La Rédemption a-t-elle besoin de la
Satisfaction ?
Pensée scholastique et pensée byzantine.
I
Alors que l’idée de « la Justification »
mise en place par les penseurs des mouvements Protestants, ne saurait en toute
légitimité, être admise par l’Eglise Indivise(1), la théorie de la Satisfaction(2)
qui prend sa source chez St Anselme ne saurait davantage répondre au projet
Divin qui veut qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la
connaissance de la vérité (I Tim II, 4).
Il est de « tradition »
de déclarer que la pensée d’Origène sur le Salut considéré comme universel
aurait été condamnée par le cinquième concile, force est de constater que ce
concile d’une part ne promulgua pas de canons, d’autre parts’ il a prononcé des
anathèmes, ils concernent « les Trois Chapitres » et les historiens,
aujourd’hui, reconnaissent qu’il n’y eut pas de débat sur la pensée d’Origène
au sein de ce concile. (3)
Bien que le sujet ne soit pas présentement celui-ci,
ce qui fut principalement mis en cause par la tradition de l’Eglise, c’est ce
que l’on doit nommer « l’origénisme » à savoir la pensée souvent non
fidèle de ceux qui se déclarèrent disciples du maître Alexandrin, et il
convient de ne pas maintenir les confusions habituellement perpétuées sur ce
point. En revanche, ce qui put gêner l’Eglise comme le souligne l’éminent
théologien Jean MEYENDORFF, quand bien même tous les êtres parviendraient ou
parviendront au salut, c’est que «
la raison fondamentale pour laquelle l’apocatastase était considérée comme
incompatible avec la conception chrétienne de la destinée ultime de l’homme était
qu’elle impliquait une restriction radicale de la liberté humaine. » (4)
Avant de revenir plus précisément sur le sujet de
notre méditation, l’explication donnée
par Jean MEYENDORFF mérite plus qu’une citation.
Ce qui est reproché à Origène, n’appartient pas à la
pensée du maître Alexandrin ! Origène déclare : « Nous affirmons, nous, qu'un jour le Logos dominera toute la
nature raisonnable et transformera chaque âme en sa propre perfection, au
moment où chaque individu, n'usant que de sa simple liberté, choisira ce que
veut le Logos et obtiendra l'état qu'il aura choisi. » (5)
Ainsi devons-nous dire notre désaccord avec Jean
MEYENDORFF que nous considérons comme l’un
des meilleurs historiens de la dogmatique byzantine, quant à sa lecture
d’Origène. Si ce Père croit en la restauration finale de la création et des
créatures, il maintient que, la Grâce aidant, c’est librement que l’homme
reviendra à Dieu.
II
La question d’un enfer sans fin s’oppose à l’Amour
de Dieu et s’inscrit sans le principe d’un manichéisme qui est étranger à la
métaphysique chrétienne.
La pensée Byzantine s’est bien gardée pour sa part de
tout développement théologique précis en matière d’eschatologie, considérant à
juste titre que déjà il était possible d’accéder à la déification et que – pour
paraphraser Jean MEYENDORFF – « l’Eglise attend le second avènement du Christ
en puissance comme le triomphe visible de Dieu dans le monde et la
transfiguration finale de la création entière ».
Le père Justin POPOVITCH en sa Philosophie orthodoxe de la vérité (6) en la première partie de sa
présentation de l’eschatologie, se
rapproche considérablement de la théologie latine, sans toutefois user des termes comme « purgatoire » :
cela résulte peut-être de l‘intérêt que
réservait ce théologien, en sa somme, à un discours de St Macaire par lui
rapporté : « Sur les prières
pour les défunts. » (7)
En sa trop
courte étude sur L’eschatologie orthodoxe,
le R.P. TURINCEV, ne manque pas de rappeler à propos de l’enfer :
« La conscience
morale peut admettre l'enfer compris dans le sens d'un état de purification de
l'âme, durable — soit, mais
non perpétuel. Mais voici ce qui compte : l'enfer peut être vaincu, et il est déjà
vaincu. Ceci est l'affirma-lion centrale de notre foi. Croire au Christ, c'est
croire en sa victoire sur
l'enfer. Il est le vainqueur de la mort et de l'enfer. Il est notre libérateur » et précise : « Il
faut ajouter encore que
l'Eglise orthodoxe ignore la distinction latine de l'enfer et du purgatoire. Elle prie
pour tous les morts et n'admet pas qu'il y en ait qui soient dès maintenant damnés pour
toujours. L'existence outre-tombe
n'est que la suite du destin du défunt, avec sa purification et sa libération
progressives, — une guérison, une
maturation et une attente créatrice.» (8)
L’être
peut-il, en pleine connaissance de Dieu, face à Dieu dans la Grâce de Sa
Présence, Le refuser ?
