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remarquable, digne de cette femme
d’exception, fondatrice notamment des
colloques de l’Alliance Mondiale des Religions auxquels participaient notamment
le Cardinal Jean DANIELOU et le Dr Hubert LARCHER
août 12, 2016
août 08, 2016
Lettre des Églises de LYON et de VIENNE aux Églises d’ASIE et de PHRYGIE (l’an de J.C. 177).
1- Les serviteurs du Christ qui
habitent à Vienne et à Lyon, en Gaule, aux frères d’Asie et de Phrygie qui
partagent notre foi et notre espérance dans la rédemption : paix, grâce et
honneur au nom de Dieu le Père, et de Jésus-Christ, notre Seigneur.
2- La violence de la persécution a
été telle, la fureur des païens contre les saints et les souffrances endurées
par les bienheureux martyrs ont été si véhémentes que nous ne saurions les
décrire exactement et qu’il est impossible d’en faire un récit complet.
3- À la vérité, l’Ennemi a frappé de
toutes ses forces ; il préludait déjà aux violences de son règne futur. Il
utilisa tous les moyens pour entraîner et exercer ses suppôts aux attaques
contre les serviteurs de Dieu : non seulement les lieux publics, les
thermes et l’agora nous étaient interdits, mais de façon générale, il nous
était défendu de nous montrer en public.
4- La grâce de Dieu luttait cependant
avec nous ; elle soutenait les faibles, elle opposait au Méchant les plus
vaillants, inébranlables comme des colonnes, afin de concentrer sur eux tout
l’effort du Maudit. Ceux-là marchaient à l’ennemi, subissaient outrages et
tourments ; peu leur importait : ils allaient rejoindre le Christ.
Par leur exemple ils montraient que «les souffrances du temps présent ne sont
rien comparées à la gloire qui doit se manifester en nous».
5- Et d’abord, ils supportèrent
noblement tous les outrages que la foule entière leur infligeait à tous :
clameurs, coups, arrestations, pillages, lapidation, détention et tout ce
qu’une populace déchaînée prodigue d’ordinaire à des ennemis détestés. Puis ils
furent amenés sur la place publique. Interrogés devant toute la foule par le
tribun et les magistrats de la ville, ils confessèrent leur foi. On les enferma
tous ensemble dans la prison jusqu’au retour du gouverneur.
6- Plus tard, ils comparurent devant
le gouverneur, qui usa de toute sa cruauté habituelle contre nous. Vettius
Épagathus, un des frères, avait atteint toute la perfection de l’amour de Dieu
et du prochain ; malgré sa jeunesse, sa sainteté méritait l’éloge départi
au vieux Zacharie : «il suivait tous les commandements et observances du
Seigneur», irréprochable, toujours disposé à rendre service au prochain,
brûlant de zèle pour Dieu, tout bouillant de l’Esprit-Saint.
7- Avec une telle nature, Vettius ne
put se contenir devant le déroulement inique du procès qu’on nous faisait.
Saisi d’indignation, il demanda de pouvoir prendre la défense des frères et de
prouver qu’ils n’étaient ni athées, ni impies. Les gens qui entouraient le
tribunal se mirent à vociférer contre lui (car il était de grande
famille).
8- Le gouverneur rejeta sa requête,
pourtant légale, et lui demanda s’il était chrétien lui aussi. Vettius, d’une
voix éclatante, confessa sa foi ; il fut arrêté lui aussi et promu au rang
des martyrs.
9- Il s’était présenté en paraclet
(ou avocat) des chrétiens, car il portait réellement en lui le Paraclet,
l’Esprit de Zacharie. Il le prouva par la plénitude de la charité avec laquelle
il défendit ses frères, au prix de sa propre vie. Il était et il continue
d’être un vrai disciple du Christ, il suit l’Agneau partout où il va.
10- Cette épreuve fit la
discrimination des autres chrétiens. Les uns se révélèrent entièrement prêts
pour le martyre ; avec empressement, ils confessèrent leur foi ;
d’autres, par contre, se trouvèrent n’être ni préparés, ni entraînés, ni
suffisamment aguerris pour soutenir un combat violent. Ils faiblirent au nombre
de dix environ.
