Second
Catholic-Orthodox Forum
Rhodes,
Greece, 18-22 October 2010
Introduction of Cardinal Péter Erdő, Archbishop
of Esztergom-Budapest and CCEE President
Le rapport
entre l’Eglise et l’Etat dans la théologie de l’Eglise Catholique
1. Remarques préliminaires
C’est un très grand honneur et une
belle occasion pour moi de pouvoir parler ici sur le point de vue catholique
dans la question des relations entre l’Eglise et l’Etat. Les différentes
Eglises chrétiennes et les communautés ecclésiales ont des points de vue
ecclésiologiques différents. C’est aussi en partie pourquoi elles ont des
convictions théologiques différentes pour ce qui a trait au rapport idéal entre
l’Eglise et l’état. Les différences remontent aussi à des circonstances
historiques et historico-culturelles. La représentation parallèle de ces points
de vue peut être utile tant pour le dialogue œcuménique que pour la
collaboration chrétienne pratique dans l’organisation des rapports aux
différents états à l’intérieur du procès d’intégration des peuples européens.
La doctrine catholique sur l’Etat et l’Eglise prend
racine dans la tradition apostolique elle-même qui se traduit d’une part dans
les livres du Nouveau Testament mais que l’on peut d’autre part reconnaître
dans d’autres sources de la sainte Tradition, sous la guidance du magistère de
l’Eglise. En même temps, il faut se rappeler du fait que, dans l’histoire,
certains concepts et formes d’expression de cet enseignement ont été marqués
par les circonstances politiques et culturelles dans lesquelles l’Eglise
occidentale a vécu.
2. Les
fondements ecclésiologiques et de l’histoire des idées
a. L’idée de l’Israël nouveau
La première forme historique démontrable de la
conscience de soi collective de la communauté chrétienne était la conviction que
les chrétiens sont le vrai peuple de Dieu, l’Israël véritable. Dans la
fondation de ce peuple, une donnée nouvelle et toute particulière a agi :
l’œuvre de rédemption du Christ. L’Eglise est un peuple qui a été racheté au
prix de son sang (cf. Ap 5,9). L’idée de la nouvelle alliance est liée à celle
du peuple de Dieu de telle manière que le concept du nouveau peuple de Dieu aussi apparaît nécessairement. L’Eglise des
premiers temps s’est comprise comme l’accomplissement d’Israël, comme l’Israël
nouveau et véritable.
Le Deutéronome a déjà élaboré la
théologie et la terminologie du peuple de Dieu. C’est par amour que Dieu a élu
sien un petit peuple parmi les grands (cf. Dt 7,6). Les livres prophétiques
développent aussi l’aspect eschatologique du concept du peuple de Dieu. Après
chaque infidélité du peuple et toutes les punitions divines, Dieu veut rétablir
l’alliance avec son peuple de manière définitive en concluant avec lui une
alliance nouvelle et éternelle (cf. ex. Jér 32,36-44). Les premiers chrétiens
ont identifié l’Eglise avec ce peuple de Dieu renouvelé dans l’alliance
eschatologique. Cela ressort très clairement dans la première lettre de Saint
Pierre, par exemple (1 P 2, 9 ; cf. Is 43,20s. ; Ex 19,6 ; voir aussi
2 Co 6,16 ; Hébr 8,10).
Mais qu’a-t-on entendu par Israël et
par peuple de Dieu à l’époque des premiers chrétiens? La structure de
droit positif et institutionnelle d’Israël s’est développée dans une direction
toute particulière après l’époque babylonienne. Vers la fin du 5e
siècle avant Jésus Christ, lorsque Néhémie était administrateur de la Judée ou
peu de temps après, lorsqu’Esra était en fonction, Israël était de loin plus
répandu que seulement dans la province de Judée. Les descendants des tribus
juives vivaient aussi dans les provinces voisines et dans la diaspora. Ils ont
continué à se considérer comme des membres de la communauté d’Israël et de la
communauté de culte de Jérusalem. Quand Esra
« a introduit la loi » (cf. Esra 7, 12-26), la sainte loi ne s’est
pas seulement référée à la Judée mais aussi à toute la communauté d’Israël.
