Revue Théologique de
Kaslik 1
(2007) 185-217
Charbel ChlÉla
L'EUTHANASIE DANS LE
DÉBAT ÉTHIQUE ET
THÉOLOGIQUE
Introduction
Qui d'entre nous ne souhaite pas «bien
mourir» ? En d'autres termes, qui ne souhaite pas une « euthanasie » ? Mais,
malheureusement, ce terme a pris une connotation négative suscitant des débats
et des réactions dans plusieurs pays du monde. Pourtant, il faut savoir que le
débat sur l'euthanasie occupe la scène depuis longtemps. Il réapparaît de
temps en temps en force pour s'éteindre, au moins en apparence, un moment avant de réapparaître à nouveau. Les parlementaires
des Pays-Bas ont voté, le 10 avril 2001, une loi autorisant l'euthanasie1. Us se vantent d'être le
premier pays au monde à sortir de l'hypocrisie et de la clandestinité et
d'avoir mis le droit en accord avec le fait. Depuis cette décision, des voix
s'élèvent en France et ailleurs pour l'approuver ou la désapprouver. Le comité
consultatif national d'éthique en France considère, dans son rapport de mars
2000, que les positions favorables ou
défavorables à l'euthanasie sont légitimes et respectables, mais
contradictoires et ne mènent qu'à l'impasse2. Il propose
d'en sortir en instituant « l'exception d'euthanasie ». Ce rapport a accéléré
le débat en France.
Dans ce débat qui s'annonce rude, un
discours théologique pourrait apporter une autre compréhension de l'être
humain, une autre conception des valeurs, de la souffrance et de la mort.
L'Église catholique s'est prononcée clairement depuis dans l'encyclique Evangelium
Vitae (1995) où le vénéré pape Jean-Paul II a tiré la sonnette d'alarme sur
la montée de la culture de mort.
Nous nous
concentrerons, dans cet article, sur les situations de fin
* Prof, de théologie morale à la FPT (USEK).
1
Cette loi est entrée en vigueur en 2002.
186
Charbel Chléla
de vie, puisque c'est là que réside le plus l'enjeu
principal en cas de dépénalisation de l'euthanasie. Il y a une fin de vie quand
« la personne soignée est engagée dans
un processus de dépérissement qui la conduira à la mort à plus ou moins brève
échéance... un processus de maladie ou d'affaiblissement dont les moyens
médicaux ne peuvent arrêter la progression, et l 'inéluctabilité de la mort,
même si celle-ci peut encore être retardée pendant des semaines et des mois »'.
Parcours
terminologique
Aujourd'hui règne une grande confusion
autour du terme euthanasie. D'où la nécessité de clarifier la
terminologie, en commençant pas son histoire, son utilisation actuelle et la
définition qui nous paraît la plus adaptée.
Étymologie et historique du terme «
euthanasie »
Connaître l'étymologie et l'évolution
historique de ce terme permet de dissiper
quelques malentendus. Le terme euthanasie du grec euthanatos se
compose du préfixe eu qui se traduit par« bien » et du terme thanatos
qui se traduit par « mort ». 11 s'agit d'une façon heureuse de mourir.
L'étymologie n'avait pas le sens de provoquer la mort, mais de faciliter le passage de la vie à la mort en supprimant,
en partie ou totalement, la souffrance. L'intention ou la finalité
poursuivie n'était pas de provoquer ou de hâter la mort, mais de maintenir
pendant ce difficile passage une qualité de vie acceptable à la personne
mourante.
Le substantif grec euthanasia désignait
toujours dans l'antiquité gréco-romaine un
vécu, une bonne mort, une douce mort. Platon (427-348 av. J.C.)
l'utilise dans La République (III, 410) où il demande qu'on laisse
mourir tous ceux qui ont le corps mal constitué. Certains commentateurs le
rangent parmi les partisans de l'euthanasie sociale. D'autres expliquent ce comportement comme étant un refus de recours déraisonnable
à la médecine, en d'autres termes contre ce que l'on ap-
3 Verspieren Patrick, Le soin des
malades enfin de vie. Aspects éthiques, Centre Sèvres, Paris, 1987, p. 3.
L'euthanasie dans le débat éthique et
théologique 187
pelle aujourd'hui l'acharnement thérapeutique4.
Posidippe (300 av. J.C.) l'utilise pour signifier la mort douce, ou la bonne
mort ; « De tout ce que l'homme désire obtenir, il ne désire rien de mieux
qu'une mort douce» (fragment 19). Cicéron (106 av. J.C), dans une de ses lettres
à Atticus (en latin), utilise ce terme grec dans le sens de mort digne et
glorieuse ; Il lui dit : «Il y a dans ta lettre un passage qui n 'a pas fini
de m'étonner : "bravo, donc, pour ton choix d'une mort douce ! bravo !
Déserte ta patrie ! " Comment ? Je déserterais ma patrie, ou du moins je
te donnerais cette impression, et toi, loin de m'en empêcher, tu
m'approuverais ?» (Livre XVI, 7,3)5. L'historien latin Suétone
(68-120 ap. J.C.) et secrétaire de l'empereur Hadrien décrit la mort « douce »
d'Auguste en disant qu' « // eut une fin douce et telle qu 'il l'avait toujours désirée; car s'il
entendait dire que quelqu 'un fût mort promptement et sans souffrance,
il souhaitait pour lui et pour les
4
Dans
l'Antiquité on parlait plutôt du suicide ; la personne se donnait la mort pour
se libérer de sa souffrance trop grande à supporter. Cette pratique n'était pas
rare, bien qu'elle ait été mal vue dans la tradition religieuse et médicale
(rappelons-nous du serment d'Hippocrate). Dans les dialogues de Platon
(Gorgias 512 a), il est dit que « si quelqu 'un est atteint d'une maladie
incurable, il vaut mieux mourir ». Il est très difficile d'en déduire s'il
s'agit là de l'euthanasie dans le sens actuel, car dans Phédon (62
b-c), il est dit qu' « il n 'est pas permis de nous priver de la vie, à
moins que Dieu ne nous y oblige, car l'homme est la propriété des dieux ».
De même dans les Lois (IX, 873 c), Platon estime qu'il faut appliquer
des peines sévères pour réprimer le
suicide. Mais il le tolère quand il est imposé par la justice (le
suicide d'un criminel) ou par des souffrances aiguës (Lois 854c).
Aris-tote aussi tolère le suicide uniquement dans des cas extrêmes (Ethique
à Nicoma-que (1116 a 12-15), sinon la personne est considérée lâche et
manque de courage. Aristote considère que le suicide est une autodestruction,
une faute contre l'amour de soi (1166 b 11-18). Les philosophes étaient par la
suite partagés entre l'importance de rester en vie pour acquérir la sagesse et
la peur de la souffrance et de la vieillesse. Mais ils étaient attirés par la
pratique du suicide. Plotin refuse d'accélérer la mort bien qu'il justifie le
suicide, par exemple, en cas de menace de la perte de la raison (Ennéade, I,
9). Les auteurs chrétiens étaient influencés par les philosophes de l'Antiquité
et insistaient sur l'interdiction de quitter ce monde sans l'autorisation de
Dieu. De plus, la vie est donnée par Dieu et l'homme ne peut pas en disposer.
La vieillesse est un moment opportun pour enrichir son expérience spirituelle. Supporter avec patience les
épreuves de la vie prépare le chrétien à la vie éternelle auprès de
Dieu. Le christianisme n'a pas cessé d'insister sur l'importance de porter
secours aux personnes souffrantes et abandonnées.
5
Ciceron, Correspondance,
t. 10. texte traduit et
annoté par Jean Beaujeu, Paris, 1991, p. 37.
188
Charbel Chléla
siens une mort semblablement heureuse, qu
'il nommait en grec eutha-nasia
»6. Philon d'Alexandrie utilise euthanasia comme une belle
mort ; Il considère « qu 'une belle vieillesse et une belle mort sont les
plus grands biens de l'homme, alors que la nature n 'a part ni à l'une ni à
l'autre puisqu'elle ne connaît ni la vieillesse ni la mort» ''. Le verbe euthanateô
utilisé surtout par les stoïciens avait le sens de bien mourir, dans la
maîtrise de soi, et si nécessaire par suicide, mais jamais dans le sens de
donner la mort à quelqu'un.
Le terme s'est perdu pour réapparaître au XVIe
siècle avec Thomas More (1478-1534) dans
son livre YUtopie (1516).8 Mais c'est surtout l'homme
d'État et philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626) qui l'utilise en 1605
dans The Advancement ofLearning (du progrès et de la promotion du
savoir) où il écrit : « Les médecins devraient à la fois perfectionner leur
art et apporter secours pour faciliter et adoucir l'agonie et les souffrances de la mort »9. Sa définition définitive a été donnée
dans Instauratio Magna (Première partie, livre IV, chap. 2) en 1623 où il écrit : « L'office du médecin n
'est pas seulement de rétablir la santé, mais aussi d'adoucir les
douleurs et les souffrances attachées aux maladies, et cela non pas seulement
en tant que cet adoucissement de la
douleur considérée comme symptôme périlleux contribue et conduit à la
convalescence, mais encore afin de procurer au malade, lorsqu 'il n 'y a plus d'espérance, une mort douce et
paisible ; car ce n 'est pas la moindre partie du bonheur que cette
euthanasie (qu'Auguste souhaitait si fort pour lui-même), et qu'on observa
aussi au décès d'Antonin-le-Pieux, qui semblait moins mourir que tomber
6
SUETONE, Histoire des douze Césars, t. I, trad.
fr. Maurice Levesque, Paris, 1808, p. 353.
7
PHILON D'Alexendrie,
De sacrificiis Abelis et Caini ; Introduction, traduction et notes par Anita Méasson, Paris, 1966, p. 55
et 157.
