Parole de l'Orient XVI (1990-1991)
311-328
JÉSUS A-T-IL ANNONCÉ LA VENUE DE MUHAMMAD? Exégèse du
verset coranique 61/6
PAR
Georges Tartar
Le Coran situe Muhammad dans la lignée des prophètes
bibliques. Il le présente comme le «Messager des Gentils», dont la venue avait
été annoncée dans les révélations antérieures, recueillies dans la Bible. Voici
cette déclaration prononcée au nom de Dieu:
«Ma miséricorde embrasse
toutes choses
Je la destine aux gens
pieux
qui font l'aumône et qui
croient à nos signes
qui suivent le «Messager»,
le prophète des Gentils
qu'ils trouvent mentionné
dans la Torah et l'Evangile!»
(Coran
7/155-156)
La venue de Muhammad annoncée par Jésus
Selon le Coran, Jésus lui-même a annoncé la venue de
Muhammad. Voici le texte coranique de cette annonce:
«Jésus fils de Marie dit: O
enfants d'Israël
Je
suis le Messager de Dieu envoyé vers vous
pour confirmer la Torah
révélée avant moi
et pour annoncer un
«Messager» qui viendra après moi
dont le nom sera «Ahmad»!»
(Coran 61/6)
Les musulmans croient que le Coran est la
«Parole» même de Dieu, que c'est Dieu qui parle dans le Coran. Aucun doute ne
leur vient à l'esprit. Ils acceptent les textes coraniques tels qu'ils se présentent,
sans formuler la moindre critique. C'est ainsi qu'ils affirment que Jésus a
annoncé la venue de Muhammad.
I. INTERPRÉTATION ISLAMIQUE DE CE TEXTE
L'exégète Tabarî1 ne commente
pas ce texte. Il se contente de le paraphraser, en écrivant que Jésus a été
envoyé pour confirmer la Torah révélée à Moïse et pour annoncer la venue d'un
«Messager» nommé Ahmad.
Zamahsarî2 fait remarquer que,
selon les paroles mêmes de Jésus, la religion
implique de croire aux livres révélés par Dieu et à tous les prophètes, ceux
qui étaient avant Jésus et celui qui devait lui succéder.
A cette remarque, Baydâwï3
ajoute que Jésus a cité le premier des livres divins
auquel les prophètes se conformaient, et il a désigné le prophète qui est le
«Sceau» (ou le dernier) des Messagers divins.
Pour expliquer l'annonce par Jésus de la
venue de Muhammad, l'exégète Zamahsarî rapporte un entretien de Jésus avec ses
disciples.
«Les disciples interrogèrent Jésus: O
Esprit de Dieu, viendra-t-il après nous une autre communauté? Oui, répondit Jésus,
la communauté d'Ahmad, qui sera composée de sages et de savants, d'hommes
justes et
1)
AI-Tabarï (839-923). Il a rassemblé dans son
commentaire les documents nombreux qui forment l'exégèse traditionnelle. Son titre
est: Gâmic al-bayànfîtafsïr al-Qur'ân (Le Caire, 1955).
2)
Al-Zamahsari
(1074-1144) représentant de l'école Muctazilite de tendance
libérale. Le titre de son commentaire est: Al-Kassâfcan haqâ'iq
al-tanzïl (Le Caire, 1924).
3)
Al-Baydâwï (m. 1292), représentant de la stricte
orthodoxie sunnite. Son commentaire est intitulé: Anwâr al-tanzïl wa-asràr al-ta'wïl (Le Caire,
1888).
pieux, versés dans la science religieuse comme des
prophètes, qui se montrent reconnaissants à
Dieu pour le peu de biens qu'ils reçoivent, et Dieu agréera de leur part le peu
de bien qu'ils accomplissent».
Ce texte, élogieux pour la communauté
islamique, n'a aucun fondement dans l'histoire evangélique. Il ne prouve
nullement l'annonce par Jésus de la venue de Muhammad. De ce fait, il n'est pas
utile de le discuter.
Un autre exégète, Râzï4,
présente une argumentation plus solide. Il se réfère aux textes évangéliques où
Jésus parle à ses disciples de l'envoi du «Paraklet».
A. La
venue du «Paraklet» annoncé par jésus
Voici ce que Râzï écrit: «Jésus annonça la
venue de Muhammad dans plusieurs passages de l'Evangile.