Certes, la Judée était soumise au royaume des Perses, mais les Israélites ont
constitué une communauté nationale reconnue qui pouvait régler les affaires
internes selon les lois de leur Dieu. Le peuple a accepté la loi (probablement
toute la Torah) dans une alliance solennelle devant le Seigneur. Cette loi
devient ainsi « la constitution » de la communauté nationale. Ainsi,
Israël est passé de l’existence nationale (politique) à la façon de vivre d’une
communauté nationale déterminée religieusement, une « Eglise ».
Il y a une analogie concrète entre le
christianisme des premiers temps et le peuple d’Israël. L’Eglise était
constituée d’églises locales qui, au-delà de la foi identique et de la
solidarité spirituelle et sociale, étaient unies dans la conviction que les
chrétiens appartiennent à une seule nation sainte. Cela signifiait dès le début
une unité organisatrice. Déjà le mot grec ekklesia, dans l’usage linguistique chrétien,
voulait dire plus que seulement la communauté locale. Dans le Deutéronome, ekklesia kyriou voulait déjà dire peuple
élu comme unité, qui a conclu l’alliance avec le Seigneur (cf. Dt 9,10 ;
23,2s.). De même saint Paul utilise l’expression Eglise de Dieu (ekklesia tou theou) pour l’ensemble de
l’Eglise ou pour l’Eglise dans son ensemble.
L’utilisation systématique de
l’enseignement de la foi à propos de la réalité de l’Eglise se développe
cependant seulement à partir du 3e siècle.
Le fait que les chrétiens se sont
reconnus comme peuple de Dieu souverain a aussi influencé leur vision sur le
droit et la discipline de leur communauté. Dans l’Eglise des premiers temps, on
peut identifier un groupe de normes fondamentales et d’éléments de structure
qui appartiennent au noyau de la tradition apostolique, ainsi que d’autres
normes apparues dans l’utilisation de cette Tradition.
Les chrétiens des premiers siècles ont
eu un rapport ambivalent vis-à-vis du droit romain. Plus tard, un
enrichissement réciproque entre le christianisme et le droit romain a eu lieu.
Suite à cela (surtout après le 3e siècle), l’Eglise a réglé sa vie
de plus en plus par des normes qui, aussi selon la conception romaine, étaient
de nature juridique (canons et plus tard décrétales).
Les chrétiens se sont déclarés vrai peuple
de Dieu. Conformément à cela, ils ont conçu leur communauté en tant qu’Eglise,
comme unité organisée aussi socialement et significative sur le plan de
l’histoire du salut. Les fondements institutionnels de leur organisation
(finalités, structures de base) et ainsi de leur droit étaient déterminés par
la mission et la Tradition apostolique qui remonte à la personne du Christ.
Cette partie de leurs normes peut être qualifiée comme étant sainte, divine,
constitutionnelle et juridique. En tout
cas, l’idée de l’Israël nouveau a justifié la prétention à la souveraineté de
l’Eglise.
b. Le rapport à l’état païen dans
l’enseignement des pères de l’Eglise
Déjà les juifs, au temps de l’exil babylonien, ont
souvent vécu sous domination païenne et ont développé certaines pratiques de
discernement quant à la religion et la politique. Vu que les formes de vie des
chrétiens dans l’empire romain étaient semblables au début, il n’est pas rare
qu’ils ont continué à considérer ces principes
de comportement comme valables. Ils ont reconnu les pouvoirs publics comme
légitimes (Dan 2 ; cf. Jn 19,11 ; Rom 13,1-7 ; Tit 3,1-3 ;
1 Tim 2,1-2 ; 1 P 11,13-17). En même temps, ils étaient prêts à conserver
leur autonomie religieuse même au prix de la persécution (Dan 3 ; cf. Ap
13,1-18 ; Mt 10,17 ; Ap 4,1-22 ; 5,21-42 ; 7,54-60 ;
8,1). Pour cela, ils ont gardé l’exemple de Jésus lui-même devant les yeux (Jn
18,28-19, 16). Déjà dans l’enseignement du Christ, on voit la tension de la
distinction entre le domaine spirituel et mondain. « Rendez à César
ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22,15-2 ; Mc
12,13-17 ; Lc 20,20-26), nous dit l’Evangile. En tout cas pour les
chrétiens le problème de la délimitation des deux domaines se présentait. Jésus
lui-même a refusé la compétence dans les choses du monde comme la répartition
des héritages (Lc 12,13-14). Les chrétiens ont insisté sur le fait que, dans un
sens eschatologique, le royaume du Christ n’est pas de ce monde (cf. Jn
18,36-37) et affirmé que leur cité est dans les cieux (Phil 3,20-21).
