septembre 25, 2011

LE PROCES DE FALAISE 1386


RENTREE SOLENNELLE DE LA CONFERENCE DU STAGE ET

DU BARREAU DE PARIS

4 DECEMBRE 2009

THEATRE DU CHATELET

***

DISCOURS DE LOUISE TORT

DEUXIEME SECRETAIRE DE LA CONFERENCE

Un procès important a beaucoup plus

d’influence sur la vie d’un peuple que

1.000 billevesées mathématiques et

100.000 discours sur les prix d’Académie.

VOLTAIRE



Monsieur le Bâtonnier,

Mesdames et Messieurs,

Chers Confrères,

Tout va bien.

Tout va bien.

Rien ne sert de s’inquiéter, elle est là, juste de l’autre côté.

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Traversez la Seine en sortant du Châtelet, et vous la verrez : Sereine, elle sait prendre

le temps et la peine de se concentrer sur l’essentiel, de s’intéresser à ce qu’il y a de

plus important, pour vous, pour nous, pour nos enfants.

Entrez dans une salle d’audience, et vous l’entendrez : Rassurante, elle sait chaque

fois trouver les mots pour soigner même les pires des maux.

Elle sait quand il le faut, se donner les moyens d’arriver à ses fins.

Attendez le délibéré et vous l’admirerez : Indépendante, elle sait que l’exemplarité de

l’impunité ne saurait être tolérée, et que bien entendu, les coupables sont toujours

parmi les prévenus.

Oui tout va bien, car elle est là, elle nous protège, la belle, la grande, l’immaculée

Justice de FRANCE.

Celle qui nous éblouit chaque jour de ses lumières, et qui sait bien comment, pour

panser nos plaies, nous devons traiter les barbares de notre temps.

Alors, en ces temps troublés, profitons de ce jour de rentrée, de commémoration du

passé, pour célébrer ensemble notre grand destin, et nous rappeler que ce grand

dessein était engagé il y a bien longtemps déjà.

Ainsi, en 1386, se dressait non loin d’ici, dans le bassin de Normandie, une Cité

puissante et convoitée, dont la justice punissait déjà les barbares du moment, et

parvenait ainsi à protéger et à rassurer les pauvres gens.

FALAISE, Capitale du HOULME, régnant tant sur les francs que les Normands,

réunit alors pas moins de 336 paroisses.

Elle est dirigée, depuis 6 ans déjà, par le Vicomte REGNAULT RIGAULT,

représentant du Duc de Normandie, et du Roi de France,

Un Vicomte qui, chargé d’exercer la justice sur la roture et le tiers état, permit à cette

Cité de s’illustrer aussi par un grand procès.

Tout commence alors que s’écoulent les premières heures de cette nouvelle année.

FALAISE, endormie, respire le calme et la sérénité.

Les festivités de la veille, présidées par le vicomte REGNAULT RIGAULT en

personne, se sont merveilleusement déroulées, et dans le silence de la nuit noire, on

peut encore entendre résonner les rires et les chants des enfants ;

Mais quand la brume vient chasser l’obscurité et commence à entourer les épais

remparts de la ville, quand les premiers rayons de l’année viennent se poser sur les

murs de l’Eglise de la Trinité, le silence est presque parfait.

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Lorsque soudain, un cri, effroyable, un hurlement venu du tréfonds des enfers,

transperce la ville endormie et glace chaque esprit.

Rue des Capucins, Marie de MEAUX, à genoux dans un recoin de la métairie, tremble

de tout son être, ses mots semblent incohérents.

Elle pleure, elle crie, elle prie, elle mendie, elle maudit :

- « Du sang, du sang ! Mon enfant ! Aidez moi ! Monstres !

Mon Dieu, qu’avez vous fait ? »

Marie tient dans ses mains le corps sans vie de l’enfant qu’elle avait tant désiré,

qu’elle avait si durement mis au monde seulement trois mois auparavant, et dont les

grands yeux si éveillés avaient généré tellement de fierté.

