Parole de IVrienl XVI (1990-1991)261-270
LA
MYSTIQUE DE L'UNION
DANS
LA THÉOLOGIE EUCHARISTIQUE
DU PATRIARCHE ETIENNE AL-DUWAYHI (1630-1704)
PAR
Jad Hatem
Le Candélabre des sanctuaires (Manàrat
al-aqdâs) d'Etienne Al-Duwayhï est une
somme de théologie spirituelle qui se présente sous la forme d'un traité
exhaustif sur la messe. En effet, la célébration eucharistique est pour les
Maronites toute la théologie, y compris la mystique. Le Patriarche a totalisé
les éléments de la spiritualité maronite après qu'elle s'est ouverte à
l'influence latine. Il ne renonce pas pour autant à la tradition mystique de l'Eglise d'Orient. L'union sous toutes ses
formes, — ecclésiale, communautaire, eucharistique et la thëôsis proprement
dite, — est prise en considération.
I. LES DEUX UNIONS
La messe est selon Duwayhï le moyen pour
les fidèles de se rencontrer dans le corps du Christ1. Elle opère
une première union de type horizontal grâce à la verticalité qui, devenue
immanente, agrège les individus.
La réunion horizontale favorise l'union
ascensionnelle avec Dieu et confère à la messe l'un de ses noms: «Qûrobo», «c'est-à-dire
la proximité et l'amitié, d'abord parce que, par elle, nous nous approchons de
l'union (ittihâd) avec Dieu» (et de citer Jn VI, 57) «et ensuite
parce que c'est grâce au corps du Christ qu'ont pu avoir lieu, entre
célestes et terrestres, peuple juif et nations, comme dit l'Apôtre, la
réconciliation et le rapprochement»2.
1)
Manàrat
al-aqdâs, éd. Rasid
al-Sartùnï, I, Beyrouth, 1895, p.10 [Cité: MA].
2)
MA, I, pp. 10-11. Cf. II, p. 185 où il est précisé: entre
Dieu et les hommes et entre les anges et les hommes. Cf. aussi sur qûrobo et
participation II, pp. 459, 529, et F.E.
Brightman, Liturgies Eastern and Western, I, Oxford, 1896, p.579.
A Duwayhï le peuple dont il a la charge
n'apparaît pas comme un regroupement d'ouailles mais comme une Nation qui porte
le nom de l'anachorète Maron et qui doit être uni par le lien le plus fort qui
soit afin de venir à bout des dangers multiples auxquels il est affronté. Et
d'union il n'en est pas de plus puissante
et de plus efficace que celle, de nature transcendante, qui élève tout
un héritage spirituel grec et pansyriaque, enrichis ensuite par l'apport latin,
à l'unicité d'une substance éthique dont les fils sont noués à même hauteur par
une transmutation qui fonde le corps du Christ qu'est l'Eglise sur le corps du
Christ qu'est l'Eucharistie.
Cette conception prend sa source dans la
spiritualité monastique où la charité fraternelle constitue une propédeutique à
l'union à Dieu. La tradition, comme on le
sait, a développé deux inspirations complémentaires: un courant vertical,
représenté par les Pères du désert, Pachôme et CVssien, qui, dans le mouvement
ascensionnel théocentrique, soude les frères, et un courant horizontal plus
particulièrement illustré par Basile et Augustin qui perçoit Dieu dans les
individus. Je redis que ces deux courants sont complémentaires et impliquent
une transfiguration philadelphique par l'incorporation au Christ, lieu nodal et
cruciforme des deux mouvements.
