Une conception binaire oppose
la vie à la mort comme l’avenir au passé, avec une tendance à ponctualiser le
trépas et son instant présent, celui du «dernier soupir», puis de l’arrêt
cardiaque, et enfin celui de la mort cérébrale.
Une conception ternaire
s’exprime dans les anciennes traditions. Dans l’Hindouisme, la Trimurti, divine
triade, réunit Brahmâ, Vishnou et Shiva, chacun exerçant respectivement une des
trois fonctions (guna) de création (Râjas), d’équilibre (Sattva) et d’inertie
(Tamas). Le Taoïsme unit dans le Dao le Yin et le Yang complémentaires en une
féconde hiérogamie universelle.
Dans les temples bouddhistes,
au-dessus de l’autel, on voit souvent une triade de statues: une centrale de
face, les deux autres à droite et à gauche, qui évoquent le présent, le passé
et l’avenir. Si nous appliquons une manière ternaire de concevoir les notions
de vie et de mort, nous pouvons nous inspirer des trois guna pour établir des
correspondances entre les triades: Energie-équilibre-inertie, Construction-conservation-destruction,
et Biomorphose-biostase-thanatomorphose.
Nous avons donc à considérer
les racines de la mort dans la vie et les fruits de la vie dans la mort pour
tenter d’aborder les mystères du trépas.
I. Les
racines de la mort
On peut évoquer les racines
de la mort à plusieurs niveaux comme ceux de la cytologie, de la pathologie, ou
des ascèses.
Cytologie
Avant la procréation, le
noyau des gamètes humains de chaque sexe, ovule et spermatozoïde, élimine, par
la réduction chromatique, un des deux chromosomes des vingt-trois paires qui
seront recomposées par la fécondation de l’œuf.
Lors de cette fécondation,
lorsque le spermatozoïde vainqueur pénètre l’ovule, celui-ci se refuse à toute
autre pénétration, d’où la mort du grand nombre des vaincus.
Au cours du développement de
l’embryon, l’apoptose, mort cellulaire programmée, permet la différenciation
des organes définitifs à partir des structures embryonnaires.
Lors de la naissance, le
nouveau-né est séparé de l’amnios voué à la mort. L’enfant vit l’expérience de
la mort de ses dents de lait comme une promotion marquant son évolution et son
accès à l’«âge de raison» avec sa seconde dentition se terminant par la sortie
de ses «dents de sagesse», raison et sagesse marquant des étapes de la
maturation somato-psychique au cours de la vie, les cellules somatiques se
renouvelant de telle sorte qu’il ne saurait y avoir de biomorphose générale
sans thanatomorphose cellulaire.
L’apoptose, autodestruction
ordonnée des cellules, solidaire de leur renouvellement, permet à la
biomorphose de réaliser son évolution.
Ce processus de la vie
individuelle a été merveilleusement décrit par le professeur Jean-Claude
Ameisen (1).
Il assure, après la
construction de la jeunesse et de l’adolescence, la conservation de l’adulte et
de l’âge mûr avant les destructions de la sénescence et le terme physiologique
de la vie personnelle.
Pathologie
Suivant le professeur
Jean-Claude Ameisen, c’est le dérèglement des mécanismes de l’apoptose
physiologique qui pourrait être la cause de nombreuses maladies avec, pour
conséquence, l’espoir de le corriger grâce à des thérapeutiques appropriées,
préventives, voire curatives du cancer ou anti-infectieuses.
Si, dans la physiologie, les
mécanismes de construction, de conservation et de destruction se succèdent de
la conception à la mort, la pathologie intervient pour en entraver ou
interrompre la courbe. Ainsi, tandis que la mort physiologique vient «à son
heure», comme un «dernier sommeil», un «adieu» à la vie, une «bonne mort», la
mort pathologique est une mauvaise mort, une dysthanasie soit prématurée, soit
douloureuse, soit inutilement retardée par acharnement thérapeutique.
Xavier Bichat définit la vie
comme «l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort». L’altération d’une ou
de plusieurs de ces fonctions nuit à cet ensemble, et c’est ainsi que, dans ses
Recherches physiologiques sur la vie et la mort (2), il étudie tour à
tour les conséquences de la mort fonctionnelle des poumons, du cœur, du cerveau
sur les deux autres.