Maculée du sang de sa chair, elle tient tout contre elle son corps désarticulé ;

Pour ne pas le voir, mutilé, le bras presqu’intégralement arraché, retenu seulement

par quelques lambeaux de chair ensanglantée,

Pour ne pas le voir, défiguré, l’oeil, entièrement exorbité, la joue, déchiquetée.

Son fils adoré, qui venait à peine d’avoir un nom, n’avait plus de visage.

Alors Marie ne comprend pas pourquoi, elle ne comprend pas comment, il peut se

trouver là, meurtri, froid, dans ses bras.

Et comme si son coeur avait pu le lui dire, contre le sien elle le serre, encore, encore,

plus fort.

Petit à petit, comprenant d’où proviennent ces grands cris qui confinent à la folie, la

foule s’est progressivement attroupée autour de la demeure endeuillée.

Elle sait désormais pourquoi Marie, si discrète et si polie, ne peut ce matin retenir ses

hurlements de désespoir.

Face à l’horreur, à la douleur,

Face à l’enfant massacré, à ses parents anéantis,

la foule se joint, la foule s’incline, la foule s’inquiète.

En ce 1er janvier 1386, sous le choc de l’impensable, de l’innommable,

FALAISE tremble,

FALAISE n’est plus qu’une immense rumeur

FALAISE a peur.

Jean, le père de l’enfant, décide de raisonner :

Il va donc s’armer.

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Maçon, il s’empare de tous les outils en sa possession, pour dénicher et terrasser de

ses mains l’infâme, le monstre qui a osé s’en prendre aussi sauvagement à son

nourrisson.

Il fait le tour de son établi, arpente chaque recoin de la métairie, fouille chaque pièce

de sa petite maison ;

Mais rien.

Alors, comme lui, les hommes décident eux aussi de raisonner :

Ils vont donc s’armer.

Lames, pelles, pieux, torches, arcs, lances, masses ; les chiens sont lâchés sur la piste

de l’infâme, la battue est lancée dans toute la Cité.

Chacune de ses ruelles creusées est arpentée, chacune de ses maisons de châtaigner

est fouillée, chaque porte dérobée est enfoncée.

Et très rapidement, le coupable, ce monstre, cette bête, est débusqué.

Il ne fut en effet pas besoin d'aller bien loin :

C’est le voisin de Jean qui l'a trouvé vautré près de la porte de son grenier.

Encore couvert du sang frais de sa pauvre petite victime, celui que toute la ville

recherchait s’était simplement assoupi là, se reposant tranquillement de son forfait.

Aidé de la foule ameutée par ses cris, le voisin de Jean le roue de coups de poings, de

pieds, de masse, de bâton.

Avant même de se réveiller, le meurtrier est assommé, neutralisé, saucissonné.

Chacun découvre alors stupéfait, qu’il n’est autre que ce vagabond qu’on a pris

l’habitude de tolérer, et qu’on se souvient tous avoir croisé la veille ou l’avant-veille

dans les rues de la Cité.

La garde se saisit alors du nauséabond prisonnier, lui évitant ainsi d'être lynché par la

foule, qui l'accompagne d’un cortège d’insultes et de cris jusqu’au château, où il sera

mis aux arrêts.

Tandis que ses hommes prennent en charge le meurtrier conspué, Colin GISLIN, le

lieutenant général du Vicomte REGNAULT RIGAULT, dûment avisé et missionné,

s’emploie à rassurer la foule déchainée :

- « Falaisiens, gens de bien, voilà l’assassin !

L’assassin du pauvre petit infant de notre ami et frère Jean !

L’assassin, dont le corps, et même les dents, sont encore souillés de son sang

innocent!

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Cet étranger, nommé Claudon selon les premiers éléments découverts par ma

garnison, sera, soyez-en certains, sévèrement puni et châtié pour son crime, au nom

de notre bien aimé Vicomte REGNAULT RIGAULT !

