septembre 24, 2015

APPROCHE D'UNE VISION CHRETIENNE DE LA CHEVALERIE





« Nous savons que nous sommes de Dieu et que le monde entier gît dans le mauvais ». (I Jean V, 19) ; cette certitude de l'apôtre pourrait résumer les raisons de la chevalerie chrétienne ; le chevalier dans la révélation biblique opère une fonction réparatrice, sa lutte, c'est l'action permanente qu'il doit mener pour que la cité terrestre, devienne, redevienne, cité sainte, un instant partiellement en désharmonie, et ainsi anihiler l'action des facteurs de chute ; voilà pourquoi l'apôtre déclare : «Pour finir, fortifiez-vous dans /e Seigneur, mes frères, et dans la puissance de sa force; couvrez-vous de la panoplie de Dieu, afin de pouvoir tenir fermes contre les manœuvres du diable. Car notre lutte, n'est pas contre un être de chair et de sang, mais contre les archées, contre les extériorisations, contre les forces cosmiques de ce monde de ténèbres, et contre les mauvais esprits des espaces célestes. C'est pourquoi il vous faut prendre la panoplie de Dieu, afin que vous puissiez résister, au moment du Mal, et rester debout avec Victoire complète. Et donc, tenez-vous droit, vos reins ceints de la Vérité, votre poitrine revêtue de la Justice, les pieds chaussés tout prêts pour l'Evangile de la paix. En toute occurence, prenez le bouclier de la foi qui vous permettra d'éteindre les traits du feu du Malin ; et coiffez le casque du salut, et brandissez l'épée de l'Esprit, c'est-à-dire la parole de Dieu; et en tout temps priez en esprit par toutes les formes de prières et de supplication ». (Ephésiens VI, 10-19).
Cette dimension spirituelle de la Chevalerie ; qu'un Bernard de Clairvaux n'entreverra pas exactement, - Guigues le Chartreux la précisera dans une admirable lettre à Hugues de Païens - nous amène à prendre conscience de la vraie et seule perspective de ce que certains appelèrent le huitième sacrement et que l'on trouve présent en de multiples lieux de l'Ancien Testament.
Lors, dans une vision, Zacharie déclare « qu'un homme était monté sur un cheval roux, il se tenait entre les myrtes qui sont dans la fondrière et il y avait derrière lui des chevaux roux, des roses, des blancs » (Zacharie I, 8), ceux qui les montent sont envoyés par Iahvé pour circuler sur la terre et les cavaliers ayant accompli leur mission disent alors à l'ange de Iahvé : « Nous avons circulé sur la terre et voici que la terre est paisiblement habitée » (Zacharie I, 11).
La tradition juive nous enseigne que l'Ange de Iahvé, c'est Iahvé lui-même, et nous ne saurions être surpris comme Théodore de Mopsveste que Didyme d'Alexandrie déclare en son commentaire sur Zacharie : « l'homme qui monte le cheval roux, c'est le Sauveur fait homme. Le cheval roux c'est le corps dont il est revêtu, car la chair humaine est naturellement rouge à cause du sang qui y circule ». Il)
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Cette fonction réparatrice du cavalier biblique est toujours présente quand en réponse à Zacharie I, 12, la vision du chapitre VI, montrant quatre chars attelés à des chevaux roux, noirs, blancs et rougeâtres, fait dire à l'Ange : « Vois ceux qui sont partis vers /e pays du nord, ils ont apaisé mon esprit au pays du nord» (Zacharie VI, 8).
Lorsque Iahvé dit à Moïse : « Voici que la main de Iahvé sera sur ton troupeau qui est dans la campagne, sur les chevaux, sur les ânes, sur les chameaux, sur le gros bétail et sur le petit bétail» (Exode IX, 3), Elie Munk, en son commentaire du Pentateuque, signale que selon l'exégèse grammaticale de ce verset, se trouve en «/a main de Iahvé sera » l'expression du principe d'amour mais aussi son contraire, celui de la justice rigoureuse (2) et il appartiendra en effet au cavalier dans la tradition biblique et au chevalier dans la tradition chrétienne, d'accomplir ce double office qui n'en fait d'ailleurs qu'un.
Le Christ est le Divin Réparateur, s'il est préfiguré par l'homme monté sur un cheval roux de Zacharie, il convient en premier lieu d'examiner la fonction chevaleresque et royale du Sauveur dans ce monde de la chute.
1. Cité terrestre et cité céleste
« Mon royaume n'est pas de ce monde » (Jean XVIII, 36) répond Jésus à Pilate lorsqu'il demande au Christ s'il est le roi des juifs.
Il importe de noter que le Seigneur récuse la qualité de roi des Juifs« mon royaume n'est pas d'ici actuellement» (Jean XVIII, 36) déclare le Christ ce qui sous-tend la notion de temps au moins en deux étapes, le présent et le futur, et pourtant le Sauveur ne conteste pas, par une opposition explicite, l'exclamation de Nathanaél : « tu es /e roi d'Israël» (Jean I, 49) parce que la fonction réparatrice s'inscrit dans une perspective eschatologique : « Et moi je dispose pour vous d'un règne, comme mon père en a disposé pour moi, pour que vous mangiez et buviez à ma table, dans mon règne, et que vous vous asseyiez sur des trônes pour juger les douze tribus d'Israël ». (Luc XXII, 29-31).
Il est possible pédagogiquement de distinguer dans la Création deux cités, la terrestre et la céleste. Le fait de cette provisoire dissociation réside dans le type de vie des créatures appartenant à chacune d'elles, l'une connaissant la mort, l'autre l'immortalité et avant d'aller plus outre - pour comprendre de quelle nature est la royauté du Christ - il convient de savoir si le péché d'Eve et d'Adam s'inscrit dans le cadre d'une chute personnelle ou dans celui d'une faute héréditaire et si la nature s'est trouvée entraînée dans la corruption.
