août 19, 2011

Le Trépas - Dr Hubert LARCHER

  Le mot trépas est synonyme de décès, mort. Passer de vie à trépas, c’est mourir. Trépasser vient de l’ancien français tres, au-delà, et passer. Si le vivant «a de l’avenir», le mort «est passé». Rien n’est donc plus «présent» que le passage, le trépas.

Une conception binaire oppose la vie à la mort comme l’avenir au passé, avec une tendance à ponctualiser le trépas et son instant présent, celui du «dernier soupir», puis de l’arrêt cardiaque, et enfin celui de la mort cérébrale.

Une conception ternaire s’exprime dans les anciennes traditions. Dans l’Hindouisme, la Trimurti, divine triade, réunit Brahmâ, Vishnou et Shiva, chacun exerçant respectivement une des trois fonctions (guna) de création (Râjas), d’équilibre (Sattva) et d’inertie (Tamas). Le Taoïsme unit dans le Dao le Yin et le Yang complémentaires en une féconde hiérogamie universelle.

Dans les temples bouddhistes, au-dessus de l’autel, on voit souvent une triade de statues: une centrale de face, les deux autres à droite et à gauche, qui évoquent le présent, le passé et l’avenir. Si nous appliquons une manière ternaire de concevoir les notions de vie et de mort, nous pouvons nous inspirer des trois guna pour établir des correspondances entre les triades: Energie-équilibre-inertie, Construction-conservation-destruction, et Biomorphose-biostase-thanatomorphose.

Nous avons donc à considérer les racines de la mort dans la vie et les fruits de la vie dans la mort pour tenter d’aborder les mystères du trépas.



I. Les racines de la mort





On peut évoquer les racines de la mort à plusieurs niveaux comme ceux de la cytologie, de la pathologie, ou des ascèses.

Cytologie

Avant la procréation, le noyau des gamètes humains de chaque sexe, ovule et spermatozoïde, élimine, par la réduction chromatique, un des deux chromosomes des vingt-trois paires qui seront recomposées par la fécondation de l’œuf.

Lors de cette fécondation, lorsque le spermatozoïde vainqueur pénètre l’ovule, celui-ci se refuse à toute autre pénétration, d’où la mort du grand nombre des vaincus.

Au cours du développement de l’embryon, l’apoptose, mort cellulaire programmée, permet la différenciation des organes définitifs à partir des structures embryonnaires.

Lors de la naissance, le nouveau-né est séparé de l’amnios voué à la mort. L’enfant vit l’expérience de la mort de ses dents de lait comme une promotion marquant son évolution et son accès à l’«âge de raison» avec sa seconde dentition se terminant par la sortie de ses «dents de sagesse», raison et sagesse marquant des étapes de la maturation somato-psychique au cours de la vie, les cellules somatiques se renouvelant de telle sorte qu’il ne saurait y avoir de biomorphose générale sans thanatomorphose cellulaire.

L’apoptose, autodestruction ordonnée des cellules, solidaire de leur renouvellement, permet à la biomorphose de réaliser son évolution.

Ce processus de la vie individuelle a été merveilleusement décrit par le professeur Jean-Claude Ameisen (1).

Il assure, après la construction de la jeunesse et de l’adolescence, la conservation de l’adulte et de l’âge mûr avant les destructions de la sénescence et le terme physiologique de la vie personnelle.

Pathologie

Suivant le professeur Jean-Claude Ameisen, c’est le dérèglement des mécanismes de l’apoptose physiologique qui pourrait être la cause de nombreuses maladies avec, pour conséquence, l’espoir de le corriger grâce à des thérapeutiques appropriées, préventives, voire curatives du cancer ou anti-infectieuses.

Si, dans la physiologie, les mécanismes de construction, de conservation et de destruction se succèdent de la conception à la mort, la pathologie intervient pour en entraver ou interrompre la courbe. Ainsi, tandis que la mort physiologique vient «à son heure», comme un «dernier sommeil», un «adieu» à la vie, une «bonne mort», la mort pathologique est une mauvaise mort, une dysthanasie soit prématurée, soit douloureuse, soit inutilement retardée par acharnement thérapeutique.