Ainsi, le bon Jean de MEAUX sera vengé, et une telle monstruosité, je vous le

promets, ne se reproduira jamais ! »

Sur ordre du Vicomte, le meurtrier nommé Claudon est immédiatement jeté au

cachot dans le Donjon du Château.

Dès lors, précisait la lettre de cachet du Duché :

« Le coupable sera traité comme il l’a mérité, sans pouvoir propager son

immoralité ; Et la procédure sera efficacement menée. »

L’affaire est confiée au Sieur Guillaume LE DIACRE, Promoteur des causes d’office

de la Vicomté ; seul et unique inquisiteur et enquêteur d’une Justice saine, sereine et

équitable, chargé de procéder, avec l’aide de ses gens et de ses substituts, à

l’instruction criminelle de la sordide affaire.

Mais, extrait de son cachot dès le lendemain des faits, Claudon lui, ne semble pas

disposé à favoriser la manifestation de la vérité.

Loin de s’expliquer et d’implorer le pardon lors de cette première comparution,

l’infâme ne daigne même pas écouter les questions.

Son regard vide et cruel reste fixe et droit, puis s’agite de manière insensée, mais dans

tous les cas, et c’est à désespérer, il ne répond pas.

Après une journée entière de questions sur les faits, aucun mot n’aura été prononcé

par ce maudit Claudon. Il sera donc décidé de lui appliquer la Question.

Car si sa culpabilité est d’ores et déjà avérée dans ce dossier, il a bien du sang sur les

dents, il manque encore aux Falaisiens une réponse qui seule pourrait leur apporter

la paix : Quand ?

Quand Claudon a-t-il mordu et dépecé sa victime ?

A quelle heure a-t-il osé dévorer la chair ce petit ?

Avant ou après minuit ?

Jeudi, ou Vendredi ?

Car si au-delà de l’atrocité de son crime, Claudon est allé jusqu’à violer la loi divine,

jusqu’à transgresser le commandement sacré, en osant consommer de la chair un

vendredi, sa peine doit en être lourdement aggravée !

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C’est pourquoi, dans un cas, il sera étranglé et pendu, alors que dans l’autre, il sera

brûlé vif.

La réponse à cette question est ainsi absolument cruciale, et puisqu’il se refuse à

toute déclaration, la Question de Claudon, résolument indispensable.

Le lendemain, il sera donc Questionné, jusqu’à ce qu’il se décide enfin à parler.

Dès les premières heures de la matinée, Claudon est installé, solidement attaché,

pour être, un peu, écartelé.

Et là, mais qui pouvait en douter?

Face à la douleur de ses responsabilités, l’infâme, dont la veulerie était allée jusqu’à

s’en prendre à un nouveau né, s’est comporté comme ce que chacun savait déjà qu’il

était : un lâche ! Car, enfin, il a parlé.

A la question : « Claudon, vous avez dévoré l’enfant de Jean de MEAUX, le

reconnaissez-vous ? Bourreaux, faites avancer les chevaux! »

Il a crié.

A la question : « L’avez-vous, Claudon, dévoré avant minuit ? Bourreaux, faites

avancer les chevaux ! »

Il a crié.

« L’affaire est faite », s’exclame LE DIACRE, avant d’intimer à sa garde l’ordre de se

saisir du meurtrier pour le ramener au cachot.

Mais assoiffé de vérité absolue, Colin GISLIN, le lieutenant général du Vicomte,

intervient et exige que Claudon soit ramené à la question pour une ultime

interrogation, bien plus importante encore :

« L’avez-vous Claudon, dévoré après minuit ? Bourreaux, faites avancer les

chevaux ! »

Il a encore crié.

« Cette fois, l’affaire est faite », proclame Colin GISLIN.