Le Maître de Sacy en sa traduction de la Vulgate énonce en ces termes Romains V, 12 : « C'est pourquoi comme le péché est entré dans le monde par un seul homme et la mort par le péché ; et qu'ainsi la mort est passée à tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché ». Cet « en qui» sera repris par Segond et l'Ecole Biblique de Jésuralem, lorsqu'il convient conformément au texte original grec, avec Crampon, Maredsou et bien entendu Alta, de traduire : « Ainsi donc, comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort. En réalité la mort est venue sur tous les hommes parce que tous ont péché ».
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Cette distinction fondamentale entre « en qui» et «parce que » qui sera source d'une compréhension différente du péché originel entre les mondes latin et byzantin, nous amène à comprendre avec l'Apôtre que « ce que l'on achète au marché du péché c'est la mort » (Romains VI, 23), mais que l'homme, s'il n'est pas coupable à cause du premier homme, le devient, dès lors qu'il pèche comme Adam : Jean Chrysostome déclare en sa dixième Homélie sur l'Epitre aux Romains : « Qu'un homme ayant péché et étant devenu mortel, ses descendants le soient aussi, il n'y a rien là d'in vraissembla­ble ; mais qu'on devienne pécheur par la désobéissance d'un autre, est-ce logique ? ll semble 'que personne ne peut être puni que pour une faute personnelle ». ,3)
C'est la mort qui rendra le péché inévitable en ce fait que la mort est un héritage d'Adam, que par elle vient la corruption, et donc la corruption de la nature : «maudit soit le sol à cause de toi» (Genèse III, 17) ; et cette chute, conséquence de la précédente, constitue un enseignement commun aux rabbins et pères qu'affirmera par exemple un Maxime le Confesseur déclarant : « Par sa corruption, la volonté nature/ le d'Adam entraîna la corruption de la nature, qui se vit privée de la grâce de l'impossibilité et devint péché ». 14)
Cet état de corruption se doit d'être transformé, c'est la fonction de chevalier qui doit en premier lieu renaître lui-même avant de participer à la transfiguration du Cosmos.« Ainsi ce n'est pas le spirituel qui naît le premier, mais le psychique d'abord et le spirituel ensuite ». (I Corinthien XV, 46) car il est un mystère fondamental et oublié de la métaphysique chrétienne : il revient à l'homme d'acquérir son âme et Darby en sa traduction de la Bible insiste sur le sens des termes grecs : « Possédez (en acquérant) vos âmes par votre patience» (Luc XXI, 19).
Ainsi, l'homme n'appartenant pas à la Cité Céleste pourra s'exclamer comme l'Apôtre : « Nous n'avons pas ici de cité permanente, mais nous recherchons ce/ /e qui est à venir ». (Hébreux XI I I, 14).
A l'image du Sauveur déclarant que son royaume n'est pas de ce monde, n'est pas d'ici actuellement, le chevalier partira en quête - pour son compte et celui des règnes de la nature - de la Cité spirituelle à venir.
C'est après sa Résurrection, que dans le scénario de la Rédemption, s'actualise la Royauté du Christ car «// est Seigneur des seigneurs et Roi des rois, et avec lui ses appelés, ses élus, ses fidèles » (Apocalypse XVII, 14), et il convient de se souvenir que si le Christ est préfiguré par le cavalier montant le cheval roux de Zacharie I, 8, l'armement chevaleresque précède toujours, dans la tradition chrétienne, le sacre royal.
La queste de la Jérusalem céleste est très clairement manifestée dans l'Apocalypse de Jean, et si l'on ne saurait distinguer le vrai et le contre chevalier, - parce que tous deux en des fonctions distinctes agissent en vue de la délivrance de la nature symbolisée par la Jérusalem terrestre -, il apparaît que les chevaux qui apportent la désolation au chapitre 6, ne s'opposent pas au cavalier monté sur un cheval blanc d'Apocalypse XIX, 11.
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Si la rupture des quatre premiers sceaux s'établit donc sur la terre par l'apprition de chevaux aux différentes couleurs blanc, rouge, noir, vert, le voyant ajoute : «On leur a donné pouvoir sur le gent de la terre pour tuer par l'épée, par la famine, par la peste et par les bêtes de la terre ». (Apoc. VI, 8)
Les commentateurs de la Révélation Johanique ont en général voulu percevoir dans le cheval blanc ouvrant le premier sceau l'image anticipée du Christ d'Apoc. XIX, 11, mais il nous semble que ce premier cheval participe aux qualités des trois chevaux ouvrant les trois sceaux suivants : tous quatre constituent le « commencement des douleurs » ,5), il apparaît que ces quatre animaux accomplissent une fonction de purification.
II est un point fondamental à noter. La révélation de Jean ne met pas l'accent sur le fait que ceux-ci seraient montés par des cavaliers, c'est d'une part, parce que le Christ ne se trouve pas symbolisé par le premier d'entre eux, - alors qu'au chapitre XIX, 11 il est dit que «celui qui est dessus s'appelle Fidèle et Véritable » - , et que d'autre part, parce que seul le Christ peut accomplir notre salut, la leçon des Psaumes nous enseigne que dans son individualité - et donc sans la présence du cavalier, ce qui est le cas du chapitre 6 - , « le cheval n'est qu'un mensonge pour la victoire, il ne sauve pas, quelle que soit sa valeur ». (Psaume XXXIII, 17)
La question préalable à toute fonction chevaleresque est donc de savoir si le cavalier qui monte le cheval est un vivant ou s'il appartient au pays de l'ombre. Jésus-Christ est le vivant en ce que sa nature humaine à vaincu la mort, il est le Ressuscité.
Pour parvenir à l'état de Vivant il importe de posséder en l'acquérant, son âme : ce point est fort complexe en ce fait que l'on peut aussi perdre son âme ainsi que Adonaï Iahvé le déclare à Ezechiel XIII, 19 évoquant les fausses prophétesses : « Vous me profanez auprès de mon peuple, pour des poignées d'orge et pour des morceaux de pain, en faisant mourir des âmes qui ne doivent pas mourir et en faisant vivre des âmes qui ne doivent pas vivre ».