8
Thomas
More, L'Utopie, trad. fr.
André Prévost, Paris, 1978, p. 120 : « les Uto-piens affirment d'abord
l'éminente dignité de l'être humain et le caractère transcendant de son
destin. Ils entourent les malades et les vieillards d'une sollicitude qui
témoigne que leur valeur n 'est en rien diminuée par la déchéance physique.
Inversement le suicide est un crime sanctionné de peines infamantes, comme la
privation de la sépulture : il constitue un attentat à la dignité et à la
valeur sacrée de la vie humaine. »
9
Cité par Abiven,
Chardot et FRESCO, Euthanasie. Alternatives et controverses, Presses de la Renaissance, Paris, 2000, p.
22.
L'euthanasie dans le débat éthique et
théologique
189
peu à peu dans un sommeil doux et profond.
(...). Mais de notre temps les médecins semblent se faire une loi d'abandonner
les malades dès qu 'ils sont à l'extrémité ; au lieu qu 'à mon sentiment, s'ils
étaient jaloux de ne point manquer à leur devoir ni par conséquent à
l'humanité, et même d'apprendre leur art plus à fond, ils n 'épargneraient
aucun soin pour aider les agonisants à sortir de ce monde avec plus de douceur
et de facilité. »10
Le texte de Bacon a
été utilisé aussi bien par les partisans que par les détracteurs de l'euthanasie dans son sens actuel. En
fait, le terme utilisé par Bacon signifie le vécu de la personne proche de la
mort, la qualité de ses derniers moments. Il garde le sens connu dans
l'Antiquité. Si on prend en considération le contexte dans lequel fut écrit ce texte, on comprend que Bacon qui
manifeste un intérêt pour le progrès des sciences, se montre critique
envers les médecins. Il leur reproche leur négligence et l'abandon rapide des
malades. Et le texte cité dans cette étude montre la critique de Bacon envers
les médecins qui ne soulagent pas les malades de leur douleur. Il les encourage
à la fois à chercher à soulager les douleurs
afin de transformer les derniers moments de la vie du patient et à lui
assurer un accompagnement spirituel afin qu'il prépare bien son âme. Cette
attention permet au patient, selon Bacon, de s'éteindre d'une manière douce et
paisible. Cette mort, il l'appelle euthanasie. Il encourage toute forme
de soulagement médical, psychologique, affectif et spirituel jusqu'à ce que
vienne la mort.
Ce n'est qu'au XIXe siècle, et
grâce aux apports de la chimie qui a permis à la médecine de disposer de moyens
efficaces pour aider le malade, que commence à apparaître dans les pays
anglo-saxons l'idée d'un acte médical donnant la mort sans souffrance et par
compassion. D'où un passage radical entre un « savoir bien mourir » et un «
savoir quand et comment faire mourir un malade incurable ». Le terme euthanasie
prend alors un deuxième sens, sans pour autant en perdre le premier11. Il ne s'agit pas seulement
de procurer une mort douce, mais
10
Francis
Bacon, Œuvres philosophiques,
morales et politiques, Bureau du Panthéon Littéraire, Paris, 1854, p.
113-114.
11
On
continuait à utiliser les moyens simples : aération de la chambre, position du
malade, présence des proches, recours à des traitements moins lourds, etc..
190 Charbel Chléla
surtout de mettre délibérément fin à
la vie du malade. L'euthanasie est devenue un acte de tuer par compassion. Son sens est devenu
péjoratif à travers les pratiques d'euthanasie eugénique au nom d'une certaine
race pure sous le régime nazi et celles d'euthanasie économique au nom du coût excessif des soins appliqués sur des
personnes âgées, des incurables et des inutiles pour la société comme
c'est le cas en Angleterre et aux États-Unis.
Les définitions des dictionnaires
Le
grand Robert de la langue française garde les deux sens :
- Mort douce et sans souffrance, survenant
naturellement ou grâce à l'emploi de substances calmantes ou stupéfiantes.
- Usage des procédés qui permettent de hâter
ou de provoquer la mort pour délivrer un malade incurable de souffrances extrêmes,
ou pour motif d'ordre éthique12.
Le Petit Larousse le définit comme
l'« acte d'un médecin qui provoque la mort d'un malade incurable pour abréger
ses souffrances ou son agonie, illégal dans la plupart des pays »13.
L'ambivalence de ce terme crée une
certaine confusion. Quel sens faut-il appliquer quand le médecin utilise des
analgésiques dans le but d'adoucir la douleur du patient sachant qu'il prend un
risque faible mais réel pour le malade ? Quel sens faut-il appliquer si on
s'abstient ou on arrête une technique inappropriée à la situation du patient ?
Termes utilisés actuellement : définitions
et distinction
Il est vrai que la confusion des termes
est actuellement liée en partie à l'évolution des moyens de réanimation
permettant de maintenir artificiellement la personne en vie. Il s'agit aussi
des moyens antalgiques qui peuvent provoquer la mort. Pour cela, on a essayé
d'ajouter des adjectifs qualificatifs pour distinguer les différents actes. On
distingue souvent « euthanasie active » et « euthanasie passive » :
12
Voir édition revue par Alain Rey, 1985.
13
Larousse, 1999.
L'euthanasie
dans le débat éthique et théologique 191
a) L'euthanasie active ou l'euthanasie
directe
C'est l'action qui provoque la mort des
incurables pour faire cesser leurs douleurs, soit en administrant un taux
élevé d'analgésiques, soit en procédant à
l'injection de doses létales14. Elle est volontaire lorsqu'elle
est exécutée sur demande du malade ou avec son consentement, ou bien
involontaire lorsqu'elle est pratiquée à l'insu du malade ou sans son
consentement13.
b) L'euthanasie passive ou l'euthanasie
indirecte
Il s'agit soit de
laisser mourir le malade par abstention ou suspension de traitement, jugé disproportionné
entre ses inconvénients pour le malade et les bénéfices escomptés, soit
d'employer des analgésiques susceptibles de calmer la douleur, mais dont les
effets secondaires peuvent entraîner la mort. À noter que l'euthanasie passive
pourrait être également volontaire ou involontaire.
Cette distinction entre « euthanasie
active » et « euthanasie passive » ne
reçoit pas l'unanimité et nous paraît ambiguë. En fait, dans l'euthanasie
active, il y a un acte posé, avec l'intention de donner la mort. L'euthanasie
passive comporte deux attitudes contradictoires : d'une part, l'abstention ou
la cessation de soins, suite à la constatation médicale du caractère inéluctable du processus naturel de la mort et là
nous ne pouvons pas parler d'euthanasie. D'autre part, l'abstention ou la suspension des soins en vue de hâter la mort
et là, il y a une volonté euthanasique.
14
II
s'agit d'un cocktail lytique. Il a été conçu dans les années 50 par les Pr.
Hugue-nard et Laborit pendant la guerre d'Indochine, pour provoquer « une lyse
temporaire » du système nerveux autonome et réduire ainsi, voire supprimer les
effets nocifs de certains chocs particulièrement dans le cas des soldats sur le
front. Ensuite ce coktail fut utilisé en
anesthésie dans le but de prévenir un choc opératoire. Puis il a été utilisé
pour mettre fin à la vie. Car en poursuivant des injections pendant un
temps suffisant et en dose suffisante, il provoque au bout de trois jours une
mort douce. Le cocktail lytique est composé de : Dolosal et de deux psychotropes
: le Largactil et le Phénergan, d'où le nom abrégé : DLP. Il est administré en
général par perfusion. Selon les dosages, il est soit antalgique, soit
anesthési-que, soit létal.
15
L'euthanasie
active peut désigner aussi l'assistance au suicide lorsque le malade se donne
la mort en recourant à l'aide d'un tiers quelconque.
192
Charbel Chléla
À notre avis, cette distinction ne fait qu'amplifier la
confusion. L'acte posé est moralement tout autre selon l'intention de l'agir :
s'agit-il de donner la mort ou de l'adoucir sans la provoquer ? Bien évidemment
il faut rester prudent car les dérives sont faciles. S'ajoute à cette confusion
la question de savoir qui a formulé la demande, qui a l'intention de donner la
mort et qui agit. Pour cela, toutes ces qualifications n'enlèvent pas la
connotation négative qui est actuellement liée à l'euthanasie. Nous préférons
ne pas utiliser ce mot, vu son ambiguïté, nous prenons acte de sa connotation
et nous adoptons la définition donnée par le théologien français Patrick
Verspieren.
Essai de définition
Patrick Verspieren propose une définition qui exclut de son
champ les soins palliatifs et la distinction entre euthanasie active et passive
; « Le terme 'euthanasie ' évoque désormais la responsabilité d'un
professionnel de la santé ou d'un proche dans la mort d'un malade ou d'un
handicapé. Dans une telle perspective, est euthanasique le geste ou l'omission
qui provoque délibérément la mort du patient dans le dessein de mettre fin à
une vie marquée par la souffrance » . L'euthanasie est aussi « tout
comportement suivi d'effet dont l'objectif est de provoquer la mort d'une
personne, pour lui éviter ainsi des souffrances, que la personne l'ait demandée
ou non » .
La Congrégation pour la doctrine de la foi a donné une
définition similaire : l'euthanasie est « une action ou une omission qui, de
soi ou dans l'intention, donne la mort afin de supprimer ainsi toute douleur. »18
Le vénéré Jean-Paul II, dans l'encyclique Évangile de la vie au n° 65,
donne une définition similaire à celle de la Congrégation avec une petite
modification : « une action ou une omission qui, de soi et (au lieu de ou)
dans l'intention, donne la mort afin de supprimer
16
Verspieren Patrick, « Euthanasie », dans Encyclopedia
Universalis, vol. 9, Paris, 1996.
Cette définition est aussi celle des juristes.
