août 29, 2009

« La théurgie est une action de Dieu

« La théurgie est une action de Dieu, une effusion sur l'homme de sa grâce miséricordieuse et salutaire. En tant que telle elle dépend de la volonté de Dieu, et non pas des hommes. Elle est substantiellement liée à l'incarnation divine, elle en est la continuation permanente dans le temps. Le Christ a posé le fondement absolu et inébranlable de la théurgie chrétienne, et il a conféré à l'Eglise un pouvoir théurgique par la grâce de succession, communiquée aux apôtres. « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui descendra sur vous » (Act.I,8). C'est ce qui s'est produit à la Pentecôte, fondement absolu de la théurgie chrétienne. Celle-ci est opérée au moyen de la liturgie, dont les sacrements, culminés par l'Eucharistie, constituent le centre même. D'ailleurs la liturgie entière doit être considérée comme un sacrement au sens large car la grâce divine y ruisselle de toute part [...] Un pouvoir théurgique est donné par Dieu à l'homme, mais celui-ci ne peut d'aucune manière se l'approprier par sa volonté, par un rapt ou par quelque tentative de création personnelle. Ainsi, comme but d'un effort humain la théurgie est impossible, ce n'est qu'un malentendu ou une révolte contre Dieu. Bien que la grâce des sacrements agisse sans contraindre la liberté de l'homme, elle le féconde et le nourrit religieusement par des moyens mystérieux et insaisissables, en même temps qu'elle régénère le monde. Elle imprègne l'homme du Corps et du Sang du Christ, elle l'emplit de la substance spirituelle des sacrements et des rites ecclésiaux, de leur énergie théurgique. La théurgie chrétienne est le fondement invisible, mais réel de tout mouvement spirituel dans le monde sur la voie de son accomplissement. Sans son action sanctifiante et vivifiante, l'humanité aurait été incapable d'approcher les tâches créatrices qui s'imposent légitimement à elle le long de cette voie. Rien ne peut remplacer son énergie ne lui être comparable, ni encore la rendre inutile, en formant un nouveau sacrement cosmique et humain. Un tel dessein relèverait d'une « messe noire » anti-christique [...] Il y a dans le sacrement, comme fait théurgique, une action et une présence réelle de Dieu. Cela en constitue le facteur «transcendant» et indéniablement miraculeux qui, en même temps se conjugue avec l'élément cosmique et l'essence de l'homme. C'est justement cette rencontre et cette union entre ce qui est humain et cosmique qui fait la «pointe» mystérieuse et merveilleuse de la théanthropie que le sacrement actualise. Quand le prêtre, invoque l'Esprit Saint sur les saints dons offerts, alors un miracle indicible intervient : le Ciel s'instaure sur l'autel, le Christ y descend, les puissances du Ciel frémissent...Cela aucune production de l'activité humaine ne pourra jamais l'accomplir. Aussi rien ne peut-il le remplacer. L'on comprend que l'incroyance et la religion humanolâtre se soient dressés contre ce fondement théurgique absolu, que les disputes et les différends au sujet de l'Eucharistie aient acquis une importance primordiale. Le protestantisme a mis en avant un immanentisme moral de différentes nuances, une sorte d'impressionnisme mystique : selon son état intérieur ou son humeur, ou bien le communiant goûte simplement du pain, ou bien il reçoit la grâce. Il est naturel que la lutte du protestantisme contre l'Eglise se soit concentrée sur la question de la transformation des espèces eucharistiques. Ainsi la puissance théurgique qui se manifeste dans les sacrements est donnée, et non pas captée. L'homme la reçoit, il ne la produit pas. Aussi le prêtre n'est-il que le ministre du sacrement et non pas son auteur. Cela ne suppose pas que son essence humaine devienne passive ou paralysée : pour recevoir dignement l'acte théurgique, la sobriété spirituelle, l'ardeur de la prière, la concentration de toutes les forces spirituelles sont nécessaires [...] Dès lors le sacerdoce, vivant organe de la théurgie, exige de celui qui en est investi la fidélité, la rigueur du ministère. En effet dans l'action théurgique, se tenant devant l'Autel, le prêtre se sépare en lui-même de l'humanité pour s'élever au-dessus d'elle ; aussi garde-t-il toujours en lui cette marque extra-mondiale, « monacale », de consécration sacrificielle. Car le sacrificateur et la victime sont jusqu'à un certain point indivisibles et identiques. Celui qui apporte le sacrifice est aussi, en un certain sens, celui qui est apporté, quant à son propre être. Le Chef du sacrifice chrétien, le Hiérarque suprême, est en même temps l'Agneau. Et c'est en son nom que le prêtre qui opère le sacrifice non-sanglant s'exclame : « Ce qui est à Toi, le tenant de Toi, nous Te l'offrons en tout et pour tous ». Dans son ministère sacramentel, l'essence humaine passe par le feu dévorant du glaive du chérubin qui garde le saint autel, et le sacrificateur est séparé du peuple par ce rideau de flammes, tel Moïse au Sinaï. [...] Se tenir dignement devant le sanctuaire, même pas directement devant l'autel exige aussi des laïcs une prière intense et un renoncement sacrificiel (dans une moindre mesure, pourtant que chez le prêtre). La prière elle-même exige toujours de remettre à Dieu l'élément humain ; de ce fait elle est un acte créateur. Celui-ci consiste en effet à tendre toutes les forces de son être spirituel pour le projeter vers Dieu. : transcende te ipsum ! [...] La théurgie des sacrements est étroitement liée au rite et au culte en général. Il n'y a pas non plus place pour une activité personnelle en tant que telle. C'est la puissance de l'opération sacramentelle qui y règne (...) Nous n'en savons pas moins que la création liturgique a suivi un développement dans l'histoire, et qu'une inspiration individuelle s'est coulée dans son cours sur individuelle, ayant été reçu par l'acte d'une sanction ecclésiale. Nous connaissons le nom de certains hymnographes, isographes et architectes qui y ont apporté leurs dons, mais ceux-ci n'ont reçu leur valeur hiératique qu'après avoir été fondus par l'ensemble de la prière dans l'ensemble massif de la liturgie (il y a là une certaine analogie avec l'art populaire, à la fois personnel et collectif, où les individualité créatrices ne se dissolvent pas, mais semblent entrer organiquement dans un ensemble anonyme). Bien que le rite de la liturgie possède la plus grande stabilité hiératique, il y a là encore un mouvement continu qui se manifeste parfois que par des nuances et des demi-teintes. Le développement liturgique est l'indice le plus exact de ce qui se passe dans la profondeur mystique de la vie, encore qu'un observateur extérieur qui ne chercherait que des «signes» serait incapable d'en percevoir la pulsation spirituelle, intime et pleine d'émotion. Cela fait que l'on parle d'une immobilité de la vie ecclésiale et l'on lance des appels bien programmés, mais religieusement stériles, à une nouvelle «création liturgique». » Serge Boulgakov, La lumière sans déclin, l'Age d'Homme, p.240