Le chevalier n'endosse pas cet état, du fait qu'il est monté sur un cheval, de la même façon que ce n'est pas l'animal qui donne la qualité à celui qu'il porte. A cet égard une leçon nous est offerte sur le fait que ce n'est pas sur un cheval, mais sur un âne que le Christ entre à Jésuralem et il avait été dit : « Jubile grandement fille de Sion, exulte, fille de Jérusalem : voici que ton roi vient vers toi, il est juste et victorieux, humble et monté sur un âne, sur un ânon, petit d'une ânesse » (Zacharie IX, 9) ; et il convient de comprendre que de même que le Christ vrai Chevalier sauvant le monde, refuse ses royaumes avec leurs gloires lors de la troisième tentative de tentation, de même il n'importe pas à celui qui veut le suivre d'user des accessoires humainement reconnus, comme le cheval, mais il convient qu'il soit de même juste et victorieux.
L'exemple de l'âne préféré au cheval nous conduit au refus du monde et de ses prestiges coutumiers : le chevalier doit vaincre le monde en ce que la Jérusalem, promise est spirituelle : «Et j'ai vu /a ville sainte, la nouvelle Jérusalem, descendre du ciel d'auprès de Dieu, prète comme une épouse parée pour son homme /» (Apocalypse XXI, 2).
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Cette quête spirituelle, Guignes le Chartreux l'exprimait dans une lettre à Hugues de Pays lorsqu'il déclare : « Il est vain en effet d'attaquer des ennemis extérieurs, si l'on ne domine pas d'abord ceux de l'intérieur. C'est une honte, une indignité, de vouloir commander à une armée que/conque, si nous ne nous soumettons en premier lieu nos propres corps. Qui supporterait notre prétention d'étendre notre domination au-dehors sur de vastes territoires, alors que nous tolérons la dégradante servitude des vices dans de minuscules mottes de terre, c'est-à-dire dans nos corps ? Faisons d'abord notre propre conquête, amis très chers, et nous pourrons ensuite combattre avec sécurité nos ennemis du dehors. Purifions nos âmes de leurs vices, et nous pourrons ensuite purger la terre des barbares ». , 6)
Guigues nous montre la voie de la Chevalerie, et à sa suite nous avancerons pour comprendre comme« /e règne du monde est à notre Seigneur avec son Christ, et il régnera dans les âges des âges » (Apocalypse XI, 15).
II. La soumission du corps
Dans le cadre des Travaux scientifiques du Vllème Congrès International d'Avon, René Nelli à l'occasion de sa contribution sur la continence Cathare déclare que la plus parfaite continence s'impose aux seuls Purs alors que la morale cathare régissant les croyants leur permettait de ne point être chastes (7).
Cette vision morale détruit les mauvaises querelles que l'on a voulu faire aux Cathares selon laquelle ils rejetaient et le mariage et l'ceuvre de chair : nous y reviendrons tout à l'heure.
Pour ce que l'historien peut connaître de la pensée cathare, il apparaît dans le cadre de l'exposé des Authié que « Dieu a fait le mariage afin que /es âmes qui sont tombées du ciel involontairement par orgueil, et qui sont dans ce monde, reviennent à la vie par le mariage du Saint-Esprit, c'est-à-dire par les bonnes oeuvres et l'abstention des péchés et qu'ils fussent deux dans une seule chair » comme on lit dans l'Evangile. , 8)
Dans le cadre de notre étude Consolamentum, Réincarnation et Evolution spirituelle (9) il a été entrevu certaines des formes d'incarnation de l'âme, et il n'y a pas lieu de se répéter : l'idée de la descente de l'âme dans le corps selon des modes divers n'était pas contraire au Judaïsme et à la métaphysique chrétienne quand bien même les Pères n'auraient pas osé commenter Jean I, 13 à l'occasion de l'ceuvre exégétique si considérable qu'ils laissèrent.
Cette dualité en une seule chair, selon les Pères, est à réunifier et prend son origine dans la chute de l'homme : si la procréation est une conséquence de la faute, après nous avoir précisé que sans celle-ci les hommes se seraient multipliés à la façon de la vie angélique, Grégoire de Nysse ajoute à l'égard du Créateur : « Mais comme ll voit d'avance, grâce à la puissance de sa prévoyance, que l'homme ne choisit pas la droite route du bien, et qu'ainsi il est déchu de sa vie angélique, pour éviter que la multiplication du genre humain ne soit tronqué, après la chute qui le prive du mode d'accroissement de l'espèce angélique, Dieu après la faute où tombent Adam et Eve, met dans la nature humaine un mode d'accroissement mieux approprié : il ne s'agit plus de la noblesse des anges ; mais nous, nous transmettrons la vie à la manière des bêtes privées de raison : voilà ce que Dieu établit pour l'humanité ». 10)
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Les Authié n'ont bien entendu rien d'hérétique dans leur présentation et Maxime le Confesseur rappelle que : « Ces passions comme /es autres ne furent pas implantées dans la nature humaine dès le début, c'est-à-dire au moment de la création de l'homme; autrement, elles auraient contribué à la définition même de la nature humaine. A la suite du grand Grégoire de Nysse, je soutiens que les passions s'introduisent dans la nature de l'homme après sa chute et adhérèrent à sa partie la moins rationnel e. A cause des passions, la désobéissance fut suivie d'une ressemblance manifeste et nette de l'homme avec les autres sans raison, ressemblance qui remplaça l'image divine et béatifique ». , 11)
La doctrine cathare s'avère comme toujours parfaitement orthodoxe. Le Rituel Cathare en sa version occitane offre notamment cette prière :
« O Seigneur, juge et condamne les vices de la chair, n'aie pas pitié de la chair née de la corruption, mais aie pitié de l'esprit emprisonné ». 112)
A propos de l'esprit emprisonné, nous renvoyons le lecteur à l'ensemble de nos publications antérieurement insérées dans les Cahiers d'Etudes Cathares, mais il est un mystère pour les Eglises Apostoliques des grands sièges patriarcaux d'Orient et d'Occident, c'est la découverte, la connaissance, du moyen de libérer l'esprit emprisonné qui, dans sa chute, a non seulement engagé la nature vers la mort, mais aussi provoqué un mode d'accroissement comparable - selon ce qui ne doit être qu'une image - à la manière dont les bêtes privées de raison, transmettent la vie.
