septembre 05, 2011

A propos des notions de Purgatoire et d’Enfer


La Rédemption a-t-elle besoin de la Satisfaction ?

Pensée scholastique et pensée byzantine.

 Un article du site catholique sinon  « intégriste » du moins très  traditionaliste » sur l’idée selon laquelle l’enfer est éternel : http://lebloglaquestion.wordpress.com/2011/05/31/l%E2%80%99enfer-est-eternel/  nous engage à réfléchir sur le bien-fondé d’une pensée aussi manichéenne,  au sein du Christianisme.

I

Alors que l’idée de « la Justification » mise en place par les penseurs des mouvements Protestants, ne saurait en toute légitimité, être admise par l’Eglise Indivise(1), la théorie de la Satisfaction(2) qui prend sa source chez St Anselme ne saurait davantage répondre au projet Divin qui veut qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (I Tim II, 4).

Il est de  « tradition » de déclarer que la pensée d’Origène sur le Salut considéré comme universel aurait été condamnée par le cinquième concile, force est de constater que ce concile d’une part ne promulgua pas de canons, d’autre parts’ il a prononcé des anathèmes, ils concernent « les Trois Chapitres » et les historiens, aujourd’hui, reconnaissent qu’il n’y eut pas de débat sur la pensée d’Origène au sein de ce concile. (3)

Bien que le sujet ne soit pas présentement celui-ci, ce qui fut principalement mis en cause par la tradition de l’Eglise, c’est ce que l’on doit nommer « l’origénisme » à savoir la pensée souvent non fidèle de ceux qui se déclarèrent disciples du maître Alexandrin, et il convient de ne pas maintenir les confusions habituellement perpétuées sur ce point. En revanche, ce qui put gêner l’Eglise comme le souligne l’éminent théologien Jean MEYENDORFF, quand bien même tous les êtres parviendraient ou parviendront au salut, c’est que «  la raison fondamentale  pour laquelle  l’apocatastase  était considérée comme incompatible avec la conception chrétienne de la destinée ultime de l’homme était qu’elle impliquait une restriction radicale de la liberté humaine. » (4)

Avant de revenir plus précisément sur le sujet de notre méditation,  l’explication donnée par Jean MEYENDORFF mérite plus qu’une citation.

Ce qui est reproché à Origène, n’appartient pas à la pensée du maître Alexandrin !   Origène déclare : « Nous affirmons, nous, qu'un jour le Logos dominera toute la nature raisonnable et transformera chaque âme en sa propre perfection, au moment où chaque individu, n'usant que de sa simple liberté, choisira ce que veut le Logos et obtiendra l'état qu'il aura choisi. » (5)

Ainsi devons-nous dire notre désaccord avec Jean MEYENDORFF que nous considérons comme l’un  des meilleurs historiens de la dogmatique byzantine, quant à sa lecture d’Origène. Si ce Père croit en la restauration finale de la création et des créatures, il maintient que, la Grâce aidant, c’est librement que l’homme reviendra à Dieu.

II

La question d’un enfer sans fin s’oppose à l’Amour de Dieu et s’inscrit sans le principe d’un manichéisme qui est étranger à la métaphysique chrétienne.

La pensée Byzantine s’est bien gardée pour sa part de tout développement théologique précis en matière d’eschatologie, considérant à juste titre que déjà il était possible d’accéder à la déification et que – pour paraphraser Jean MEYENDORFF – «  l’Eglise attend le second avènement du Christ en puissance comme le triomphe visible de Dieu dans le monde et la transfiguration finale de la création entière ». 

Le père Justin POPOVITCH en sa Philosophie orthodoxe de la vérité (6) en la première partie de sa présentation  de l’eschatologie, se rapproche considérablement de la théologie latine, sans toutefois user   des termes comme « purgatoire » : cela résulte  peut-être de l‘intérêt que réservait ce théologien, en sa somme, à un discours de St Macaire par lui rapporté : « Sur les prières pour les défunts. » (7)

En sa trop courte étude sur L’eschatologie orthodoxe, le R.P. TURINCEV, ne manque pas de rappeler à propos  de  l’enfer : « La conscience morale peut admettre l'enfer compris dans le sens d'un état de purification de l'âme, durable — soit, mais non perpétuel. Mais voici ce qui compte : l'enfer peut être vaincu, et il est déjà vaincu. Ceci est l'affirma-lion centrale de notre foi. Croire au Christ, c'est croire en sa victoire sur l'enfer. Il est le vainqueur de la mort et de l'enfer. Il est notre libérateur » et précise : « Il faut ajouter encore que l'Eglise orthodoxe ignore la distinc­tion latine de l'enfer et du purgatoire. Elle prie pour tous les morts et n'admet pas qu'il y en ait qui soient dès maintenant damnés pour toujours. L'existence outre-tombe n'est que la suite du destin du défunt, avec sa puri­fication et sa libération progressives, — une guérison, une maturation et une attente créatrice.» (8)  

 III

L’être peut-il, en pleine connaissance de Dieu, face à Dieu dans la Grâce de Sa Présence, Le refuser ?