« Il ne vous reste plus qu’à adresser le rapport de votre tabellion au Vicomte, dont je

sais qu’il s’impatiente déjà de juger ce scélérat. »

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Chaque jour depuis le 1er janvier, le Vicomte REGNAULT RIGAULT reçoit en effet

Jean de Meaux et ses proches au Château.

Il leur assure quotidiennement qu’il rendra justice à leur malheureux enfant, dont il

se sent tout autant le parent. Il en va de son honneur et de son autorité.

Le Vicomte est donc immédiatement informé que l’enquête est terminée, et fixe lui

même le procès au 8 janvier sur la place de l’Eglise de la Trinité.

L’infâme Claudon y sera jugé publiquement par le Vicomte et les sages qu’il aura

désignés pour l’entourer.

Chacun est convié, tous les villageois et paysans doivent en être avisés.

Le moment est venu, pour qu’enfin, Justice soit rendue. Nous sommes le 8 janvier.

Rapidement, la salle d’audience, qui n’est autre que la place du Marché devant

l'Eglise, est pleine ; la Place de FALAISE déborde.

Et lorsque le Vicomte et sa Cour font leur entrée, ils sont littéralement acclamés :

« Pas de pitié ! Que Jean de MEAUX soit vengé ! » Crie l’assemblée.

Pour les apaiser, REGNAULT RIGAULT fait un geste de la main, permettant ainsi à

sa Cour de s’installer dignement, alors que progressivement, le silence se fait.

Sur sa droite, LE DIACRE, le promoteur des causes d’office, accompagné de ses

substituts et de ses gens, est déjà attablé, serein et décontracté.

A gauche mes Chers Confrères, mais plus bas, beaucoup plus bas, un homme, petit,

plutôt gras, un peu difforme, est assis derrière une petite table.

Et devant lui, une lourde chaîne a été scellée.

Subitement, la tension monte, des mouvements se font sentir devant le Château.

Des cris de haine s’élèvent de plus en plus fort, de plus en plus près, jusqu’à

enflammer tout entière la Place de la Trinité.

L’accusé est avancé.

Les Falaisiens cessent de crier, de parler, puis se mettent à chuchoter, et se taisent

enfin. Lorsque Claudon est enchaîné, le silence est complet.

Le Vicomte rappelle les termes de la prévention,

Les faits sont exposés, en commençant par le détail des atroces blessures de l’enfant

et le résumé des hypothèses qui peuvent être formulées.

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Mais ce faisant, REGNAULT RIGAULT semble particulièrement indisposé, au point

d’hésiter plusieurs fois à s’arrêter.

Et lorsqu’il en vient au récit de l’interpellation, exaspéré, il s’interrompt, et se tourne

vers Claudon:

« C’est vous ? C’est vous qui empestez comme ca ? »

Là, le petit homme se lève,

Et les regards se détournent alors un instant de Claudon.

« Monsieur le Vicomte, Monseigneur, Votre Honneur,

Je dois à la vérité de dire qu’il est vrai que mon client sent extrêmement mauvais.

Mais si vous me le permettez, je souhaiterais simplement souligner,

En ma qualité de défenseur public du nommé Claudon,

Que ceci est moins lié à sa volonté, qu’à sa condition… »

« Dois-je comprendre que vous vous permettez de stigmatiser nos conditions de

détention ? Que la défense ose se plaindre de ce que nous lui faisons, alors que votre

client lui, n’a connu aucune pitié pour un pauvre nourrisson ! »

« Oh non, Monsieur le Vicomte, Monseigneur, Votre honneur,

Je souhaitais simplement, respectueusement attirer votre lumineuse attention sur le

fait qu’il est impossible à mon client de n’être point nauséabond, puisque c’est un

cochon... rien qu’un cochon. »

Reconnaissant à ce truisme une certaine pertinence, le Vicomte ordonne que, pour

couvrir l’empestation, l’accusé soit arrosé.

Puis il termine son exposé des faits, et donne la parole à LE DIACRE, sur les

déclarations faites par Claudon.