Car la mort fonctionnelle est
un processus. L’ensemble ne meurt pas en même temps mais par un enchaînement de
causes à effets, comme le démontrent les greffes d’organes fonctionnellement
morts mais aptes à reprendre vie dans un autre ensemble fonctionnel.
Ascèses
Le poète «dans la lune», le
prophète enlevé comme Ezéchiel dans le «char de Yahvé» (3), les précurseurs
comme Savinien Cyrano de Bergerac (4) puis Jules Verne (5), imaginent,
annoncent et préfigurent les réalisations techniques et les performances
humaines de la conquête astronautique qui ont permis à Neil Armstrong de poser
son pied sur notre satellite le 21 juillet 19 69.
En 1932 Henri Bergson
intitule «Mécanique et mystique» la deuxième partie du dernier chapitre
de son livre Les deux sources
de la morale et de la religion. C’est là que se trouve son appel au
«supplément d’âme».
Il déplore alors que la
science ait été détournée «de l’observation de certains faits, ou plutôt elle a
empêché de naître certaines sciences excommuniées par avance au nom de je ne
sais quel dogme» (7). Dénonçant la confusion entre l’improbable et
l’impossible, il préconise le développement des sciences psychiques (8).
De fait, le sportif, le
héros, le martyr sont capables de risquer, de donner ou de sacrifier leur vie à
un idéal, à la patrie, à leur foi. Renoncer, c’est mourir à soi-même. Dans les
ascèses mystiques, le renoncement à l’exercice et à la satisfaction de
certaines fonctions est appelé mortification. Les
trois vœux monastiques de chasteté, de pauvreté, d’obéissance, font ressembler
l’ascète à un enfant, la vie sans nourriture (inédie) au nouveau-né avant la
section du cordon ombilical, l’arrêt respiratoire (apnée) au fœtus avant la
naissance, l’arrêt circulatoire à un embryon de moins de quatre mois et demi,
l’arrêt fonctionnel complet (biostase) à un ovule sans échanges avant la
fécondation.
Ces mortifications à
contre-courant de la nature apparaissent de premier abord comme masochistes et
radicalement régressives mais, telles le saumon qui remonte à sa source, elles
récapitulent à rebours les phases du développement ontogénique en cyclisant la
ligne de vie. L’effort ascétique du mystique est comparable à celui d’un archer
qui ne tire en arrière la corde de son arc avec une force égale à celle qu’il
déploie pour pousser le bois en avant qu’afin d’accumuler l’énergie destinée à
propulser la flèche. C’est de l’écart entre le courant normal de la probabilité
et le contre-courant ascétique de l’improbabilité que paraissent surgir les
ressources énergétiques nécessaires à l’éclosion des phénomènes extraordinaires
de la vie mystique, émergence d’une hyperbiologie qui mérite le nom d’«hagiologie»
(9).
Le terme des évolutions
ascétiques et mystiques est la mort mais, tandis que les astronautes ont choisi
pour devise «the sky is the limit», sainte Thérèse d’Avila s’écrie «je me meurs
de ne point mourir» et résume sa conscience de l’infini par «Nado, Todo»,
«Rien-Tout». Et ce Rien n’est pas rien puisqu’il est le rien du Tout.
II. Les
fruits de la vie
«La biologie devrait avoir
pour verso une science de la mort, une «thanatologie», mais la non-existence de
ce mot indique qu’on ne l’a même pas ébauchée», écrivait le Jésuite A.
Gaultier dans le Bulletin de l’Université de l’Aurore en 1944 (10).
C’est en 1966 que fut fondée en France la Société de Thanatologie, mais ce
n’est qu’en 1979 que le mot apparut dans le Dictionnaire encyclopédique
Larousse.
Suivant la définition de M.
Polonovski: «La vie est un ensemble d’activités physico-chimiques liées à un
milieu approprié et régies par une tendance à caractère mnémonique à conserver
et à perpétuer non seulement la forme statique (11) mais aussi la nature
et l’enchaînement des variations dynamiques» (12). On voit que toutes réactions
du corps mourant ou fonctionnellement mort qui ne tendent plus à conserver que
sa forme statique en s’opposant à sa destruction sont comprises dans cette
définition.
Il y a donc lieu de
distinguer, dans la thanatomorphose, une physiologie de la conservation de la
pathologie de la destruction. Bien que cette dernière soit inéluctable, les
fruits de la vie s’y opposent dans la physiologie comme dans l’involution
thanatochimique et jusque dans le retour à la poussière.