«Et moi, je prierai mon Père, afin
qu'il vous donne le «Faraqlit», afin qu'il
demeure éternellement avec vous. Le «Faraqlit», c'est l'Esprit de vérité» (Jean
14/16).
Râzï précise, «c'est le terme même de
l'Evangile, transcrit en arabe».
«Quant au «Faraqlit», l'Esprit-Saint, que mon Père enverra
en mon nom, il vous enseignera et vous
donnera toutes choses, et il vous rappellera ce que je vous ai dit»
(Jean 14/26).
«Un peu plus loin, Jésus ajouta:
«Je vous ai dit ces choses avant
qu'elles n'arrivent, afin que lorsqu'elles arriveront,
vous croyiez» (Jean 14/29).
«Cependant, je vous le dis maintenant
en toute vérité, mon départ vous est plus avantageux. Car si je ne m'en vais pas vers mon Père, le
«Faraqlit» ne viendra pas vers vous. Mais si je m'en vais, je vous l'enverrai.
Et quand il sera venu, il
sera utile aux hommes. Il leur enseignera la religion et leur accordera
4) Al-Râzï (1149-1209), représentant de l'école du Kalâm
(théologie scolastique de l'Islam). Son
commentaire est: Kitàb al-tafsïr al-kabîr (Le Caire, 1933).
des bienfaits. Il leur expliquera ce qu'est le péché, la
justice et le jugement» (Jean 16/7-8).
«Un peu plus loin, Jésus
ajouta:
«J'ai encore beaucoup de choses que je
voudrais vous dire, mais vous ne pouvez les porter et les garder. Cependant, quand l'Esprit de vérité
sera venu vers vous, il vous inspirera et vous
soutiendra dans toute la vérité. Car il n'enseignera pas une nouveauté et il ne
parlera pas de lui-même» (Jean 16/12-13).
«Voilà, note Râzî, ce qui est dit dans
l'Evangile».
B. Explication de râzî des paroles de Jésus
Aux citations evangeliques relatives à la venue du
«Paraklet», Râzî ajoute l'explication que voici.
«Si l'on explique que le «Faraqlit», qui viendra les
conduire dans la vérité et leur enseignera
la Loi divine, désigne Jésus qui est revenu après la crucifixion, nous
répondrons que les disciples racontèrent, à la fin de
l'Evangile, que lorsque Jésus revint après la
crucifixion, il ne dit rien de la Loi divine
et ne leur enseigna aucun commandement. Il ne resta avec eux qu'un tout petit moment et ne leur adressa que quelques
paroles, par exemple, il dit: «Je
suis le Christ. Ne pensez pas que je sois mort. Je me sauve auprès de Dieu. Je
vous regarderai, mais je ne vous inspirerai plus».
«Voilà, précise Râzï, intégralement ses
paroles».
II. CRITIQUE DE L'INTERPRÉTATION ISLAMIQUE
Râzï cite correctement les textes
évangéliques où Jésus annonce à ses disciples l'envoi du «Paraklétos», terme
grec que l'on traduit par «Consolateur».
A. Râzï confond l'annonce du «Paraklet» avec la
venue de
MUHAMMAD
Râzï ne discute pas
les textes évangéliques cités. Il se contente d'affirmer que Jésus a annoncé la venue du prophète
Muhammad, sans se demander si l'annonce relative au «Paraklétos» s'applique
bien à la venue de Muhammad. Il écarte l'idée que le «Paraklétos» désignerait
Jésus qui, après la crucifixion, est revenu vers les disciples, car, précise
Râzï, Jésus n'a rien dit concernant la législation divine.
Il semble donc que Râzï ignore totalement
que l'annonce par Jésus de l'envoi du «Paraklétos» désigne le don de
l'Esprit-Saint qui a été répandu sur les disciples, le jour de la Pentecôte. De
ce fait, cette annonce ne peut s'appliquer à la venue du prophète Muhammad, au
7° siècle.
B. Ce que Jésus dit du «Paraklétos»
Dans les textes
évangéliques, il est précisé que le «Paraklétos» vient de la
part du Père, qu'il est envoyé au nom de Jésus, que c'est
l'Esprit-Saint, l'Esprit de Vérité, qui conduit dans toute la vérité, qui
demeure éternellement avec les disciples, et qui rend témoignage de
Jésus-Christ.
