait s’éteindre et disparaître, alors Israël doit survivre en s’appuyant uniquement sur le miracle, il doit attendre patiemment que l’hiver et l’ombre passent et que la lumière reprenne le dessus et réduise les ténèbres, grâce à sa foi en Dieu et à la pratique de ses commandements. C’est ce que n’ont pas compris les Macchabées, qui ont voulu précipiter la délivrance en agissant par leurs forces humaines. En fait de délivrance, ce sont les catastrophes, les deuils, les esclavages, les servitudes et les oppressions qu’ils ont précipités et multipliés. Il est remarquable et très significatif que les rabbins ont ordonné de lire le Sabbat de ’Hanoukka les chapitres du livre du prophète Zaccharie où se trouve la condamnation catégorique de la violence : « NON PAR L’ARMEE, NON PAR LA VIOLENCE, MAIS SEULEMENT PAR MON ESPRIT ».
Emmanuel Lévyne "Judaïsme contre Sionisme" (p 100-114) Editions Cujas 1969

[1] Nous avons choisi, pour nos citations, une histoire juive publiée par les sionistes (éditions de la Terre Retrouvée). Car « c’est de la forêt elle-même que sort le manche de la hache du bûcheron » (Talmud Sanhédrin 39b).
[2] Sur le caractère personnaliste et anarchiste de Moïse, lire le remarquable article du rabbin M. Sal : « Quelques réflexions sur l’évolution biologique selon le premier chapitre de la Genèse » dans la « Revue d’Histoire de la Médecine Hébraïque n° 45, Octobre 1959.2
[3] A propos de l’étymologie de nom des pharisiens « perouchim », Cécil Roth note : « Que la différence entre les sectes ait été d’une essence bien plus politique que théologique, quoique ayant trait à la méthode d’interprétation de la Loi semble probable à cause de l’amertume des sentiments réciproques et du rôle qu’ils jouèrent dans les affaires d’Etat ».

Emmanuel Lévyne