Il est alors longuement question du déroulement de la Question et ainsi, des aveux du

cochon.

Puis la Cour d’entendre les parents du petit Jean, venus dignement témoigner de la

douleur qui leur était infligée, et dire à quel point ils étaient terrassés par la mort

affreuse de leur petit enfant.

Enfin, s’adressant à ses deux sages acquiesçant, le Vicomte rappelle qu’au delà de

l’impérieuse nécessité de venger Jean, l’éventualité que ce crime ait été commis le

vendredi, doit impérativement être sanctionnée d’une peine d’autant plus sévère

qu’exemplaire.

« Pour qu’ils comprennent !

Bon, nous en avons terminé. L’accusé souhaite t-il dire quelque chose ? »

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« Non, merci », répond le défenseur après avoir sondé le cochon.

LE DIACRE a maintenant la parole pour ses réquisitions.

Naturellement, il demande que l’on condamne Claudon à la hauteur de la gravité de

ses actes et de ses évidentes intentions.

Il rappelle dans quelles atroces conditions, le pauvre petit a été mutilé, dépecé,

arraché à la vie, à une existence qui lui aurait tant souri.

Il exhorte la Cour à songer à ses parents, rongés par le chagrin, privés pour l’éternité

d’un de leurs adorés chérubins, dans lequel ils avaient placé tant d’espoirs,

aujourd’hui devenus vains.

Il évoque le mal causé à toute la Cité, FALAISE, meurtrie par ce crime, FALAISE

meurtrie par l’indécence, le sacrilège, la barbarie.

« Il n’explique rien, il ne s’excuse point.

Il n’a fait montre d’aucune pitié, d’aucun respect !

Il a commis le pire, il est le pire, il mérite le pire. »

Puis, la parole est au petit défenseur qui se lève, vaillant.

« Monsieur le Vicomte, Monseigneur, Votre Honneur,

Si vous me le permettez, je souhaiterais seulement ajouter qu’il se peut parfaitement

que le crime reproché à mon client ait été commis avant et non après minuit.

Car dans la mesure où lors de la Question, Claudon a répondu de la même façon aux

interrogations successives sur ce point, ses aveux ne démontrent rien. »

Et le défenseur se rassoit.

Le Président parle, les sages opinent du chef. Et la Cour de se retirer, sous les

encouragements de la foule.

Le lendemain, elle rend son délibéré, proclamé sur la Place de la Trinité, avant d’être

signifié à Claudon, dans son cachot :

« Claudon, vous êtes déclaré coupable du crime d’avoir, dans la nuit de jeudi à

vendredi, et en tous cas depuis temps non prescrit, dévoré le petit de Jean de

MEAUX.

Et en répression, La Cour vous condamne à être mutilé comme vous l’avez mutilé,

avant que d’être pendu sur la Place publique. »

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La foule attend impatiemment l’exécution de Claudon.

Pendant qu’on avance la potence, le condamné est retiré pour être préparé.

Il se voit alors habillé : d’une veste, d’un haut de chausses, de beaux gants blancs aux

pattes avant, de chausses aux pattes arrière, et d’un masque à figure humaine.

Puis le bourreau de FALAISE vient le chercher pour le conduire devant le Vicomte et

sa Cour.

Là, sous les acclamations de la foule, il brandit sa hache et arrache à l’animal hurlant,

un bout de groin et un bout de patte, qui tombent au sol silencieusement, dans ce

vacarme assourdissant.

Ensuite, on le traîne jusqu’à la potence.

Devant lui, monté sur son cheval orné pour la cérémonie, le Vicomte recueille ses

dernières déclarations, avant de le faire pendre à l’envers à une fourche de bois, ainsi

que l’exige la tradition.

Justice a été rendue à FALAISE, et la ville entière acclame son prince.

Porté par cette liesse, le Vicomte parade à cheval.

Mais son regard satisfait se pose alors sur le visage blêmi et baigné de larmes de

Marie.