Cette dernière précision n'a pas été
mentionnée par Râzï, et pourtant elle est textuellement dans l'Evangile:
«Quand le «Paraklétos» sera venu, déclare Jésus
que le Père enverra en mon nom
l'Esprit de Vérité qui vient du Père
il rendra témoignage de moi!» (Jean 15/26).
Or ces déclarations évangéliques ne
peuvent être appliquées à Muhammad. Elles ne concernent pas la venue d'un
prophète, mais celle de l'Esprit-Saint, l'Esprit divin, qui a été répandu, le
dimanche de Pentecôte, comme Jésus l'avait annoncé dans son entretien avec ses
disciples, avant son élévation au ciel:
«Il leur recommanda de ne pas s'éloigner de Jérusalem
mais d'attendre ce que le Père avait promis
ce que je vous ai annoncé, leur dit-il,
car Jean a baptisé d'eau, mais vous, dans peu de jours
vous serez baptisés du Saint-Esprit.
Vous recevrez une puissance,
le Saint-Esprit survenant sur vous,
et vous serez mes témoins jusqu'aux extrémités de la terre!»
(Actes 1/4-8).
Cette promesse s'est réalisée le jour de
Pentecôte, comme le rapporte le Livre des Actes des Apôtres (2/1-4).
C. Explication
du terme grec «Paraklétos»
Le terme grec inscrit dans les textes de
l'Evangile est «Paraklétos». Il est transcrit en arabe par «Faraqlit». Il
signifie «aide», «soutien», «défenseur», «intercesseur», mais il ne peut être
traduit par des termes signifiant «glorieux», «renommé», «illustre», comme il
en est dans le texte coranique par le mot «Ahmad». C'est là une déformation et
une fausse traduction. En effet, le terme arabe «Ahmad» signifie exactement
«celui qui mérite d'être loué plus que les autres». Telle est l'explication
proposée par l'exégète Râzï.
A cet égard, les musulmans ont confondu le
mot «paraklétos» avec un autre mot grec, «périklutos», qui se traduit par
«illustre», «renommé».
D. Les
musulmans confondent «Paraklétos» et «Périklutos»
Dans sa traduction du Coran5,
le Cheikh Si Boubakeur Hamza, Recteur de l'Institut Islamique de Paris, écrit
(p. 1100) que le vocable «paraklétos» semble postérieur à «périklytos», selon
le témoignage d'Ibn Ishâq (+ 767) rapporté par Ibn Hisâm (+834).
L'auteur précise aussi (p. 770) que la
forme du mot «paraklétos» et le sens qu'il a reçu dans la religion chrétienne
sont contestés par les théologiens de l'Islam qui soutiennent qu'il faut lire
dans l'original grec de l'Evangile non pas «paraklétos», mais «périklytos»,
c'est-à-dire «digne d'être loué, glorifié», soit en arabe Muhammad.
Dans une autre traduction du Coran6,
le professeur HamiduUah écrit (p. 545) que la prédiction que le Coran met dans
la bouche de Jésus rejoint celle que St-Jean rapporte (14/16)... que la
tradition musulmane entend donc, là, de la bouche de Jésus, l'annonce de
Muhammad... Il signale aussi qu'un auteur du 8° siècle, Ibn Ishâq, cite le
passage de Jean 14/16 pour dite que «Biriklutos», en langue des Roums, signifie
Muhammad. «Qui sait, conclut-il, si dans les Evangiles de son époque, il ne
lisait pas «périklytos» au lieu de «paraklétos»?
Or il n'y a aucun manuscrit de l'Evangile
qui porte ce mot. Par conséquent l'assertion de Boubakeur et de HamiduUah est
une supposition gratuite qui ne se justifie pas.
5)
Le Coran, traduction et commentaires, par le Cheikh Si
Hamza Boubakeur (Paris, éd. Fayard, 1972).
6)
Le
Coran, traduction par Muhammad Hamidullah
(Paris, 1959).
Le texte' même d'Ibn Ishaq, auquel ils se
réfèrent, ne fournit aucune précision à ce sujet.
E. Examen
du texte d'ibn ishâq
Ce texte se trouve dans l'ouvrage d'Ibn
Hisâm, «la Vie du Prophète»7.
