août 04, 2009

CELLE QUI JOUAIT LA DEMENCE

XXXIV - CELLE QUI JOUAIT LA DEMENCE [1] En ce monastère fut une autre vierge qui jouait la folie et le démon. Et on la détesta au point de ne pas même manger avec elle, elle ayant préféré cela. Errant donc à travers la cuisine, elle faisait toute sorte de service et elle était certes, comme on dit, l'éponge du monastère, accomplissant en fait ce qui est écrit : « Si quelqu'un juge à propos d'être sage parmi nous en cette vie, qu'il devienne insensé pour devenir sage » (I Cor. 3, 8). Elle, après s'être attaché des haillons sur la tête — car toutes les autres sont tondues et ont des cuculles, — elle était ainsi en faisant le service. [2] Aucune des quatre cents ne la vit en train de manger pendant les années de sa vie. Elle ne s'assit pas à table, elle ne reçut pas un fragment de pain, mais épongeant les miettes des tables et relavant les marmites, elle s'en contentait. Elle n'outragea jamais personne, elle ne murmura point, elle ne parla ni peu ni beaucoup, bien qu'elle fût frappée à coups de poing, outragée, chargée d'imprécations et exécrée. [3] Cela étant, un ange se présenta au saint Pitéroum, 231 anachorète établi en Porphyrite, homme qui avait fait ses preuves, et il lui dit : « Pourquoi as-tu une grande opinion de toi-même. En tant que religieux et établi dans ce lieu? Veux-tu voir une femme plus religieuse que toi? Va dans le monastère des femmes tabennésiotes, et là, tu en trouveras une ayant un bandeau sur la tête : elle est meilleure que toi. [4] Car tout en combattant contre une foule qui est si grande, elle n'a jamais éloigne de Dieu son cœur. Tandis que toi, établi ici, tu t'égares par la pensée à travers les villes. » Et celui qui n'était jamais sorti s'en alla jusqu'à ce monastère, et il demande aux maîtres de pénétrer dans le monastère des femmes. Eux furent pleins de confiance pour l'introduire, en tant que célèbre et avancé dans la vieillesse. [5] Et étant entré il réclama de les voir toutes. Celle-là ne paraissait pas présente. Enfin il leur dit : « Amenez-les moi toutes, car il en manque encore une autre. » Elles lui disent : « Nous avons à l'intérieur, dans la cuisine, une salé (= idiote) » : car on appelle ainsi les psychopathes. Il leur dit : « Amenez-moi 233 aussi celle-là : laissez que je la voie. » On s'en alla lui parler. Elle n'obéit pas, peut-être pressentant la chose, ou même en ayant eu la révélation. On la traîne de force et on lui dit : « Le saint Pitéroum veut te voir. » Car il était en renom. [6] Elle étant donc venue, il considéra les haillons qui étaient sur son front, et étant tombé à ses pieds, il lui dit : « Bénis-moi. » Pareillement, elle aussi tomba à ses pieds en disant : « Toi. maître, bénis-moi. » Toutes furent hors d'elles et elles lui disent à lui : « Abbé, ne sois pas affecté de l'outrage : c'est une salé (idiote). » Pitéroum leur dit à toutes : « C'est vous qui êtes des salé (idiotes). En effet elle est notre amma (mère) à moi et à vous »; car on appelle ainsi celles qui mènent la vie spirituelle. « Et je demande dans mes prières d'être trouvé digne d'elle au jour du jugement. » [7] Ayant entendu cela, elles tombèrent à ses pieds à lui, toutes confessant des choses différentes, l'une comme ayant versé sur elle la lavure de l'écuelle, une autre comme l'ayant broyée de coups de poing, une autre comme lui ayant sinapisé le nez. Et en un mot toutes énoncèrent des outrages différents. Après avoir donc prié pour elles, il s'en alla. Quant à celle-là, peu de jours après, n'ayant pas enduré l'estime et l'honneur de ses sœurs, et accablée par les excuses, elle sortit du monastère; et où elle s'en alla, ou bien où elle s'est plongée, ou bien comment elle a fini ses jours, personne ne l'a su. PALLADIUS : HISTOIRE LAUSIAQUE (VIES D'ASCÈTES ET DE PÈRES DU DÉSERT) Extrait, chapitre 34. TEXTES ET DOCUMENTS pour l'étude historique du christianisme publiés sous la direction de HlPPOLYTE HEMMER ET PAUL LEJAY Texte grec, introduction et traduction française par A. LUCOT AUMÔNIER DES CHARTREUX A DIJON PARIS LIBRAIRIE ALPHONSE PICARD ET FILS 82, rue Bonaparte, 1912

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