11- Ils nous causèrent une grande
tristesse, une cruelle douleur ; ils brisaient l’ardeur des autres qui
n’avaient pas été arrêtés, mais parvenaient au prix de mille dangers à soutenir
les martyrs au lieu de se tenir à l’écart.
12- Nous tous, alors, nous étions
angoissés parce que leur confession de la foi demeurait incertaine ; non
que nous redoutions les tortures infligées, mais nos yeux étaient fixés sur la
fin ; nous avions peur que quelqu’un vienne à tomber.
1- Pendant ce temps, on arrêtait tout
le jour les chrétiens dignes de ce nom ; ils comblaient les vides laissés
par les défections. On réunit ainsi en prison les éléments les plus actifs des
deux Églises (de Lyon et de Vienne), ceux qui en étaient les piliers.
2- On arrêta aussi quelques païens
qui étaient au service des nôtres ; car le gouverneur, au nom de l’État,
avait ordonné de nous rechercher tous. Ces serviteurs tombèrent dans le piège
du démon.
3- Épouvantés par les tortures qu’ils
voyaient infliger aux saints, excités par-dessus le marché par les soldats, ils
nous calomnièrent, nous accusant faussement de festins de Thyeste, d’incestes à
la façon d’Oedipe, et d’autres crimes tels qu’il nous est interdit d’en parler
ou d’y songer, ou même de croire que pareille chose soit possible chez les
hommes.
4- Ces calomnies rendirent les gens
féroces comme des fauves contre nous.
5- Ceux qui, pour des raisons de
parenté, s’étaient montrés modérés jusque-là s’indignaient à présent contre
nous et grinçaient des dents. La parole de notre Seigneur
s’accomplissait : «L’heure viendra où quiconque viendra vous faire mourir
et se figurera rendre un culte à Dieu».
1- Dès lors, les saints martyrs
eurent à subir des tortures indescriptibles ; Satan s’acharnait sur eux,
afin de leur arracher une parole blasphématoire.
2- La fureur du peuple, du
gouvernement, des soldats s’exerça avec une violence particulière contre
Sanctus, le diacre de Vienne ; contre Maturus, récemment baptisé, mais
généreux athlète ; contre Attale, originaire de Pergame, qui avait
toujours été la colonne d’appui des chrétiens d’ici ; enfin contre
Blandine.
3- En Blandine, le Christ donna cet
enseignement : ce qui aux yeux des hommes est méprisable, vil et laid,
Dieu peut le juger digne d’une grande gloire, à cause de l’amour qu’on lui
porte, l’amour qui s’exprime dans les actes et ne se satisfait pas de vaines
apparences.
4- Nous avions tous peur pour
Blandine. Sa maîtresse selon la chair, qui faisait partie du groupe des
martyrs, une athlète de la foi, redoutait que la jeune fille ne pût même pas
affirmer franchement sa profession de chrétienne, tellement elle était
chétive.
5- Mais Blandine se trouva remplie
d’une telle force, qu’elle finit par épuiser et lasser les bourreaux. Ceux-ci
se relayaient du matin jusqu’au soir pour la torturer par tous les
moyens : ils durent s’avouer vaincus et à bout de ressources.
6- Ils s’étonnaient qu’elle respirât
encore, avec le corps déchiré et meurtri. Ils avouaient qu’une seule de leurs
tortures suffisait pour enlever la vie ; à plus forte raison ces
tortures-là, et en si grand nombre.
7- Au contraire, la bienheureuse
rajeunissait comme un vaillant athlète, au cours de la confession de sa foi. Il
lui suffisait de répéter «Je suis chrétienne, et chez nous, il ne se fait point
de mal», et elle reprenait des forces, se reposait et devenait insensible aux
tortures.
8- Sanctus, lui aussi, supportait
avec une vigueur surhumaine tous les supplices que les bourreaux pouvaient
imaginer.
9- Les impies ne désespéraient pas de
lui arracher par la longueur et l’horreur des tourments une parole
coupable ; mais il leur opposa une énergie indomptable. On ne put lui
faire dire ni son nom, ni sa nation et sa ville d’origine, ni s’il était
esclave ou libre.