' Les Cathares avaient parfaitement compris que le problème de la soumission du corps, n'entraînait pas la nullité des réalités de la chute, et que, sans en refuser les conséquences, il revenait à l'homme non pas de rejeter, mais de purifier l'état dans lequel il se trouvait.
Déodat Roché a raison d'écrire : « En réalité ce n'était pas l'état de mariage qui faisait l'objet de leur critique, mais l'affirmation catholique de la valeur du sacrement considéré comme rendant pur par lui-même les liens conjugaux ». 13)
Il ne convient pas d'ouvrir une polémique lorsque le très classique Abbé Boulenger déclare avec honnêteté (ce qui ne sera pas le cas des traités de théologie en général) en sa Doctrine Catholique que l'on ne peut «préciser à quel moment Notre-Seigneur institua le mariage » (14) ajoutant « le fait même de l'institution découle de l'enseignement de Saint-Paul ».
Nous tenons Paul pour un très grand Apôtre, mais le sacrement dépend-il des apôtres qui sont des hommes, ou de l'institution qu'établira à leur égard Jésus-Christ ? Cette absence d'institution par le Sauveur a engagé l'Eglise Romaine à considérer que ce sont les époux qui se donnent le sacrement et non le célébrant de la messe de mariage : en cela, nous rejoignons l'enseignement des Purs qui permettait aux Croyants de s'unir : «/a cérémonie était toute simple et reposait uniquement sur le consentement des conjoints ». 15)
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Le fait de savoir si le mariage rend pur les liens conjugaux est une affaire qui prête en théologie à la controverse, et il faudrait déjà s'entendre sur le sens de purifier en l'occurence. S'il s'agit d'acquérir par le sacrement la grâce sanctifiante et la grâce sacramentelle, alors pourquoi l'Eglise de Rome permet-elle d'user du Privilège Paulin, selon I Corinthien VII, 15, et peut-on répudier sa femme même pour adultère, comme le laisse entendre Mathieu XIX, 9 ?
Si le mariage est un sacrement, il est indissoluble et son caractère ne peut jamais être détruit, en ce que s'il est de foi que« ses sacrements produisent leur effet, par eux-mêmes, ils agissent ex opere operato », les grâces résultent donc du sacrement du mariage, agissent donc par elles-mêmes, ne peuvent produire l'admission de cas de nullité !
Nous connaissons la thèse de Rome dissociant par commodité trois sacrements pour leur donner un caractère ineffaçable qui sont le Baptême, la Confirmation et l'Ordre, mais alors, que l'on justifie autrement que par des arguties funambulesques qu'il existe deux sortes de sacrements, et cette distinction dangereuse remet en cause la qualité sacramentelle des quatre autres sacrements
Il est souhaitable de recevoir plusieurs fois les sacrements de Pénitence, la Sainte-Onction ou l'Eucharistie, non pas parce que les grâces qui sont attachées à ceux-ci auraient disparu, mais parce que l'administration réitérée de ces mystères prolonge les grâces déjà acquises par le chrétien, en une actualisation célébrant l'état inférieur présent de celui qui les reçoit : nous savons que nous serons tous sauvés et pardonnés, que nous sommes tous appelés à mourir une fois, que nous sommes tous un avec le Père, le Fils et l'Esprit Saint.
La cérémonie religieuse constatant l'existence d'un lien d'amour entre deux êtres s'il n'est pas aisé de lui accorder la reconnaissance d'un état sacramentel de même nature que le Baptême, bénéficie toutefois des vertus inhérentes à la prière qui peuvent engendrer des grâces comparables à celles acquises par les sacrements institués par le Christ : l'efficacité de la grâce résultant de la volonté de son acquisition par le bénéficiaire et cela nous introduit dans l'amour spirituel, lorsque l'Apôtre déclare aux Ephésiens V, 21-23 : « Soyez subordonnés les uns aux autres par respect du Christ. Vous les Femmes soyez soumises à vos maris comme au Seigneur; parce que le mari est le chef de la femme comme le Christ est le chef de l'Eglise et le sauveur de son corps ; ainsi donc comme l'Eglise est soumise au Christ, ainsi les femmes à leurs propres maris, en tout. Et vous les maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré lui-même pour elle, la purifiant, puis la sanctifiant dans l'eau purificatrice et dans la parole sainte afin de se constituer à lui-même une Eglise qui lui fasse honneur, n'ayant ni tache, ni ride, ni rien de pareil, mais sainte et immaculée. Ainsi les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps : celui qui aime sa femme c'est lui-même qu'il aime, et personne jamais n'a pris en haine sa propre chair, mais il la nourrit et la soigne ; de même le Seigneur envers l'Eglise, parce que nous sommes membres de son corps, nous faisons partie de sa chair et de ses os. « C'est pourquoi l'homme laissera son père et sa mère et s'attachera à sa femme et les deux ferons une seule chair ». C'est là vraiment un grand mystère : moi je l'applique au Christ et à l'Eglise ».
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Parce que le Christ est le chef de l'Eglise dont le corps est symbolisé par la femme lorsque l'Apôtre déclare que la femme doit être soumise à son mari (compte tenu que «l'Homme laissera son père et sa mère, s'attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair » (Genèse II, 24)) il apparaît que le mystère qu'évoque Paul peut s'entendre notamment dans le fait que l'homme doit soumettre sa propre communion charnelle à la Sainte-Communion avec le Christ en ce que le Fils nous a appelé à un seul salut et la soumission du corps, c'est avec la soumission à Dieu, la participation à ce salut universel qu'évoque le chapitre VIII de l'Epitre aux Romains.
Le Christ s'est livré pour l'Eglise, il revient à l'homme de se livrer en faveur de sa femme, et parce que la femme constitue l'image microcospique de la création souffrant les douleurs de l'enfantement, le chevalier se doit à son tour de participer à la délivrance de la nature : «assujettie à /a vanité, non pas parce qu'elle le veut, mais par ordre de celui qui lui a promis que, elle aussi, la Création, sera libérée des servitudes de la corruption ».