II. L'UNION
HORIZONTALE
Le sens de l'union horizontale est
développé, à la fin du Candélabre, par un commentaire sur l'union
communautaire en Dieu: «Par la consommation du corps du Christ advient une
autre union: les fidèles deviennent «un» non seulement avec Dieu mais aussi
entre eux. De même que tous les fleuves s'unissent dans la mer (...), en
prenant part à ce sacrement, nous devenons tous «un» avec Dieu et avec le corps
de son Fils et entre nous comme II dit dans
l'Evangile de Jean: «Pour eux je me sanctifie moi-même afin qu'ils soient eux
aussi sanctifiés en vérité (...) afin que tous soient un comme toi, Père, es en
moi et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous»3.
Disant: «qu'ils soient un
3) Jean XVII, 19,21.
Le mot que j'ai souligné est absent du texte grec et provient de la Psitta.
en nous», Il veut dire que c'est nous qui devenons Lui
parce qu'il y a entre le pain du Seigneur et le pain naturel une grande
différence: nous changeons en nous le pain
naturel en raison de l'extrême énergie [littéralement: chaleur] qui est en
nous, alors que le corps du Seigneur nous change en Lui, parce qu'il est plus
fort que tout et que par son esprit nous nous relions tous, les uns aux autres.
Ainsi suppliaient les Pères Ignace, Basile et Clément dans l'épiclèse disant:
«Rends-nous dignes, Seigneur, de la participation (...) avec Dieu et entre nous
afin que Dieu devienne tout en tous»4.
Ce texte remarquable déborde ses deux
frontières. Par la supérieure, il touche à
la déification, par l'inférieure à l'intercommunion (KOivcovia)5,
l'une par l'autre parce que le corps du Christ — expression qui désigne
et l'Eucharistie et l'Eglise6 —
assure la médiation réciproque entre les deux types d'union.
Que signifie la vie
en l'homme du Christ, selon le mot de l'Apôtre cité par Duwayhï?7 Que l'homme nouveau
est exalté, mû par le divin qui devient le principe de son orientation dans le
monde et le ressort de son action. Or Dieu est par essence agent d'union comme
le signalent les versets de Jean
4)
MA,
II, p. 593.
5)
MA, II, p. 395. Cf. I Cor X, 16-18. Y a-t-il influence de
Cyrille d'Alexandrie sur ce point? Cf. In Joonnem, XVII, 11, 20-21.
6) Cf. I Cor XI, 24; XII, 27.
7)ÀM,II, p. 602; Gai II, 20.
7)ÀM,II, p. 602; Gai II, 20.
précédemment cités8, mais aussi le texte entier
de par sa facture trinitaire puisque divisé en trois sections selon la
répartition des fonctions divines: Le but du chrétien est l'union à Dieu par le
corps du Christ dans l'Esprit. Or la Trinité est relation d'amour, acte
d'union. A l'instar du Père et du Fils, les chrétiens doivent s'unir, mais pas
n'importe comment, car ils pourraient se retrouver agrégés sous le chef
satanique9. L'unité est d'amour dans l'intercommunion horizontale.
Mais seul celui qui est, dès ici bas, uni à Dieu par l'effet transfîgurateur de
l'Eucharistie, c'est-à-dire qui est habité par l'Esprit illuminateur10,
peut envisager de la réaliser, s'y efforcer et réussir.
Réciproquement, l'amour et l'union
interhumains favorisent l'union à Dieu grâce à ce qui donne tout son sens à
l'humain: le Christ premier né d'entre plusieurs frères11.
Duwayhï a repéré dans la salutation des
chrétiens, lors de la messe, l'expression et
le symbole de l'union horizontale: Les mains réunies des fidèles désignent
«leur union totale dans l'esprit, le corps, la raison et la volonté car dix
sont les sens (hawâss) de l'esprit et du corps et dix sont les
commandements que Dieu octroya sur la montagne et qu'il nous ordonne de suivre
afin que soit parfait notre amour de Lui et de notre prochain. Par cette
salutation des dix doigts, nous nous embrassons et nous unissons les uns aux
autres à la manière des anneaux d'une chaîne»12.