Pour l’essentiel, les passages du
nouveau Testament témoignent que les premiers chrétiens ont reconnu les droits
des services publics de la res publica,
mais seulement dans le cadre d’une hiérarchie des valeurs : l’autorité
terrestre doit obéir à Dieu (cf. Rm 13,4). Cette vision a bien sûr repoussé les
anciennes mœurs religieuses et sociales et nié le caractère saint de la civitas mondaine. Les apologètes du
second et troisième siècle partageaient presque tous cette opinion.
Cette attitude des chrétiens a provoqué
une réaction très négative du côté des contemporains païens. On a reproché aux
chrétiens l’anarchie, l’irréligiosité, l’irrationalité et la superstition.
Après le tournant constantinien (313), certains écrivains chrétiens ont commencé
à considérer l’empire romain en voie de christianisation comme image de la
société chrétienne céleste et en même temps de l’Eglise pèlerine sur terre.
L’empire apparaît dans ce contexte comme règne du Christ sur terre et comme
Eglise déjà répandue universellement en tant que Ecclesia universalis. Les deux grandeurs semblent former une unité
essentielle où la distinction des charges des évêques dans le domaine religieux
et de l’administration publique dans le domaine mondain est maintenue. Dans
cette théorie, l’empereur serait aussi responsable pour le soin de l’Eglise.
Cette vision de l’état et de l’Eglise a été plus tard accentuée plus fortement
en Orient et imposée de manière radicale par l’empereur Justinien (527-565).
Déjà au 4e siècle, des voix s’élèvent dans le domaine chrétien,
d’après lesquelles l’empereur ne doit jamais confondre les choses terrestres et
celles de l’Eglise. Saint Athanase, Hilaire de Poitiers et saint Basile le
Grand, mais surtout saint Ambroise de Milan insistent sur le fait que ce sont
les évêques qui doivent juger l’empereur dans les questions de la foi et pas
inversement et que l’Eglise ne peut pas se soumettre à l’Etat (à la res publica). Cette direction
prédominante mais pas exclusive qui exige l’indépendance de l’Eglise dans ses
propres tâches et plus tard aussi la soumission des souverains du monde à
l’Eglise dans les questions spirituelles, rejette toujours plus clairement les
principes Eusébiens. C’est dans ce sens que l’on peut expliquer les prises de
position célèbres du pape Félix II (483-492) et Gélasius (492-496). Au début du
5e siècle, saint Augustin, dans son De civitate Dei, attaque la théologie politique du césaro-papisme.
Cette conception augustinienne a été déterminante pour la chrétienté de
l’Occident. Dans le contexte politique de la chute de l’Empire Romain
d’Occident, la possibilité de confrontation entre le pape et l’empereur allait
de soi. La théorie des deux puissances était alors caractéristique pour la
pensée occidentale, aussi au Moyen Age.
c. Développements au Moyen Age et dans
les Temps Modernes
La distinction entre le domaine religieux et
mondain, déjà clarifiée à la fin de l’Antiquité, fut en partie effacée au début
du Moyen Age sous l’influence de la pensée germanique et réglée seulement à la
suite des conflits de la querelle des Investitures (1075-1122). Cette querelle
n’était cependant pas un combat entre l’Etat et l’Eglise, mais plutôt un combat
de compétence entre le pape et l’empereur en tant qu’autorités suprêmes d’une
seule chrétienté.