Physiologie de la
conservation
En 1622, Francis Bacon de
Verulam écrivait que «c’est un sujet très digne de recherche que de prévenir
la putréfaction et de maintenir l’intégrité du corps» (13). Au cours d’une
expérimentation pour savoir si la réfrigération pouvait ralentir la
putréfaction d’une volaille, il contracta une bronchite dont il mourut en avril
1626, mais «l’expérience a réussi excellemment», dicta-t-il sur son lit
de mort (14). Toutes les réactions qui contribuent au refroidissement sont
physiologiques, telles la vasodilatation périphérique qui, en estompant les
rides du visage qu’elle colore, explique ce que l’historien Olivier Leroy
appelait «la splendeur corporelle des saints» (15).
La migration de l’eau vers la
périphérie favorise son évaporation, elle-même calorifuge, tout en facilitant
le processus conservateur de dessiccation.
Enfin, la liquéfaction des
graisses et leur diffusion dans tout l’organisme le met à l’abri de l’air grâce
à un auto-embaumement. Certains processus peuvent intervenir dans cette
fluidification, qui rappelle ceux des animaux hibernants ou poïkilothermes.
Involution thanatochimique
«Certains corps saints
– écrit Déonna – ont même la propriété de distiller des baumes et des huiles
souvent odorants, doués d’infinies vertus: ce sont les saints dits plus
spécialement myroblytes» (16).
Dans cette thanatomorphose,
l’homéotherme se refroidit comme un poïkilotherme, puis il s’embaume et les
odeurs de sainteté rappellent celles du règne végétal avant la réduction à la
minéralité du squelette puis au retour à la poussière. Ce contre-courant qui
récapitule à rebours la phylogénie fait tout naturellement suite au
contre-courant ontogénique des mortifications fonctionnelles partielles
ascétiques et mystiques.
Le retour à la poussière
«Souviens-toi, homme, que
tu es poussière et que tu retourneras en poussière» dit le prêtre dans le
rite du mercredi des Cendres.
Mais cette humble poussière
est-elle négligeable? Est-elle réductible au «presque rien»? Ou bien au «rien
du Tout»?
- Dans une perspective
infinitiste, la moindre parcelle de l’univers est une monade (17), c’est-à-dire
une résultante, un miroir et un résumé de tout ce qui n’est pas elle.
- C’est, me semble-t-il, en
ce sens que l’on peut comprendre le sens du culte des reliques, qui voit le
Tout dans la moindre des parties, si infimes soient-elles, comme dans tout
fragment d’hostie dans l’Eucharistie, ou comme toute personne dans la Communion
des Saints.
III. Trepasser
Trépasser, c’est passer de la
biostase, arrêt réversible de la vie fonctionnelle, à la thanatose, arrêt
irréversible qui marque le début de la thanatomorphose.
Entre le passé du vivant qui
appartiendra au souvenir et à l’Histoire et le futur ou l’«après» ou
l’«au-delà» (18), rien n’est plus lourd de présent que cette transe (19) si
merveilleusement symbolisée par le Transi du sculpteur Ligier Richier
dans l’église Saint Etienne à Bar-le-Duc.
Rien n’est plus mystérieux,
plus difficile à saisir, que cet «entre-deux», cet instant de la mort, ce
présent du trépas aux confins de l’éternité.
Biostase
En 1913, Albert de Rochas
publie son livre sur La suspension de la vie (20) qui commence par
l’étude des longs jeûnes, des longs sommeils et de leurs effets sur le
ralentissement de la vie.
En 1954, C. Jaulmes a proposé
le terme de biocémèse pour caractériser les «états de vie ralentie,
qu’ils soient naturels ou artificiels» (21).
Le chirurgien Henri Laborit
avait publié son concept fondamental sous le titre: Résistance et soumission
en physio-biologie: l’hibernation artificielle (22) et avait appliqué avec
succès l’hibernothérapie à ses patients. L’hibernation d’ascètes tibétains dans
les grottes de l’Himalaya n’est donc peut-être pas une légende et, en ce cas,
mériterait d’être étudiée de près.
La biostase, arrêt complet
mais réversible des fonctions, peut résulter aussi bien d’un choc traumatique
que d’une sidération émotionnelle. «Faire le mort» peut être salutaire. Il
semble qu’elle ait pu être réalisée volontairement par entraînement ascétique.