Ibn Ishâq rapporte ce qu'il a appris,
écrit-il: «Ce que Jésus a dit dans l'Evangile au sujet de Muhammad»; et il
présente une longue citation de l'Evangile de Jean 15/23-27 et 16/1, dont le
passage ci-après:
«Quand sera venu le «Manahmana»,
celui que Dieu vous enverra de la part du
Seigneur, l'Esprit de vérité qui vient du Seigneur, il rendra témoignage de
moi, et vous aussi» (Jean 15/26).
Ibn Ishâq ajoute: «Le Manahmana (veut
dire) Muhammad, en grec c'est al-Baraqlitus».
Le mot «manahmana» est syriaque, tiré du
verbe «nahem» qui veut dire «consoler»,
«ressusciter». Ce terme syriaque arabisé ne signifie pas «glorifié» (Muhammad),
comme le suppose Ibn Ishâq, mais bien «consolateur», en grec «paraklétos».
Hamidullah laisse supposer qu'Ibn Ishâq
aurait lu, dans les évangiles de son époque, «périklutos», au lieu de «paraklétos».
Cette supposition ne se justifie pas, car,
d'une part, Ibn Ishâq ne savait
7) Ibn Hisâm, Al-Sïra
al-nabawiyya, I, 248.
certainement pas
le grec, et,
d'autre part, il
cite le terme
syriaque «manahmana», traduction du grec «paraklétos».
Hamidullah commet aussi une autre erreur,
en vocalisant «biriklutos» le terme grec cité par Ibn Ishâq, alors qu'il le
fait vocaliser «baraklétos», puisque l'équivalent syriaque en est «manahmana»,
c'est-à-dire «consolateur».
Il est à remarquer qu'à cette époque aucun
auteur ne se référait au terme grec «périklutos», qui signifie «renommé»,
«illustre», pour expliquer le mot «Ahmad» du texte coranique 61/6.
En effet, si ce terme était connu d'Ibn
Ishâq, comme le laisse entendre Hamidullah, l'exégète Râzï (1149-1209) n'aurait
pas manqué de s'y référer. Or il cite le terme évangélique «Faraqlite», et il
prend soin de préciser que: «C'est le terme même de l'Evangile, transcrit en
arabe».
On est donc en droit d'affirmer que le
terme «périklutos» n'était pas connu par les musulmans, ni utilisé dans la
controverse islamo-chrétienne.
Ce terme a été proposé' au 17° siècle,
suggéré par Lodovico Marracci, orientaliste italien (1612-1700), traducteur du
Coran et réfutateur de l'Islam.
La suggestion a été reprise par Georges
Sale (1697-1756), orientaliste anglais, qui a donné du Coran une traduction
annontée de commentaires d'exégètes musulmans (Baydawi et Suyuti).
Cette suggestion est intéressante. Elle
permet d'expliquer la confusion produite dans l'esprit des musulmans, ignorants
la langue grecque et la subtilité de sa prononciation, qui, de ce fait, ont
confondu deux termes ressemblants, mais de sens différent. Ils y ont trouvé une
preuve de la falsification du texte de l'Evangile, et ils s'y réfèrent dans la
controverse islamo-chrétienne.
Or, comme nous l'avons dit, il n'y a aucun
manuscrit des évangiles qui porte le mot «périklutos».
Les chrétiens peuvent donc affirmer que
Jésus-Christ n'a pas annoncé la venue du prophète Muhammad, mais la venue de
l'Esprit-Saint, qui a été répandu sur les
disciples, le jour de la pentecôte, comme le précise le message évangélique.
F. Divergence islamo-chrétienne
Cette divergence islamo-chrétienne remonte
au début de l'Islam.
Convaincus de l'origine divine de
l'apostolat de leur prophète et se référant aux textes coraniques, les
musulmans affirment que dans les Ecritures révélées auparavant, il est fait
mention de la venue de Muhammad. Ils ont donc cherché dans la Bible ce qui peut
être considéré comme une annonce de Muhammad, mais les textes glanés ne
fournissent pas des arguments valables. Alors les musulmans ont prétendu que
les textes bibliques ont été altérés.
Il est intéressant, à cet égard, de se
référer à une ancienne discussion religieuse, que l'on peut dater de 780, entre
le Calife al-Mahdï, qui a régné à Bagdad (de 775-785), et le Patriarche
Timothée 1° de l'Eglise Nestorienne (+ 823). On y trouve les thèmes essentiels
de la controverse islamo-chrétienne, relatifs à la Trinité, la personne du
Christ, la personne de Muhammad, les prophètes, etc8....