En son aspect primaire il serait possible d'entendre le mariage spirituel et la soumission du corps comme un refus des passions humaines, finalité et origine de l'amour terrestre ; mais parce que la soumission du corps est la soumission de la femme à son mari, c'est-à-dire de l'Eglise à Jésus-Christ et de la Nature à son Créateur, d'une façon plus universelle ; nous devons entendre cet état comme l'acceptation d'une part de la malédiction provisoire qui est lancée contre elle : « maudit soit le sol à cause de toi » (Genèse III, 17) et d'autre part cette situation d'humilité, constitue une condition préablable à sa délivrance : il faut que l'homme s'humilie pour entrer en relation avec Dieu, de même il convient que la nature soit assujettie à la vanité pour connaître un cheminement semblable à celui qui est offert au genre humain. (15)
III. Corps charnel et corps spirituel
Les restaurations de l'homme en son premier état « Vous avez dépouillé /e vieil homme avec tous les gestes, et vous avez revêtu le nouveau, celui qui sans cesse se renouvelle à la ressemblance de celui qui l'a créé, vers la Surscience, où il n'y a plus de distinction d'Hellène et de Juif, de circoncision et de prépuce, de barbare, de Scythe, d'esclave, d'homme libre ; mais c'est le Christ qui est tout, et en tous» (Colossiens III, 10-12), est indissociable de la Restauration de toute la création chulée «ll amènera une plénitude des temps qui rétablira tout en Lui les choses qui sont dans le ciel et celles qui sont sur la terre. Tout sera restauré en Lui». (Ephésiens I, 10-12)
La soumission du corps individuel participe à la soumission du corps universel et cette dernière restauration s'accomplit par ceux que le Christ a appelé à cette fonction, lorsque l'Apôtre ajoute : « C'est pour ce/a que nous, nous avons été choisis et mis à part pour réaliser le projet de sa volonté en l'honorant et le glorifiant, en espérant dans le Christ; et que vous, entendant la prédication de la vérité, la bonne nouvelle de votre salut, vous avez cru en lui et vous avez été insufflés du souffle de sainteté, promesse et garant de l'héritage qui nous échoira, à nous, après la délivrance, et qui Réalisera son honneur et sa gloire ». (Ephésiens I, 13-15)
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II y a dans la création une hiérarchie et lorsque Saint-Paul déclare qu'« à cause de vous, je me réjouis dans mes souffrances de fournir le complément des souffrances du Christ, dans ma chair pour son corps qui est l'Eglise » (Colossiens I, 24), il ne doit pas être entendu que le Christ n'a pas assez souffert, mais que la rédemption de l'homme accomplie par le sauveur engage sa créature à agir à son tour en faveur de la nature : Origène insistera sur cette mission lorsqu'il précise : « Toutefois ceux qui sont du plus haut mérite reçoivent le rôle de « souffrir avec » les autres et d'être au service de ceux qui sont placés au-dessous d'eux, pour l'organisation du monde, afin de devenir par là participants à la patience du Créateur selon la parole de l'Apôtre : « la créature a été soumise à la vanité, non qu'elle l'ait voulu, mais à cause de celui qui l'a soumise, en vue de l'espérance ». 117)
Le problème de la chute apparaît dans le cadre de la nature comme un lien de témoignage, et un accompagnement de celle-ci, dans l'état qui devient celui de l'homme, et l'on comprend pourquoi dès lors, Basile de Césarée déclare en ses Homélies sur l'Hexaéméron : «ll faut nécessairement que le monde change, si la condition des âmes doit se transformer en un autre genre de vie ». 118)
L'homme et la Création sont inséparables, et l'Apôtre affirme : «Lorsqu'il est dit que tout lui sera soumis, il faut évidemment excepter Celui qui lui a soumis ainsi toutes choses. Et lorsque tout lui aura été soumis, alors, lui, le Fils sera soumis, à Celui qui lui a soumis toutes choses, afin que en tous, Dieu soit tout ». (I Corinthiens XV, 27-29)
Cette récapitulation s'accomplira, « parce que c'est le bon plaisir du Père d'établir en lui le Plérôme et par lui de ramener tout à soi, rétablissant dans la paix, grâce à lui, soit ce qui est sur la terre soit ce qui est dans les cieux » (Colossiens I, 19-21) et celle-ci s'inscrira dans une soumission générale de tous les règnes de la nature car « au nom de Jésus tout genou doit fléchir dans les cieux, sur la terre, dans les enfers, et toutes langues confessent que Jésus est Seigneur, pour la gloire de Dieu son Père ». (Pilippiens II, 10-21) parce que comme le relate l'ensemble du Psaume 148, toute la Création en ses divers éléments est appelée à louer Dieu, dans Sa gloire infinie, gloire qui revient à celui qui a tiré la nature du néan en l'appelant à l'existence et qui Roi de la Création est appelé à régner sur la Nouvelle Jérusalem, et alors ce qui était matériel deviendra spirituel, puisque comme le déclare l'Apôtre : « le corps est semé corps psychique; il ressuscite corps spirituel ». (I Corintien XV, 44) et selon que le déclare le Maître d'Alexandrie : «Dans /a mesure où notre sens peut l'appréhender, nous sommes d'avis que la qualité du « corps spirituel » est d'une nature te/ le que puisse y habiter non seulement toutes les âmes saintes et parfaites, mais aussi toute la création qui « sera libérée de la serviture de la corruption » 119).
IV. Réparation et fonction chevaleresque
Cette restauration du corps psychique en corps spirituel est possible par la Réparation.
Bonaventure décrit en ces termes l'appel de François d'Assise par Dieu à réparer Son Eglise : « Un jour que François était sorti dans la campagne pour méditer, ses pas le conduisirent du côté de l'Eglise Saint-Damien, si vieille
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qu'elle menaçait ruine ; poussé par l'Esprit, il y entra pour prier et, prosterné devant le crucifix, il se sentit l'âme envahie, durant sa prière, d'une réconfort extraordinaire. Fixant alors, de ses yeux baignés de larmes, la croix du Seigneur, il entendit de ses oreilles de chair une voix tombant du crucifix lui dire par trois fois : « François, va et répare ma maison qui tu le vois, tombe en ruines ! » Effrayé, stupéfait d'entendre cette voix étrange alors qu'il était seul dans l'église, pénétré jusqu'au fond du coeur par la puissance de la Parole de Dieu, tout délirant, il entra en extase...