Albert de Rochas rapporte des exemples de «la suspension volontaire de la vie
et l’inhumation volontaire des fakirs» (23): En 1838, Haridès, âgé de trente
ans, fut inhumé pendant dix mois avant de revenir à la vie.
Chez les mystiques de l’Inde,
la grande extase (nirvikalpasamâdhi) efface le sentiment de vie propre
et présente tous les caractères de la mort apparente. Ramakrishna demeura dans
cet état de la fin de 1965 au début de 1966 et n’en revint que grâce à un reste
infinitésimal de conscience personnelle. Il refusa à son disciple, Narendranath
Dutt (Vivekananda) de lui ouvrir cette «redoutable porte qui mène au gouffre de
l’absolu» (24). Lui-même «résiste délibérément à toutes les tentations de la
mort extatique et il en fuit les risques» (25). Mais le disciple désobéit. «Le
voyant sans connaissance et son corps refroidi comme un cadavre, nous courûmes
vers le maître, en grand émoi, et nous l’informâmes de ce qui se passait. Le
maître ne manifesta aucune inquiétude, il sourit et dit: «Très bien!» et il
resta silencieux. Naren revint à la conscience extérieure» (26).
Lorsque Paul Misraki vint me
montrer sa traduction, de l’américain au français, du livre du Docteur Raymond
Moody Jr., je l’encourageai vivement à la mener à son terme, ce dont l’éditeur
n’eut pas à se plaindre, mais je regrettai le titre qu’il lui donna: «La vie
après la vie».
En effet, si ceux qui ont
éprouvé l’expérience de la biostase ont pu en témoigner, c’est bien parce
qu’ils n’ont pas franchi le seuil de la mort mais en sont revenus.
Néanmoins, les concordances
et différences de leurs témoignages et de leurs effets permettent de penser que
beaucoup d’entre eux ont pu percevoir, au bout du tunnel, une sortie
merveilleusement attirante de lumière et d’amour (27).
Thanatose
La thanatose est le versant
irréversible de la conservation des organes après la mort fonctionnelle.
Tant que cette conservation
se prolonge, notamment grâce au froid ou à la lyophilisation qui est une
dessiccation à froid sous vide, un retour à la vie fonctionnelle est possible
par greffe dans un autre organisme.
De même qu’une biographie est
l’histoire de la vie de quelqu’un, de même une thanatographie est l’histoire de
sa thanatose et de sa thanatomorphose.
En attendant la réalisation
d’un Dictionnaire historique, critique et thanatologique des reliques,
on peut retenir deux cas remarquables de thanatoses organiques, celui du cœur
de sainte Thérèse d’Avila et celui des yeux de sainte Roseline de Villeneuve.
Sainte Thérèse d’Avila est
décédée en 1582, le 4 octobre, veille du 15 octobre en raison de la réforme
grégorienne du calendrier, âgée de 67 ans et 6 mois. Après l’examen canonique
de son corps, en 1592, qui permit de constater son parfait état de
conservation, son cœur fut extrait et déposé entre les mains de la Prieure,
Mère Catalina de San Angelo qui le remit à la Mère Agnès de Jésus. Celle-ci,
qui le tenait dans sa main droite, sentit des pulsations, vérifia qu’il ne
s’agissait pas de son propre pouls et fut certaine et convaincue qu’elles
venaient de la relique (28).
Sainte Roseline de Villeneuve
est décédée le 17
janvier 13 29. Trois jours plus tard, ses membres sont flexibles et
ses yeux brillants. Il en est de même cinq ans plus tard lors de son
exhumation. Ses yeux, toujours frais, sont énucléés et déposés dans un
reliquaire. En 1660, c’est-à-dire 331 ans plus tard, Louis XIV demande à son
médecin, Antoine Vallot, d’examiner ces yeux. «Deux coups de lancette dans l’un
d’eux laissent échapper le corps vitré. Il n’y avait donc pas de supercherie»
(29).
En 1863, le reliquaire des
yeux, du xviie siècle, fut enchâssé
dans un grand reliquaire que l’on peut voir dans la chapelle de Celle-Roubaud,
près des Arcs-sur-Argens, dans le Var. Ces yeux ont fait l’objet d’un examen
ophtalmologique par les Docteurs Pierre Girard et Marc Llavador (30).