Xavier Bichat définit la vie comme «l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort». L’altération d’une ou de plusieurs de ces fonctions nuit à cet ensemble, et c’est ainsi que, dans ses Recherches physiologiques sur la vie et la mort (2), il étudie tour à tour les conséquences de la mort fonctionnelle des poumons, du cœur, du cerveau sur les deux autres.

Car la mort fonctionnelle est un processus. L’ensemble ne meurt pas en même temps mais par un enchaînement de causes à effets, comme le démontrent les greffes d’organes fonctionnellement morts mais aptes à reprendre vie dans un autre ensemble fonctionnel.

Ascèses

Le poète «dans la lune», le prophète enlevé comme Ezéchiel dans le «char de Yahvé» (3), les précurseurs comme Savinien Cyrano de Bergerac (4) puis Jules Verne (5), imaginent, annoncent et préfigurent les réalisations techniques et les performances humaines de la conquête astronautique qui ont permis à Neil Armstrong de poser son pied sur notre satellite le 21 juillet 1969.

En 1932 Henri Bergson intitule «Mécanique et mystique» la deuxième partie du dernier chapitre de son livre Les deux sources de la morale et de la religion. C’est là que se trouve son appel au «supplément d’âme».

Les machines démultipliant nos puissances, «dans un corps démesurément grossi, l’âme reste ce qu’elle était, trop petite maintenant pour le remplir, trop faible pour le diriger. D’où le vide entre lui et elle». «Ne nous bornons donc pas à dire, comme nous le faisions plus haut, que la mystique appelle la mécanique. Ajoutons que le corps agrandi attend un supplément d’âme, et que la mécanique exigerait une mystique. Les origines de cette mécanique sont peut-être plus mystiques qu’on ne le croirait; elle ne retrouvera sa direction vraie, elle ne rendra des services proportionnés à sa puissance, que si l’humanité qu’elle a courbée encore davantage vers la terre arrive par elle à se redresser, et à regarder le ciel» (6).

Il déplore alors que la science ait été détournée «de l’observation de certains faits, ou plutôt elle a empêché de naître certaines sciences excommuniées par avance au nom de je ne sais quel dogme» (7). Dénonçant la confusion entre l’improbable et l’impossible, il préconise le développement des sciences psychiques (8).

De fait, le sportif, le héros, le martyr sont capables de risquer, de donner ou de sacrifier leur vie à un idéal, à la patrie, à leur foi. Renoncer, c’est mourir à soi-même. Dans les ascèses mystiques, le renoncement à l’exercice et à la satisfaction de certaines fonctions est appelé mortification. Les trois vœux monastiques de chasteté, de pauvreté, d’obéissance, font ressembler l’ascète à un enfant, la vie sans nourriture (inédie) au nouveau-né avant la section du cordon ombilical, l’arrêt respiratoire (apnée) au fœtus avant la naissance, l’arrêt circulatoire à un embryon de moins de quatre mois et demi, l’arrêt fonctionnel complet (biostase) à un ovule sans échanges avant la fécondation.

Ces mortifications à contre-courant de la nature apparaissent de premier abord comme masochistes et radicalement régressives mais, telles le saumon qui remonte à sa source, elles récapitulent à rebours les phases du développement ontogénique en cyclisant la ligne de vie. L’effort ascétique du mystique est comparable à celui d’un archer qui ne tire en arrière la corde de son arc avec une force égale à celle qu’il déploie pour pousser le bois en avant qu’afin d’accumuler l’énergie destinée à propulser la flèche. C’est de l’écart entre le courant normal de la probabilité et le contre-courant ascétique de l’improbabilité que paraissent surgir les ressources énergétiques nécessaires à l’éclosion des phénomènes extraordinaires de la vie mystique, émergence d’une hyperbiologie qui mérite le nom d’«hagiologie» (9).