G. Discussion entre le calife al-Mahdï et le
patriarche Timothée
Voici un résumé du thème qui intéresse
notre propos.
Parlant du témoignage des prophètes,
Timothée affirme qu'il n'y a pas un seul texte dans l'Evangile, ou chez les
prophètes, qui témoigne de Muhammad, de ses oeuvres et de son nom (p. 238).
Al-Mahdï pose la question relative au
«Paraklet».
Timothée répond que le «Paraklet» est
l'Esprit de Dieu. Il ne concerne nullement Muhammad (p. 239).
Al-Mahdï parle alors de la falsification
des Ecritures et du refus des chrétiens de reconnaître Muhammad, comme les
juifs ont refusé de reconnaître le Christ.
8) Texte édité par le
P. Samir Khalil Samir, SJ, in:
Hans Putman, L'Église et
l'islam sous Timothée I (780-823), coll. «Recherches de 1T.L.O.», B 3
(Beyrouth: Dar el-Machreq, 1977), pp. 7-57 (de la partie arabe). Aux pages 211-277
se trouve la traduction française annotée du P. Hans Putman, SJ.
Timothée répond que les chrétiens
n'acceptent pas Muhammad, du fait qu'il n'y a pas une seule preuve de lui dans
la Bible.
D'autre part, comment les musulmans
peuvent-ils supposer que les Ecritures ont
été falsifiées? Quelles preuves avancent-ils? Où se trouve le livre non
falsifié, pour oser prétendre que l'Evangile a été falsifié? Quel avantage
avaient les chrétiens à falsifier les Ecritures?
S'il y avait dans l'Evangile une allusion
à Muhammad, les chrétiens ne l'auraient pas supprimée; et pour justifier leur
refus de Muhammad, ils auraient dit qu'il n'est pas celui dont parle l'Evangile
(p. 241).
Les juifs n'ont pas supprimé les
prophéties relatives au Messie, mais ils disent que le Messie n'est pas encore
venu.
De même les chrétiens n'ont rien supprimé.
S'il y avait une seule prophétie dans l'Evangile sur la venue de Muhammad, les
chrétiens auraient délaissé l'Evangile et suivi le Coran. Ils auraient passé de
l'un à l'autre, comme ils l'ont fait de la Torah et des Prophètes à l'Evangile
(p. 242).
III. LE TEXTE CORANIQUE 61/6 EST-IL
AUTHENTIQUE?
Examinons maintenant le texte coranique
61/6, qui laisse entendre que Jésus aurait annoncé la venue d'un Messager, dont
le nom serait «Ahmad», et demandons-nous si ce texte est authentique,
c'est-à-dire s'il a été réellement prononcé par le prophète Muhammad, ou s'il a
été introduit plus tard dans le recueil coranique.
A. Divergence
des textes des premiers recueils coraniques
Les études historiques relatives à la
formation du recueil coranique officiel ont fait ressortir l'existence de
nombreux recueils qui n'étaient pas identiques au texte actuel du Coran, lequel
a été établi vers 650 par le Calife cUtmân qui, par crainte de voir
les musulmans se diviser au sujet du texte coranique, a fait composer un
recueil officiel et il l'a imposé, en prohibant tous les autres recueils qui
ont été confisqués et détruits.
Parmi ces recueils, il y avait une
recension faite par Ubayy Ibn Kacb (+ 643), qui avait exercé lés
fonctions de secrétaire auprès du prophète Muhammad. Sa mémoire était réputée.
On le comptait parmi les rares fidèles qui connaissaient par cœur toute la
révélation coranique. Il était considéré
comme le meilleur «lecteur» du Coran.
Parlant de lui, Muhammad disait:
«Ubayy Ibn Kacb est le meilleur des lecteurs»9.
«Ubayy Ibn Kacb est le meilleur des lecteurs»9.
Le recueil d'Ubayy avait prévalu à Damas.
Il contenait 116 sourates, soit deux de plus que le Coran actuel; et son texte
présentait de nombreuses variantes qui le distinguaient du Coran officiel,
imposé par les Autorités politiques, qui a prévalu dans le monde islamique.
Une des variantes de ce recueil portait
effectivement sur le texte relatif à la prétendue déclaration de Jésus
annonçant la venue du prophète Muhammad.
