La création des insectes émane-t-elle de Dieu ?
En son intéressante réflexion sur le quatrième jour de la Genèse, André
SAVORET écrit :
«Moïse
parle bien des anges au cours de ses cinquante chapitres, mais il reste muet
sur leur création qui, on le sent, ne fait pas partie de l'œuvre des Six Jours.
Autre remarque, en passant, dans l'énumération des espèces animales (cinquième
Jour) il ne fait pas mention des insectes. Ces omissions ne sont pas l'effet du
hasard ni de l'inadvertance. Si, comme tout porte à le supposer, les insectes
sont les créatures terrestres où le sceau satanique s'imprime le plus
profondément, on comprend pourquoi l'auteur du Sepher préfère les passer sous
silence.
Ici, il n'est peut-être pas inutile de
souligner que, dans la conception de l'auteur de la Genèse, la Ténèbre est la
résultante générale, dans l'ordre cosmologique, de l'acte par lequel Lucifer se
détache de Dieu, se pose en démiurge en face de lui et ose une création dont il
puisse s'enorgueillir d'être l'auteur. Et ce n'est pas par pure coïncidence que
Moïse se sert pour désigner la Ténèbre chaotique, HosheK, et le « Serpent »
tentateur, Na-Hash, du même élément radical, Hosh, pour mieux nous pénétrer de
leur commune origine. » (1)
I
En une précédente réflexion sur Le prologue de Jean, nous proposions de traduire BeReACHYT, par « la
création est un acte de justice rendu selon une condition de réciprocité »
(2). Dès lors que l’actuelle Création à laquelle nous participons résulte
d’un acte de justice selon une condition
de réciprocité, face à une antériorité, il n’est pas absurde de s’interroger,
non pas déclarer ce qu’aurait été l’exact événement ou la cause de ce présent
acte Créateur, mais d’émettre et discuter des hypothèses quant à ce qui
justifia cet acte Créateur.
Nul n’ignore, chacun
comprend, selon les bases de la classique pensée théologique, que la Création
et un acte d’Amour de Dieu envers Sa créature, ce point qui s’enseignait au
petit catéchisme ne sera pas
présentement retenu, d’autant qu’il se trouve développé à tous les stades de la
recherche, lorsque l’ultime
compréhension de cet acte d’Amour, ne saurait s’enseigner et ne saurait
figurer dans les gloses des théologiens, puisque cette ultime
compréhension, relève de la conscience de La Présence.
Tout en étant un acte
d’Amour, il s’agit d’une Justice qui répond à une condition de réciprocité, ce
qui suppose un fait antérieur, et s’il est une idée de justice, il est suggéré
un principe de réparation par rapport à ce qui précède l’acte de Création.
Le scénario et les
raisons de la Chute pré-originelle qui est celle de certains anges, distinctement
à la Chute originelle dite de nos premiers parents, ne figure dans l’œuvre des
six jours.
Quatre thèses se
distinguent pour expliquer cette chute pré-originelle.
1 Pour
les premiers Pères, la chute provient du commerce des anges avec les filles des
hommes, et Justin nous dit 2 Apologie V, 2 : "Dieu confia le soin des hommes et des choses terrestres à des anges.
Mais les anges violant cet ordre, eurent commerce avec les femmes et en eurent
des enfants qui sont les démons."
Cette
thèse devait être citée pour mémoire, mais ce n'est pas de Foi Orthodoxe
puisqu'elle est issue du Livre d'Hénoch qui déclare : "Or, lorsque les enfants des hommes se furent multipliés, il leur
naquit en ces jours des filles belles et jolies ; et les anges, fils des cieux,
les virent, et ils les désirèrent, et ils se dirent entre eux : Allons,
choisissons-nous des femmes parmi les enfants des hommes et engendrons-nous des
enfants." (3)
2
Irénée de Lyon prendra pour assise à sa démonstration Sagesse II, 24 :
"… mais par l'envie du diable, la
mort est entrée dans le monde et la subissent ceux qui sont de son parti."
Ainsi
l’évêque de Lyon déclare :"Ce
commandement l'homme ne l'observa pas, mais il désobéit à Dieu, ayant été égaré
par l'ange qui, à cause de la jalousie et de l'envie qu'il éprouvait à l'égard
de l'homme pour les nombreux dons que Dieu lui avait accordés, tout ensemble
provoqua sa propre ruine et fit de l'homme un pécheur en le persuadant de
désobéir au commandement de Dieu. L'ange étant devenu par un mensonge chef et
guide du pêché, et lui-même fut chassé pour s'être heurté à Dieu et il fit que
l'homme fut précipité en dehors du Jardin. Et parce que par sa conduite, il se
révolta et s'éloigna de Dieu, il fut appelé en hébreu Satan, c'est à dire
révolté, mais en même temps il est appelé encore délateur." (4)
3
Pour Origène la chute de l'ange provient de l'orgueil. Pour sa part, au lieu de
Sagesse II, 24, le maître alexandrin déclarera à la suite d'Isaïe XIV, 12-16 : "Comment Lucifer est-il tombé du ciel, lui
qui se levait le matin ? Il s'est brisé et abattu sur la terre, lui qui s'en
prenait à toutes les nations. Mais toi, tu as dit dans ton esprit : Je monterai
au ciel, sur les étoiles du ciel je poserai mon trône, je siégerai sur le mont
élevé au-dessus des monts élevés qui sont vers l'Aquilon. Je monterai au-dessus
des nuées, je serai semblable au Très Haut. Or maintenant tu as plongé dans la
région d'en bas et dans les fondements de la terre."