Denys à l’égard du prétendu mal et des démons précise : « Donc on ne trouve pas ici un mal absolu, mais un bien imparfait; car ce qui est entièrement dénué de bien n'existe à aucun titre. Le même raisonnement vaut en ce qui concerne les facultés et l'action des êtres.

Ensuite, créés par Dieu, comment les démons sont-ils mauvais? Car le bien ne donne l'être et la subsistance qu'à ce qui est bon. Or, on peut répondre qu'ils sont nommés mauvais non pas pour ce qu'ils ont, car ils viennent du bien, et une nature bonne leur fut départie; mais pour ce qui leur manque, car ils n'ont pas su conserver leur excellence originelle, comme l'enseignent les Écritures. » (9)

A la question de savoir s’il est des démons qui soient naturellement mauvais, le Dr angélique répond en conclusion : « Les démons ayant de l’inclination pour le bien général, ne peuvent être naturellement mauvais. » (10).

La question du salut des démons n’est pas présentement la discussion posée, qu’il nous soit seulement permis de signaler ici que le manichéisme tel que suggéré par une certaine compréhension de la Doctrine s’oppose en fait à la pensée des Pères et des Théologiens présentement rapidement évoqués.

En conclusion, le R.P. TURINCEV,  rapportait en son bel article ce témoignage : « Un saint moine du Mont Athos, un storetz qui fut pres­que notre contemporain, écrit ce qui suit, en s'adressant à chaque chrétien : « Quand le Seigneur t'aura sauvé avec toute la multitude de tes frères, et quand il ne res­terait qu'un seul des ennemis du Christ et de l'Eglise dans les ténèbres extérieures, ne te mettras-tu pas avec tous les autres à implorer le Seigneur afin que soit sauvé cet unique frère non repenti ? Si tu ne le supplies pas jour et nuit, alors ton cœur est de fer, — mais on n'a pas besoin de fer au paradis. »



Jean6Pierre BONNEROT

 ------Notes


L’œcuménisme permet-il à Rome de privilégier des thèses qui lui sont étrangères fut-ce pour des motifs de diplomatie ?

2 Anselme de Cantorbery : Pourquoi Dieu s’est fait homme Paris, Cerf  Ed 1963, coll. SC, Cf. notamment : I, 12 et I, 19, pages  267 ss ; 311 ss.

3 Nous préparons, avec les encouragements du professeur G. PAPATHOMAS, une édition de l’ensemble des canons de l’Eglise Byzantine. Relativement à la  prétendue condamnation d’Origène dans le cadre du V° concile, l’imprécision  demeure, comme le soulignait déjà Dom  LECLERC en son Histoire des conciles, Paris 1909,  Letouzey et Ané Ed, tome 3, 1° partie, pages 121 à 123.

4 Jean MEYENDORFF : Initiation à la théologie byzantine, Paris, Cerf Ed, 1975, page 295. Je profite de la circonstance pour signaler la nouvelle édition tant attendue de cet ouvrage fondamental pour qui souhaite approcher et comprendre la pensée de l’Orient Chrétien.

5 ORIGNE : Contre  Celse, VIII, 72 ; Paris Cerf  Ed 1969. Coll. SC, tome 4, page 341.  Relativement à l’apocatastase, telle que toujours présentée chez Origène, je remercie les curieux, chercheurs et érudits, de rapporter des références précises chez ce Père, confirmant la thèse d’un salut universel se dispensant de la volonté (liberté) humaine.

6 Père Justin POPOVITCH : Philosophie orthodoxe de la vérité, Lausanne, L’Age d’Homme Ed, 1997 tome 5, pages 363 à 436, plus particulièrement, pp 363-383 . 

7 Id, tome 5, pages 376, 377, PG (en fait Gréco-Latine selon le Catalogue général des œuvres éditées de l’abbé Migne), PG 34 385-391.

8 R.P. Alexandre TURINCEV : L’eschatologie orthodoxe, CONTACTS (revue), N° 54, 2° trimestre 1966, page 101

9 Denys l’Aréopagite : Des noms divins, IV, 23, nombreuses éd. Pour plus de facilités, http://jesusmarie.free.fr/denis_areopagite_oeuvres.pdf

10 Thomas d’Aquin Somme Théologique, Qu. 68. De la malice des anges, art. 4. Nous suivons la 1ère trad. française, donnée par l’abbé Drioux,  Paris Belin Ed, 1851, tome 1, page 543.

11 R.P. Alexandre TURINCEV : op. cité, page 103

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