L'illustration de l'union est, dans le
texte cité, évidente par soi. Le symbole
des doigts appelle un développement. Des vingt doigts qui entrent en contact,
la moitié désigne l'humanité (car «l'esprit» désigne ici celui de
8)
Sur l'importance de Jean XVII pour cette problématique,
cf. Titus Cranny, John 17: As we are One, Garrison (NY), Graymoor, 1965.
9)
Sur la fausse unité, cf. mon ouvrage, De l'Absolu à
Dieu, Paris, Cariscript, 1987, pp. 119-120, 131-132, 137.
10) Sur cette fonction de l'Esprit, cf. MA, II,
p. 603 où l'Esprit illumine la raison et l'engage
sur la voie de Dieu en l'armant d'une tenace volonté.
sur la voie de Dieu en l'armant d'une tenace volonté.
11) Cf. MA, II, p. 189.
12)Âf^,II, p. 194.
12)Âf^,II, p. 194.
l'individu et transitivement l'esprit de corps de la
collectivité) et l'autre moitié la Loi
divine dans ses deux dimensions: celle qui règle le rapport de l'homme à Dieu
(les quatre premiers commandements) et celle qui organise l'inter-humanité (les
autres). Les deux dimensions ne cessent de s'appuyer l'une sur l'autre. Dieu
est présent dans l'étreinte fraternelle.
Les deux unions sont visibles et
conjointes dans un autre signe, la concélébration des prêtres: «Tout comme le
sacrement (sirr) de l'Eucharistie (qurbàn) est sacrement de la
charité (mahabba), et de même que pain et vin réunissent plusieurs
ingrédients et sont consommés par une assemblée, de même la réunion des prêtres, pour les sanctifier et y prendre part,
illustre pour nous leur union dans la paix et la charité avec Dieu et
les uns avec les autres»13; et de citer Jn VI, 56.
Les fidèles forment donc une communauté
eucharistique. Sans le corps du Christ, ils
seraient déconnectés de Dieu, en proie à la zizanie, affaiblis face à
leurs ennemis14. Par lui, ils deviennent un seul corps et un seul
esprit15.
III. L'UNION
VERTICALE
En passant de l'union horizontale à
l'union verticale, le tableau change. L'ascension comporte ses degrés: l'union
horizontale dans la communauté, l'union horizontale dans l'Eucharistie, l'union
à Dieu par la médiation de l'Eucharistie et enfin l'union post mortem à
Dieu dans la gloire.
La gradation des trois premiers niveaux
est logique et de dignité et non pas chronologique. Ces trois niveaux se
déterminent réciproquement. Au troisième niveau, le fidèle, par le truchement
de l'Eucharistie qui est la perfection de tous les sacrements16
augmente ses vertus17. Son corps est
U)MA, I,p. 255.
14)
MA,
II, p. 608.
15)
MA, II, pp. 395-396 et 412. 16)M^,II, pp. 564 et 589.
17) MA, II, p. 600. L'Eucharistie contient elle-même toutes les
vertus: II, p.458.
sanctifié par le corps saint du Christ et son âme purifiée
par son sang miséricordieux18. La purification ne s'arrête pas au
plan éthique, mais prolonge ses effets dans la constitution anthropologique de
l'individu. Le péché d'Adam avait privé l'humanité des fruits de l'arbre de
vie, introduisant la mort dans le monde19. Le Christ a renoué le
pacte et son corps est devenu les fruits de
l'arbre de vie auquel Adam avait préféré celui de la science du bien et
du mal20. Dès lors s'organise chez Duwayhï qui n'eut qu'à puiser
dans les paroles de l'Evangile et dans la littérature patristique21
tout un réseau symbolique du corps du Christ comme don de vie et fruit de
l'arbre de vie. Le corps du Christ est pain
de vie22, octroie la vie nouvelle23, est l'équivalent de l'arbre de la vie24, gage de la
résurrection25; il nourrit pour la vie éternelle26.