Mais les saints n’ont pas le
monopole de l’incorruption du corps. Au xve
siècle, Franco Sachetti, de Florence, écrivait: «Nous refuserons d’admettre
qu’un cadavre qui ne se corrompt pas est un corps saint. Cette idolâtrie va si
loin qu’on abandonne les saints véritables pour les saints de contrebande»
(31).
Paul Saintyves note que, dans
certains pays, l’incorruptibilité est, au contraire, considérée comme une
preuve de sorcellerie ou d’une vie criminelle. Les
morts qui passent pour se nourrir du sang des vivants, tels les vampires, si
connus en Hongrie, en Bulgarie et dans toute l’Europe orientale sous le nom de
Vroucolaques, «gardent la souplesse de leurs membres et conservent un sang
vermeil» (32).
Dom Augustin Calmet, abbé de
Senones, ami de Voltaire, enquêtant sur l’épidémie de vampirisme de
Bohème-Moravie (33), note que lorsqu’on exhumait les corps des présumés
vampires, on les retrouvait incorrompus, les yeux brillants, et on les
condamnait à être mis hors d’état de nuire, par décollation ou percement du
cœur.
Passages
La syncope mortelle (34) qui
marque la transition entre la biostase réversible et la thanatose irréversible
est la plus grande transe que l’on puisse tenter de décrire (19). Il y a donc
lieu de considérer les possibilités de transits, c’est-à-dire de communications
entre ces deux états: des vivants vers les morts; des morts vers les vivants.
Enfin, de ce point de passage
entre biostase et thanatose, peut-il surgir une métamorphose finale?
Dans le syndrome de Moody,
tout se passe, pour certains sujets en état de mort apparente, comme s’ils
sortaient de leur corps pour le «voir» du dehors ainsi que son environnement,
se déplacer, voyager, et percevoir ainsi, à distance, des informations
objectives.
D’autre part, certains disent
avoir rencontré, dans le tunnel, des personnages tutélaires, parents ou amis
défunts.
Enfin, à la sortie, ils
découvrent un être de lumière et d’amour ineffables dans lesquels ils
voudraient demeurer mais qui les renvoie vers la vie car leur heure n’est pas
venue.
L’étude de Gurney, Myers et
Podmore, sur Les
hallucinations télépathiques (35) a montré que la télépathie entre agent
trépassant et percipient rêvant, voire à l’état de veille, est particulièrement
fréquente lorsqu’ils sont affectivement liés et lorsqu’il s’agit de morts
violentes ou de trépas dramatiques.
Si les vampires, lors de
l’épidémie d’Europe centrale, de 1730 à 1735, donnèrent des cauchemars parfois
mortels à leurs parents ou proches (33), les Bienheureux et les Saints se
manifestent aux vivants par des miracles, des visions et des apparitions, en
tous lieux et de tous temps. De son vivant, sainte Thérèse d’Avila était
apparue à distance alors qu’elle gisait dans sa cellule «como muerta»,
mais apparut aussi après sa mort avec plus d’intensité et plus lumineuse (36).
L’instant même du trépas est
crucial, c’est celui du dernier sommeil, en équilibre entre la vie et la mort,
représenté par les gisants dans la sculpture funéraire, tandis que les icônes
illustrent à profusion la Dormition de la vierge Marie avant son assomption.
Depuis les origines de l’Homo
sapiens (37) jusqu’aux trois religions du Livre, le culte des morts exprime une
croyance en l’au-delà, une foi en la résurrection de la chair et une espérance
en la vie éternelle. Malheureusement, le mot résurrection peut prêter à
confusion puisqu’on l’applique aussi bien à la ranimation d’un mort qu’à son
passage d’ici-bas à l’au-delà par métamorphose du corps physique en corps
glorieux.
Dans les Evangiles, Jésus dit
de la fille de Jaïre: «L’enfant n’est pas morte mais elle dort» (38); le fils
de la veuve de Naïn est déjà dans le cercueil (39) et Lazare au tombeau depuis
quatre jours (40). Jésus manifeste ainsi son pouvoir verbal de les ranimer
tandis que lui-même, enseveli, ressuscite à Pâques.
De même que la simplicité des
bergers et la science des mages se rencontrent à la crèche, que le Dieu
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et celui des philosophes et des savants ne sont
qu’Un, et que l’analogique et la logique opèrent dans un même cerveau, de même
il est souhaitable que la foi ouvre la porte à la raison, comme l’a écrit Jean
Paul II dans sa lettre encyclique Fides et Ratio (41), après avoir
réhabilité Galilée. Ce n’est donc pas parce qu’elle est article de foi que la
résurrection ne peut être objet de recherche philosophique et scientifique,
bien au contraire. Et c’est ce qu’a démontré Jean Guitton dans sa Philosophie
de la Résurrection (42).
