juin 03, 2011

Epiclèse et Paroles de l’Institution

Le N° 415 du mensuel OECUMENISME INFORMATION du mois de mai 2011, reprend un article de Michel EVDOKIMOV  intitulé La Parole de Dieu dans la liturgie, paru dans le SOP du mois de mars.
Il convient une fois encore de dire notre surprise et notre regret dans le constat de voir affirmé que c’est l’épiclèse qui consacrerait, pour le croyant, les Saintes Espèces.
L’auteur de l’article écrit : « Toute prière où nous demandons au Père de nous envoyer l'Esprit pour rendre la Parole vivante en nous, se nomme « épiclèse » (en grec : invocation). Non seulement elle introduit les offices liturgiques ou oraisons personnelles, mais elle atteste l'efficacité du sacrement. » L'épiclèse ou l'envoi de la Parole)

Dans le paragraphe intitulé Épiclèse évangélique et épiclèse eucharistique, Michel EVDOKIMOV écrit : « À l'épiclèse avant la lecture de l'Évangile dans la liturgie de la Parole correspond, dans la liturgie eucharistique, la grande épiclèse au moment de la transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ : « Nous t'offrons encore ce culte véritable et non sanglant et nous t'invoquons, nous te prions et nous te supplions : envoie ton Esprit Saint sur nous et sur ces dons que voici : et fais de ce Pain le Corps précieux de ton Christ (l'assemblée répond "Amen!"), et de ce qui est dans ce calice le Sang précieux de ton Christ ("Amen !"). Opérant ce changement par ton Esprit Saint (triple "Amen !"). » Cette épiclèse eucharistique se situe après les paroles de l'institution (« Ceci est mon corps..., ceci est mon sang... »), elle vient attester la réalité du miracle eucharistique, le rendre efficace. »

Sont-ce pour les fidèles de l’Eglise Apostolique et Indivise les Paroles de l’Institution qui consacrent les Saintes Espèces par ce Mystère que les Latins nomment transsubstantiation, ou l’invocation de l’Esprit  Saint ?

I
Le catéchisme orthodoxe Dieu est vivant est très précis sur le sens de l’Epiclèse en déclarant : « C’est le Saint Esprit qui viendra dans cette troisième partie de la prière d’anaphore accomplir et sceller ce grand mystère trinitaire qu’est l’Eucharistie. En effet, commémorer le sacrifice du Christ ne servirait à rien si nous n’obéissions pas à son ordre : « Prenez et mangez … » (1)

Devons- nous comprendre que  les Paroles de l’Institution commémorent seulement le Sacrifice de NSJ+C ? Cette approche rejoint la pensée des mouvements Protestants qui perçoivent dans la Sainte Cène une triple finalité :
-         Une confirmation de la foi en Jésus+ Christ
-         Une confession publique
-         Une exhortation éthique

Jean CALVIN en son Petit traité de la sainte cène déclare notamment : « Si nous ne confessons pas que Jésus Christ est le seul Sacrificateur, que nous appelons communément Prêtre, par l’intermédiaire duquel nous sommes mis au bénéfice de la grâce du Père, nous le dépouillons de son honneur et lui faisons grande injure. » (2), et d’ajouter : « Car il n’est pas seulement dit que le sacrifice du Christ est unique, mais qu’il ne doit jamais être réitéré, parce que l’efficacité en demeure toujours. » (3)

Il ne convient pas dans le cadre de cette présente réflexion de nous attarder  sur les pensées issues du Protestantisme, mais de nous interroger, avant d’aller plus outre, sur le sens que l’on doit donner au mot Sacrifice employé et par les rédacteurs du catéchisme orthodoxe et par Calvin.

Convient-il sans cesse de rappeler qu’il est deux sacrifices, l’un expiatoire, l’autre propitiatoire ? Jésus+ Christ a bien voulu réaliser l’unique Sacrifice expiatoire en portant et expiant tous nos péchés, la Divine Liturgie ou Sainte Messe constituant un Sacrifice propitiatoire en communion dans un temps hors du Temps, à l’unique Sacrifice accompli par le Christ !

De la sorte, les débats ou querelles sur la notion de « commémoration » réelle ou non, tombent d’eux-mêmes ! Il ne s’agit pas d’une commémoration mais d’une actualisation dans le temps qui est le nôtre, du Sacrifice unique accompli dans un temps certes humain (parce qu’accompli pour les hommes) mais cela  à travers, en fait, le Temps de Dieu que nous ne saurions nous accaparer et inconnaissable sauf à ceux qui sont déjà dans Le Royaume.