Dès ici-bas, le fidèle est lentement et
sûrement transformé. Duwayhï cite saint
Ephrem selon qui le corps du Fils de Dieu renouvelle tout à la fois l'âme et le corps27. En effet, celui qui
absorbe les saintes espèces devient le Christ28 (on a déjà vu
que ce n'était pas le corps du Christ qui se transformait en notre corps). Le
troisième niveau est incompréhensible sans la considération que l'Eucharistie est le corps déifié de l'hypostase
divine (et non seulement celui de la nature humaine)29. Le
communiant est assumé par Dieu dans la personne du Christ. L'Eucharistie
prolonge l'inhumanation: «Le Fils du Très haut s'est mêlé à ceux qui sont en bas pour les mêler à lui en son lieu élevé»30.
A l'adage patristique «Dieu s'est fait homme pour que l'homme se fasse
Dieu», le réalisme du verbe «mêler» (halet) donne une saveur nouvelle et
peut faire craindre une confusion, avérée dans l'Eucharistie. Duwayhï qui
insiste pour
18)
ma il, p. 261.
19)
MA,
II, p. 606; cf. II, pp.
292 et 573.
20)
MA,
II, pp. 466 et 500.
21)
Voir
chez Saint Éphrem l'analogie des fruits de l'arbre de vie et de l'Eucharistie,
par exemple dans ses Hymnes sur le
Paradis VI, 8 et dans le Commentaire du Diatessaron XXI, 25.
22)
MA,
II, p. 292.
23)
MA, II, pp. 457, 592 et 605.
24) MA, II, pp. 292, 573, 588
et 605.
25)M4,H,p. 572.
25)M4,H,p. 572.
26)
MA,
II, pp. 459, 594.
27) MA, I, p. 381.
28)
MA,
I, p. 342.
29)
MA II, pp. 281-282.
30)
MA II, p. 531.
mêler l'eau au vin31 (l'omission de ce rite par
le célébrant constitue un péché mortel)32, soutient que, outre
qu'ils symbolisent les deux liquides jaillis du flanc du Supplicié, ils
désignent les deux natures humaine et divine du Christ unies dans l'hypostase
unique33 — telle est la condition de possibilité et le modèle de la
déification —, mais aussi, et par dérivation, l'union des hommes au Christ. Parmi les sens de la commixtion du
sang et de l'eau, il faut compter qu'elle «clarifie notre union au Christ
dans un seul Esprit parce que le Sauveur est la source de la grâce et de la
joie»34. L'union n'est pas de juxtaposition, mais de transformation:
«Le vin devient le sang du Christ et l'eau ne devient pas eau, mais est symbole
de notre union au corps du Fils de Dieu et à son sang»35.
Mais que devient
donc l'eau? La réponse se fait attendre, mais elle est on ne peut plus claire: «la plupart des théologiens
soutiennent que le vin et l'eau deviennent le sang du Seigneur»36.
L'analogie est poussée si loin que la
déification de l'homme finit par ressembler davantage à une transsubstantiation
qu'à une transformation37.
il) MA, I, p.
382.
32)
MA,
I, p. 383.
33)
MA,
I, p. 383. Dans
l'Apocalypse (XVII, 15), l'eau symbolise les peuples.
34) M/U, p. 383.
35)
MA,
I, p. 385.
36)
MA,
II, p. 344; cf. II, p.
601.
37) Pour Cyprien, l'absorption de l'eau par le
vin correspond à l'assomption de l'humanité par
le Christ et garantit, dans le sacramentum unitatis qu'est
l'Eucharistie, la coprésence du Christ et de l'humanité. De ce fait, la
référence au mélange est constante: «L'eau figure le peuple, le vin, le sang du Christ. Quand donc, dans le calice,
l'eau se mêle au vin, c'est le peuple qui se mêle avec le Christ, et la foule des croyants qui se joint
et s'unit à celui en qui elle croit. Ce mélange, cette union (copulatio et
coniunctio) du vin et de l'eau dans le calice du Seigneur est indissoluble»
(Lettre LXXIII à Cecilius, XIII, 1).