Le terme des évolutions ascétiques et mystiques est la mort mais, tandis que les astronautes ont choisi pour devise «the sky is the limit», sainte Thérèse d’Avila s’écrie «je me meurs de ne point mourir» et résume sa conscience de l’infini par «Nado, Todo», «Rien-Tout». Et ce Rien n’est pas rien puisqu’il est le rien du Tout.



II. Les fruits de la vie





«La biologie devrait avoir pour verso une science de la mort, une «thanatologie», mais la non-existence de ce mot indique qu’on ne l’a même pas ébauchée», écrivait le Jésuite A. Gaultier dans le Bulletin de l’Université de l’Aurore en 1944 (10). C’est en 1966 que fut fondée en France la Société de Thanatologie, mais ce n’est qu’en 1979 que le mot apparut dans le Dictionnaire encyclopédique Larousse.

Suivant la définition de M. Polonovski: «La vie est un ensemble d’activités physico-chimiques liées à un milieu approprié et régies par une tendance à caractère mnémonique à conserver et à perpétuer non seulement la forme statique (11) mais aussi la nature et l’enchaînement des variations dynamiques» (12). On voit que toutes réactions du corps mourant ou fonctionnellement mort qui ne tendent plus à conserver que sa forme statique en s’opposant à sa destruction sont comprises dans cette définition.

Il y a donc lieu de distinguer, dans la thanatomorphose, une physiologie de la conservation de la pathologie de la destruction. Bien que cette dernière soit inéluctable, les fruits de la vie s’y opposent dans la physiologie comme dans l’involution thanatochimique et jusque dans le retour à la poussière.

Physiologie de la conservation

En 1622, Francis Bacon de Verulam écrivait que «c’est un sujet très digne de recherche que de prévenir la putréfaction et de maintenir l’intégrité du corps» (13). Au cours d’une expérimentation pour savoir si la réfrigération pouvait ralentir la putréfaction d’une volaille, il contracta une bronchite dont il mourut en avril 1626, mais «l’expérience a réussi excellemment», dicta-t-il sur son lit de mort (14). Toutes les réactions qui contribuent au refroidissement sont physiologiques, telles la vasodilatation périphérique qui, en estompant les rides du visage qu’elle colore, explique ce que l’historien Olivier Leroy appelait «la splendeur corporelle des saints» (15).

La migration de l’eau vers la périphérie favorise son évaporation, elle-même calorifuge, tout en facilitant le processus conservateur de dessiccation.

Enfin, la liquéfaction des graisses et leur diffusion dans tout l’organisme le met à l’abri de l’air grâce à un auto-embaumement. Certains processus peuvent intervenir dans cette fluidification, qui rappelle ceux des animaux hibernants ou poïkilothermes.

Involution thanatochimique

«Certains corps saints – écrit Déonna – ont même la propriété de distiller des baumes et des huiles souvent odorants, doués d’infinies vertus: ce sont les saints dits plus spécialement myroblytes» (16).

Les «odeurs de sainteté» qui s’en dégagent, analogues à des odeurs florales, les surpassent par leur suavité, leur puissance de diffusion et leur persistance.

Dans cette thanatomorphose, l’homéotherme se refroidit comme un poïkilotherme, puis il s’embaume et les odeurs de sainteté rappellent celles du règne végétal avant la réduction à la minéralité du squelette puis au retour à la poussière. Ce contre-courant qui récapitule à rebours la phylogénie fait tout naturellement suite au contre-courant ontogénique des mortifications fonctionnelles partielles ascétiques et mystiques.

Le retour à la poussière

«Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière» dit le prêtre dans le rite du mercredi des Cendres.

Mais cette humble poussière est-elle négligeable? Est-elle réductible au «presque rien»? Ou bien au «rien du Tout»?

- Dans une perspective infinitiste, la moindre parcelle de l’univers est une monade (17), c’est-à-dire une résultante, un miroir et un résumé de tout ce qui n’est pas elle.

- C’est, me semble-t-il, en ce sens que l’on peut comprendre le sens du culte des reliques, qui voit le Tout dans la moindre des parties, si infimes soient-elles, comme dans tout fragment d’hostie dans l’Eucharistie, ou comme toute personne dans la Communion des Saints.