Le corps qui vient de mourir
est un cadavre, mais, pour atténuer l’émotion que suscite ce mot, eu égard aux
endeuillés qui pleurent la personne, on le qualifie de «dépouille mortelle»,
comme s’il n’était plus qu’un vêtement inanimé de l’âme, accroché au vestiaire
de l’au-delà en attendant son retour à la poussière.
Mais cette matière a-t-elle
une mémoire? Au fur et à mesure que l’énergie se dégrade, que l’entropie
augmente et s’achemine vers le nivellement thermodynamique final, augmente de
même l’information syntropique, et avec elle la complexification avec
ses effets de plus en plus improbables, jusqu’à l’infiniment improbable qui
n’est pas impossible mais n’est réalisable que par l’effet d’une puissance
infinie ou Toute Puissance.
Si la poussière doit
retourner à la poussière, les monades que sont ses corpuscules ne cessent pas,
pour autant, d’être des monades, c’est-à-dire des «riens» liés au Tout, chacun
à nul autre pareil, dans le concert universel de la «communication des
substances».
D’où l’intérêt de donner
suite à la réclamation Bergsonienne du «supplément d’âme», en développant la
recherche psychique, comme il en a donné l’exemple en devenant président de la Society
for Psychical Research en 1913, après Charles Richet en 1905 et avant
Camille Flammarion en 1923.
Richet unifia les concepts de
parapsychologie et de paraphysique de Max Dessoir (1889) sous le nom de métapsychique
qu’il définit comme une branche avancée de la physiologie et comme «la seule
science qui étudie des forces intelligentes» (43).
Etudiant les phénomènes
médiumniques, il considère la théorie spirite comme une «hypothèse de travail»
mais, dit-il, «je me suis arrêté aux faits. Je ne veux pas me laisser entraîner
au-delà» (44).
En 1940 le roumain Nicolas
Porsenna écrivit Les
hypostases de l’âme humaine, manuscrit non publié qui fut entre les mains
du Docteur Valère Musatesco, soutenant la thèse de la substantialité du
psychisme considéré comme un double de soi, «fantôme de l’homme vivant»
qui n’est pas indissolublement lié à son substrat et peut s’en détacher.
Cette psyché substantielle
présente des qualités analogues à celles que saint Thomas d’Aquin attribue au corps
de résurrection et qui sont l’impassibilité, la subtilité, l’agilité et la
clarté.
Ainsi, substantialiser la
psyché ou spiritualiser le corps aboutissent au même résultat réaliste d’une
nécessaire relation entre le monde physique et le monde psychique (45).
La résurrection est, de tous
les phénomènes, le plus improbable, la plus syntropique que l’on puisse
concevoir. Son infinie improbabilité n’est pas une impossibilité, mais elle ne
peut être opérée que par une puissance infinie, une Toute puissance spirituelle
maîtresse de l’âme et du corps.
Elle paraît donc hors de
portée de l’observation comme de l’expérience scientifique. Toutefois, si elle
s’est réalisée, ne serait-ce qu’une seule fois dans l’Histoire de l’humanité,
elle doit inspirer des recherches par analogie.
C’est ainsi qu’une
anthropologie de la résurrection peut s’inspirer de l’entomologie de la
métamorphose, de l’hagiologie ou phénoménologie ascétique et mystique, et de
l’étude des guérisons miraculeuses.
La larve du lépidoptère se
développe grâce à une hormone de croissance qui inhibe une hormone de mue,
l’ecdysone. Au terme de cette croissance, la chrysalide s’entoure d’un cocon et
l’ecdysone entre en action.
La chenille liquéfiée
contient des disques imaginaux organisateurs de son imago, de sa métamorphose
en papillon. Si la larve est cancérisée, le papillon en est exempté (46).
On peut donc se poser la
question de savoir s’il peut exister une analogie entre les hormones de
croissance et de mue et les disques imaginaux des insectes et des structures
biochimiques qui restent à découvrir si elles existent chez l’homme.