17
Verspieren Patrick,
« L'euthanasie : une porte ouverte? », dans Études, janvier 1992, p. 63.
18
Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration sur
l'euthanasie, cité dans Verspieren Patrick, Biologie,
médecine et éthique. Le Centurion, Paris, p. 415.
L'euthanasie
dans le débat éthique et théologique 193
ainsi toute douleur »19.
Dans le Catéchisme de l'Église catholique, on trouve la définition
suivante : « Une action ou une omission qui, de soi ou dans l'intention,
donne la mort afin de supprimer la douleur, constitue un meurtre gravement
contraire à la dignité de la personne humaine et au respect du Dieu vivant,
son Créateur. L'erreur du jugement dans laquelle on peut être tombé de bonne
foi, ne change pas la nature de cet acte meurtrier, toujours à proscrire et à
exclure. »
Pour Verspieren. l'arrêt d'un traitement curatif n'est pas
considéré comme une forme d'euthanasie. Par contre, il refuse l'arrêt de tout
traitement ordinaire21. Rappelons la position de Pie XU qui
fait la distinction entre les moyens ordinaires et les moyens extraordinaires.
Il affirmait en 1957 que : « Le devoir que l'homme a envers lui-même,
envers Dieu, envers la communauté humaine, et le plus souvent envers certaines
personnes déterminées (...) n'oblige habituellement qu'à l'emploi de moyens
ordinaires (suivant les circonstances de personnes, de lieux, d'époques et de
cultures), c'est-à-dire des moyens qui n'imposent aucune charge extraordinaire
pour soi-même ou pour un autre. » 2
Cette même position est réaffirmée en 1980 par la
Congrégation pour la Doctrine de la Foi dans la Déclaration sur
l'euthanasie, mais en remplaçant les catégories « moyens ordinaires » et «
moyens extraordinaires », moins éclairantes en raison de l'imprécision du
terme et de l'évolution rapide de la thérapeutique par « proportionnés » et «
disproportionnés » : « On appréciera les moyens en mettant en rapport le
genre de thérapeutique à utiliser, son degré de complexité ou de risque, son
coût, les possibilités de son emploi, avec le résultat qu 'on peut en attendre,
compte tenu du malade et de ses ressources physiques et morales. »
19
Jean-Paul II, Évangile de la vie, Mame/Plon,
Paris, 1995.
20 Catéchisme de
l'Église catholique, n° 2277, Centurion/Cerf/Fleurus-Mame, Paris, 1998, p. 470.
21
La
distinction entre moyens extraordinaires et moyens ordinaires est relative, car
elle est liée au développement scientifique
et aux moyens disponibles. Il existe des états de vie si détériorés que
même les actes ordinaires sont inappropriés.
22
Pie XII,
Problèmes religieux et moraux de l'analgésie (1957), cité dans Verspieren Patrick, 1987, op. cit., p.
368.
23
CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration
sur l'euthanasie, p. 420.
194
Charbel Chléla
Dans le Catéchisme de l'Église catholique, article
n° 2278, il est affirmé que : « La cessation de procédures médicales
onéreuses, périlleuses, extraordinaires ou disproportionnées avec les
résultats attendus, peut être légitime. C'est le refus de "l'acharnement
thérapeutique ". On ne veut pas ainsi donner la mort ; on accepte de ne
pas pouvoir l'empêcher. Les décisions doivent être prises par le patient s'il
en a la compétence et la capacité, sinon par les ayants droits légaux, en
respectant toujours la volonté raisonnable et les intérêts légitimes du
patient. »
À travers ces moyens ordinaires, c'est la situation du
malade qui est importante. 11 s'agit dans cette distinction de laisser au
malade lui-même la responsabilité de prendre la décision adéquate d'ordre thérapeutique
qui va lui permettre de vivre selon ses capacités. Donc une décision qui
n'écarte pas la qualité de la vie. En d'autres termes, l'acharnement
thérapeutique n'est pas nécessaire pour respecter la vie.
Il y a une sorte de consensus dégagé aujourd'hui sur
l'importance d'éviter l'acharnement thérapeutique déraisonnable25.
Ce qui est demandé en fin de vie, quand tout a été essayé d'une façon
raisonnable, c'est d'ajuster les soins à la réalité du malade afin de diminuer
autant que possible l'angoisse de la mort et d'éviter les déceptions. De plus,
il s'agit d'accepter avec humilité les limites du pouvoir médical et celles de
toute personne humaine.
Mais le père Verspieren ajoute que : « Même ainsi
défini, le terme reste, dans certains cas-frontières, de maniement délicat.
Tout un travail d'analyse des gestes posés et des intentions qui ont guidé
l'action est indispensable pour discerner si ce qui a été appartient au domaine
du soin ou à celui de la recherche d'une mort accélérée. »
En conclusion, nous pouvons dégager les points suivants :
24 Catéchisme de l'Église catholique, n° 2278, Centurion/CerfFleurus-Mame, Paris,
1998, p. 470.
25
Voir
également l'avis n° 26 du Comité consultatif national d'éthique français au
sujet de la proposition de résolution sur l'assistance aux mourants adoptée le
25 avril 1991 au Parlement Européen par la Commission de l'environnement, de la
santé publique et de la protection des
consommateurs, dans Comité consultatif national D'ÉTHIQUE, disponible sur www.ccne.org.
26
Verspieren Patrick,
L'euthanasie : une porte ouverte?, article déjà cité, p. 67.
L'euthanasie dans le débat éthique et
théologique
195
-
La
frontière entre l'euthanasie et l'arrêt du traitement est fine, car il s'agit
dans les deux cas d'un acte volontaire. Mais dans l'arrêt d'un traitement
extraordinaire, le malade meurt de sa maladie
et non du produit toxique. Pour cela, le père Verspieren utilise le terme «
comportement », pour éviter ce piège. De ce fait, l'arrêt d'un
traitement ordinaire pourrait être aussi un acte euthanasique, surtout quand il
s'agit d'une personne inconsciente.
-
Cette
définition exclut désormais l'emploi du terme euthanasie lorsqu'il
s'agit de parler des méthodes modernes de traitement de la douleur qui
prévient la souffrance aiguë d'un malade en fin de vie. Dans certains cas, le
traitement présente certains risques pour le malade, mais il ne s'agit pas
d'une recherche délibérée de la mort du
patient27. Cette définition exclut aussi les décisions
médicales axées non sur la prolongation de la vie, mais sur le respect de la
liberté et de la dignité du malade, sur son
bien-être ou sur le soulagement de sa souffrance. Le malade est libre
de refuser des soins jugés disproportionnés s'il est lucide et responsable. Le
médecin doit en fait respecter sa volonté. Et là, il n'y a aucunement lieu de
parler d'euthanasie. Quand le malade est incapable de prendre une décision, le
médecin n'est pas tenu de le soumettre à toutes les pratiques thérapeutiques
et son abstention n'est pas considérée
comme euthanasique. La mort du malade peut survenir un peu plus tôt,
mais le médecin n'a pas mis délibérément fin à la vie du malade.
-
La
distinction entre l'arrêt de traitement et l'accélération de la mort. Il ne
s'agit pas ici de faire la distinction entre une passivité ou omission et une
action, ou même de chosifier le geste en refusant de les distinguer. Dans les
deux cas, il y a une décision. Le théologien et le bioéthicien Hubert Doucet
trouve que « s'il y a distinction, elle n 'est pas entre agir ou ne pas
agir, mais réside dans la réalité différente de l'agir. »
27
PIE XII,
Problèmes religieux et moraux de l'analgésie, cité dans Verspieren, p. 363.
28
Doucet Hubert,Promesses
du crépuscule. Réflexions sur l'euthanasie et l'aide médicale au suicide, 1998,
p. 139.
196
Charbel Chléla
Quatre éléments caractérisent cette position :
-
La
mort est un événement normal de la vie.
-
L'ambiguïté
morale des techniques de pointe.
-
Les
limites du pouvoir médical sur la vie et la mort.
-
Les
soignants doivent prendre soin du patient en soulageant ses souffrances et en
l'accompagnant dans le respect.
Exception
d'euthanasie
Nous abordons à
présent la notion de l'« exception d'euthanasie » proposée par le Comité
d'éthique français (CCNE) dans son avis n° 63 intitulé Fin de vie, arrêt de
vie, euthanasie29. Cet avis a suscité beaucoup de réactions allant de la
protestation, avec la Société française d'accompagnement et de soins
palliatifs, à l'approbation avec l'Association pour le droit de mourir dans la
dignité, en passant pas quelques réserves exprimées par certains hommes
politiques et familles spirituelles.
Présentation de l'avis du CCNE
L'avis du Comité est composé d'une introduction et quatre parties :
-
Vivre
et mourir aujourd'hui.
-
Mieux
mourir aujourd'hui.
-
Des
situations aux limites : l'euthanasie en débat.
-
Engagement
solidaire et exception d'euthanasie.
Dans l'introduction,
et après avoir fait allusion à l'effacement des frontières entre la mort et la vie et d'une certaine
manière, à une dé-sappropriation par le mourant de sa propre mort, le Comité
reconnaît qu'il a réagi dans l'urgence, dans son Avis n° 26 concernant
la proposition de résolution sur l'assistance aux mourants adoptée le 25 avril
1991 au Parlement européen où il est dit entre autres : « La légalisation
de l'euthanasie, même pour des cas exceptionnels, serait source
d'interprétations abusives et incontrôlables : la mort serait décidée, à la demande du patient — une demande certes
respectable —, mais dont l'ambivalence est profonde. »
30
Comité consultatif national d'éthique, Avis n° 26 du 24 juin 1991. Cette
résolution a été déposée par le député européen Louis Schwartzenberg, mais elle
L'euthanasie dans le débat éthique et théologique
197
a) Vivre
et mourir aujourd'hui
Le Comité insiste sur le fait que :
- Les progrès de l'hygiène et de la médecine
font évoluer la qualité de la vie.