«Si l'on offre le vin
seul, le sang du Christ est présent sans nous; si l'eau est seule, voilà le peuple sans le Christ.
Au contraire, quand l'un est mêlé à l'autre et que, se confondant, ils ne font plus qu'un, alors le mystère spirituel et
céleste est accompli» (ibidem, XIII, 3; traduction du chanoine Bayard in Saint Cyprien, Correspondance,
Paris, Les Belles Lettres, II, 1925, pp. 199-213).
IV. MÉLANGE ET
DÉIFICATION
Le verbe «mêler» en devient encore plus
troublant. Duwayhï, qui en est conscient, essaie de justifier le maintien d'un
mot et d'une notion disqualifiés à Chalcédoine.
Il entend la récupérer au profit de la théologie eucharistique et mystique.
La notion était d'un usage courant parmi les monophysites, particulièrement
Philoxene de Mabboug pour qui le mélange n'implique pas la confusion qu'il
récuse38 et Jacques de Saroug39, abondamment cité par
Duwayhï. Philoxene et Jacques ne faisaient que perpétuer le vocabulaire
d'Ephrem40 et même, éventuellement, celui du Chrysostome41.
Pour avoir fondé sa mystique sur l'union
eucharistique, Duwayhï est tenu de s'exprimer dans une terminologie réaliste et
de défendre le verbe «mêler» qui seul lui
permet d'expliquer le mode de l'union. Il cite la parole du prêtre lors
du dépôt d'une parcelle de l'hostie dans le calice: «Tu as mélangé, Seigneur,
ta divinité avec notre humanité et notre humanité avec ta divinité; ta vie avec
notre mortalité et notre mortalité avec ta vie; tu as pris ce qui est nôtre et
nous as donné ce qui est tien; pour la vie et le salut de nos âmes»42.
Les quatre segments de la phrase (que j'ai
mis en relief par les points-virgules)
désignent, selon Duwayhï, les quatre types d'union; successivement: l'hypostatique,
celle de la grâce (en la reprenant, il ne manque pas de répéter «tu as mêlé»),
la sacramentaire et celle de la gloire43. Duwayhï précise que
certains se sont méfiés du verbe mêler, à cause de l'hérésie d'Eutychès qui
mélangea les deux natures du Christ et prétendit qu'elles étaient une. Certains
38) Cf. Roberta Chesnut, Three
Monophysite Christologies, Oxford University Press, 1976, pp.
65-70.
39)M^,I,pp.
132-136.
40) Par exemple:
«Tout entier il s'est mêlé en nous» (Ephrem,
Hymnes sur la virginité, XXXVII, 2).
41 ) «Il a voulu se
mêler et s'unir à nous de telle sorte que nous devenions un même corps avec Lui (...) Il nous
sert de nourriture (...) et nous incorpore à Lui» (Jean Chrysostome, In Matth., hom. 82, LXXXII, § 5; PG, 57, 743).
42) MA, II, p. 527.
43)^^,11, pp. 529-530.
copistes
remplacèrent le mot dangereux par «prendre»44. Et plus tard on
imprima «tu as uni» (hayédt) au lieu de «tu as mélangé» (halett)45.
Pour sa part, Duwayhî écarte du vocable
tout soupçon. Il signifie, à l'entendre, le fait de s'approcher d'autrui, de
s'y associer ou de s'y unir46. En guise d'exemple, il allègue
l'Epître aux Hébreux III, 14 où halett traduit Liétoxoç, et Jacques de
Saroug dont il semble ignorer la relative hétérodoxie: «Emmanuel est devenu
pareil à nous par son humilité et quoique égal en tout à son Père par la gloire infinie, il prit notre semblance et s'est
mélangé à nous, devenant comme nous; Il s'est abaissé pour nous élever au lieu
sublime auprès de son Père»47. Le réalisme eucharistique
conduit donc Duwayhî à tolérer un vocabulaire d'interfusion qui fait la part
belle à une assomption qui assimile.