B. La version de ce texte dans le recueil d'Ubayy
Voici la version de ce texte10:
«Jésus dit:
O enfants d'Israël
Je suis le
Messager de Dieu envoyé vers vous
et je vous
annonce un prophète
dont la
communauté sera la dernière communauté
par lequel
Dieu mettra le sceau aux prophètes et aux Messagers!»
Voilà donc une version qui ne donne aucun
nom, qui ne parle pas de Muhammad, mais d'un prophète qui sera le dernier, «par
lequel Dieu mettra le sceau aux prophètes et aux messagers».
Or on ne peut mettre en doute la mémoire
d'Ubayy, ni suspecter sa fidélité au prophète Muhammad. De ce fait, on ne peut
supposer qu'il ait changé ou déformé le texte coranique dans lequel Jésus
aurait annoncé la venue d'un Messager nommé «Ahmad».
Il est à remarquer aussi que le recueil
d'Ubayy était antérieur au recueil officiel du Coran, établi par le 3° Calife cUtmân,
vers 650.
Il est donc permis d'émettre des doutes
sur l'authenticité du texte coranique faisant annoncer par Jésus la venue d'un
Messager nommé
9) Recueil des Hadïts - Musnad Ahmad, 1/375.
10) Le Coran,
traduction de Régis Blachère, t.
3, pp. 909-910 (Paris, Maisonneuve, 1951). Le texte arabe d'Ubayy se trouve dans le remarquable ouvrage de
Arthur Jeffrey, Materials for
the history ofthe text ofthe Qur'ân (Leyde, 1937), p. 170.
Ahmad, d'autant plus que le prophète arabe, fondateur de
l'Islam, s'appelait Muhammad, non Ahmad, et son nom est cité en toutes lettres
quatre fois dans le Coran11.
C. Le prophète arabe s'appelait Muhammad, non
Ahmad
Si l'on doit
supposer que Jésus avait annoncé la venue de Muhammad, et si, comme l'affirment les musulmans, le
Coran a été littéralement transmis de la part de Dieu par l'Ange Gabriel, il
aurait fallu que le texte portât le nom exact du prophète arabe et non un
synonyme.
D'après la dogmatique islamique, le Coran
est la «Parole» même de Dieu. Or, si ce dogme exprime une réalité vraie,
comment peut-on supposer que Dieu ait inspiré quatre versets où le nom de
Muhammad est précisé en toutes lettres, tandis que dans le verset où Jésus
aurait annoncé la venue de Muhammad, le nom de celui-ci est indiqué par un
terme synonyme?12
Et puisque l'auteur du Coran connaissait
le nom exact du prophète arabe, pourquoi ne l'a-t-il pas précisé dans le verset
relatif à la prétendue annonce faite par Jésus?
D. L'emploi du mot «Ahmad»
Ainsi l'emploi du
mot «Ahmad» pose un problème. Il laisse supposer une défaillance dans la
révélation du texte, ou bien une falsification s'est produite.
Concernant la première hypothèse, on ne
peut parler de défaillance dans la
révélation, car le Coran n'est pas la «Parole» littérale de Dieu. Il contient
de
11)
Coran 3/144; 33/40; 47/2; 48/29.
12)
Les mots «Ahmad» et «Muhammad» dérivent de la racine
«HMD» qui signifie «louer, faire
des éloges». Ils sont synonymes et se traduisent par: «Glorieux, loué, digne
d'éloges, illustre».
nombreux textes qui ne peuvent être
considérés comme inspirés par Dieu13.
En effet, le Coran n'a pas été dicté
littéralement, de la part de Dieu par l'Ange Gabriel, et ce n'est pas parce que
le prophète Muhammad l'a pensé et que les musulmans l'affirment et le répètent
que cela doit être vrai.
Le Coran est le recueil des messages que
le prophète arabe a fait entendre, sous la poussée d'une vocation contraignante
et avec la conviction profonde que Dieu a
fait de lui son Messager. Il était épris de vérité absolue, et il a
voulu sincèrement servir la cause de Dieu. Il s'est formé au contact de
croyants monothéistes et aussi par une méditation personnelle, soutenue et
persévérante. Le message mûrissait dans son esprit, fruit de ses longues méditations, de ses réflexions approfondies, de
sa pensée tendue pour saisir la réponse aux problèmes qu'il se posait.