Enfin revenu à lui, il se dispose à obéir et réfléchit aux moyens à prendre pour réparer cette église matérielle. Mais l'église que lui désigna la voix était celle « que le Christ s'est acheté de son sang »; le Saint-Esprit le lui apprit plus tard, et lui-même le révéla aux frères ». ; 20)
La maison de Dieu c'est l'Eglise, mais c'est aussi toute la Création et lorsque Saint-Luc déclare « Prenez garde à vous même et à tout /e troupeau sur lequel l'Esprit-Saint vous a établi surveillant pour faire paître l'église de Dieu, celle qu'il a acquise par son sang » (Actes XX, 28) ; il est rappelé au postulant la fonction capitale de sa mission résultant de son entrée dans la Chevalerie : «Souvenez-vous que vous devez répandre tout le sang pour la défense de la Sainte-Eglise » 21)
Le Pontificat de Guillaume Durand fait dire au célébrant remettant l'épée : « Reçois le glaive pris sur le corps du bienheureux Pierre par nos mains indignes mais consacrées par la fonction et l'autorité apostolique ; il confère l'ordination divine pour la défense de cette Eglise universelle, pour le châtiment des méchants, l'honneur des bons; et souviens-toi de la prophétie du psalmiste: « Tu ceindras ton glaive autour de ta cuisse, avec une immense puissance » pour qu'avec son aide tu exerces la force de l'équité, tu renverses avec puissance la masse de l'iniquité, du défendes et protèges la Sainte Eglise de Dieu et ses fidèles que tu maudisses et disperses non moins les faux fidèles que les ennemis du nom chrétien, que suivant ta promesse, tu aides et défendes avec démence les veuves, les pupilles et les orphelins, que tu restaures ce qui est ravagé, que tu conserves ce qui est restauré, que tu venges la justice, que tu affermisses l'ordre. Par cette conduite, le triomphe des vertus t'apportera la gloire, le culte de la justice te rendra éminent et tu mériteras de régner sans fin avec le sauveur du monde, dont tu portes le cadavre par ton nom. Qui avec Dieu le Père... » , 22)
Restaurer ce qui est ravagé et conserver ce qui est restauré, telle est la mission chevaleresque qui s'inscrit dans la théorie du mérite et dont la satisfaction sera mise en relief dans l'ceuvre entière de Tertullien.
« La bonne action a Dieu pour débiteur » ,23) ; à cette certitude, le juriste carthaginois ajoute : « En sacrifiant ce qu'il a de plus cher au monde, son corps et son eme, celui-ci ouvrage, ce/le-là souffle du Créateur, l'homme ne se dépouillé que pour placer un plus gros intérêt, ne dépense que pour retrouver d'avantage même prix, même récompense ». ,24)
Ce point nous conduit à examiner le dogme de la Communion des Saints.
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V. Communion des Saints et transmission des mérites


S'il convient de trouver un exemple symbolisant et l'idéal de la chevalerie et le type de structure la plus parfaite pour l'expression de celle-ci au sein d'un collectif que représenterait un Ordre, il faut chercher dans le Temple dont la Règle fut élaborée par Saint-Bernard et qui se vit confirmé par l'Eglise à l'occasion du Concile de Troyes : les membres de la Nouvelle Milice étaient chevaliers, mais aussi moines.
La prière, fonction première du moine, est source de grâces surérogatoi­res, et l'on comprend que la fonction d'orant qui devrait être celle de tout homme, soit aussi l'un des moyens d'action du Chevalier. Convient-il d'établir à la suite de Georges Duby une distinction sur les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme, lorsque la Règle du Temple signale en plusieurs endroits les obligations quotidiennes du chevalier devant notamment entendre en son entier, chaque jour, l'office divin.
Si le chevalier se doit de réparer l'Eglise de Dieu, Guignes le Chartreux déclare à Hugues : « Nous ne saurions en vérité vous exhorter aux guerres matérielles et aux combats visibles... Rendons-nous puissants dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force, et revêtons l'armure de Dieu, pour pouvoir résister aux manœuvres du diable. « Car ce ne sont pas contre des adversaires de chair et de sang que nous avons à lutter, est-il écrit au même endroit, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les régisseurs de ce monde des ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes » c'est-à-dire contre les vices moeurs instigateurs les démons ». (25)
Ce combat spirituel Saint-Pierre le déclarait comme non seulement possible mais recommandé à l'homme lorsqu'il s'exclame : « Puisque tout se dissout ainsi, que/ /e sainte conduite et quelle piété devez-vous avoir pour attendre et hâter l'avénement du jour de Dieu ». (II Pierre III, 11, 12)
Que l'homme puisse par ses bonnes actions et ses prières hâter l'avénement du jour de Dieu introduit l'idée de la transmission des mérites par la communion des saints qui, élément de foi très ancien, n'a pas été reconnu par l'Eglise d'Orient.
Clément de Rome déclare pourtant en sa lère Epitre aux Corinthiens : « Esther à la foi si parfaite, n'encourut pas un moindre péril pour sauver les douzes tribus d'Israël d'une mort imminente. Elle supplia d pour
le jeûne et
l'humiliation, le Maître qui voit tout, le Dieu de tous les siècles, et Lui, voyant l'humilité de son âme, sauva le peuple pour l'amour de qui elle s'était exposée à la mort ». 126)
Ignace d'Antioche confesse : « Je suis votre victime expiatoire, et je m'offre en sacrifice pour votre Eglise, Ephésiens, qui est renommée à travers les siècles » 27)
Origène, le Père des Pères, précise en son Exhortation au martyre : « Peut-être, de même que nous avons été rachetés par le sang précieux de Jésus qui a reçu le nom au-dessus du tout nom, ainsi par le sang précieux des martyres, seront rachetés beaucoup d'hommes et eux-mêmes seront exaltés plus qu'ils ne l'auraient été, s'ils n'avaient été que justes sans être aussi martyres ». ,28) et le Maître Alexandrin s'exclame en outre : « Que l'on comprenne que dans l'économie générale de l'univers, le processus de purification est le même. Car le besoin de purification ne se fait pas sentir
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seulement pour les êtres qui sont sur la terre, mais aussi pour ceux qui sont au ciel. Les cieux aussi sont menacés de perdition, car le Prophète dit : « les cieux périront et ils s'useront tous comme un vêtement, tu /es rouleras comme un manteau et ils seront changés » , Ps 101 102) 25-28). Que l'on considère donc la purification du monde entier, c'est-à-dire des êtres « célestes, terrestres, inférieurs » ; qu'on voie combien de victimes il faut à tous ces êtres ». ,29)
VI. De l'authentique lutte chevaleresque
Les cieux eux-mêmes seraient menacés de perdition !