Même si l’Eglise a
revendiqué une certaine souveraineté aussi dans les choses du monde, dans le
cadre de la théorie des deux glaives représenté par Boniface VIII dans sa bulle
« Unam Sanctam », cette conception a été exprimée de façon beaucoup
plus nuancée par Francisco Suárez et Roberto Bellarmino. En parlant d’une
« potestas Ecclesiae indirecta in temporalibus », on entend la
possibilité d’une disposition ecclésiale dans les affaires du monde pour le
salut des âmes (« ratione peccati »). Cette possibilité - qui ne
concerne que les tribunaux - existe jusqu’à aujourd’hui. Dans le canon 1401 du Codex Iuris Canonici de 1983, on
lit : « De droit propre et exclusif, l'Église décide :... de la
violation des lois ecclésiastiques et de tous les actes qui ont un caractère de
péché, en ce qui concerne la détermination de la faute et l'infliction de
peines ecclésiastiques ». Pour expliquer correctement le point de vue
ecclésial médiéval, il faut tenir compte du fait que le pouvoir de l’état au
Moyen Age n’était pas sécularisé comme aux Temps Modernes, mais était conçu de
façon sacrale-chrétienne. Un jugement moral avec l’autorité du magistère a
nécessairement eu des conséquences dans le domaine de la vie politique et
juridique.
L’absolutisme et les
Lumières se sont efforcés à soumettre l’Eglise à l’état et ont essayé de
dissoudre l’Eglise dans l’état. Cela a enclenché un processus de réflexion qui
a abouti à la rédaction du premier traité catholique sur le Ius publicum ecclesiasticum.
L’école de Rome du 19e
siècle a continué à développer cette idée fondamentale en parlant de l’Eglise
en tant qu’une société parfaite. Bien sûr cela ne veut pas dire que le visage
terrestre de l’Eglise est sans tache. Cela veut plutôt exprimer la prétention
qu’au plus haut concept de « société » ne correspond pas seulement
l’état souverain, mais aussi nécessairement l’Eglise, de par sa nature
théologique. Cette conception est
exposée par deux grands cardinaux, classiques de la Ius publicum ecclesiasticum : Camillo Tarquini (+1874) et
Felice Cavagnis (+1906). La profondeur théologique de cette tendance n’est pas
seulement à mesurer en ce qu’elle pose les fondements en vue d’intervenir pour
la souveraineté de l’Eglise, et de faire d’elle un sujet de droit
international, mais bien plus aux déclarations théologiques qui apparaissent
plus tard dans l’enseignement du Concile Vatican II et qui auront un accent
particulier. Un des premiers auteurs de l’école de Rome, le cardinal Giovanni
Soglia (+1855) souligne que l’unité indéchirable de l’Eglise visible et
invisible dérive de l’Incarnation du Christ. Le lieu théologique du droit canon
devrait donc être déterminé à partir du dogme de l’Incarnation. En raison de
ces considérations, le cardinal John Henry Newman constate que l’Incarnation
est l’archétype du principe sacramentel. Ce principe correspond au principe de
l’unité entre l’Eglise visible et invisible.
3. L’enseignement de Vatican II
Le Concile Vatican II a certes pris position dans
plusieurs documents sur l’Etat et l’Eglise ; il n’a cependant pas rédigé
de théorie organique de leur rapport. La constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, la constitution pastorale
Gaudium et Spes et la déclaration sur
la liberté religieuse nous donnent toutefois certains éléments qui témoignent
de leur fidélité à l’enseignement catholique traditionnel et qui contiennent
aussi de nouvelles accentuations. Dans l’article 76 de la constitution
pastorale Gaudium et Spes, on insiste
sur le fait que l’Eglise, « en raison de sa charge et de sa compétence, ne
se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun
système politique ». Elle est « à la fois le signe et la sauvegarde
du caractère transcendant de la personne humaine. Sur le terrain qui leur est
propre, la communauté politique et l’Église sont indépendantes l’une de l’autre
et autonomes. Mais toutes deux, quoique à des titres divers, sont au service de
la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. Elles exerceront d’autant
plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles rechercheront
davantage entre elles une saine coopération ». L’Eglise ne place pas
« son espoir dans les privilèges offerts par le pouvoir civil ».