Denys
à l’égard du prétendu mal et des démons précise : « Donc
on ne trouve pas ici un mal absolu, mais un bien imparfait; car ce qui est
entièrement dénué de bien n'existe à aucun titre. Le même raisonnement vaut en
ce qui concerne les facultés et l'action des êtres.
Ensuite, créés par Dieu, comment les démons sont-ils mauvais? Car le bien
ne donne l'être et la subsistance qu'à ce qui est bon. Or, on peut répondre
qu'ils sont nommés mauvais non pas pour ce qu'ils ont, car ils viennent du
bien, et une nature bonne leur fut départie; mais pour ce qui leur manque, car
ils n'ont pas su conserver leur excellence originelle, comme l'enseignent les
Écritures. » (9)
A la question de savoir s’il est des démons qui
soient naturellement mauvais, le Dr angélique répond en conclusion : « Les démons ayant de l’inclination pour
le bien général, ne peuvent être naturellement mauvais. » (10).
La question du salut des démons n’est pas
présentement la discussion posée, qu’il nous soit seulement permis de signaler
ici que le manichéisme tel que suggéré par une certaine compréhension de la
Doctrine s’oppose en fait à la pensée des Pères et des Théologiens présentement
rapidement évoqués.
En conclusion, le R.P.
TURINCEV, rapportait en son bel article ce
témoignage : « Un saint moine du Mont Athos, un storetz qui fut presque notre contemporain, écrit ce
qui suit, en s'adressant à
chaque chrétien : « Quand le Seigneur t'aura sauvé avec toute la multitude de tes
frères, et quand il ne resterait
qu'un seul des ennemis du Christ et de l'Eglise dans les ténèbres extérieures, ne te
mettras-tu pas avec tous les
autres à implorer le Seigneur afin que soit sauvé cet unique frère non repenti ? Si tu
ne le supplies pas jour et
nuit, alors ton cœur est de fer, — mais on n'a pas besoin de fer au paradis. »
Jean6Pierre BONNEROT
L’œcuménisme permet-il à Rome de privilégier des
thèses qui lui sont étrangères fut-ce pour des motifs de diplomatie ?
2 Anselme de Cantorbery : Pourquoi Dieu s’est fait homme Paris, Cerf Ed 1963, coll. SC, Cf. notamment : I, 12
et I, 19, pages 267 ss ; 311 ss.
3 Nous préparons, avec les encouragements du
professeur G. PAPATHOMAS, une édition de l’ensemble des canons de l’Eglise
Byzantine. Relativement à la prétendue condamnation
d’Origène dans le cadre du V° concile, l’imprécision demeure, comme le soulignait déjà Dom LECLERC en son Histoire des conciles, Paris 1909,
Letouzey et Ané Ed, tome 3, 1° partie, pages 121 à 123.
4 Jean MEYENDORFF : Initiation à la théologie byzantine, Paris, Cerf Ed, 1975, page
295. Je profite de la circonstance pour signaler la nouvelle édition tant
attendue de cet ouvrage fondamental pour qui souhaite approcher et comprendre
la pensée de l’Orient Chrétien.
5 ORIGNE : Contre Celse, VIII, 72 ; Paris Cerf Ed 1969. Coll. SC, tome 4, page 341. Relativement à l’apocatastase, telle que
toujours présentée chez Origène, je remercie les curieux, chercheurs et
érudits, de rapporter des références précises chez ce Père, confirmant la thèse
d’un salut universel se dispensant de la volonté (liberté) humaine.
6 Père Justin POPOVITCH : Philosophie orthodoxe de la vérité, Lausanne, L’Age d’Homme Ed, 1997
tome 5, pages 363 à 436, plus particulièrement, pp 363-383 .
7 Id, tome 5, pages 376, 377, PG (en fait Gréco-Latine
selon le Catalogue général des œuvres éditées
de l’abbé Migne), PG 34 385-391.
8 R.P. Alexandre TURINCEV : L’eschatologie orthodoxe, CONTACTS
(revue), N° 54, 2° trimestre 1966, page 101
9 Denys l’Aréopagite : Des noms divins, IV, 23, nombreuses éd. Pour
plus de facilités, http://jesusmarie.free.fr/denis_areopagite_oeuvres.pdf
10 Thomas d’Aquin Somme Théologique, Qu. 68. De
la malice des anges, art. 4. Nous suivons la 1ère trad. française,
donnée par l’abbé Drioux, Paris Belin Ed,
1851, tome 1, page 543.
11 R.P. Alexandre TURINCEV : op. cité, page 103
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