10- À toutes les questions il
répondait en latin : «Je suis chrétien». C’était là son nom, sa cité, sa
race, son tout ; les païens ne purent lui arracher d’autre réponse. Cela
suffit pour échauffer gouverneur et bourreaux contre lui.
11- À bout de tortures, on finit par
lui appliquer des lamelles d’airain chauffées à blanc sur les parties les plus
sensibles du corps. Tandis que les membres brûlaient, Sanctus tenait bon, sans
fléchir ni plier ; il persévérait à confesser sa foi, baigné et fortifié
par la source céleste d’eau vive qui jaillit du sein de Jésus.
12- Le corps du martyr témoignait des
tortures endurées ; il n’était plus que plaie et meurtrissure, il était
tout disloqué et n’avait plus forme humaine. Le Christ souffrait en lui et le
glorifiait grandement en mettant le Diable en échec ; il manifestait, pour
l’exemple des autres, qu’il n’est plus de crainte où règne l’amour du Père, qu’il
n’est plus de souffrance où rayonne la gloire du Christ.
1- Quelques jours plus tard, les
bourreaux torturèrent de nouveau le martyr ; toutes les parties de son
corps étaient à nouveau tuméfiées et enflammées ; ils pensaient le réduire
en lui appliquant les mêmes tortures, puisqu’il ne pouvait même pas supporter
le simple contact des mains.
2- Au pis-aller, il mourrait dans les
tourments, et son exemple remplirait les autres d’épouvante. Il n’en fut
rien ; bien plus, contre toute attente, le corps du martyr se remit, se
redressa dans les nouvelles tortures et recouvra, avec sa forme première,
l’usage de ses membres.
3- Loin d’être une peine, le nouveau
supplice fut pour Sanctus une guérison par la grâce du Christ.
4- Une femme, nommée Biblis, était du
nombre de ceux qui avaient apostasié ; le démon croyait déjà la tenir mais
il voulut assurer mieux encore sa condamnation, en la poussant au
blasphème.
5- Il la fit donc conduire à la
question, pour la forcer de confirmer ses impiétés, qu’on nous imputait.
Jusque-là, elle s’était montrée faible et lâche. Mais une fois à la torture,
elle revint à elle, et sortit comme d’un profond sommeil.
6- Le supplice qu’elle endurait lui
rappela le châtiment éternel de l’enfer. Elle osa contredire en face les
blasphémateurs, en répondant : «Comment voulez-vous qu’ils mangent des
enfants, ces gens qui refusent le sang des bêtes sans raison ?»
7- À partir de ce moment elle s’avoua
chrétienne et partagea le sort des martyrs.
8- De la sorte, les supplices des
tyrans n’eurent pas raison de la résistance des bienheureux, grâce à
l’intervention du Christ.
9- Le Diable imagina donc de
nouvelles machinations : l’entassement des confesseurs dans des cachots
obscurs et malsains, l’écartèlement des pieds et des ceps jusqu’au cinquième
trou, et les autres cruautés que les geôliers, possédés du démon, imaginent
pour faire souffrir leurs prisonniers au point que la plupart des chrétiens
moururent étouffés, ceux du moins que le Seigneur voulut faire partir ainsi,
pour manifester sa gloire.
10- D’autres avaient été si
cruellement torturés qu’ils semblaient ne pouvoir survivre en dépit de tous les
soins ; ils résistèrent pourtant dans la prison : privés de tout
secours humain, mais réconfortés par Dieu, ils recouvraient la force du corps
et de l’âme, encourageaient et soutenaient leurs compagnons.
11- Enfin, les derniers arrêtés, dont
le corps n’était pas encore entraîné à la torture, ne supportèrent pas
l’horrible entassement dans la prison ; ils y moururent.
1- Le bienheureux Pothin, qui
gouvernait comme évêque de l’Église de Lyon, avait alors plus de
quatre-vingt-dix ans. Sa santé était fort ébranlée, il respirait difficilement,
tout son corps était usé, mais il était réconforté par le souffle de l’Esprit,
parce qu’il aspirait au martyre.
2- À son tour il fut traîné au
tribunal. Son corps était miné par l’âge et la maladie, mais l’âme veillait en
lui, afin de lui assurer le triomphe du Christ.