« Mais il est juste qu’elle puisse partout et toujours prêcher la foi avec
une authentique liberté, enseigner sa doctrine sociale, accomplir sans entraves
sa mission parmi les hommes, porter un jugement moral, même en des matières qui
touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou
le salut des âmes l’exigent ». Cet enseignement se retrouve également dans
le Codex Iuris Canonici où l’on
constate que c’est du devoir et du droit inné de l’Eglise, « indépendant
de tout pouvoir humain », que de « prêcher l'Évangile à toutes les
nations, en utilisant aussi les moyens de communication sociale qui lui soient
propres » (c. 747,1). « Il appartient à l'Église d'annoncer en tout
temps et en tout lieu les principes de la morale, même en ce qui concerne
l'ordre social, ainsi que de porter un jugement sur toute réalité humaine, dans
la mesure où l'exigent les droits fondamentaux de la personne humaine ou le
salut des âmes » (c. 747,2).
Le nouvel accent du
Concile réside particulièrement dans la reconnaissance du caractère neutre de
l’état sur le plan religieux et de la liberté religieuse. D’après cette
position catholique, l’Eglise est – comme elle l’a toujours été – une
communauté de foi, de salut et de droit. C’est là l’essence de l’enseignement
catholique traditionnel sur l’unité, la visibilité et la sacramentalité
salvifique de l’Eglise. L’Eglise et l’Etat sont deux grandeurs distinctes, et
ce tant selon leur origine et but, que d’après leur essence. Les deux sont
autonomes et indépendants l’un de l’autre. Cette idée était déjà exprimée dans
l’enseignement de la Societas perfecta, qui était encore soutenue explicitement
par Paul VI, de manière particulière dans son Motu proprio Sollicitudo omnium Ecclesiarum sur les charges des légats du pape.
La liberté religieuse doit être garantie par l’Etat en raison de la dignité
humaine. Les conventions entre l’Etat et l’Eglise sont toujours considérées
comme un moyen approprié de régulation des relations et de la collaboration.
4. Liberté
religieuse dans l’Etat et fidélité à la foi orthodoxe dans l’Eglise – une
distinction naturelle
Le Concile Vatican II a solennellement déclaré
intervenir pour la liberté religieuse, non pas parce qu’il rejette la
signification et le contenu objectif de toutes les religions et convictions,
mais parce qu’il s’incline devant la liberté donnée par Dieu et la dignité de
la personne humaine. La déclaration du Concile « Dignitatis humanae » est le document principal dans
lequel l’enseignement sur la liberté religieuse se trouve. La déclaration du
Concile essaie de répondre à deux questions essentielles, liées entre elles. La
première est la question de la liberté de la décision de conscience sur la
vérité fondamentale de la religion. La deuxième est celle de la pratique libre
de la religion dans la société.
Le fait que le thème
de la liberté religieuse apparaisse, est étroitement lié à la consolidation et
la diffusion du concept des Droits de l’Homme dans les Temps Modernes. Le
document conciliaire mentionné explique de façon explicite : « en
traitant de cette liberté religieuse, le saint Concile entend développer la doctrine
des Souverains Pontifes les plus récents sur les droits inviolables de la
personne humaine et l’ordre juridique de la société » (DH 1,3).