-
Ces
avancées médicalisent encore plus les fins de vie.
- Cette médicalisation devient préoccupante
quand la mort est inéluctable et quand la prolongation de la vie entraîne des
conséquences peu compatibles avec la qualité de la vie.
- Cette médicalisation alimente l'espoir
d'échapper à la mort conduisant bien souvent « à déposséder la personne de sa
mort ».
- La mort fait partie
de la vie ; « elle l'achève et la clôture et lui permet d'arriver à une forme d'unité ».
C'est dans ce contexte que la question de
l'euthanasie se pose, mais dans un sens de « bonne mort », introduisant ainsi
la deuxième partie.
b) Mieux
mourir aujourd'hui
Le Comité met en garde contre toute utopie
qui consisterait à croire que serait à portée de main ou de technique une bonne
mort ou une belle mort et encourage les soins palliatifs : « Ces soins
palliatifs se présentent comme des soins
actifs dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie
grave évolutive ou terminale. Leur objectif est de soulager les douleurs
physiques ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance
psychologique et spirituelle. Ces soins peuvent se pratiquer tant en
institution qu 'au domicile du malade... Au delà de l'attention à la personne
enfin de vie, l'ensemble des membres d'une unité ou d'une équipe de soins palliatifs
veille à maintenir ou recréer les liens familiaux, en apportant à la famille
les dispositions matérielles et le soutien psychologique né-
n'a pas été retenue. Elle visait l'assistance aux personnes
en fin de vie et souhaitait que le Parlement déclare que l'on doit satisfaire
toute demande d'un patient pleinement conscient, réclamant d'une manière
continue qu'il soit mis terme à son existence qui a perdu pour lui toute
dignité. Cette demande ne doit être acceptée que si les soins curatifs ne sont
plus efficaces, ainsi que les soins palliatifs et à condition qu'un autre
médecin puisse constater les faits soulignés.
198
Charbel Chléla
cessaires pour qu 'elle puisse vivre
l'accompagnement de son parent dans des conditions de confort matériel et moral
satisfaisantes. »
Le Comité encourage aussi l'accompagnement
des personnes en fin de vie reconnu comme une partie essentielle des soins
palliatifs visant à réinscrire la fin de vie dans le cadre des relations
sociales habituelles. Mais, par contre, il condamne l'acharnement thérapeutique
défini comme une obstination déraisonnable, refusant par un raisonnement buté
de reconnaître qu'un homme est voué à la mort et qu'il n'est pas curable. Il
faut tout faire pour ne pas entrer dans le cercle vicieux d'un acharnement qui ferait prévaloir le fonctionnement du
système de soins sur le respect de la personne. Ces soins aident la personne
à réapproprier sa mort et diminuent les demandes d'euthanasie sans les faire
pour autant disparaître. Le Comité aborde le nouveau sens de l'euthanasie pour
introduire ainsi sa troisième partie.
Ainsi nous constations que dans les deux
parties de l'avis, le Comité prend en quelque sorte ses distances par rapport
au premier sens du terme euthanasie : une bonne mort.
31 C'est l'anglaise Cicely Saunders, née en
1919, qui était derrière le lancement de ces soins dans les hôpitaux de
Londres. Elle a acquis successivement une formation d'infirmière, de
travailleuse sociale et de médecin pour venir en aide à ceux qui meurent
lorsqu'il n'y a rien à faire pour les guérir. Elle constate en tant
qu'infirmière à l'hôpital St. Luke que l'attention de l'équipe et le contrôle
de la douleur améliore la fin de vie. Elle introduit par la suite ces méthodes
à l'hôpital St. Joseph. Et une fois médecin
elle fonde dans les années soixante le Saint Chris-topher's Hospice,
premier établissement de soins palliatifs. En France les soins palliatifs
furent reconnus en 1986 dans une circulaire ministérielle du ministre Edmond
Hervé, le 26 août 1986, relative à l'organisation des soins et à
l'accompagnement des malades en phase terminale. C'est Maurice Abiven qui a
fondé la première unité de soins en France en 1987 à l'Hôpital International de
l'Université de Paris et c'est Robert Zittoun qui fonde la première unité
mobile à l'Hôtel-Dieu de Paris en 1989. En 1998, la France avait 50 unités de
soins palliatifs (570 lits) et 70 unités mobiles. La loi du 9 juin 1999 (n°
99-477) garantit à toute personne malade le droit à l'accès aux soins
palliatifs et à un accompagnement. Ce
droit a été affirmé par le Conseil de l'Europe en mai 1999. Au Liban'une unité
de soins palliatifs a été fondée récemment à la maison Notre Dame pour les
personnes âgées sous la direction des sœurs des Saints-Cœurs à Hadeth
-Beyrouth. Notons que le Catéchisme de l'Eglise Catholique encourage les
soins palliatifs (cf. n° 2279).
L'euthanasie dans le débat éthique et
théologique
199
c) Des situations aux limites :
l'euthanasie en débat
Le Comité définit l'euthanasie comme étant
«l'acte d'un tiers qui met délibérément fin à la vie d'une personne dans
l'intention de mettre terme à une situation jugée insupportable. Le comité
unanime condamne un tel acte, envisagé et effectué hors de toute forme de demande
ou de consentement de la personne elle-même ou de ses représentants »j2.
Mais il n'exclut pas la difficulté à concilier le respect de la volonté de
chaque personne et la défense et la promotion des valeurs où le médecin est en
ligne de mire puisque sa vocation est de soigner,
d'aider à la vie et de préserver la confiance que le patient a en lui.
Le Comité expose deux positions qui illustrent bien ces dilemmes :
La première position s'appuie sur le
respect de toute vie humaine et refuse le droit à l'euthanasie. En fait, il lui
semble qu'autoriser l'euthanasie provoquerait une brèche morale et sociale
considérable dont les conséquences sont difficiles à mesurer. Cette position
n'est pas fermée à toute détresse et n'exclut pas que les juridictions fassent
preuve d'indulgence. Les arguments avancés sont les suivants :
-
Le tiers
ne peut pas disposer d'une vie qui n'est pas la sienne.
-
La
dignité reste un caractère intrinsèque de toute personne.
-
Il
est difficile de se prononcer à l'avance sur une demande de mort en cas de
maladie grave.
-
L'entourage
du malade peut le pousser à demander sa mort.
-
Le médecin a pour devoir de soigner, soulager et refuser
toute obstination
thérapeutique déraisonnable et recourir à la séda-tion lorsqu'elle est le seul
moyen de soulagement.
-
Mettre
en péril les soins palliatifs.
La deuxième position s'appuie sur le droit
de mourir dans la dignité. Ce droit doit
être reconnu à celui qui en fait la demande. Les arguments avancés sont
les suivants :
-
La
liberté de l'individu à être seul juge de la qualité de sa vie et de sa dignité
car c'est son regard sur lui-même qui compte.
-
Personne
ne peut obliger quelqu'un à vivre. Revendiquer le droit à l'euthanasie n'est
pas en opposition avec les soins palliatifs.
32 Avis CCNE n° 63.
200
Charbel Chléla
- « Le droit de mourir dans la dignité se
présente non pas comme un droit accordé à
un tiers de tuer, mais comme la faculté pour une personne consciente et
libre d'être comprise et aidée dans une
demande exceptionnelle qui est celle de mettre fin à sa vie. »
Cette position est attentive aux dérives
de l'euthanasie et propose de prendre des précautions en insistant surtout sur
la possibilité donnée au malade de
révoquer son consentement. Cette position considère que dans certaines
circonstances, il serait admis des dérogations et des exonérations quant à la
culpabilité de celui qui aide à mourir. Le geste d'interruption de sa
vie par un tiers « ne devrait pas être incrimina-ble » lorsque les souffrances physiques mais aussi existentielles, psychologiques
et sentimentales sont insupportables. Rappelons que cette position est
défendue entre autres par les militants de l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD)33.
Le CCNE reconnaît que ces deux positions
sont porteuses de valeurs fortes et méritent attention et respect, mais bien
qu'elles soient légitimes, elles sont contradictoires et inconciliables et
elles mèneraient à une impasse. Afin d'éviter ce genre de situation, le Comité
propose d'aborder le problème différemment.
d) Engagement solidaire et exception
d'euthanasie
Sans toucher à « la valeur fondatrice de
l'interdit du meurtre » et refusant de transformer le soignant à un prestataire
de services, le Comité accepte des « ouvertures exceptionnelles » à des actes
eutha-
33 ADMD fut créée par l'universitaire et
l'homme de lettres franco-américain Michel Landa (1928-1981) à la fin des
années soixante dix. Au départ, cette association, alors qu'elle prenait en
compte les besoins physiques, psychologiques et spirituels de la personne en
fin de vie, défendait la nécessité de prendre en compte les demandes des malades d'euthanasie volontaire. En
1985, le testament biologique est remplacé par une « déclaration de volonté de
mourir dans la dignité ». Nous signalons qu'en application de la loi du
4 mars 2002 relative aux droits des malades, la Commission nationale française
d'agréer les associations représentantes des usagers dans les hôpitaux a rendu
au début de l'été 2006 un avis donnant à l'ADMD l'agrément officiel qui lui
permet de siéger dans les conseils d'administration et les commissions
d'usagers d'hôpitaux. Cet agrément remet en cause tout le travail qui est fait
depuis plusieurs années par les équipes de soins palliatifs.