Il croyait entendre la réponse lui venir de
la part de Dieu, et il proclamait son message avec chaleur et conviction, foi et
constance.
E. Ce
texte n'a pas été prononcé par Muhammad
Une simple étude des textes coraniques
révèle que certains thèmes préoccupaient Muhammad et le poursuivaient, sur
lesquels il revenait dans ses messages, deux, trois ou plusieurs fois.
Or le Coran contient un texte où il est
dit que Muhammad est le «sceau» des prophètes, c'est-à-dire le dernier:
«Muhammad est le Messager de Dieu et le sceau des
prophètes!» (Coran 33/40).
Ce texte est unique, mais il ressemble au
texte cité dans le recueil d'Ubayy, signalé dans une page précédente, relatif à
une prétendue déclaration de Jésus:
«Je vous annonce un prophète... par lequel Dieu mettra le sceau aux prophètes et aux
messagers!»
Ainsi nous avons deux
textes de la même période, qui expriment la même
13) Pour un exposé plus détaillé de
ces textes, se reporter à notre publication «Réflexions sur rislam», pp. 144-155.
idée,
laquelle est confirmée par un «hadit» (propos) de Muhammad: «Il n'y a pas de
prophète après moi»14.
Voilà donc un thème qui s'est imposé à la
pensée de Muhammad, à un moment précis de
son ministère, et qu'il a repris, pour préciser qu'il était celui par
qui Dieu clôture la série des prophètes et des messagers.
Le texte cité par Ubayy apparaît ainsi
comme authentique. Par contre, le texte 61/6, où Jésus aurait annoncé la venue
d'un Messager nommé Ahmad, ce texte semble
avoir été altéré, du fait qu'il est unique, qu'il exprime une seule fois
un thème très important, qui méritait d'être repris dans la prédication
coranique.
On est surpris, en effet, de constater
qu'un tel sujet n'a pas été développé dans le Coran, ce qui permet de supposer
que cette idée n'est pas venu à l'esprit de
Muhammad. Car si le prophète arabe pensait que sa venue avait été réellement
annoncée par Jésus, il aurait exprimé cette idée une deuxième fois, dans
une autre déclaration, et surtout il aurait cité son nom propre et non un
synonyme.
F. C'est
un texte altéré
Le texte 61/6 représente donc une
modification d'une déclaration originale conservée par Ubayy, dont la fidélité
au prophète arabe ne peut être suspectée et, de ce fait, il n'aurait pas commis
le sacrilège d'altérer une déclaration coranique qu'il avait entendue et
retenue.
Cette modification s'est produite après
l'expansion de l'Islam dans le Proche-Orient et les contacts plus étroits
établis avec les chrétiens. Elle s'est opérée
à la suite d'une confusion de deux mots grecs ressemblants, formés par les
mêmes consonnes:
—
«Paraklétos»,
terme attesté dans l'Evangile, par lequel Jésus annonce à ses disciples la
venue du Saint-Esprit.
—
«Périklutos»,
traduction en grec du nom de Muhammad.
La confusion de ces deux termes était
inévitable par des Arabes, qui ne savaient pas le grec, qui n'étaient pas
sensibles aux nuances des voyelles, qui
14) Coran, trad. Boubakeur, II, p. 856.
étaient habitués à noter seulement les consonnes qui
déterminent en langue arabe la signification des mots, et de ce fait ils
tenaient un compte relatif des voyelles.
Or les musulmans étaient convaincus de la
mission prophétique de Muhammad. Ils croyaient, en toute bonne foi, qu'elle a
dû être annoncée dans l'Evangile. Ils ont donc modifié le texte conservé par
Ubayy, lui donnant une nouvelle version qui a été introduite dans le recueil
coranique établi par le Calife cUtmân, en 650.
IV. JÉSUS NE POUVAIT ANNONCER LA VENUE DE
MUHAMMAD
Si l'on se réfère aux textes évangéliques,
il apparaît avec certitude que Jésus n'a pas annoncé la venue de Muhammad.
En effet, la révélation biblique
s'intéresse uniquement à l'action de Dieu au sein du peuple d'Israël, et cette
action avait pour objectif la venue du Messie, qui s'est réalisée en
Jésus-Christ.
A. La
révélation biblique concerne la venue du Messie
C'est là l'argument capital que nous
présentons contre l'affirmation islamique que la venue de Muhammad a été
annoncée par Jésus, comme le laisse supposer le texte coranique 61/6, dont nous
contestons l'authenticité, estimant qu'il n'a pas été prononcé par Muhammad et
qu'il a été introduit dans le recueil
coranique à la faveur de la recension officielle de ce recueil en 650.
Même en supposant qu'il ait été prononcé
par le prophète arabe, cela ne lui confère
pas une crédibilité indéniable, car il resterait à prouver que Jésus a réellement
annoncé la venue de Muhammad. Or l'ensemble des textes évangéliques s'inscrit
contre une telle supposition.
Il est à remarquer, en effet, que Jésus
avait la pleine conviction qu'il était le «Messie», en qui Dieu s'est
parfaitement révélé et, de ce fait, aucune révélation ultérieure ne pouvait
être envisagée.
«Le salut vient des juifs», déclare
Jésus-Christ (Jean 4/22). Cela signifie que l'action de Dieu pour sauver le
monde s'est déroulée au sein du peuple d'Israël, dont les prophètes ont été
suscités par Dieu pour être l'instrument de
la
révélation, pour annoncer la venue du «Messie» et pour préparer les croyants à
le recevoir.
B. Jésus
est le «Messie» attendu
Dès le début de son ministère, Jésus se réfère aux
prophéties relatives au Messie, et il déclare:
«Aujourd'hui
cette parole de
l'Ecriture est accomplie!» (Luc 4/21).
Proclamant son élection par Dieu, il
déclare:
«Toutes choses m'ont été données par mon Père. Personne ne connaît le
Fils, si ce n'est le Père. Personne non plus ne connaît le Père, si ce n'est le Fils
et celui à qui le Fils veut le révéler!» (Mat. 10/27).
Affirmant le rôle exceptionnel qu'il assure dans les
destinées spirituelles de l'humanité, il déclare:
«Je suis la lumière
du monde
Celui qui me suit
aura la lumière de la vie!» (Jean 8/12).
Précisant qu'il est le «Sauveur», qui conduit
les hommes sur le chemin du salut
et aux sources de la vie éternelle, il déclare:
«Je suis le chemin,
la vérité et la vie.
Nul ne vient au Père
que par moi!» (Jean 14/6).
Convaincu de la portée universelle du
message évangélique et de l'œuvre salvatrice qu'il accomplit, il déclare:
«Cette bonne nouvelle
du Royaume
sera prêchée dans le
monde entier!» (Mat. 24/14).
S'adressant à ses disciples, au moment où s'achève son ministère
terrestre, il leur dit:
«Allez par tout le monde
et prêchez la bonne nouvelle à toute la création.
Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé
mais celui qui ne croira pas sera condamné!» (Marc 16/15).
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GEORGES TARTAR
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Voilà un rappel sommaire de quelques
déclarations évangéliques qui permettent d'affirmer que Jésus n'a nullement
annoncé la venue de Muhammad.
V. CONCLUSION:
JÉSUS N'A PAS
ANNONCÉ LA VENUE DE
MUHAMMAD
Comment peut-on supposer que Jésus aurait
annoncé la venue d'un autre prophète, lui
qui se proclamait la «Lumière» du monde et le «Sauveur», lui qui
affirmait que «Nul ne peut venir à Dieu que par lui»?
Assurément, Jésus n'a pas annoncé la venue
de Muhammad, à moins de penser que les textes évangéliques sont faux, ou comme
le laissent entendre certains musulmans, que le véritable Evangile a disparu.
Or c'est là une supposition absurde,
injustifiée et indéfendable. Le Coran lui-même s'inscrit en faux contre une
telle hypothèse, puisqu'il exhorte les chrétiens à se conformer à la révélation
évangélique, contenant «Direction», «Lumière» et «Exhortation», pour ceux qui
craignent Dieu (Coran 5/46-47).
D'autre part, le Coran rend à Jésus-Christ
un témoignage des plus éloquents, le plaçant
au sommet des prophètes, le qualifiant de «Verbe» divin. Par conséquent
il n'est pas plausible de supposer que Jésus ait annoncé la venue d'un autre
prophète.
Le texte coranique 61/6 n'est pas
authentique. Il a été forgé par les musulmans pour accréditer leur prophète.
Pasteur Georges
Tartar
48, Rue du Bois-1'Evêque
F - 77380 COMBS-LA-VILLE
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