L’hagiologie, hyperbiologie
des phénomènes extraordinaires de la vie ascétique et mystique, sérieusement
étudiés du point de vue historique et critiques par des auteurs comme Olivier
Leroy, montre qu’ils tendent à affranchir la nature humaine des contraintes
terrestres, comme par le jeu multistatique d’un complément d’homéostasie, pour
une conquête probabiliste de l’autonomie.
L’inédie, la lévitation, la
bioluminescence, affranchissent de la faim, de la pesanteur, de l’obscurité.
Ces charismes exceptionnels
ne sont-ils pas des indicateurs de ce que pourraient être des mutations, dans
un lointain avenir, au sein du genre humain évoluant vers le «point oméga» de
Pierre Teilhard de Chardin? Suivant le modèle de la transfiguration, de la
résurrection et de l’ascension-assomption, les Mystiques ne sont-ils pas à
l’avant-garde des Mécaniciens sur le chemin d’un au-delà du mur de la lumière,
dans cet univers que Bergson qualifiait de «machine à faire des dieux»?
Elles se présentent ainsi à
contre-courant de la pathologie, de la destruction, de la mort. Souvent suivies
de fringale, elles ne s’accompagnent pas d’essoufflement, et certaines d’entre
elles paraissent privilégier la restauration de la fonction plutôt que celle de
l’organe.
Ces miracles sont souvent
attribués à l’intercession de saints défunts. Les
catholiques en demandent deux avant de procéder à leur béatification et
canonisation comme preuves d’une information, d’une communication et d’une
action venues de l’au-delà.
BIBLIOGRAPHIE
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11
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12
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17
· LEIBNIZ Gotfried Wilhelm, Principes de la
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18
· LARCHER Hubert, «L’après et l’au-delà dans les
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19
· LARCHER Hubert, «L’odyssée de la conscience», Bulletin
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20
· ROCHAS Albert de, La suspension de la vie,
Paris, Dorbon-Ainé, 1913.
21
· JAULMES C., Préface au livre d’Henri Laborit, Pratique
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22
· LABORIT Henri, L’hibernation artificielle,
Paris, Masson 1954.
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· ROCHAS Albert de, La suspension de la vie,
Paris, Dorbon-Ainé, 1913, pp. 70-74.
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· ROLLAND Romain, Vie de Ramakrishna,
Paris, Stock, 1930, pp. 84 à 87.
25
· Id., page 95, note 1.
26
· Id., page 255.
27
· LARCHER Hubert, «De la lumière physique à la
lumière spirituelle», In La mort transfigurée, Paris, Belfond, 1992,
pp. 449 à 468.
28
· Témoignage de Mère Catalina, Procès rémissoral
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29
· Une Sainte provençale du XIVe
siècle, Roseline de Villeneuve, Paris, de Boccard, 2002, page 41.
30
· Id., pp. 94 à 97, 129,142.
31
· SACHETTI Franco, Nouvelles choisies,
Paris, Liseux 1879, pp. 197-198.
32
· SAINTYVES Paul, En marge de la légende dorée,
Paris, Nourry 1931, page 286.
33
· CALMET Augustin, Traité sur les apparitions
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34
· HEIM Burkhard, Postmortale Zustände?,
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35
· GURNEY, MYERS et PODMORE, Les hallucinations télépathiques,
Paris, Alcan, 1914 (traduit et abrégé des Phantasms of the living).
36
· LEROY Olivier, «Apparitions de sainte Thérèse
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37
· Homo Sapiens, Paris, Flammarion, 2004,
pp. 31 à 49.
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· MARC 5, 35 -43. LUC 8, 49-55.
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· LUC 7, 11-16.
40
· JEAN 11, 1-44.
41
· JEAN-PAUL II, La Foi et la Raison,
Paris, Centurion, Cerf, Mame, 1998.
42
· GUITTON Jean, Œuvres complètes, philosophie,
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43
· RICHET Charles, Traité de Métapsychique,
Paris, Alcan 1922, pp. 2-3.
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· «Une synthèse de l’opinion du professeur Richet
sur le spiritisme», Revue Métapsychique, 1934, n°2, pp. 129-130.
45
· LARCHER Hubert, «Psychisme substantiel et corps
glorieux», Revue métapsychique, n°19-20, 1974, pp. 61-62. «Essence,
Existence, Substance», Les
cahiers de Iands-France, n°9, juillet 2001, pp. 10 à 21.
46
· JOLY Pierre, L’endocrinologie des insectes,
Paris, Masson, 1968.
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