III. Trepasser





Trépasser, c’est passer de la biostase, arrêt réversible de la vie fonctionnelle, à la thanatose, arrêt irréversible qui marque le début de la thanatomorphose.

Entre le passé du vivant qui appartiendra au souvenir et à l’Histoire et le futur ou l’«après» ou l’«au-delà» (18), rien n’est plus lourd de présent que cette transe (19) si merveilleusement symbolisée par le Transi du sculpteur Ligier Richier dans l’église Saint Etienne à Bar-le-Duc.

Rien n’est plus mystérieux, plus difficile à saisir, que cet «entre-deux», cet instant de la mort, ce présent du trépas aux confins de l’éternité.

Biostase

En 1913, Albert de Rochas publie son livre sur La suspension de la vie (20) qui commence par l’étude des longs jeûnes, des longs sommeils et de leurs effets sur le ralentissement de la vie.

En 1954, C. Jaulmes a proposé le terme de biocémèse pour caractériser les «états de vie ralentie, qu’ils soient naturels ou artificiels» (21).

Le chirurgien Henri Laborit avait publié son concept fondamental sous le titre: Résistance et soumission en physio-biologie: l’hibernation artificielle (22) et avait appliqué avec succès l’hibernothérapie à ses patients. L’hibernation d’ascètes tibétains dans les grottes de l’Himalaya n’est donc peut-être pas une légende et, en ce cas, mériterait d’être étudiée de près.

La biostase, arrêt complet mais réversible des fonctions, peut résulter aussi bien d’un choc traumatique que d’une sidération émotionnelle. «Faire le mort» peut être salutaire. Il semble qu’elle ait pu être réalisée volontairement par entraînement ascétique. Albert de Rochas rapporte des exemples de «la suspension volontaire de la vie et l’inhumation volontaire des fakirs» (23): En 1838, Haridès, âgé de trente ans, fut inhumé pendant dix mois avant de revenir à la vie.

Chez les mystiques de l’Inde, la grande extase (nirvikalpasamâdhi) efface le sentiment de vie propre et présente tous les caractères de la mort apparente. Ramakrishna demeura dans cet état de la fin de 1965 au début de 1966 et n’en revint que grâce à un reste infinitésimal de conscience personnelle. Il refusa à son disciple, Narendranath Dutt (Vivekananda) de lui ouvrir cette «redoutable porte qui mène au gouffre de l’absolu» (24). Lui-même «résiste délibérément à toutes les tentations de la mort extatique et il en fuit les risques» (25). Mais le disciple désobéit. «Le voyant sans connaissance et son corps refroidi comme un cadavre, nous courûmes vers le maître, en grand émoi, et nous l’informâmes de ce qui se passait. Le maître ne manifesta aucune inquiétude, il sourit et dit: «Très bien!» et il resta silencieux. Naren revint à la conscience extérieure» (26).

Lorsque Paul Misraki vint me montrer sa traduction, de l’américain au français, du livre du Docteur Raymond Moody Jr., je l’encourageai vivement à la mener à son terme, ce dont l’éditeur n’eut pas à se plaindre, mais je regrettai le titre qu’il lui donna: «La vie après la vie».

En effet, si ceux qui ont éprouvé l’expérience de la biostase ont pu en témoigner, c’est bien parce qu’ils n’ont pas franchi le seuil de la mort mais en sont revenus.

Néanmoins, les concordances et différences de leurs témoignages et de leurs effets permettent de penser que beaucoup d’entre eux ont pu percevoir, au bout du tunnel, une sortie merveilleusement attirante de lumière et d’amour (27).

Thanatose

La thanatose est le versant irréversible de la conservation des organes après la mort fonctionnelle.

Tant que cette conservation se prolonge, notamment grâce au froid ou à la lyophilisation qui est une dessiccation à froid sous vide, un retour à la vie fonctionnelle est possible par greffe dans un autre organisme.

De même qu’une biographie est l’histoire de la vie de quelqu’un, de même une thanatographie est l’histoire de sa thanatose et de sa thanatomorphose.

En attendant la réalisation d’un Dictionnaire historique, critique et thanatologique des reliques, on peut retenir deux cas remarquables de thanatoses organiques, celui du cœur de sainte Thérèse d’Avila et celui des yeux de sainte Roseline de Villeneuve.

Sainte Thérèse d’Avila est décédée en 1582, le 4 octobre, veille du 15 octobre en raison de la réforme grégorienne du calendrier, âgée de 67 ans et 6 mois. Après l’examen canonique de son corps, en 1592, qui permit de constater son parfait état de conservation, son cœur fut extrait et déposé entre les mains de la Prieure, Mère Catalina de San Angelo qui le remit à la Mère Agnès de Jésus. Celle-ci, qui le tenait dans sa main droite, sentit des pulsations, vérifia qu’il ne s’agissait pas de son propre pouls et fut certaine et convaincue qu’elles venaient de la relique (28).

Sainte Roseline de Villeneuve est décédée le 17 janvier 1329. Trois jours plus tard, ses membres sont flexibles et ses yeux brillants. Il en est de même cinq ans plus tard lors de son exhumation. Ses yeux, toujours frais, sont énucléés et déposés dans un reliquaire. En 1660, c’est-à-dire 331 ans plus tard, Louis XIV demande à son médecin, Antoine Vallot, d’examiner ces yeux. «Deux coups de lancette dans l’un d’eux laissent échapper le corps vitré. Il n’y avait donc pas de supercherie» (29).

En 1863, le reliquaire des yeux, du xviie siècle, fut enchâssé dans un grand reliquaire que l’on peut voir dans la chapelle de Celle-Roubaud, près des Arcs-sur-Argens, dans le Var. Ces yeux ont fait l’objet d’un examen ophtalmologique par les Docteurs Pierre Girard et Marc Llavador (30).

Mais les saints n’ont pas le monopole de l’incorruption du corps. Au xve siècle, Franco Sachetti, de Florence, écrivait: «Nous refuserons d’admettre qu’un cadavre qui ne se corrompt pas est un corps saint. Cette idolâtrie va si loin qu’on abandonne les saints véritables pour les saints de contrebande» (31).

Paul Saintyves note que, dans certains pays, l’incorruptibilité est, au contraire, considérée comme une preuve de sorcellerie ou d’une vie criminelle. Les morts qui passent pour se nourrir du sang des vivants, tels les vampires, si connus en Hongrie, en Bulgarie et dans toute l’Europe orientale sous le nom de Vroucolaques, «gardent la souplesse de leurs membres et conservent un sang vermeil» (32).

Dom Augustin Calmet, abbé de Senones, ami de Voltaire, enquêtant sur l’épidémie de vampirisme de Bohème-Moravie (33), note que lorsqu’on exhumait les corps des présumés vampires, on les retrouvait incorrompus, les yeux brillants, et on les condamnait à être mis hors d’état de nuire, par décollation ou percement du cœur.

Passages

La syncope mortelle (34) qui marque la transition entre la biostase réversible et la thanatose irréversible est la plus grande transe que l’on puisse tenter de décrire (19). Il y a donc lieu de considérer les possibilités de transits, c’est-à-dire de communications entre ces deux états: des vivants vers les morts; des morts vers les vivants.

Enfin, de ce point de passage entre biostase et thanatose, peut-il surgir une métamorphose finale?

Dans le syndrome de Moody, tout se passe, pour certains sujets en état de mort apparente, comme s’ils sortaient de leur corps pour le «voir» du dehors ainsi que son environnement, se déplacer, voyager, et percevoir ainsi, à distance, des informations objectives.

D’autre part, certains disent avoir rencontré, dans le tunnel, des personnages tutélaires, parents ou amis défunts.

Enfin, à la sortie, ils découvrent un être de lumière et d’amour ineffables dans lesquels ils voudraient demeurer mais qui les renvoie vers la vie car leur heure n’est pas venue.