Si la certitude en la Rédemption finale et générale qui découle de la Révélation, et que rappellera Origène, ne peut faire l'objet d'aucun doute, le fait que les cieux puissent être menacés de perdition, ne saurait sous- entendre une minimisation de la puissance divine, mais proclamer que, dans son dessein, Dieu a offert à l'homme de participer à la restauration du Cosmos.
S'il est vrai que «Miche/ et ses anges ont fait /a guerre au dragon et le dragon et ses anges ont fait /a guerre » (Apocalypse XII, 7), il est important de savoir qu'il revient à l'homme de participer à ce combat : lorsque le Dragon précipité sur la terre poursuit la femme d'Apocalypse XII, 13, - qui symbolise l'Eglise en tant que Corps Mystique - , «la terre a secouru la femme, la terre a ouvert sa bouche et englouti le fleuve que le dragon jetait de sa bouche ». (Apocalypse XII, 16)
L'exégèse du chapitre XII montre qu'autour de ce verset 16, la vision de cet épisode manifeste des événements étroitement mêlés entre le ciel que relatent les versets 7 à 12 et la terre que manifestent les versets 13 à 18 : cette inter-relation de la terre et du ciel dans un commun combat, révèle la lutte permanente que se livrent au cœur de notre histoire, ceux qui agissent pour arracher notre chute à celui envers lequel une rétribution revient en paiement de notre dette.
Avec l'Ancienne Loi, l'homme seul ne peut parvenir à régler cette dette : « Un homme en aucune manière ne pourra racheter son frère, ni donner à Dieu sa rançon. Car précieux est le rachat de leur âme et il faut qu'il y renonce à jamais ». (Psaume XLIX, 7-9) (30)
Avec la venue du Christ ce rachat s'accomplit et l'Apôtre déclare : «Ainsi donc vous ne nous appartenez plus. Car vous avez été achetés : on y a mis le prix l glorifiez donc Dieu dans votre corps et dans votre esprit qui appartiennent de droit à Dieu ». (I Corinthiens VI, 20)
Dans le cadre d'Apocalypse XII, 16, ce n'est pas l'Eglise en tant qu'organisation hiérarchique qui sauve la terre et la Création, mais bien au contraire la terre ; « l'escabeau de mes pieds » (Isaïe LXVI, 1) ; qui vient au secours de la femme symbolisant l'Eglise.
Comment doit-on entendre la terre comme escabeau des pieds de Dieu ? Il y a deux sens au mot escabeau, c'est un siège de bois sans bras ni dossier, c'est aussi un petit escalier à plusieurs marches qui sert d'échelle. Ce qui donc sur la terre sert d'échelle entre les cieux et le monde, vient secourir le Corps Mystique du Christ. Ce Corps Mystique, la philosophie chrétienne a trop tendance à le définir comme ne constituant autour du Fils que l'Assemblée des Baptisés, quand l'Eglise de Rome prétend même le resteindre à ses membres !
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Le lieu privilégié de tout aspect mystique étant la prière - vitalité du Corps Mystique - aux seuls hommes : « C'est sous /es armes de /a prière qu'il faut que nous défendions l'étendard de notre chef, et que nous attendions le signal que doit donner la trompette de l'ange. Tous les anges prient; toutes les créatures prient. Les troupeaux et les bêtes des bois fléchissent le genou en sortant de leurs étables et de leurs antres; ils lèvent la face vers le ciel et le saluent de leurs mugissements. Les oiseaux, au point du jour, s'élèvent vers le ciel ; à la place de mains ils étendent leurs ailes en croix et gazouillent quelque chose qui ressemble à une prière. Que dirai je de plus sur l'importance de cet indispensable devoir ? » , 31)
Ce Corps Mystique, contenant l'Universel n'est pas seulement donc la communion des hommes, mais récapitulation de tous les niveaux de la Création et l'Apôtre déclare à propos du Fils : « C'est /e bon plaisir du Père d'établir en Lui le « Plérôme et par lui de ramener tout à soi, rétablissant dans la paix, grâce au sang de la croix, grâce à Lui, soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les cieux ». (Colossiens I, 20)
Reprenant le témoignage de Saint-Paul, Irénée dogmatisera au niveau de la tradition patristique, la doctrine de la récapitulation : «ll a tout récapitulé en Lui-même, afin que, tout comme le verbe de Dieu a la primauté sur les êtres supracélestes, spirituels et invisibles, il l'ait aussi sur les êtres visibles et corporels, assumant en lui cette primauté et se constituant lui-même la tête de l'Eglise, afin d'attirer tout à lui au moment opportun ». ,32)
Ce visible et cet invisible, récapitulés concernent bien toute la Création, lorsque Cyrille d'Alexandrie déclare : « Cette volonté, c'était /a rédemption par /a précieuse Croix et la récapitulation de l'univers parfaitement accomplie par lui et en lui ». , 33)
Jean d'Apamée témoignera de façon encore plus claire, ce principe universel de la rédemption : « Si en effet cette économie n'avait eu heu que pour les hommes, l'Apôtre n'aurait pas dit : « Le Christ a renouvelé toutes choses dans le ciel et sur la terre » , Eph. 1, 10), révélation du Fils unique de Dieu n'eût été nécessaire. Mais comme Dieu le Père avait voulu promettre à tous les mondes de leur révéler leur royaume, grandeur, gloire et repos véritable, et qu'aucun être vivant n'était par lui-même capable d'apporter à son semblable la révélation de son espérance, de son repos et de son royaume saint, seul celui par qui existent tous les êtres vivants et qui connaît leur nature, leur capacité, leur science, pouvait par lui-même leur montrer la gloire à eux promise ». ,34)
Le grand spirituel ajoute : «Mais a/ors dira-t-on, si /e Christ est venu pour tous les ordres de la Création, pourquoi s'est-il manifesté dans ce lieu-ci de préférence à tous les autres ? Parce qu'il est venu pour tous. S'il s'était manifesté dans le séjour des anges, le genre humain n'aurait pas été racheté et l'économie ne lui aurait été d'aucun secours; car alors cette économie aurait été tenue à distance, dissimulée aux regards de tous les hommes. Mais, délaissant tous les autres lieux, il s'est révélé dans un monde inférieur à tous les ordres, afin que nous ne soyons pas privés de sa lumière, de sa vérité et de l'espérance de son repos et que tous les ordres voient son opération dans ce monde-ci ». ,35)
L'essence du Corps Mystique, ce n'est donc pas l'Eglise en tant qu'organisation hiérarchique, mais la Communion des Saints, faite des plans visibles et invisibles, agissant dans cette lutte pour le salut de l'Ecclesia qu'est ce monde chuté.