3- Les soldats le conduisirent,
accompagnés des notables de la ville et d’une foule qui hurlait comme s’il
était le Christ en personne.
4- Le vieillard rendit un magnifique
témoignage. Le gouverneur lui demanda quel était le Dieu des chrétiens.
L’évêque lui répondit : «Tu le sauras quand tu en seras digne».
5- Sur quoi, on le traîna brutalement
et on le roua de coups. Ceux qui pouvaient l’approcher, le frappaient des
poings et des pieds, sans égard pour son âge ; les autres lui jetèrent ce
qui leur tombait sous la main.
6- Tous auraient cru commettre une
faute grave d’impiété en n’outrageant pas le malheureux : ils croyaient
ainsi défendre leurs dieux. Il respirait à peine quand il fut ramené en prison.
Deux jours plus tard, il rendit l’âme.
1- Alors Dieu intervint, et Jésus
manifesta son infinie miséricorde comme rarement cela était arrivé dans la
communauté des frères, mais comme il convenait à la sagesse du Christ.
2- Ceux qui avaient renié leur foi
dès leur arrestation partageaient les souffrances et le cachot des martyrs.
Leur apostasie ne leur avait été d’aucune utilité.
3- Les confesseurs de la foi étaient
incarcérés comme chrétiens, sans qu’on portât contre eux aucune autre
accusation. Les autres étaient retenus sous l’inculpation d’homicide et de
monstrueuses forfaitures.
4- Ils étaient doublement punis par
rapport à leurs compagnons. Les confesseurs trouvaient leur réconfort dans la
joie du martyre, l’espérance des béatitudes promises, l’amour pour le Christ,
l’Esprit du Père.
5- Les apostats, par contre, étaient
torturés dans leur conscience, au point qu’on les reconnaissait au passage,
entre tous les autres, à leur visage. Les confesseurs s’avançaient pleins
d’allégresse, le visage illuminé de gloire et de grâce.
6- Il n’est pas jusqu’à leurs chaînes
qui semblaient une parure magnifique, comme celle d’une fiancée dans sa robe
aux franges brodées d’or. Ils exhalaient au passage la bonne odeur du Christ,
si bien que plusieurs se demandaient s’ils n’étaient point parfumés.
7- Les renégats marchaient la tête
basse, humiliés, repoussants, avec toutes sortes de difformités. Les païens
eux-mêmes les traitaient de misérables et de lâches ; ils étaient accusés
maintenant d’homicide ; ils avaient perdu le nom souverainement honorable,
glorieux et vivifiant de chrétiens.
8- À ce spectacle les autres étaient
affermis. Ceux que l’on arrêtait encore confessaient leur foi aussitôt, n’ayant
même plus l’idée d’écouter les suggestions du démon.
1- Après toutes ces épreuves, les
confesseurs sortirent de ce monde par diverses formes de martyre.
2- Avec des fleurs de toute espèce et
de toute couleur, ils tressèrent une couronne unique qu’ils offrirent au Père.
Comme il convenait, les valeureux athlètes, après de nombreux combats et des
triomphes éclatants, obtinrent la glorieuse couronne de l’immortalité.
3- Maturus, Sanctus, Blandine et
Attale furent donc conduits aux fauves dans l’amphithéâtre pour offrir au
peuple et à la confédération des cités, un spectacle d’inhumanité.
4- Ce jour-là, on donna exprès, à
cause des nôtres, des combats entre fauves.
5- Maturus et Sanctus subirent à
nouveau dans l’amphithéâtre toute la série des tortures, comme s’ils n’avaient
rien souffert auparavant ; ou plutôt, comme s’ils avaient repoussé
l’Adversaire dans plusieurs engagements partiels, ils allaient maintenant
lutter pour la couronne.
6- Ils eurent à endurer à nouveau les
coups de fouet, les morsures des fauves qui les traînaient sur le sable et tout
ce que le caprice d’une foule déchaînée pouvait réclamer par ses cris. Enfin,
ce fut le supplice du siège de fer rougi, où les corps en brûlant dégageaient
autour d’eux une odeur de graisse.
7- Loin de s’apaiser, la fureur des
païens ne faisait qu’augmenter : ils voulaient vaincre la résistance des
martyrs. On ne put rien arracher à Sanctus, sinon les mots qu’il répétait
depuis le début de sa confession (Je suis chrétien).
8- Pour en finir avec les deux
martyrs dont la vie soutenait depuis très longtemps une si haute lutte, on les
égorgea. Pendant tout ce jour, ils avaient remplacé les scènes variées des
gladiateurs et servi de spectacle au monde.
9- Blandine, pendant ce temps, était
suspendue à un poteau, pour être la proie des fauves lancés contre elle. La vue
de la vierge ainsi crucifiée, qui ne cessait de prier d’une voix forte,
affermissait les frères qui livraient bataille.
10- Au fort du combat, les frères
croyaient apercevoir des yeux du corps, en leur sœur, le Christ crucifié pour
eux, crucifié afin d’assurer les croyants que, quiconque souffrirait pour la
gloire du Christ, vivrait éternellement dans la communion du Dieu vivant.
11- Aucune des bêtes, ce jour-là, ne
toucha Blandine.
12- On la détacha donc du poteau, et
on la ramena en prison. On la réservait pour un nouveau combat.
13- La victoire remportée dans de
nombreuses épreuves devait rendre définitive et inévitable la défaite du
perfide serpent et affermir les frères par son exemple.
14- Menue, faible, méprisée, elle
était revêtue de la force du Christ, le grand et invincible athlète ; elle
avait à de nombreuses reprises repoussé l’Adversaire, et remporté dans un
combat définitif, la couronne de l’immortalité.
15- À grands cris, la foule réclama
le supplice d’Attale (toute la ville le connaissait). Il entra dans l’arène,
prêt pour la lutte, fort du témoignage de sa conscience ; il s’était
entraîné par la pratique de la discipline chrétienne et n’avait cessé d’être,
parmi nous, le témoin de la vérité.
16- Il dut faire le tour de
l’amphithéâtre avec un écriteau où on lisait en latin : «Celui-ci est
Attale, le chrétien». Le peuple écumait de rage contre lui. Mais le gouverneur,
apprenant qu’il était citoyen romain, ordonna de le ramener en prison avec les
autres. Il écrivit là-dessus à César et attendit la réponse impériale.
17- Cet ajournement ne fut pas
inutile pour les prisonniers, ni même sans résultat. Par la patience des
confesseurs se manifesta la miséricorde infinie du Christ.
18- Les vivants communiquèrent leur
vie aux morts, et les confesseurs leur grâce aux non-martyrs. Grande fut la
joie de la vierge-mère, l’Église : ceux qu’elle avait rejetés comme morts,
elle les retrouvait vivants.
19- Grâce aux confesseurs, le plus
grand nombre des apostats revinrent ; ils furent conçus de nouveau,
reprirent vie, et s’entraînèrent à confesser leur foi.
20- Ils étaient bien vivants et
raffermis quand ils se présentèrent au tribunal. Dieu qui ne veut pas la mort
de pécheur, mais sa conversion, les soutenait quand ils s’avancèrent pour être
interrogés à nouveau par le gouverneur.
1- César avait ordonné par le rescrit
de frapper les obstinés mais de libérer ceux qui reniaient. Le jour de la
panégyrie (qui est très fréquentée et attire du monde de partout) venait de
commencer.
2- Le gouverneur fit amener les
prisonniers à son tribunal : la mise en scène théâtrale, organisée pour la
circonstance, devait servir de spectacle pour les foules. Après un nouvel
interrogatoire, il fit trancher la tête à tous ceux qui étaient citoyens
romains, les autres furent condamnés aux fauves.
3- Ceux qui auparavant avaient renié,
furent le sujet d’une grande gloire pour le Christ ; maintenant contre
l’attente des païens, ils confessèrent leur foi.
4- On les interrogeait à part, en
leur promettant la liberté, mais ils se déclarèrent chrétiens ; ils furent
joints au groupe des martyrs. Seuls restèrent hors de l’Église ceux chez qui il
n’y eut jamais trace de foi, ni respect de la robe nuptiale, ni sens de la
crainte de Dieu.
5- Par leur volte-face, ces fils de
la perdition blasphémaient contre les voies de la Vérité. Tous les autres
revinrent à l’Église.