Pensant y lire de la déception, le Vicomte ordonne sur-le-champ que l’on détache

Claudon de la potence et qu’on le fasse traîner par une jument à travers toute la ville,

jusqu’à la métairie de Jean.

Après ce nouveau supplice, le corps du cochon nommé Claudon, vidé d’une partie de

son sang, mais probablement toujours vivant, sera finalement brûlé, sur la Place de la

Trinité.

Telle est la décision de Justice rendue et exécutée par la Vicomté de FALAISE le 9

janvier 1386, telle qu’actée par le Tabellion GUIOT DE MONTFORT, et dont il ne

nous reste aujourd’hui qu’une quittance, destinée à rémunérer le bourreau :

« 10 sous et 10 deniers tournois pour sa peine, ce dont il se dit bien content ;

Et 10 sous pour des gants neufs ».

Pourtant, afin de garder la mémoire du grand événement, le Vicomte avait fait

peindre, dans l’Eglise de la Trinité, une immense et magnifique fresque, que l’on mit

des années à achever.

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L’enfant dévoré et l’un de ses frères y sont représentés sur le mur occidental de la

croisée méridionale de l’Eglise, proche de l’escalier qui mène au clocher, couchés côte

à côte dans un berceau.

Puis, vers le milieu de ce mur, sont peints la potence et Claudon, habillé sous la forme

humaine, que le bourreau pend, en présence du Vicomte à Cheval, un plumet à son

chapeau, le poing sur le côté, regardant triomphant cette exécution.

Souvenir de la belle, la grande, l’immaculée Justice de France, qui, pour panser ses

plaies, ne connaît que vengeance et exemplarité.

Depuis, on s’est efforcé de l’effacer, de masquer la grande fresque de l’Eglise de la

Trinité. Et en 1820, on l’a recouverte d’une épaisse couche de chaux, la camouflant

sous un grand monochrome blanc.

Mais progressivement, doucement, la chaux, avec le temps, disparaît.

Alors ne vous y trompez pas, elle est là, juste de l’autre côté.

Car aujourd’hui comme hier,

Pour exorciser le malaise du peuple, lui redonner un peu confiance dans le rythme

des jours, pour chasser de lui l’impression que quelque chose s’est brisé au-dessus de

sa tête, et qu’il est à la merci d’autres fléaux, et d’autres catastrophes, il ne faut

jamais le frustrer d’un coupable, d’un procès ou d’une exécution publique, à laquelle

assisterait le seigneur à cheval, coiffé de son chapeau à panache.

Et ainsi, tout va bien.

Tout va bien.

***

Merci aux Deuxièmes Secrétaires de la Conférence, à mon fils ;

Merci aux Secrétaires de la Conférence 2009, à Kyum, à Dan ;

Merci à mon père, à Karine, à Mathieu.

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BIBLIOGRAPHIE :

« Curiosités judiciaires et historiques au Moyen Age, les procès contre les animaux»,

E. AGNEL, 1858, Paris.

« Des Jugements rendus au Moyen Age contre les animaux », L. MENABREA, 1846,

Chambery.

« Les animaux célèbres », M. PASTOUREAU, 2001, Arléa.

« Les animaux dans les procès du Moyen Age à nos jours », B. DABOVAL, 2003,

Thèse Ecole Vétérinaire Maison Alfort.

« Les bêtes criminelles au Moyen Age », A. MANGIN, 1865, Delagrave, Paris.

« Les procès d’animaux », M. ROUSSEAU, 1964, Wesmael Charlier.

« Les procès d’animaux du Moyen Age à nos jours », J. VARTIER, 1970, Hachette

Note ; La validité au plan théologique et la licéité au plan canonique des procès faits aux animaux ne fut jamais abordé, nous travaillons depuis bien des années à regrouper toute la documentation sur ces affaires afin d’apporter cet éclairage particulier et toujours omis

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