L’étude de Gurney, Myers et Podmore, sur Les hallucinations télépathiques (35) a montré que la télépathie entre agent trépassant et percipient rêvant, voire à l’état de veille, est particulièrement fréquente lorsqu’ils sont affectivement liés et lorsqu’il s’agit de morts violentes ou de trépas dramatiques.

Les Tulkou du Tibet reçoivent comme un legs la communication de la somme des informations accumulées par un Lama au cours de sa vie, d’où l’idée de réincarnation de ce dernier, au terme d’un entraînement technique dit Po Oua.

Si les vampires, lors de l’épidémie d’Europe centrale, de 1730 à 1735, donnèrent des cauchemars parfois mortels à leurs parents ou proches (33), les Bienheureux et les Saints se manifestent aux vivants par des miracles, des visions et des apparitions, en tous lieux et de tous temps. De son vivant, sainte Thérèse d’Avila était apparue à distance alors qu’elle gisait dans sa cellule «como muerta», mais apparut aussi après sa mort avec plus d’intensité et plus lumineuse (36).

L’instant même du trépas est crucial, c’est celui du dernier sommeil, en équilibre entre la vie et la mort, représenté par les gisants dans la sculpture funéraire, tandis que les icônes illustrent à profusion la Dormition de la vierge Marie avant son assomption.

Depuis les origines de l’Homo sapiens (37) jusqu’aux trois religions du Livre, le culte des morts exprime une croyance en l’au-delà, une foi en la résurrection de la chair et une espérance en la vie éternelle. Malheureusement, le mot résurrection peut prêter à confusion puisqu’on l’applique aussi bien à la ranimation d’un mort qu’à son passage d’ici-bas à l’au-delà par métamorphose du corps physique en corps glorieux.

Dans les Evangiles, Jésus dit de la fille de Jaïre: «L’enfant n’est pas morte mais elle dort» (38); le fils de la veuve de Naïn est déjà dans le cercueil (39) et Lazare au tombeau depuis quatre jours (40). Jésus manifeste ainsi son pouvoir verbal de les ranimer tandis que lui-même, enseveli, ressuscite à Pâques.

De même que la simplicité des bergers et la science des mages se rencontrent à la crèche, que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et celui des philosophes et des savants ne sont qu’Un, et que l’analogique et la logique opèrent dans un même cerveau, de même il est souhaitable que la foi ouvre la porte à la raison, comme l’a écrit Jean Paul II dans sa lettre encyclique Fides et Ratio (41), après avoir réhabilité Galilée. Ce n’est donc pas parce qu’elle est article de foi que la résurrection ne peut être objet de recherche philosophique et scientifique, bien au contraire. Et c’est ce qu’a démontré Jean Guitton dans sa Philosophie de la Résurrection (42).

Le corps qui vient de mourir est un cadavre, mais, pour atténuer l’émotion que suscite ce mot, eu égard aux endeuillés qui pleurent la personne, on le qualifie de «dépouille mortelle», comme s’il n’était plus qu’un vêtement inanimé de l’âme, accroché au vestiaire de l’au-delà en attendant son retour à la poussière.

Mais cette matière a-t-elle une mémoire? Au fur et à mesure que l’énergie se dégrade, que l’entropie augmente et s’achemine vers le nivellement thermodynamique final, augmente de même l’information syntropique, et avec elle la complexification avec ses effets de plus en plus improbables, jusqu’à l’infiniment improbable qui n’est pas impossible mais n’est réalisable que par l’effet d’une puissance infinie ou Toute Puissance.

Si la poussière doit retourner à la poussière, les monades que sont ses corpuscules ne cessent pas, pour autant, d’être des monades, c’est-à-dire des «riens» liés au Tout, chacun à nul autre pareil, dans le concert universel de la «communication des substances».

D’où l’intérêt de donner suite à la réclamation Bergsonienne du «supplément d’âme», en développant la recherche psychique, comme il en a donné l’exemple en devenant président de la Society for Psychical Research en 1913, après Charles Richet en 1905 et avant Camille Flammarion en 1923.

Richet unifia les concepts de parapsychologie et de paraphysique de Max Dessoir (1889) sous le nom de métapsychique qu’il définit comme une branche avancée de la physiologie et comme «la seule science qui étudie des forces intelligentes» (43).

Etudiant les phénomènes médiumniques, il considère la théorie spirite comme une «hypothèse de travail» mais, dit-il, «je me suis arrêté aux faits. Je ne veux pas me laisser entraîner au-delà» (44).

En 1940 le roumain Nicolas Porsenna écrivit Les hypostases de l’âme humaine, manuscrit non publié qui fut entre les mains du Docteur Valère Musatesco, soutenant la thèse de la substantialité du psychisme considéré comme un double de soi, «fantôme de l’homme vivant» qui n’est pas indissolublement lié à son substrat et peut s’en détacher.

Cette psyché substantielle présente des qualités analogues à celles que saint Thomas d’Aquin attribue au corps de résurrection et qui sont l’impassibilité, la subtilité, l’agilité et la clarté.

Ainsi, substantialiser la psyché ou spiritualiser le corps aboutissent au même résultat réaliste d’une nécessaire relation entre le monde physique et le monde psychique (45).

La résurrection est, de tous les phénomènes, le plus improbable, la plus syntropique que l’on puisse concevoir. Son infinie improbabilité n’est pas une impossibilité, mais elle ne peut être opérée que par une puissance infinie, une Toute puissance spirituelle maîtresse de l’âme et du corps.

Elle paraît donc hors de portée de l’observation comme de l’expérience scientifique. Toutefois, si elle s’est réalisée, ne serait-ce qu’une seule fois dans l’Histoire de l’humanité, elle doit inspirer des recherches par analogie.

C’est ainsi qu’une anthropologie de la résurrection peut s’inspirer de l’entomologie de la métamorphose, de l’hagiologie ou phénoménologie ascétique et mystique, et de l’étude des guérisons miraculeuses.

La larve du lépidoptère se développe grâce à une hormone de croissance qui inhibe une hormone de mue, l’ecdysone. Au terme de cette croissance, la chrysalide s’entoure d’un cocon et l’ecdysone entre en action.

La chenille liquéfiée contient des disques imaginaux organisateurs de son imago, de sa métamorphose en papillon. Si la larve est cancérisée, le papillon en est exempté (46).

On peut donc se poser la question de savoir s’il peut exister une analogie entre les hormones de croissance et de mue et les disques imaginaux des insectes et des structures biochimiques qui restent à découvrir si elles existent chez l’homme.

L’hagiologie, hyperbiologie des phénomènes extraordinaires de la vie ascétique et mystique, sérieusement étudiés du point de vue historique et critiques par des auteurs comme Olivier Leroy, montre qu’ils tendent à affranchir la nature humaine des contraintes terrestres, comme par le jeu multistatique d’un complément d’homéostasie, pour une conquête probabiliste de l’autonomie.

L’inédie, la lévitation, la bioluminescence, affranchissent de la faim, de la pesanteur, de l’obscurité.

Ces charismes exceptionnels ne sont-ils pas des indicateurs de ce que pourraient être des mutations, dans un lointain avenir, au sein du genre humain évoluant vers le «point oméga» de Pierre Teilhard de Chardin? Suivant le modèle de la transfiguration, de la résurrection et de l’ascension-assomption, les Mystiques ne sont-ils pas à l’avant-garde des Mécaniciens sur le chemin d’un au-delà du mur de la lumière, dans cet univers que Bergson qualifiait de «machine à faire des dieux»?

Les guérisons miraculeuses, tout comme les conversions instantanées, se caractérisent par leur instantanéité, leur totalité, leur irréversibilité, transgressant ainsi les contraintes habituelles du temps, de l’espace et du mouvement.

Elles se présentent ainsi à contre-courant de la pathologie, de la destruction, de la mort. Souvent suivies de fringale, elles ne s’accompagnent pas d’essoufflement, et certaines d’entre elles paraissent privilégier la restauration de la fonction plutôt que celle de l’organe.

Ces miracles sont souvent attribués à l’intercession de saints défunts. Les catholiques en demandent deux avant de procéder à leur béatification et canonisation comme preuves d’une information, d’une communication et d’une action venues de l’au-delà.



BIBLIOGRAPHIE



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·  Id. pp. 1241-1242.

8

·  Id. p. 1243.

9

·  LARCHER Hubert, «Introduction à l’anthropodynamique de la mort», Revue métapsychique, 1979-1980, n°26-27, pp. 10 à 12.

10

·  GAULTIER A., Bulletin de l’Université de l’Aurore, Tome V, n°2, 1944.

11

·  C’est moi qui souligne.

12

·  Cité par M. Rouvière dans Vie et finalité, Paris, Masson 1947, 2nde édition, page 19, note 2.

13

·  BACON de VERULAM Francis, Historia vitae et mortis, London, For Haviland 1622, in 8.

14

·  Encyclopédie thématique Encyclopaedia Universalis 2004, tome I, page 556.

15

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16

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18

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19

·  LARCHER Hubert, «L’odyssée de la conscience», Bulletin de la Société de Thanatologie, n°50, juillet 1981, pp. 18 à 27.

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22

·  LABORIT Henri, L’hibernation artificielle, Paris, Masson 1954.

23

·  ROCHAS Albert de, La suspension de la vie, Paris, Dorbon-Ainé, 1913, pp. 70-74.

24

·  ROLLAND Romain, Vie de Ramakrishna, Paris, Stock, 1930, pp. 84 à 87.

25

·  Id., page 95, note 1.

26

·  Id., page 255.

27

·  LARCHER Hubert, «De la lumière physique à la lumière spirituelle», In La mort transfigurée, Paris, Belfond, 1992, pp. 449 à 468.

28

·  Témoignage de Mère Catalina, Procès rémissoral de 1610.

29

·  Une Sainte provençale du XIVe siècle, Roseline de Villeneuve, Paris, de Boccard, 2002, page 41.

30

·  Id., pp. 94 à 97, 129,142.

31

·  SACHETTI Franco, Nouvelles choisies, Paris, Liseux 1879, pp. 197-198.

32

·  SAINTYVES Paul, En marge de la légende dorée, Paris, Nourry 1931, page 286.

33

·  CALMET Augustin, Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires ou les revenants de Hongrie, de Moravie, etc… 1751; et Joseph Pariset, Senones, 1759.

34

·  HEIM Burkhard, Postmortale Zustände?, Innsbruck, Resch Verlag, 1980.

35

·  GURNEY, MYERS et PODMORE, Les hallucinations télépathiques, Paris, Alcan, 1914 (traduit et abrégé des Phantasms of the living).

36

·  LEROY Olivier, «Apparitions de sainte Thérèse de Jésus», Revue d’ascétique et de mystique, n°134, avril-juin 1958.

37

·  Homo Sapiens, Paris, Flammarion, 2004, pp. 31 à 49.

38

·  MARC 5, 35-43. LUC 8, 49-55.

39

·  LUC 7, 11-16.

40

·  JEAN 11, 1-44.

41

·  JEAN-PAUL II, La Foi et la Raison, Paris, Centurion, Cerf, Mame, 1998.

42

·  GUITTON Jean, Œuvres complètes, philosophie, Desclée de Brouwers, 1978, pp. 777-812.

43

·  RICHET Charles, Traité de Métapsychique, Paris, Alcan 1922, pp. 2-3.

44

·  «Une synthèse de l’opinion du professeur Richet sur le spiritisme», Revue Métapsychique, 1934, n°2, pp. 129-130.

45

·  LARCHER Hubert, «Psychisme substantiel et corps glorieux», Revue métapsychique, n°19-20, 1974, pp. 61-62. «Essence, Existence, Substance», Les cahiers de Iands-France, n°9, juillet 2001, pp. 10 à 21.

46

·  JOLY Pierre, L’endocrinologie des insectes, Paris, Masson, 1968.



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