Le Concile parle de la
liberté religieuse comme une valeur que le droit civil doit reconnaître et
estimer (DH 2,2). L’exigence de la liberté religieuse s’adresse donc à l’Etat
et à la société civile. Ces derniers doivent reconnaître ce droit et en
garantir la pratique. Selon l’enseignement du Concile, son fondement est la
nature de l’homme et sa dignité. « Tous les hommes, parce qu’ils sont des
personnes, c’est-à-dire doués de raison et de volonté libre, et, par suite,
pourvus d’une responsabilité personnelle, sont pressés, par leur nature même,
et tenus, par obligation morale, à chercher la vérité, celle tout d’abord qui
concerne la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu’ils la
connaissent et à régler toute leur vie selon les exigences de cette vérité. Or,
à cette obligation, les hommes ne peuvent satisfaire, d’une manière conforme à
leur propre nature, que s’ils jouissent, outre de la liberté psychologique, de
l’exemption de toute contrainte extérieure. Ce n’est donc pas sur une
disposition subjective de la personne, mais sur sa nature même, qu’est fondé le
droit à la liberté religieuse » (DH 2,2).
La justification
donnée par le Concile, la justification par la nature de l’homme, ne coïncide
pas avec la conception des Lumières du droit naturel. Dans l’argumentation du
Concile, le droit dérive en effet du devoir de rechercher et d’accepter la
vérité objective en matière de religion. Cela présuppose d’abord qu’en matière
de religion, il y ait une vérité objective et que, d’autre part, l’être humain
tende, par sa nature, vers cette vérité. Il peut et doit l’atteindre d’une
façon qui corresponde à sa nature de personne. Tout cela requiert une décision
et des actes qui rejoignent sa conscience et ce, indépendamment de toute
pression extérieure. Que l’homme soit un tel être, ne résulte pas simplement
d’un raisonnement logique, mais se laisse aussi reconnaître à la lumière de la
Révélation. C’est pourquoi le Concile met l’accent sur le fait
que « le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la
dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de
Dieu et la raison elle-même » (DH 2,1). Ce principe n’est pas proclamé par
le Concile comme quelque chose d’absolument nouveau, mais renvoie à
l’encyclique « Pacem in
terris » de Jean XXIII et aussi
à des déclarations pontificales plus anciennes, en particulier à l’encyclique « Libertas praestantissimum »
de Léon XIII, à la lettre circulaire célèbre « Mit brennender Sorge » (Avec une brûlante inquiétude) de Pie XI ainsi qu’au message
radiophonique de Pie XII du 24 décembre 1942.
Ce droit appartient
aux personnes individuelles mais aussi aux communautés religieuses. En accord
avec la déclaration sur la liberté religieuse communautaire dans la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme, sans pour autant la prendre comme point de
départ, le Concile enseigne que le droit à la liberté religieuse revient aussi
à la communauté, et ce, à partir de la conception sur la nature de l’homme et
de la religion à la lumière de la raison et de la Révélation. Il
souligne : « La liberté ou absence de toute contrainte en matière
religieuse qui revient aux individus doit aussi leur être reconnue lorsqu’ils
agissent ensemble. Des communautés religieuses, en effet, sont requises par la
nature sociale tant de l’homme que de la religion elle-même. Dès lors, donc,
que les justes exigences de l’ordre public ne sont pas violées, ces communautés
sont en droit de jouir de cette absence de contrainte afin de pouvoir se régir
selon leurs propres normes, honorer d’un culte public la divinité suprême,
aider leurs membres dans la pratique de leur vie religieuse et les sustenter
par un enseignement, promouvoir enfin les institutions au sein desquelles leurs
membres coopèrent à orienter leur vie propre selon leurs principes
religieux » (DH 4,1-2).
Dans cette description
claire du droit à la liberté religieuse qui revient à la personne individuelle
et, de façon inaliénable, à la communauté, il faut mettre en évidence deux
éléments. Le premier est le droit de la communauté religieuse à l’exercice
public de son culte. Cela ne veut pas seulement dire liberté de culte. Le mot « public »
signifie, d’après le contexte de la Déclaration du Concile,
« officiel ». Comme le Concile a enseigné dans sa constitution
« Sacrosanctum Concilium »
(SC 7), ce sont le Christ et l’Eglise toute entière qui exercent le culte
intégral. Ce caractère communautaire et officiel consiste en ceci que, dans la
célébration liturgique, le Corps Mystique du Christ offre au Père le culte qui
Lui est dû. C’est pour cela que le Concile distingue le caractère officiel
(« publicus », public) du caractère privé (SC 13,2 ; 26 ;
41-42 ; cf. c. 872). Il enseigne : « Les actions liturgiques ne
sont pas des actions privées, mais des célébrations de l’Église, qui est ‘le
sacrement de l’unité’, c’est-à-dire le peuple saint réuni et organisé sous
l’autorité des évêques » (SC 26,1).