6- À leur interrogatoire assista un
certain Alexandre. Il était Phrygien d’origine, médecin de profession ; il
vivait depuis de longues années dans les Gaules. Il était connu de presque tout
le monde pour son amour de Dieu et la franchise de sa parole (il avait même le
charisme de l’apostolat).
7- Or donc, il se trouvait, ce
jour-là, près du tribunal ; de ses gestes il encourageait les prévenus à
confesser leur foi ; aux gens qui entouraient le tribunal, il donnait
l’impression d’enfanter à la foi ces apostats de la veille.
8- La foule s’irritait d’entendre les
renégats se rétracter : avec force cris elle rendait responsable
Alexandre. Le gouverneur le fit comparaître, il lui demanda qui il était. Il se
déclara chrétien. Furieux, le gouverneur le condamna aux fauves.
9- Le lendemain, Alexandre fit son
entrée dans l’arène avec Attale. Le gouverneur, pour flatter la foule, livra de
nouveau Attale aux fauves.
10- Tous deux subirent toute la série
des tortures inventées pour les supplices de l’amphithéâtre ; après une
âpre lutte, ils furent égorgés à leur tour. Alexandre ne fit entendre ni
gémissement, ni parole : recueilli en son cœur, il s’entretenait avec
Dieu.
11- Attale fut placé sur le siège de
fer rougi. Comme il brûlait tout autour et que son corps exhalait une odeur de
graisse, il dit à la foule en latin : «Vraiment, c’est manger de l’homme,
ce que vous faites. Nous, nous ne mangeons pas d’hommes, et nous ne faisons
rien de mal».
12- Quelqu’un lui demanda le nom de
Dieu. Il répondit : «Dieu n’a pas de nom comme un homme».
1- Après toutes ces exécutions, le
dernier jour des combats singuliers, Blandine fut produite de nouveau dans
l’arène avec un jeune garçon de quinze ans appelé Ponticus.
2- Chaque jour, on les avait conduits
à l’amphithéâtre, afin qu’ils soient témoins des supplices de leurs frères. On
voulait les contraindre à jurer par les idoles.
3- Comme ils demeuraient
inébranlables et méprisaient les faux dieux, la foule finit par se déchaîner
contre eux, sans compassion pour l’âge du garçon, sans pudeur à l’endroit de la
jeune femme.
4- On leur infligea toutes les
tortures, on les fit passer par tout le cycle des supplices. Et toujours on
essaya de les faire jurer, mais ils s’y refusaient. Ponticus était soutenu par
sa sœur chrétienne ; les païens le voyaient bien, c’était elle qui le
stimulait et lui donnait courage.
5- Quand il eut subi vaillamment
toutes les tortures, Ponticus rendit l’âme.
6- La bienheureuse Blandine resta la
dernière de tous. Comme cette noble mère qui jadis avait exhorté ses enfants et
les avait envoyés victorieux devant le roi, elle subit à son tour toutes les
luttes de ses enfants spirituels, pressée de les rejoindre.
7- Elle était heureuse et
enthousiaste de son prochain départ, comme une invitée qui se rend à un festin
de noces, plutôt qu’une victime jetée aux fauves.
8- Après les fouets, après les
fauves, après la chaise de feu, on l’enferma dans un filet pour la livrer à un
taureau. À plusieurs reprises, elle fut lancée en l’air par l’animal.
9- Mais elle ne sentait plus rien de
ce qui lui arrivait : tout entière à son espérance, aux biens promis, à sa
foi, elle continuait le dialogue avec le Christ.
10- On finit par l’égorger, elle
aussi. Les païens eux-mêmes durent avouer que jamais femme chez eux n’avait
subi de si cruels et de si nombreux tourments.
1- Mais tout cela ne suffisait pas à
rassasier la fureur folle et inhumaine contre les saints.
2- Excités par la bête brutale, ces
tribus sauvages et barbares s’apaisaient difficilement : leur rage allait
s’assouvir cette fois sur les cadavres des martyrs.
3- La honte et la défaite ne les
désarmèrent point, tant ils semblaient incapables de sentiments humains ;
elles enflammaient au contraire leur colère, comme chez un fauve.