Après
cette citation des versets 12 à 22, Origène ajoute : "Voilà la manière dont cet être était lui aussi un jour
"lumière" avant de commettre une faute et de tomber en ce lieu ; et
sa gloire s'est changée en poussière (Is. XIV, 11), ce qui est le propre des
impies comme l'a dit aussi le prophète ; depuis lors il est appelé aussi
"Prince de ce monde" c'est à dire de ce lieu d'habitation
terrestre." (5)
4
Denys l'Aréopagite précise à propos de l'ange qui chute et de ceux qui le
suivirent : "Ainsi parce qu'ils
existent, ils procèdent du bien et sont bons et désirent le bien et le bon,
c'est à dire l'être, la vie, l'intelligence, toutes choses réelles." (9)
Et
Thomas d'Aquin de répondre à l'article IV de la question : Y a-t-il des démons
qui soient naturellement mauvais ? : "Les
démons ayant de l'inclination pour le bien général ne peuvent être
naturellement mauvais." (10).
L’idée
de vouloir s’égaler à Dieu, en créant comme Lui, par orgueil, par amour, constitue
certes une révolte contre le type de « vie » que Dieu proposait aux
anges, et il en sera de même quant à ce refus du type de vie intemporelle de
nos premiers parents en voulant se nourrir par leurs propres moyens d’un arbre
qui n’est certes pas défendu mais les fait entrer dans la temporalité(11).
II
Rien
n’interdit de penser, à la suite de Denys et de Thomas d’Aquin par exemple, que
désirant le bien et la vie, certains anges ne cherchèrent à créer, comme Dieu, cette création ne pouvant
intervenir qu’avec la permission de Dieu au titre de la liberté qui est l’expression
de l’Amour absolu : en agissant de la sorte, ces anges quittent
volontairement la relation d’amour qu’ils avaient avec Leur Créateur, mais cela
ne signifie pas qu’ils soient naturellement mauvais. Le serpent ne trompe pas
Eve (11) si l’on prête attention au dialogue relatif l’arbre prétendument
défendu, Ha Sathan (qui ne signifie pas « révolté » mais « obstacle »
- obstacle que Dieu se fait à Lui-même, n’en déplaise à Irénée (12) - se
promène librement, il est autorisé à tenter Job (Job I, 6-13).
Si
donc la chute pré-originelle porte sur un acte de création de la part des anges
qui par ce fait voulurent ou crurent pouvoir être comme Dieu, l’interrogation ou le point posé par André SAVORET mérite
réflexion.
Cette
réflexion peut être, de surcroît, appuyée quant à sa validité, par la place et le sens donnés aux insectes
dans l’Ancien Testament. L’insecte et en l’espèce par trois fois se trouve
évoquée la mouche ‘(toujours venimeuse) – sert au châtiment -si l’on peut s’exprimer
ainsi -, proposé par Dieu (Exode VIII, 21-31, Psaumes LXXVIII, 45 et CV, 31-34).
Or,
« Dieu n’a pas fait la mort » (Sagesse
I, 13), l’instrument d’un « châtiment » susceptible de donner la
mort, peut-il venir de Dieu ? Il ne saurait être issu de Sa volonté en Sa
Pensée Créatrice.
Jean-Pierre
BONNEROT
-------------- Notes :
(1) André SAVORET : Le quatrième Jour de la Genèse, repris
sur Internet :
(2)
J-P
BONNEROT : Le Prologue de Saint Jean dans la tradition chrétienne et
l'exégèse scripturaire, Cahiers d'Etudes Cathares 1984, N° 102.
(3) Le Livre d'Hénoch. 1ère Partie
chapitre 6. Traduction sur le texte Ethiopien par François Martin. Milan, Arché,
Nlle Edition, 1975 pages 10 et 11
(4)Irénée
de Lyon : Démonstration de la prédication
apostolique, paragraphe 61. Nouvelle traduction de l'arménien par L.M.
Froidevaux. Paris Cerf Ed, 1971, Collection Sources Chrétiennes n° 62, pages 55
et 56.
(5)
Origène : Traité des Principes - Peri
Archon. I, 5, 5. Traduction de la version latine de Rufin par M. Harl, G.
Dorival, A. Le Boulluec. Paris, Etudes Augustiniennes Ed, 1976 page 65.
(6) Denys l'Aréopagite : Des Noms divins. Chapitre IV, paragraphe
23 - in : Œuvres. Traduction du grec par Mgr Darboy. Paris, A. Tralin Ed, 1932
page 212.
(7)
Thomas d'Aquin : Somme Théologique - Des
Anges, question 63, Article 3,
Conclusion, Première traduction intégrale française par l'abbé Drioux. Paris,
Librairie Eugène Belin Ed, 1851, tome 1 page 541.
(11)
Une très importante sinon nouvelle explication du scénario adamique est offerte
par Carlo SUARES en sa Kabale des kabales,
Paris, Adyar Ed, 1962, pages 59 et Ss.
(12)
J-P BONNEROT : Satan, Lucifer, le
Prince de ce monde et les démons dans la tradition Chrétienne et l’exégèse
scripturaire, Cahiers d'Etudes Cathares 1882, N° 96
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