Congrégation
pour le Clergé
III Dimanche de Pâques
Année A
Le
premier jour de la semaine, après la grande fête des Juifs, Jérusalem tente de reprendre
son aspect de toujours ; les commerçants font le compte de leurs nombreux gains,
les prêtres du Temple peuvent se dire plus que satisfaits – aussi parce qu’ils
ont réussi à mettre à mort le « Galiléen » - et pour les disciples, comme
en général pour tous ceux qui étaient « étrangers », il s’agit de
revenir chez soi, à sa propre vie.
Après
avoir tiré le rideau et éteint les lumières, non tant sur les célébrations
solennelles de Jérusalem que sur cet homme dont tous espéraient « que ce serait lui qui libérerait Israël »
(Lc 24.21), les deux disciples d'Emmaüs se retrouvent, chemin faisant, à parler
avec « Jésus en personne » : « Pourtant leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (Lc
24.16) !
Mais
pourquoi le Seigneur n'a-t-il pas dit tout de suite qui il était vraiment ?
Au contraire, dans le dialogue que la liturgie nous propose aujourd'hui, on
dirait presque que Jésus se donne du mal pour ne pas dévoiler son identité,
d'abord en faisant semblant de ne pas savoir de quoi discutaient Cléophas et son
camarade, ensuite en leur expliquant « dans toutes les Écritures ce qui le concernait »
(Lc 24.27), mais sans faire de lien direct à sa propre personne !
Enfin,
« il fit semblant d’aller plus loin »
(Lc 24,28) : Jésus ne veut pas se moquer de ses disciples, mais il cherche à
éduquer leur cœur - et le nôtre - pour qu'il ne soit pas « lent » !
Le coeur en effet, lorsque nous nous trouvons en sa Présence, est agile, il « brûle »
en écoutant sa parole, plein de reconnaissance parce que « ce n’est pas au prix de choses éphémères » que nous avons été libérés « mais avec le sang
précieux du Christ », Lui qui est l'Agneau « sans défauts et sans tache » (Cfr. 1Pt 1,19).
Quelle délicatesse le Ressuscité emploie à notre égard ! Il ne nous
oblige pas « à croire », mais il nous offre les instruments pour que
nous puissions arriver à juger, sur la base de la mesure infaillible de notre
coeur, si ce que saint Augustin a déclaré de façon extraordinaire au début des Confessions est bien vrai : « Mon coeur est
inquiet, tant qu’il ne repose pas en Toi ».
Mais
il y a encore un détail qui rappelle notre attention et qui suscite beaucoup de
questions : pourquoi, à un moment donné, pendant que les disciples se
trouvaient à table avec Jésus, leurs yeux s'ouvrent-ils et le reconnaissent-ils
? Le contexte eucharistique est indéniable : les disciples sont à table ; le
Seigneur est avec eux ; on prend du pain ; on dit la prière de bénédiction
; on rompt cette nourriture. C’est à partir de ce dernier geste que les compagnons
de Jésus le reconnaissent : non pas seulement pour l'action en soi, mais
bien plutôt parce qu’enfin Cléophas et son ami purent poser le regard sur ces
mains, percées par les clous de la passion : elles étaient probablement restées
couvertes jusqu’à cet instant par l’ample vêtement que l’on utilisait pour les
longs parcours !
Pourtant,
c’est à l'instant où ils reconnaissent qu’ils sont en présence du Crucifié
qu'Il « disparaît à leurs regards » - avec son corps glorifié - (cfr.
24,31), tandis que les yeux des disciples restent fixés sur ce pain rompu abandonné
« sur l'autel ». Ne serait-ce pas la même expérience que chacun de
nous peut faire à chaque célébration eucharistique ?
Et ainsi « ils partirent sans
tarder » (Lc 24,33) : arriver à comprendre que la mort n'est
pas le dernier mot sur la vie de chacun d’entre nous, parce
qu'il n'est pas possible qu’elle « nous tienne en son pouvoir »
(cfr. At 2,24), c’est le début d'une espérance
tellement grande qu’elle rend notre joie irrésistible ; et autant le chemin de Jérusalem
- par les routes de chacun de nous – avait semblé long et fatiguant, autant maintenant,
il apparaissait à leurs yeux comme la condition privilégiée pour pouvoir dire à
tout le monde : « C’est vrai !
le Seigneur est ressuscité » (Cfr. Lc 24,34).