L'euthanasie dans le débat éthique et
théologique
201
nasiques face à certaines détresses lorsque tout espoir
thérapeutique est vain et que la souffrance
se révèle insupportable34. Car ce qui ne saurait être accepté
au plan des principes et de la raison discursive, la solidarité humaine et la compassion peuvent le faire leur. Mais pour le
Comité, ces ouvertures exceptionnelles -et non une exception au principe
de l'interdit- s'articulent autour de la notion de consentir et de
consentement. Selon lui, trois éléments doivent être retenus :
-
Le consentement du malade formulé pendant ou avant sa
maladie, par soi-même ou à
travers un tiers.
-
Consentir
c'est accepter qu'une chose se fasse.
-
La décision d'actes euthanasiques n'est ni « solitaire »
ni « arbitraire » ; elle doit être le fruit de recherches tâtonnantes et
communes, produit d'une
réflexion aussi consensuelle que possible au sein d'une équipe et d'un
entourage consentant à mettre en œuvre la moins mauvaise solution face à une
situation extrême.
Sur le plan juridique, il ne s'agit pas
comme nous l'avons déjà dit, de dépénaliser l'euthanasie, ni de modifier le
Code pénal. Mais on s'en remet aux juristes pour aménager les règles de la procédure
pénale pour préciser les modalités. «L'acte d'euthanasie devrait continuer
à être soumis à l'autorité judiciaire. Mais un examen particulier devrait lui
être réservé s'il était présenté comme tel par son auteur. Une sorte
d'exception d'euthanasie, qui pourrait être prévue par la loi, permettrait
d'apprécier tant les circonstances exceptionnelles pouvant conduire à des
arrêts de vie que les conditions de leur réalisation. Elle devrait faire
l'objet d'un examen en début d'instruction ou de débats par une commission
interdisciplinaire chargée d'apprécier le bien fondé des prétentions des
intéressés au regard non pas de la culpabilité en fait et en droit, mais des
mobiles qui les ont animés : souci d'abréger des souffrances, respect d'une
demande formulée par le patient, compassion face à l'inéluctable. Le juge resterait
bien entendu maître de la décision. »
34
Sont
évoqués à titre d'exemples : - Les cas exceptionnels où la douleur n'est pas maîtrisée, - La personne dépendante
définitivement de la machine et demande à en finir, - La personne
irrémédiablement privée de capacités relationnelles qui demande à ne pas voir
sa vie prolongée, etc..
35
Avis CCNE n° 63.
202
Charbel Chléla
Bien qu'elle soit un
geste de compassion et de solidarité, cette exception d'euthanasie reste un mal. Elle représente un geste qui
ne visera jamais qu'à agir « au moins mal ». Le Comité rappelle à la fin de son
rapport qu'il ne pourrait s'agir que des situations limites ou des cas extrêmes
et que l'autonomie du patient devrait être respectée.
Critique du rapport
a) Le risque de compromis
Ce qui nous semble regrettable dans ce
rapport du Comité, c'est qu'il a mis au même niveau deux positions en préférant
trouver un consensus, un compromis entre elles alors qu'elles sont à ses yeux
inconciliables et même contradictoires. Il est pour une « exception
d'euthanasie » qui n'est pas un vrai droit à l'euthanasie. Il a essayé de plaire à tout le monde. Il n'a pas voulu rechercher des critères satisfaisants
par « la pure rationalité », mais admet que « ce qui ne saurait être accepté au plan des principes et de la
raison discursive, la solidarité
humaine et la compassion peuvent le faire leur »36. Il est vrai que
la liberté de l'individu est une valeur forte mais son application d'une
façon expansive risque de détruire le lien
social. De plus le choix du respect de la vie ne peut en aucun cas être
mis à pied d'égalité avec celui de donner la mort même avec le consentement du
malade.
b) La
dignité humaine
L'avis du Comité présente les deux
conceptions de la dignité défendues dans les deux positions inconciliables.
Pour les défenseurs du respect de toute vie humaine, la dignité reste un
caractère intrinsèque de toute personne. Du
coup, tuer un sujet, même à sa demande et par compassion, c'est nier
radicalement sa dignité ; c'est commettre une faute morale grave qu'aucune
législation ne devrait dépénaliser ni légaliser sous peine d'ouvrir la porte
au laxisme et au danger pour les plus faibles. Or les défenseurs de la
possibilité de l'euthanasie la définissent
comme « convenance envers soi que nul ne peut interpréter ». Cela veut
dire que la vie dans la dignité est celle qui est définie comme telle par le
sujet ; celle qu'il peut mener sans souffrances, ni
36 Ibidem.
L'euthanasie dans le débat éthique et
théologique
203
dépendances,
ni honte. Dans ce concept, on voit se mêler les notions de qualité et de
liberté. Perdre sa dignité, c'est « ne plus être maître de soi », c'est perdre
progressivement le contrôle de soi. Donc mieux vaut mourir avant de n'être plus
humain.
Le Comité refuse de choisir entre les deux conceptions.
Mais malheureusement il n'a pas retenu cette acception ontologique de la
dignité défendue dans son Avis de 1991, déjà cité, où il est dit que « La
Commission du Parlement européen ne mesure la dignité de l'homme qu'à son degré
d'autonomie et de conscience. Or la dignité de l'homme tient à son humanité
même. Les dommages physiques par la maladie ne saurait attenter à cette qualité
inaliénable »37.
Le théologien français Michel Demaison réagit à cela en
disant : « Quand les signataires de l'Avis disent accorder un égal crédit
aux deux conceptions, ils accordent défait le crédit décisif et le vrai pouvoir
à celle qui affirme que le respect de la dignité a le droit d'aller jusqu 'à
légitimer éthiquement l'euthanasie. En effet, la seconde position qui refuse
cette légitimité morale et légale ne contredit pas la raison avancée par la
première, elle l'inclut même positivement, puisqu'elle ne fait rien d'autre
que respecter la dignité de la personne en l'accompagnant jusqu'à sa mort...
Dans la confrontation entre deux conceptions de la dignité humaine, ce sont
donc ceux-ci qui l'emportent et qui détiennent le pouvoir décisif. L'égalité de
traitement n'est que rhétorique... » .
À mon sens, la dignité est une notion difficile à définir.
Il y a dans ce terme un mélange de grandeur, de noblesse, de respect de
soi-même, mais aussi le reflet de ce que l'environnement social accorde à ce
terme pour respecter et considérer la personne de l'autre. Mourir dans la
dignité est un concept difficile à cerner. Serait-il possible de fixer la
frontière entre une mort digne et une mort indigne ? La mort n'a ni dignité, ni
indignité. Elle survient et s'impose, elle est. Il est vrai que le malade
change avec la maladie et à la fin de sa vie mais au fond de lui-même il est
toujours unique et irremplaçable. Il est vrai
37
Avis CCNE n° 26.
38
Demaison Michel, Le
pouvoir sur la vie. Une approche théologique, Conférence du Centre
Interdisciplinaire d'Éthique, Université Catholique de Lyon, décembre 2000
(document polycopié).
204
Charbel Chléla
que la proximité de la mort peut engendrer un sentiment
d'indignité quant à l'image que chacun a de soi. Mais faut-il conclure que la
dignité n'est pas le fondement de la vie humaine ? À dire vrai, la dignité
n'est pas fluctuante ; elle n'est pas soumise à des conditions puisqu'elle est
inhérente au statut de l'homme en tant qu'homme, et en constitue la dimension
morale irréductible. La mort qui survient et s'impose ne nous dépouille pas de
toute dignité, car celle-ci ne se réduit pas à notre attachement à la vie.
Elle s'exprime dans une disponibilité de l'homme à assumer son existence dans
la responsabilité à l'égard de soi-même et de ses relations. Lutter pour la
vie, c'est aussi et surtout assurer les conditions les plus humaines possibles
de l'entrée dans la mort. La personne, en fin de vie, qu'elle soit délirante ou
comateuse, a besoin d'être reconnue dans sa dignité d'être humain. Si démunie
soit-elle, la personne a besoin d'être reconnue dans sa capacité d'être
responsable de sa vie. Si dépendante soit-elle, la personne en fin de vie a
besoin d'être reconnue dans sa capacité de donner et recevoir, une parole, un
geste, une expérience, une caresse, etc. La personne humaine est digne parce
qu'elle est inscrite dans une filiation d'humanité. Elle est un sujet, doué de
raison, de responsabilité, de liberté et de sentiments qui en font un être de
parole, relié à un entourage : « Sa dignité découle de cette structure même
de son être ; elle est ontologique. Plus
cette dignité est apparemment masquée, plus elle en appelle à notre
assistance. »39
c) L'exception d'euthanasie
Le mot « exception » n'a pas dissipé
l'ambiguïté qui règne par ailleurs sur tout l'Avis. Il a fallu l'intervention
de Jean Michaud, membre du Comité pour
l'expliquer sans pour autant lever cette ambiguïté. Michaud considère
qu'il y a eu une fausse interprétation du mot « exception » : « Nous avons
préconisé non pas une euthanasie d'exception mais une exception d'euthanasie.
La première de ces expressions eût signifié que dans certaines circonstances
le geste « euthanasique » était licite. Or, tel n'était pas le cas. La seconde
est une expression procédurale dont l'acception est la suivante : l'euthanasie
continue à relever de la juridiction pénale, mais au début du proèès,
39 Manger Colette
et Dolard Elisabeth, L'euthanasie,
Conférence du Centre Interdisciplinaire d'Éthique, op. cit.
L'euthanasie dans le débat éthique et
théologique
205
l'accusé invoquant par exemple le mobile de compassion qui
aurait inspiré son acte, soulève ainsi « l'exception d'euthanasie... En adoptant
cette position, le CCNE a entendu concilier le respect des textes en ce qu'ils
sont protecteurs de la vie humaine et le souci d'humanité dont doivent
être-empreintes les décisions de justice. »
Le Comité propose d'introduire dans la procédure une «
exception d'euthanasie » comme il y a des exceptions d'incompétence,
d'illégalité, de minorité, que l'autorité juridictionnelle appréciera en
examinant les circonstances dans lesquelles l'acte a été accompli : degré de
souffrance, consentement du malade, attitude de la famille, etc.. Pour Patrick
Verspieren, le terme désigne « une latitude accordée, ou même une
invitation faite au juge, de mettre fin à toute poursuite judiciaire, en
fonction des circonstances et des mobiles des auteurs d'un acte d'euthanasie.
Circonstances et mobiles qui seraient préalablement examinés par une «
commission interdisciplinaire ». Il s'agit donc d'une catégorie juridique
portant sur un processus judiciaire (...et extra judiciaire !) qui, en
elle-même, ne laisse rien prévoir de sa fréquence d'application... le texte
montre la difficulté d'inscrire dans le droit des limites, dès lors que le
repère majeur qu 'est l'interdit
i 41
du meurtre est remis en question. »
Pour Michel Demaison, l'exception appartient en général
encore pleinement au champ d'exercice de la loi. Cette dernière définit les
motifs, les conditions et les modalités de cette exception. L'exception n'est
pas extérieure aux lois comme le sont les zones de non droit, ni opposée à
elles comme le sont les infractions, les délits et les crimes. Elle en est une
clause privative ou suspensive. Mais cette relation, entre exception et loi, «
ne pose aucun problème de fond aussi longtemps que les textes législatifs
ou réglementaires concernent la justice sociale, le fonctionnement de
l'économie, les contrats, la circulation des biens, les échanges de services,
les pratiques de soins, etc.. »42. Mais, en ce qui concerne
l'euthanasie, l'application de cette relation
40
Michaud Jean, «
Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie, Retour sur le rapport n° 63 du CCNE »,
dans Les Cahiers du CCNE, n° 24, 2000, p. 3.
41
Verspieren Patrick,
« L'exception d'euthanasie », dans Études, n° 3925, mai 2000, p. 582.
42
Demaison Michel, Le pouvoir sur la vie. Une
approche théologique, op. cit.
206
Charbel Chléla
entre règle et exception pose un problème, Michel Demaison avance
deux raisons :
-
La
règle en question n'est rien de moins qu'un interdit à portée universelle...
Prévoir des exceptions légales à son application ouvre des transgressions
irréparables puisqu'elles attaquent ce qui fonde l'humain.
-
Légiférer
sur des exceptions possibles à l'interdit de tuer signifie qu'une législation
s'octroie le pouvoir de décider à qui s'appliquera cet interdit, à qui il
pourra ne pas s'appliquer. Autrement dit, les lois positives, particulières,
conjoncturelles, se mettent au dessus et disposent à leur gré d'une loi
fondamentale, non écrite, fondatrice de
toute norme, constitutive de la conscience droite, au lieu de se mettre
à service43.
À notre avis, le Comité a fait l'amalgame
entre le terme juridique d'exception et le sens plus flottant des cas
exceptionnels. Il a refusé la dépénalisation de l'euthanasie et la modification
des articles du Code pénal. Mais il a proposé de modifier la procédure pénale
sans en donner pour autant les modalités. Comment peut-on modifier le code de
procédure sans avoir des conséquences ? Le droit peut-il définir l'exception ?
Pour le Comité, l'autorité judiciaire devrait apprécier les circonstances
exceptionnelles et les conditions de réalisation de l'arrêt de vie. Il définit les circonstances
exceptionnelles : les situations limites ou cas extrêmes et l'autonomie
du patient manifestée par une demande authentique. Mais il ne donne aucune
indication sur les conditions de réalisation de l'arrêt de vie, par exemple :
le témoignage d'autres confrères, la connotation avec les proches, la mise en
œuvre de l'interruption de vie, qui est présent pendant l'acte ? etc... De
plus, à quel stade de la procédure l'autorité judiciaire devrait-elle intervenir
? Le Comité suggère que l'exception d'euthanasie soit envisagée en début
d'instruction ou de débats par une commission interdisciplinaire chargée
d'apprécier le bien fondé des prétentions des intéressés au regard non pas de
la culpabilité mais des mobiles.
La juriste française
Pascale Boucaud considère que l'appréciation des mobiles relève
de la juridiction
de jugement et
non de
43 Voir ibidem.
L'euthanasie dans le débat éthique et
théologique
207
l'instruction.
Or le Comité souhaite abandonner cette procédure qui est en cours actuellement
pour examiner l'exception en début d'instruction. L'exception d'euthanasie est
assimilée à un fait justificatif de l'infraction pénale ainsi défini par
Boucaud : « Un fait justificatif est une cause objective d'impunité, qui
empêche le fait considéré d'être délictueux, et qui peut ainsi être relevé à
tout stade de la procédure, de l'instruction au jugement. Si le juge
d'instruction retient le fait justificatif il rend une ordonnance de non-lieu,
évitant le renvoi devant la juridiction de jugement. »
Le Comité défend la valeur fondatrice de l'interdit du
meurtre, mais propose par ailleurs des critères qui permettent de circonscrire
la recevabilité de l'exception d'euthanasie. Si les juristes valident ces
critères, ils affaiblissent l'interdit du meurtre. Le texte insiste sur
l'engagement solidaire du médecin et du patient excluant la transformation du
médecin en simple « prestataire de service », pour autoriser la transgression
de la règle, car la sollicitude est « le dernier moyen de faire face ensemble à
l'inéluctable » ; la solidarité peut être mobilisée dans les cas où -sans doute
rares- la mise en œuvre résolue des trois démarches évoquées, (soins
palliatifs, accompagnement, refus de l'acharnement thérapeutique) se révèle
impuissante à offrir une fin de vie supportable.
Il nous est difficile de comprendre comment le droit
pourrait vérifier que les trois démarches soient mises en œuvre. Comment
définir le supportable et l'insupportable et pour qui ? Des questions peuvent
aussi se poser à propos de la notion de « consentement ». Comment allons-nous
pouvoir juger l'authenticité de ce consentement ?43 De plus, le
Comité approuve l'exception d'euthanasie quand « la personne irrémédiablement
privée de capacités relationnelles a demandé à ne pas voir sa vie prolongée. »
Comment le juriste va-t-il pouvoir juger des capacités relationnelles du malade
? Cela ne risque-t-il pas
44 Boucaud Pascale, Commentaire de l'avis du Comité
National consultatif d'éthique du 27 janvier 2000, intitulé : « Fin de vie,
arrêt de vie, euthanasie », Laennec, octobre 2000, p. 14.
45
Est-ce
que consentir veut toujours dire demander? Ne faut-il pas distinguer la demande
qui vient du malade de celle qui vient d'un tiers (parents, soignants) ? Qui
aura la charge de prouver la demande ? La parole d'un tiers est-elle suffisante
?
208
Charbel Chléla
de
mettre fin à la vie de quelqu'un qui ne souffre même pas, mais qui serait privé
de la faculté de s'exprimer? Dans l'éditorial de la revue Esprit de
juillet 2000, on estime que « le rôle du Comité était peut-être moins de
valoriser le courage de ceux qui peuvent être appelés, dans certains cas
exceptionnels, à donner la mort qu'à favoriser les soins palliatifs qui se
trouvent bizarrement réduits à une intervention technique. Loin de respecter
les convictions des uns et des autres, l'exceptionnalité couvre ici des
pratiques hétérogènes qui ne se nourrissent pas toujours de conviction fortes
et affichées. »
d) Le
décalage entre les règles affirmées et la réalité vécue
Pour le CCNE, ce décalage ne fait qu'encourager le comportement
hypocrite et clandestin. Admettons qu'il y a un décalage entre la loi et le
vécu réel, n'est-ce pas une raison pour rappeler la loi protectrice des
valeurs fondamentales, garante de la cohésion sociale et sanctionnant toute
dérive des mœurs ? Faut-il réduire le droit au fait ? Il est vrai qu'il existe
des pratiques d'euthanasie partout dans le monde, mais il est vrai aussi que le
développement des soins palliatifs, la formation des équipes soignantes dans
l'accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs familles, contribuent
à diminuer ce décalage et le Comité a bien insisté sur ce travail. Malgré le
dispositif juridique pris aux Pays Bas en 1993, avant même la dépénalisation de
l'euthanasie, les actes d'euthanasie continuaient à se pratiquer dans la
clandestinité, se substituant aux soins palliatifs.
e) La solidarité et
la compassion appliquées pour des actes eutha
nasiques
nasiques
Le CCNE n'a pas souligné l'importance de la compassion et
de la solidarité dans les soins palliatifs. Par contre, il a bien souligné leur
importance dans l'acte euthanasique. La solidarité et la compassion peuvent
selon l'Avis réaliser ce qui ne saurait être accepté par la raison
discursive et les principes. Comme si la vie à respecter était placée du côté
des principes et l'exception d'euthanasie du côté de la compassion et de la
solidarité. Cela neutralise en quelque sorte les soins palliatifs défendus,
comme étant incapables en quelque sorte de faire
46 Voir « Éditorial » dans Esprit, juillet
2000, n° 265, p. 3.
L'euthanasie dans le débat éthique et
théologique
209
l'articulation entre le respect de la vie et la pratique de la
compassion. On a l'impression que le
principe du respect de la vie anéantit tout lien avec l'autre. Alors
qu'il s'agit exactement du contraire. L'engagement solidaire et la compassion sont des notions très ambiguës : elles reflètent
sans aucun doute des sentiments profondément humains, mais elles peuvent aussi
cacher des réalités inavouées : la peur de la mort, de la souffrance, de
l'agonie trop longue, du poids financier, etc.. Même s'il peut y avoir parfois
des cas exceptionnels, ne conviendrait-il pas de se poser la question : de quoi
sommes-nous solidaires ?