L’autre élément digne de considération dans la
déclaration citée de « Dignitatis humanae » (4, 1-2) est que le droit
à la liberté religieuse pour la communauté religieuse réside aussi dans la
compétence de suivre ses propres règles. Cela exclut que l’identité, les
fonctions principales officielles, la foi et le caractère de la communauté
puissent être tributaires de modes de comportement individuels arbitraires.
Le Concile et le nouveau Droit Canonique accordent
non seulement une attention particulière à l’Eglise, qui proclame la Parole
divine, mais également à ceux à qui elle s’adresse. Chaque homme est tenu de
rechercher la vérité sur Dieu et son Eglise. Après l’avoir reconnue, il est
obligé à accepter l’Evangile et l’Eglise véritable et à se tenir à la vérité
reconnue (c. 748, 1 ; LG 16 ; DH 1).
Bien que l’acceptation
de la foi doive se faire librement, une fois qu’elle a été acceptée, ce n’est
plus une option facultative que de garder la foi catholique, mais cela devient
une obligation morale objective qui est aussi stipulée juridiquement dans la
communauté ecclésiale. L’ancienne tradition chrétienne est formulée de façon
classique par Tertullien : « il faut chercher l’enseignement du
Christ jusqu’à ce que nous le trouvions, c’est-à-dire jusqu’à ce que nous le
découvrions ». Il faut toutefois faire la distinction entre liberté de
conscience et liberté religieuse d’une part, choses qui reviennent à l’homme
sur base de sa dignité personnelle, et d’autre part les droits et les devoirs
qui reviennent au croyant en tant que tel à l’intérieur de l’Eglise. Celui qui
est devenu un membre du Corps du Christ participe à la triple mission du
Christ. Il a reçu tant l’invitation à participer à la mission confiée à
l’Eglise, que le droit à ce qu’exige la mission. En revanche, comme croyant à
l’intérieur du peuple de Dieu, il ne peut pas avoir le droit à ce qui
contredise cette mission, c’est-à-dire à abandonner la foi et à se séparer de
la communion de l’Eglise. Oui, c’est un devoir fondamental des croyants (cf. LG
11-13 ; 23 ; 32 ; GS 1 ; c. 209,1) que de rester toujours
en communion avec l’Eglise. C’est la conséquence de la libre décision de
l’homme qui a accepté la foi et la communauté ecclésiale.
Il ne peut y en aller
autrement, sinon l’Eglise ne pourrait plus accomplir sa mission, donner un
témoignage crédible. Elle ne pourrait plus maintenir son identité et exercer sa
fonction sacramentelle.
Une liberté religieuse
et de confession théoriquement illimitée à l’intérieur de l’Eglise serait en
pleine contradiction avec son essence, car l’Eglise est le peuple qui est aussi
uni par la même profession de foi.
5. Résumé
Selon l’enseignement catholique, à l’Eglise revient
non seulement une autonomie limitée dans l’état, mais aussi une souveraineté
dans son propre domaine. C’est une conséquence de sa fondation par le Christ,
de son caractère de peuple de Dieu. En outre cela est confirmé par l’histoire
de l’Eglise des premiers siècles. A cette époque, l’Eglise n’était pas du tout
un élément constitutif d’une structure juridique publique d’un état
quelconque ; elle était en fait absolument ignorée et même persécutée.
Après la sécularisation de l’Etat dans les Temps Modernes, il semble être
extrêmement dangereux pour la liberté et l’identité de l’Eglise d’être traitée
à l’intérieur de l’Etat comme une structure de droit public de l’Etat. La
séparation pacifique de l’Etat et
la coopération sur un pied d’égalité avec lui peuvent correspondre au mieux à
la nature théologique de l’Eglise.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire