octobre 26, 2005
5 - Praxis et théorie au sein de la Théologie ecclesaile : G. PAPATHOMAS
Praxis et théorie au sein de la Théologie ecclésiale
Grigorios PAPATHOMAS
La dialectique entre la -praxis et la théorie au sein de la théologie ecclésiale forme une condition préalable à toute approche théologique scientifique ou même pastorale, et constitue également une clé herméneutique importante. Il s'agit du rapport organique qui existe entre ce qu'on appelle d'une manière générale «la praxis (ou pratique) et la théorie», dans le cadre de la théologie ecclésiale. Nous précisons ici le cadre de la «théologie ecclésiale», car l'articulation de «la théorie et [de] la praxis» en théologie et leur articulation en philosophie ou en science juridique ne sont pas tout à fait identiques. On pourrait dire au contraire qu' elles vont en sens opposé.
En effet, dans la philosophie ou la science juridique, la théorie précède la praxis. La philosophie présuppose la conception humaine d'une chose et essaie par la suite de la réaliser, de la mettre en œuvre, en pratique, dans la vie quotidienne et même institutionnelle, par ses moyens propres ou par les moyens de la politique. Il en est de même d'une manière ou d'une autre avec la théorie juridique qui dicte très souvent la pratique législative. Il s'agit en fait d'une conception qui correspond certainement aux besoins humains mais qui demeure, dans sa vision, spéculative. Au cours des siècles, grâce à ces besoins humains, on a vu l'apparition de plusieurs théories philosophico-idéologiques et socio-politiques ou ce qu'on appelle également des cosmothéories qui revendiquaient l'exclusivité de leur application dans la société humaine. A titre d'exemple, les derniers événements en Europe centrale et orientale sont là pour en témoigner. L'abolition du socialisme comme système idéologique et socio-politique appliqué présuppose d'abord la formation d'une théorie au cours des siècles précédents et par la suite tous les efforts politico-idéologiques pour que cette théorie soit institutionnellement appliquée dans la société ou, plus strictement, dans l'État. C'est ainsi que la praxis est le moyen de réaliser dans la pratique la théorie et l'idéal abstrait.
Or, tout en ayant précisé la manière dont s'applique une théorie philosophique, juridique, politique ou autre, on doit indiquer les caractéristiques de la théorie en théologie ecclésiale. Tout d'abord, il n'y a pas de théorie dans l'Église à la manière que l'on vient de décrire, car l'Église demeure praxicentrique, c'est-à-dire centrée autour de la praxis. On rappelle la parole patristique : «npôÇiç #ewptaç inifiaoiç [praxis théorias épibasis]» : la praxis forme la base de la théorie (saint Grégoire le Théologien, Homilie D' contre l'empereur Julien (ch. 113), in P.G., t. 35, 649-652). L'Eglise sauvegarde l'événement de la Révélation et la perspective de l'économie divine. Or, la vie dans l'Église se caractérise directement par le vécu, par l'expérience ecclésiale, qui fait partie d'elle-même, manifestée dans la pratique.
Qu'en est-il alors des écrits existant dans l'Église ? Il est vrai que l'ensemble des écrits bibliques ou patristiques présente en tant que textes une forme de définition théorique. Mais, à vrai dire, ils décrivent la Vérité révélée, l'expérience vécue. (L'Église, en raison de sa nature di-vino-humaine, peut être décrite, mais elle ne peut pas être épuisée par une définition). On doit donc recevoir les textes de l'Église en tant qu'expression de son expérience ontologique pour nous orienter et indiquer le chemin vers les eschata et non pas en tant qu'occasion de faire la philosophie d'une manière abstraite. Pour le dire dans les termes de l'archimandrite Sophrony, « le christianisme n'est pas une philosophie, un 'enseignement', mais la vie. La contemplation est affaire non de formulations verbales, mais d'expérience vécue ». De même, l'Histoire a accordé à l'Église la qualification d'ortho-doxie, étymologi-quement la doxa correcte. Mais l'orthodoxie n'est qu'en fait une ortho-praxie, une praxis qui reflète d'une manière correcte ce que l'Église vit. Autrement dit, l'orthodoxie présuppose, précède Vorthopraxie.
Cela veut dire que, dans la théologie ecclésiale, la praxis précède la théorie. Une description, disons, théorique ou une expression verbale suit toujours l'expérience ecclésiale. Par conséquent, notre praxis - surtout ecclésiale - ne peut pas constituer, dans la pratique, une application des principes théoriques d'une idéologie, mais elle est expression de l'expérience vivante de la foi et fruit ou manifestation de notre participation [méthexis] à l'événement ecclésial porteur des eschata. Il faut rappeler ici la signification de la parole du Christ : « celui qui pratique et qui enseigne [les commandements] » (Mt 5, 19) : d'abord pratiquer et ensuite enseigner, ou également de la Didachè des Douze Apôtres : «Ta parole ne sera pas menteuse, ni vaine, mais remplie d'effet » (II, 5). En reprenant les paroles de saint Grégoire le Théologien, pour ce faire, il faut «devenir sage puis transmettre la sagesse, devenir lumière pour éclairer, se rapprocher de Dieu pour conduire les autres vers Lui» (Discours II, in P.G., 35, 480). Cette perspective concerne également la diaconie ecclésiale à tous les niveaux. Si de nos jours la théologie ecclésiale a l'apparence de la théorie, c'est sans doute en raison d'une faute de méthode ou peut-être d'une expérience inexistante ou plutôt déficiante. Il est donc important de poser comme condition préalable à notre étude/attitude théologique le rapport qui existe entre la praxis et la théorie dans la théologie de l'Église et de considérer ce rapport comme présupposé méthodologique et clé herméneutique. Car, dans nos études théologiques, on étudie, on approfondit ce qu 'on vit ou ce qu 'on a vécu dans la liturgie, les offices, la prière, la praxis ecclésiale, et non pas vice versa. « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons » (1 Jn, 1, 1-3), étant d'abord «témoins oculaires et [ensuite] serviteurs de la parole» (Le 1,2).
Cela pourrait, enfin, expliquer peut-être pourquoi nos grands efforts théologiques aboutissent à des conclusions qui ne sont pas toujours identiques par rapport à celles des Pères de l'Église. Bien plus, l'Eglise, ses saints canons, sa structure offrent ce qui pourrait marquer notre praxis. Si on néglige cet a priori, l'Eglise se dépouille des paramètres de sa vie mais surtout notre kérygme se transforme en «cymbale qui retentit».
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