RÉFLEXIONS THÉOLOGIQUES
Alors que les fins dernières n'ont jamais
cessé de tourmenter l'homme, un lien important s'est créé entre la religion et
la mort, ou plus exactement, entre la religion et l'angoisse de la mort. Les
arguments avancés par la religion
chrétienne jouent un rôle important dans la réflexion sur la responsabilité de
l'homme face à la mort, malgré les attaques extérieures qui considèrent
que l'intervention de la religion ne peut en aucun cas éclairer le débat. Il
s'agit des arguments suivants :
La dignité de l'homme créé à l'image de
Dieu
L'être humain tire sa dignité du fait
qu'il est créé à l'image du Créateur et
qu'il est enfant de Dieu. Son fondement est donc transcendant. Cette dignité
appelle donc de la part des autres un respect inconditionnel et exige
de toute personne d'agir à la hauteur de ce qu'elle est. Cette corrélation
entre dignité humaine et image de Dieu entraîne un regard original porté sur
l'homme, une notion ou une quasi-définition de l'homme.
Cette image et la dignité qui lui est liée
résident dans le fait de « pouvoir connaître et aimer le Créateur » et d'être
capable de communion et de relation avec
ses semblables à l'image du Dieu trinitaire, comme l'affirme Vatican II dans
Gaudium et Spes au n° 12. Cette dignité,
ajoute cette Constitution pastorale sur l'Église dans le monde de ce
temps, réside aussi dans son intelligence et sa capacité à connaître la vérité,
dans sa sagesse (n°15). Elle se trouve aussi dans sa conscience morale où la
voix de Dieu se fait entendre et qui donne à
210
Charbel Chléla
l'homme la capacité de discerner le bien et
le mal (n°l6). Elle apparaît encore
dans sa liberté qui « est en l'homme un signe privilégié de l'image divine»
(n°17). L'aspect le plus sublime de la dignité humaine se trouve dans cette
vocation de l'homme à communier avec Dieu. Donc si la dignité de l'homme trouve
son origine dans sa création à l'image de Dieu, celle-ci est inaliénable et il
n'est donné à personne de s'en faire juge ; cette dignité invite à regarder
au-delà des apparences de dégradation de l'écorce afin de repérer cette
étincelle divine qui brille avec parfois
d'autant plus d'éclat47.
Prendre la place de Dieu
Cet argument est
ancien, mais il est réactualisé avec le développement de la technologie dans
les sciences de la vie. Il est défendu par beaucoup de théologiens chrétiens de toute confession. Citons à
titre d'exemple Karl Barth, protestant et Stanley Haraks, orthodoxe. Pour ces
théologiens, les scientifiques prennent la place de Dieu (to play God) en
cherchant soit à prolonger longtemps la vie de la personne, soit à la
supprimer. Or le pouvoir sur la vie n'appartient pas à l'homme, la nature doit
poursuivre son cours, puisqu'en respectant l'ordre
naturel, on respecte l'ordre de Dieu et sa volonté. Cet argument suscite
bien évidemment des interrogations sur le rôle de la médecine qui, en dehors de
l'euthanasie, cherche à sauver des vies en contournant en quelque sorte le
cours de la nature. Cet argument avance une sorte d'opposition entre le pouvoir
de Dieu et celui de l'homme. En général,
les catholiques et les protestants refusent cette interprétation puisque
l'homme ne s'oppose pas à la volonté de Dieu en cherchant à améliorer la
condition de la vie humaine et puisqu'il est collaborateur de Dieu sur le chantier du monde. Il nous semble
que cet argument considéré comme fondamentaliste n'en est pas moins
repris autrement par Jean-Paul II qui parle
de l'euthanasie comme refus de la souveraineté absolue de Dieu sur la vie et
la mort. Dans son encyclique Évangile de la vie (EV), le pape présente
l'euthanasie volontaire comme un refus ou oubli du rapport de l'homme
avec Dieu. L'homme pense être pour lui-même
critère et norme (EV n° 64). Pour l'euthanasie involontaire, c'est une
reproduction de la tentation d'Eden : où le médecin
47 Cf. Maret Michel, L'euthanasie.
Alternative sociale et enjeux pour l'éthique chrétienne, Paris, 2000, p.
149.
L'euthanasie dans le débat éthique et
théologique
211
prend la décision du bien et du mal. Or seul Dieu a le
droit de faire mourir et de faire vivre48. Par contre, Jean-Paul II n'utilise
pas l'expression « prendre la place de Dieu ». D'ailleurs, il emprunte les
termes de Grégoire de Nysse pour affirmer la responsabilité de l'homme à faire
fructifier la vie : « Dieu a fait l'homme de telle sorte qu'il soit apte au
pouvoir royal sur la terre... L'homme a été créé à l'image de Celui qui
gouverne l'univers » (EV n° 52). Mais ce pouvoir est au service de la
dignité de l'homme. L'homme doit être respecté dans sa dignité même s'il est
en situation dramatique. Seule la reconnaissance de Dieu comme maître de la vie
et de la mort permet de respecter la vie de toute personne surtout affaiblie
par la maladie et la souffrance.
Le caractère sacré de la vie
Il est évident que cet argument est
spécialement religieux, mais il est aussi partagé par des groupes de la société
séculière. Pour cela, il est interprété différemment par l'un ou l'autre. En ce
qui concerne l'interprétation théologique, Jean-Paul II insiste sur le lien
entre la sa-cralité de la vie et son appartenance absolue à Dieu. Il rend
compte du caractère sacré de la vie en affirmant que Dieu est le maître de la
vie : « Dès son origine, la vie comporte l'action créatrice de Dieu et demeure
pour toujours dans une relation spéciale avec le Créateur, son unique fin. Dieu
se proclame Seigneur absolu de la vie de l'homme, formé à son image et à sa
ressemblance (voir Gnl, 26-28). Par conséquent, la vie humaine présente un
caractère sacré et inviolable, dans lequel se reflète l'inviolabilité même du
Créateur » (EV n° 53)49. Il ajoute que « cela ne doit pas
surprendre : tuer l'être humain, dans lequel l'image de Dieu est présente, est
un péché d'une particulière gravité. Seul Dieu est maître de la vie » (EV
n°55).
48
Sur ce point, Hubert Doucet considère que la citation du
Deutéronome (32, 39) est loin
d'être proche de la problématique de l'euthanasie. Il s'agit du Cantique de
Moïse, au terme de sa vie devant le peuple d'Israël, mettant en relief la
grandeur et la bonté de Dieu et
l'infidélité du peuple ; Doucet Hubert,
Les promesses du crépuscule, op. cit., 1998, p. 83.
49
Voir
aussi Congrégation pour la Doctrine de la
Foi, Déclaration sur l'euthanasie, Introduction, n° 5.
212
Charbel Chléla
Le caractère sacré de la vie ne fait pas
de la vie un objet intouchable. La sainteté de la vie - qui n'est pas
mentionnée dans le NT -est reconnue par le fait que Dieu entretient une
relation créatrice avec celle-ci. Elle est
son œuvre et c'est lui qui la fonde. Cette attention à la vie est
inséparable de la responsabilité de l'homme de la développer. Ce qui fait que
sainteté de la vie devrait rimer avec qualité de la vie. Hubert Doucet
s'interroge sur l'opportunité d'appliquer l'interdit « tu ne tueras pas » à
l'euthanasie : « lorsqu'une personne est prolongée indéfiniment et au-delà
de ses forces morales, rendant ainsi impossible une qualité minimale de vie,
ne serait-ce pas servir ses meilleurs intérêts
que d'abréger sa vie à sa propre demande ? L'objectif ici visé est à
l'inverse de celui qui conduit à interdire le meurtre » . Il est vrai que la grandeur de la vie tient dans son
ouverture à plus qu'elle-même. Si le christianisme accepte de ne pas
prolonger la vie, réduite uniquement à sa condition biologique, incapable
d'entrer en relation avec soi-même, les autres et Dieu, il n'accepte pas par
contre sa mise à mort.
Jean-Paul II affirme : « la décision
délibérée de priver un être humain innocent de sa vie est toujours mauvaise du
point de vue moral et ne peut jamais être
licite, ni comme fin, ni comme moyen en vue d'une fin bonne » (EVn°
57). Ainsi, «L'euthanasie est une grave violation de la Loi de Dieu, en
tant que meurtre délibéré moralement inacceptable d'une personne humaine »
(EV 65).
Certains penseurs ont repris l'expression
« caractère sacré de la vie » pour
l'interpréter dans un cadre séculier. On parle plutôt de vita-lisme.
Quel que soit l'état du patient, il faut faire tout pour préserver sa vie. On a assisté et peut-être assiste-t-on
encore, à des acharnements thérapeutiques. Il nous semble que cette interprétation
durcit la position de l'Église catholique et fait l'équivalence entre le
caractère sacré de la vie et le culte de la vie. Or, si on regarde de près les
discours de Pie XII, on ne peut pas réduire l'un à l'autre. Le caractère sacré
de la vie trouve sa source dans l'être humain lui-même, dans sa dignité comme
être humain personnel et non comme particule de la biosphère.
50 Doucet Hubert, Les promesses du
crépuscule, op. cit., 1998, p. 90.
L'euthanasie dans le débat éthique et théologique
213
La vie est un don de Dieu
Le christianisme
considère que si la plupart des hommes estiment que la vie a un caractère sacré et que chacun ne peut en
disposer à sa guise, les croyants y voient plus encore un don de l'amour de
Dieu qu'ils ont la responsabilité de conserver et de faire fructifier. Cet argument
spécifiquement chrétien n'a pas d'équivalent séculier. La vie est un bien
fondamental donné par Dieu. Ce don est une participation à la vie même de Dieu.