4- Gouverneur et peuple nous
montraient une même injustice, comme pour accomplir la parole de
l’Écriture : «L’injustice continue d’être injuste, et le juste de
pratiquer la justice».
5- On jeta à la curée les restes des
confesseurs, étouffés dans la prison ; nuit et jour on montait la garde
pour nous empêcher de les ensevelir.
6- On exposa même ce que feu et
fauves avaient épargné, des lambeaux de chair, des membres carbonisés. De ceux
qui furent décapités, on laissa sans sépulture les têtes et les corps tronqués
sous la garde de soldats, pendant de longs jours.
7- Parmi les païens, les uns
frémissaient et grinçaient des dents contre les martyrs ; ils cherchaient
à leur infliger quelque châtiment plus terrible encore.
8- D’autres raillaient et ricanaient,
ils rendaient gloire à leurs idoles en leur attribuant le châtiment des
confesseurs.
9- D’autres enfin étaient plus
équitables ; ils disaient avec pitié et ironie : «Où est leur
Dieu ? À quoi leur a servi cette religion qu’ils ont préférée à la
vie ?» Telle était la bigarrure des propos et des attitudes chez les
païens.
10- Nous ressentions cependant une
grande peine de ne pouvoir confier leurs corps à la terre. Nous ne pouvions pas
profiter de la nuit ni séduire les gardes à prix d’argent ou par nos prières.
Ils prenaient toutes leurs précautions, comme s’ils avaient grand intérêt à les
laisser sans sépulture.
11- Les corps des martyrs subirent
tous les outrages et demeurèrent exposés pendant six jours. Ils furent ensuite
brûlés et réduits en cendres que les scélérats jetèrent dans le Rhône qui coule
près de là, pour effacer jusqu’à leur trace sur la terre.
12- Les païens croyaient ainsi
triompher de Dieu et priver les martyrs de la résurrection (des corps).
13- «Il faut, disaient-ils, enlever à
ces hommes jusqu’à l’espoir de la résurrection. À cause de cette croyance, ils
introduisent chez nous une religion nouvelle et étrangère, méprisent les
tortures et courent joyeusement à la mort. Voyons maintenant s’ils
ressuscitent, si leur Dieu est à même de les secourir et de les arracher à nos
mains».
14- Tous ces confesseurs
s’évertuaient à imiter le Christ «qui était de condition divine et ne s’est pas
prévalu de son égalité avec Dieu».
15- Ils rayonnaient d’une grande
gloire, eux qui, non pas une fois, ni même deux, mais bien plus souvent,
avaient confessé leur foi et furent ramassés sous les fauves ; ils
portaient des stigmates, des brûlures, des morsures, des plaies couvraient leurs
corps.
16- Et pourtant ils ne se disaient
pas martyrs et n’admettaient pas davantage que d’autres leur attribuassent ce
titre. Ils reprenaient vivement ceux qui dans une lettre ou de vive voix
osaient les appeler ainsi.
17- Ils réservaient volontiers ce
titre au Christ, le martyr fidèle et véritable, le premier-né d’entre les
morts, qui initie à la vie de Dieu. Ils faisaient mémoire de ceux qui avaient
déjà donné leur sang : «Ceux-là, disaient-ils, sont de vrais martyrs, que
le Christ a jugés dignes de le confesser ; Il a comme scellé leur martyre
par la mort.
18- Pour nous, nous ne sommes que de
modestes et d’indignes confesseurs». Au milieu des larmes, ils conjuraient
leurs frères, afin qu’ils prient sans cesse pour leur persévérance finale.
19- Ils prouvaient leur valeur de
martyr à l’œuvre, en manifestant une grande liberté à l’égard de tous les
païens, en témoignant de leur noblesse par leur courage qui excluait la peur et
la timidité.
20- Ils refusaient le titre de martyr
que leurs frères leur attribuaient déjà ; mais ils étaient remplis de la
crainte de Dieu. Ils s’humiliaient sous la main puissante de Dieu qui les a
maintenant glorifiés.
21- Ils excusaient les autres et ne
condamnaient personne. Ils déliaient chacun et ne liaient aucun. Ils priaient
pour leurs bourreaux comme Étienne, le premier martyr : «Seigneur ne leur
impute pas ce crime».
A Christ seul
soit la Gloire
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