II

Saint Jean Chrysostome ne manque pas de rappeler : « Ce n'est pas un homme qui fait que ce qui nous est offert soit véritablement le corps et le sang de Jésus-Christ, mais c'est ce même Christ qui a été crucifié pour nous. Le prêtre, à l'autel, lorsqu'il prononce les paroles n'est que la figure de Jésus-Christ; la vertu et la grâce viennent de Dieu qui agit quand le prêtre dit: Ceci est mon corps. Ces mots transforment ce qui est offert. » (4)

Il convient  de prendre acte de ce que déclare le Père de l’Eglise : ce sont les Paroles de l’Institution, il n’est pas alors question d’épiclèse !

Alors que les Paroles de l’Institution suffisent et consacrent les Saintes Espèces,
Il convient toutefois de  ne pas négliger l’importance de l’épiclèse qui, si elle n’intervient pas pour la consécration des Saintes Espèces, est peut-être bien le principal  « moyen » de permettre aux fidèles de participer à l’anticipation du Huitième Jour.

Pour l’Eglise Byzantine, la Sainte Messe ou Divine Liturgie n’est pas seulement occasion de recevoir le Corps et le Sang de Notre Seigneur, ce sacrement fait entrer la communauté dans l’espérance du Royaume sinon dans son anticipation.

Alors que par  la Chute, l’Esprit quitte le monde, ce monde dont le Christ ne conteste pas qu’il soit provisoirement à Sathan (Jean XVIII, 36) et qui sera restitué au Père lorsque l’Esprit reviendra dans le monde (Jean XIV, 26), au soir de la Résurrection, l’Eglise se trouve dépositaire de l’Esprit Saint ( Jean XX, 22 ), cette première manifestation qui fut sauf dans la tradition Byzantine, relativement occultée, la Pentecôte Johannite préparant la Pentecôte des Actes.
Ainsi, l’Esprit Saint est présent dans l’Eglise et de fait dans les Sacrements qu’elle administre,  en ce qu’ils sont autant de moyens offerts par le Rédempteur pour aider l’être à se sanctifier et par ce biais à hâter l’avènement du jour de Dieu ( II Pierre III, 11,12 ).
Il convient de souligner que l’invocation de l’Esprit Saint repose sur la conscience que ce n’est pas le célébrant qui, de par sa qualité d’homme ordonné, réalise le Mystère, mais que le Sacrement s’accomplit par le ministère de la Grâce : Nicolas Cabasilas ne manque pas de le rappeler dans son Explication de la Divine liturgie : «  Dans chaque cas particulier, le célébrant n’est que le serviteur de la grâce. » (5).

Si l’épiclèse ne consacre pas les Saintes Espèces comme le rappelle Jean Chrysostome, que ce sont bien les Paroles de l’Institution qui permettent l’actualisation du Mystère dans un temps hors du Temps à l’unique Sacrifice accompli par le Christ, il n’en demeure pas moins que l’épiclèse comme invocation de l’Esprit Saint sans parfaire le Mystère de la Divine Liturgie, manifeste d’une part l’humilité du célébrant reconnaissant que Dieu seul agit, mais aussi, par cette invocation de l’Esprit revenu dans le monde, permet aux fidèles de prendre conscience qu’ils entrent par ce Mystère dans l’anticipation du Huitième Jour : «  N’éteignez pas l’Esprit » (II Thes. V, 19) comme le demande Paul, car ne l’oublions pas,    Le royaume de Dieu est au milieu de vous » (Luc XVII, 21).

Jean-Pierre BONNEROT

------Notes :

1 Dieu est vivant, catéchisme pour les familles par un groupe de théologiens orthodoxes, Paris Cerf  Ed, 1979, page 324.

2 Jean CALVIN : Petit traité de la sainte cène, Lyon, Olivétan Ed, 2008, page 62

3 Jean CALVIN, op. cité, page 63.

4 Jean Chrysostome Première homélie sur la trahison de Judas §6, Œuvres complètes, tome 3, Bar-Le-Duc, L. Guerin Ed, 1864, page 197. Signalons que l’abbaye St Benoît de Port Valais a édité un CD offrant de nombreuses OC de Pères dont ce théologien, St Augustin, St Bernard, etc.
5 Nicola CABASILAS : Explication de la Divine Liturgie  § XLVI.10,  Paris,  Cerf Ed ,1967, coll. SC, page 263