Les trois premières formes d'union sont
ordonnées à la quatrième: avec Dieu dans la gloire. La co-transsubstantiation
de l'eau préfigure la déification sur la tonalité de laquelle on ne peut se
tromper. L'homme est appelé à devenir un avec le Christ dans le corps, dans
l'esprit et même dans la divinité (lâhût)48. Cyrille
d'Alexandrie est cité qui évoque la participation à la nature divine49.
Les deux types de l'union de l'homme à
Dieu sont formellement distingués, l'eucharistique étant seulement gage de la
glorieuse. Des morts parvenus à la béatitude, Duwayhî dit qu'ils ont atteint
l'union avec Dieu dans la gloire50. Ailleurs, il précise qu'on y
parvient dans l'eschaton (àhir al-câlam)51.
44)
MA,
II, p. 530.
45) Cf. Michel Hayek, Liturgie maronite, Paris,
Marne, 1964, p. 205n. Ainsi par exemple dans le texte reproduit dans la Pentalogie
maronite de Youakim Moubarac, IV,
p. 223.
46)
MA,
II, p. 530.
47) Jacques de Saroug, Mïmrô 66 sur le Jeudi-Saint, in MA, II, p. 530.
46) MA, II, p. 591.
46) MA, II, p. 591.
49)
MA,
II, p. 592, Cyrille qui
savait, ajuste titre, distinguer la filiation naturelle (celle du Christ) de
celle adoptive (des hommes) (In Joannem VI, 58) ou mieux l'union
substantielle ('evcociç Çdcikv) de l'accidentelle ('fevcociç
cxemcfi) (Apologeticus contra Theodoretum, PG, 76, 408c), recourt au vocabulaire du mélange dans le
registre de l'union eucharistique: le Christ et le communiant sont unis comme
deux morceaux de cire con-fondus (In Joannem, VI, 56; XV, 1) ou comme pâte et levain qui se compénètrent (In
Joannem, VI, 57); en outre, fusion: In Joannem, XVII, 22, 23
et participation à la divinité du Christ (In Lucam, XXII, 18).
50)
MA,
II, p. 404.
51)
MA,
II, p. 458.
L'union
eucharistique réalisée ici-bas est donc incomplète en raison de la faiblesse de l'homme terrestre soumis au
souci et parce que la théognosie octroyée par l'Eucharistie52
demeure oblique puisque «nous ne voyons pas Dieu en face mais dans la
semblance, et nous ne sommes guère unis à Lui selon ce qu'il est en soi mais
dans le sacrement»53.
La splendeur de la vie paradisiaque
inspire au Patriarche une page digne d'Ephrem54.
Duwayhï fait l'expérience de la
déification dans l'Eucharistie. La régénération dans le Fils fait qu'aimer Dieu
c'est aimer les hommes et réciproquement. La responsabilité du prêtre en
devient écrasante. Médiateur de l'union eucharistique55, il mérite
d'être appelé «ange de Dieu»56 et même «dieu»57. «Au four
du pain de rompre l'homme»58, dit René Char.
Jad Hatem
c/o Bureau de l'U.S.J.
42, Rue de Grenelle
F-75343 PARIS CEDEX 07
52)
Cf. MA,
II, pp. 596 et 603.
53)
MA,
II, p. 595. 54)A/vlII,p.
141.
55)
Duwayhï, Sarh al-takrîsât wa-l-sartûniyyât, éd.
Rasîd al-Sartûnî, Beyrouth, Imprimerie Catholique, 1902, p. 289.
56)
Ibidem, p. 83; cf. p. 265.
57)
Ibidem, p. 83.
58)
A la
santé du serpent, II.
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