Pour cela, le don ne peut pas être considéré comme un cadeau qu'on peut
utiliser à sa guise, ce qui conduirait à admettre l'euthanasie comme possible.
Concevoir la vie comme don de Dieu, c'est considérer l'homme moins comme
locataire de son être - ce qui entraînerait un respect absolu de sa vie et donc
on ne peut plus qu'encourager l'acharnement thérapeutique - et encore moins
comme propriétaire pouvant en disposer à son gré (droit d'user et d'abuser
selon le droit romain) sortant de toute perspective relationnelle avec le
donateur. Il s'agit en fait, comme le dit Hubert Doucet, d'une alliance5'.
La vie est donnée par Dieu à l'homme comme une mission dont il porte la responsabilité. Ce don est de l'ordre de la
relation responsable et respectueuse. La Bible symbolise cette
alliance, entre autres, par le thème de
l'époux et de l'épouse52. Et là, la qualité trouve bien sa
place sans pour autant conduire à mettre un terme à la vie. Le chrétien est
membre du Corps du Christ et Temple de l'Esprit Saint et de ce fait, le
disciple du Christ ne s'appartient pas (ICo 6,15 et 19). La perspective de
l'alliance dans la vie d'ici-bas a un terme naturel marquant l'entrée dans la
vie éternelle qui est aussi don de Dieu. En
demandant l'euthanasie, on ne respecte pas ce terme naturel, ce qui aurait
des conséquences sur l'alliance avec Dieu. De plus, cet acte aurait aussi des conséquences sur la relation qui
lie tout être humain avec les autres, vu que l'alliance de Dieu est
ouverture à tout homme.
Liberté autarcique et liberté
relationnelle
Les défenseurs de l'euthanasie érigent la
liberté en valeur suprême. Il s'agit pour eux d'un acte individuel sans
conséquences so-
51
Ibidem, p. 77-99.
52
Voir
Os 1-3 ; Jr2, 2 ; 31,3 ; Ez 16,1-43.59-63 ; Is 54, 4-8 ; Jn 3,29 ; Ep 5,23-27 ;
Mt9,15etc...
214
Charbel Chléla
ciales
du fait qu'il ne lèse pas le droit des autres. Il nous semble que cette
approche est une interprétation partielle de l'être humain. Il s'agit en fait
d'une conception autarcique de la liberté. Le théologien français Xavier
Thévenot définit l'autarcie dans le contexte même de l'euthanasie : « Le
fait d'être en tout son propre maître et de disposer de soi-même, dans toutes
ses dimensions d'un pouvoir absolu... il (le sujet) n 'a de compte à rendre à
personne quant à l'usage qu 'il fait de son corps, de son intelligence, de son
affectivité... et de sa vie. C'est affirmer le droit de quitter l'entretien
social dans lequel il est entré le jour de sa conception. Or tant du point de
vue de la philosophie que de la théologie,
l'autarcie apparaît comme
une illusion dange-
53
reuse. »
La liberté de l'homme est influencée par le contexte
social. Elle a une dimension essentielle de réciprocité. Elle est une liberté
relationnelle, interdépendante, empreinte de responsabilité et de solidarité.
L'individu n'est pas liberté pure, mais une liberté socialement incarnée. Dans
l'acte de l'euthanasie, ce qui est en jeu ce n'est pas seulement la liberté du
malade, mais aussi celle de la personne qui va réaliser sa demande de mort.
Dans le message chrétien, la liberté a une dimension
relationnelle essentielle. Or la conception de la liberté moderne exalte
l'individu en occultant les dimensions sociales de responsabilité et de
solidarité. Elle remet en cause la notion des droits humains fondamentaux propres
à toute personne et antérieurs à toute législation ou constitution. Le pape Jean-Paul
II le précise bien dans son encyclique: « Si l'accomplissement du moi est
compris en termes d'autonomie absolue on arrive inévitablement à la négation de
l'autre, ressenti comme un ennemi dont il faut se défendre. La société devient
ainsi l'ensemble d'individus placés les uns à côté des autres, mais sans liens
réciproques » (EV n° 20). Pour le message chrétien, il s'agit d'une liberté
pour et non une liberté de. Comme nous l'avons vu, Dieu crée l'homme
et noue avec lui une relation d'alliance. Cette dernière le rend responsable
(répondre de) de toute la création, de sa vie et des autres. La responsabilité
pour un chrétien est un appel à se faire le
53
THÉVENOT Xavier, La bioéthique, La Bibliothèque de formation
chrétienne, Cen-turion/Paulines/La
Croix, Paris, 1989, p. 115.
L'euthanasie
dans le débat éthique et théologique 215
prochain de ses frères (voir aussi GS n°27). Confiant l'homme à l'homme, Dieu lui donne la liberté qui comporte
cette dimension relationnelle. Si la relation et la responsabilité sont
inhérentes à l'essence de l'homme, sa
liberté ne peut pas ne pas en être influencée. L'homme est libre avec et
pour les autres. La responsabilité précède cette liberté et la fonde. Pour
terminer, Jean-Paul 11, face au bouleversement des valeurs, invite la société
occidentale à une transformation profonde : « Le tournant culturel ici
souhaité exige de tous le courage d'entrer dans
un nouveau style de vie qui adopte une juste échelle des valeurs comme
fondement des choix concrets, aux niveaux personnel, familial, social et
international : la primauté de l'être sur l'avoir, de la personne sur les choses. Ce mode de vie renouvelée
suppose aussi le passage de l'indifférence à l'intérêt envers autrui et
du rejet à l'accueil : les autres ne sont pas des concurrents dont il faut se
défendre, mais des frères et des sœurs dont on doit être solidaire » (EV n°
98).
CONCLUSION
Avoir une vision globale de la personne
malade
Ayant une spécialisation
de plus en plus minutieuse, les médecins ont de moins en moins la possibilité de s'occuper du malade pris
comme un tout, blessé dans son humanité. Il est nécessaire de respecter une histoire qui n'est pas encore terminée
tant que la mort n'est pas advenue. Car mettre fin à une vie, même à la
demande du patient, c'est mettre fin à une personne. La théologienne française
Marie-Louise Lameau considère que « La proximité de la fin, bien loin de
rendre insipides et « sans signification » les jours qui restent à vivre, leur donne de la densité, les ouvre sur une
promesse. »3 Ce n'est
pas parce que l'agir de la personne diminue, qu'elle n'a plus une
histoire ou qu'elle n'est plus dans l'histoire. Donner la mort à quelqu'un met
en danger le contrat social qui lie tout individu à la société. Le bien qu'on
prétend rechercher dans le cas de l'euthanasie se présente parfois comme celui
de la société puisque l'individu devient un fardeau pour les autres.
L'euthanasie peut donc apparaître comme un devoir social. Mais en réalité, elle
remet en cause le rapport entre les biens-
54 Lameau Marie-Louise,
Soins palliatifs, Le Centurion, Paris, 1994, p. 132. Voir également sur
l'importance de l'accompagnement (EV 65 §3 ; 67 §1 ; 88 §4)
216
Charbel Chléla
portants et les malades et par le fait même la solidarité entre
les générations.
Réintégrer le thème de la souffrance dans la réflexion sur la
maladie et la mort
Cela ne veut pas dire qu'il faut
reconnaître la souffrance comme un bien. Si on prend l'exemple des soins
palliatifs, il s'agit encore d'une action et donc d'une protestation contre la
souffrance et contre tout ce qui contribue à diminuer la dignité de la personne
qui souffre. Mais l'expérience des soins
palliatifs montre que même les instants les plus douloureux peuvent être
féconds. Car la souffrance n'est pas seulement liée à la douleur, qui devient
maintenant de plus en plus contrôlable par
la médecine, mais elle est liée aussi à toutes les dimensions de la
personne : « La souffrance n'est pas « médicalisable », au sens qu'elle ne peut
pas être réduite à ses composantes, c'est-à-dire aux symptômes physiques ou
psychologiques. Les composantes existentielles et spirituelles sont aussi
essentielles. D'autre part, ces soins nous
apprennent que toute souffrance n'est pas « traitable » ou contrôlable.
Le croire serait perdre de vue que la souffrance est la dégradation qui
s'exprime jusque dans les actions les plus simples de la vie. »55
La mort appartient à notre existence
humaine
La mort n'est pas un mal absolu. « La
mort biologique n 'estpas à comprendre comme un contre-pouvoir opposé à la vie,
car ce serait lui accorder une sorte de
réalité propre, une consistance égale à celle de la force vitale, sur
laquelle elle exercerait un pouvoir finalement vainqueur, alors qu'elle n'est
qu'une limite intrinsèque, une autolimitation de ce phénomène biologiquement
temporaire qu'est chaque vivant singulier, du fait qu 'il est assujetti à la
contingence et au devenir, qu 'il est né, donc mortel. »56 II
est important que la médecine fasse de son mieux pour diminuer les maladies ou
du moins diminuer ses effets sur l'homme, mais elle ne peut pas fonder tout son
agir sur une vision d'un monde sans maladie et sans souffrance. Les personnes
55
Ibidem,
p. 153. Voir aussi (EV n°
88).
56
DemaISON Michel, Le pouvoir sur la vie. Une
approche théologique, op. cit.
L'euthanasie
dans le débat éthique et théologique 217
qui demandent l'euthanasie sont
parfois et même souvent, effrayées de voir que la maladie, la souffrance et la mort deviennent un
problème médical à vaincre, plutôt qu'une composante de la condition humaine.
Ce dont nous avons besoin, c'est aussi d'une présence et d'une attention à la
souffrance de l'homme en fin de vie et non pas d'un système de santé qui vise à
vaincre la mort. La contribution chrétienne est nécessaire pour rappeler les
limites de notre réalité corporelle et insister sur le fait que la mort n'est
ni une destruction ni un anéantissement de l'homme.
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