(...) J'aimerais beaucoup acquérir des connaissances sur l'Islam par l'intermédiaire de votre journal et en particulier en rapport avec le problème palestinien, comme le Père Hayek m'a permis de le faire dans son dernier article, et aussi le philosophe libanais René Habachi dans les colonnes du « Monde) et dans sa « Lettre aux Intellectuels d'Occident sur Israël > que m'a fait parvenir le G.R.A.P .P .Ainsi des correspondances pourraient s'établir par votre intermédiaire entre Juifs et Musulmans, entre Juifs et Arabes en particulier, ce qui réparerait la rupture entre les deux peuples d' Abraham qu'a provoquée la création de l'Etat d'Israël. Et c'est là un point important: Autant les Arabes s'obstinent à refuser le dialogue avec les Israéliens et les relations avec l'Etat d'Israël, autant ils attendent de renouer avec le peuple juif et de rétablir des relations fraternelles avec lui comme cela a été le cas dans le passé. Car pourquoi veut-on que le peuple juif soit exclusivement représenté par l'Etat d'Israël et les organisations officielles, qui sont financés et qui n'existent que par les capitalistes juifs, en majorité américains. Pourquoi les Juifs qui demeurent pauvres, qui n'ont pas d'argent et d'armes, qui n'exploitent ni n'oppriment ni ne tuent, pourquoi ces Juifs n'ont-ils pas le droit à la parole et à la représentativité, pourquoi les considère-t-on comme s'ils n'existaient pas ? Oui, vous pouvez dire cela aux Chrétiens de l' Amitié judéo-chrétienne, ces flatteurs, ces courtisans des Juifs riches et puissants, qui sont prêts à toutes les complicités,
à approuver et à couvrir tous les crimes de la bourgeoisie et du capitalisme judéo-américain et de l'Etat qu'ils ont fabriqué en Terre Sainte et où ils ont exproprié les pauvres de Dieu; oui, ces faux-chrétiens peuvent s'associer à ces faux-juifs, ils font bon ménage ensemble, les voilà les assassins du Christ de génération en génération. Qui sont les assassins du Christ ? Ceux qui approuvent et se rendent complices de l'assassinat des pauvres. Je vous le répète: en tant que Juif je ne crois pas que Jésus fût personnellement le Messie; mais je crois que Dieu s'incarne en tout pauvre, comme l'enseigne la mystique juive; or Jésus était un pauvre et il a été victime non des Juifs, mais des Riches. Les Juifs riches ont effectivement assassiné le Christ avec les Romains. Ils ont beau acheter des intellectuels et des historiens pour prouver le contraire. L'Etat d'Israël donne la preuve de leur culpabilité en la réactualisant. Mais les Juifs qui, comme moi, s'opposent de toutes leurs forces aux crimes de l'Etat d'Israël et du capitalisme juif sont là pour démontrer que tout le peuple juif n'est pas coupable et que Jésus avait le droit à l'existence parce qu'il était un pauvre, parce qu'il défendait les pauvres, et que les pauvres pouvaient l'adorer et le considérer comme leur Messie, et même comme un lieu de l'incarnation divine.
Jésus ne pose aucun problème pour un Juif pauvre, mais les Juifs riches n'ont évidemment pas la conscience tranquille et on comprend qu'ils ne puissent pas entendre son nom sans trembler ou sans enrager. Pour moi, le problème messianique, c'est celui du pauvre. Le Messie a été ou sera le plus pauvre des hommes. Tout pauvre est donc un peu le Messie, et s'il se proclame comme tel, on ne peut le déclarer et le juger comme un faux-messie. De même tuer un pauvre, c'est tuer un peu le Messie et même Dieu, comme le dit explicitement un enseignement rabbinique: « Dieu éprouve de la douleur toutes les fois qu'un
homme souffre. Quand le sang d'un homme est versé, fût-ce celui d'un impie, la Divinité gémit et montre sa tête et son bras blessés du même trait qui a percé un de ses enfants (Michna Sanhédrin, VI, S).
C'est là encore un point essentiel: le mal fait par l'État d'Israël aux Arabes est relatif, second, et par là même toujours défendable, les Israéliens pourront toujours répondre aux accusations d'inhumanité et se justifier devant l'opinion mondiale; mais le mal causé à la Divinité par la création de l'État d'Israël est absolu, premier. Et c'est parce que les souffrances infligées aux Arabes sont liées aux souffrances infligées à Dieu et les signalent qu'elles nous paraissent insupportables et déchaînent notre passion de la justice. L'État d'Israël, en se déclarant souverain, a détrôné l'Éternel, comme au temps de Samuel, et il a chassé et privé de sa place royale le Roi des rois, comme il a chassé et privé les Arabes de leurs maisons et de leurs terres; et de ce fait l'injustice commise envers les Arabes se confond avec l'injustice perpétrée envers Dieu et acquiert un caractère absolu, transcendant.
En Palestine c'est beaucoup plus grave qu'au Vietnam, car dans ce dernier pays la souveraineté de l'Éternel n'est pas mise en cause par la création d'un État souverain: le peuple vietnamien n'a jamais choisi l'Éternel comme Roi, il ne peut donc le rejeter; que ce soient les Communistes ou les Anticommunistes qui
gagnent, il sera toujours gouverné par des hommes, -et si Dieu est avec les pauvres, faut-il encore que les pauvres soient avec Lui et l'acceptent comme Roi, donc qu'ils refusent les souverainetés humaines et les nationalismes. Et c'est pourquoi, pour moi, le choix est beaucoup plus clair et décisif en Palestine qu'au
Vietnam; je suis certain de ne pas commettre d'erreur et de ne pas regretter plus tard mon engagement: je rejette l'État d'Israël -la souveraineté des hommes -parce que j'ai choisi la souveraineté de l'Éternel, qui seule est juste et peut être une source de bonheur et de paix pour l'humanité. Car, comme l'a si bien dit Nicolas Berdiaeff, Dieu est humain, mais l'homme est inhumain; et tout humanisme athée dégénère toujours et se métamorphose en anti-humanisme. Comme nous le disons dans nos prières juives quotidiennes: « Einn lanou mélé'h goel oumochia éla atta », « Nous n'avons pas d'autre souverain qui délivre et sauve en dehors de Toi, Éternel ». L'État d'Israël, comme tout État, prétend le contraire, il contredit l'Éternel et le nie, c'est pourquoi je ne puis affirmer Dieu et ma foi juive sans lui dire: non !
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