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Isaac le Syrien a évoqué le rôle de l'homme en ce qui touche cette finalité en déclarant : « // lui fut demandé une autre fois : qu'est-ce que /e repentir ? // dit : c'est un cœur brisé et humilié, c'est la double mort volontaire à toute chose. Et qu'est-ce qu'un cœur compatissant ? ll dit : c'est un cœur qui brûle pour toute la Création, pour /es hommes, pour les oiseaux, pour les bêtes, pour /es démons, pour toute créature. Si forte et si violente est sa compassion et si grande est sa constance, que son coeur se serre et qu'il ne peut supporter d'entendre ou de voir le moindre mal ou la moindre tristesse au sein de la Création. C'est pourquoi il prie en larmes à toute heure pour les animaux sans raison, pour les ennemis de la Vérité et tous ceux qui lui nuisent, afin qu'ils soient gardés et qu'ils soient pardonnés ». 136)
Cette communion des Saints accomplissant une fonction réparatrice n'est pas étrangère à la pensée kabbalistique. Le Zohar déclare, par exemple : « Quand Dieu veut guérir le monde, /l frappe un juste de maladie et de douleur, et cela porte la guérison à tout le monde, ainsi qu'il est écrit : « Et il a été percé des plaies pour nos iniquités; il a été brisé pour nos crimes..., et nous avons été guéris par ses meurtrissures ». (Isaïe LIII, 5)
La plaie des justes n'a jamais d'autre but que d'apporter la guérison à sa génération et d'en obtenir le pardon. Le côté de la rigueur se complait davantage à frapper le juste que « l'homme commun ». ,37)
La pensée kabbaliste va bien au-delà de cette fonction réparatrice, elle s'inscrit dans le principe fondamental que par la Création, Dieu et l'homme sont étroitement liés en ce fait qu'Elohim, parmi ses sens, c'est Dieu + la Création, mais c'est aussi Dieu + l'homme. (38)
L'éminent kabbaliste Emmanuel Levyne après plusieurs remarques écrit : « Toutes ces lectures concourent à montrer que le Dieu hébraïque ne peut se concevoir en dehors de ses rapports avec les créatures, avec l'Homme en particulier ,car le nombre 50 des lettres finales Y M est également celui de l'Homme , Ha-Adam), qui fait donc aussi partie de l'Etre de Dieu et de sa nature Créatrice) ». ,39)
Au risque de surprendre certains, nous avons émis des réserves sur cette vision restrictive, trop proche de l'anthropomorphisme par les déductions qu'elle risque de soutenir ; dans l'Absolu de Sa Divinité, Dieu n'existe pas par et grâce à l'homme ! Ce point fondamental de la métaphysique chrétienne a souvent été rappelé à l'occasion de nos travaux antérieurs.
Quoi qu'il en soit, il est vrai que par la Création, Dieu et l'homme connaissent dans l'histoire du monde, un besoin réciproque l'Un de l'autre, en ce que Dieu s'est, par l'Amour, engagé dans l'aventure humaine où la paix de chacun n'interviendra que conjointement par l'apocatastase.
Cette union dans l'histoire de Dieu et de Sa créature s'inscrit dans la tradition kabbalistique sur une attitude fondamentale de l'homme dans le domaine eschatologique qui devrait être rappelé et conscient pour chaque être. Si le Zohar déclare : «Quand Israël commet de mauvaises actions, il affaiblit, - s'il est permis de parler ainsi -, la force du Saint, béni soit-il. Mais lorsque, au contraire, il commet de bonnes actions, il prête de la force et de la puissance au Saint, béni soit-il ; et c'est pourquoi l'Ecriture dit : « Donne de la force à Elohim » (Psaume LXVIII, 351 Comment donne-t-on de la force à Elohim ? En faisant de bonnes œuvres ». 140)
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La tradition chrétienne en sa Révélation connaît cette fonction de l'homme lorsque Pierre s'exclame : «Quelle sainte conduite et que//e piété devez-vous avoir pour attendre et hâter l'avénement du jour de Dieu ». (Pierre III, 11, 12)
« Lorsque l'homme est digne, il constitue lui-même un sacrifice propre à obtenir /a rémission des péchés du monde » ,41) déclare en bien des lieux, le Zohar.
II convient que nous nous interrogions avant d'examiner les moyens de ce combat, sur les raisons de celui-ci et le bien fondé qui en découle.
Nous avons perçu que la Nature avait accompagné l'homme dans sa chute.
La nature a connu la chute en ce fait qu'elle est soumise au devenir de l'homme : « Elohim dit : Faisons l'homme à notre image, à notre ressemblance ! Qu'ils aient autorité sur les poissons de la mer et sur les oiseaux des cieux, sur les bestiaux, sur toutes les bêtes sauvages et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre ! : Elohim créa donc l'homme à son image, à l'image d'Elohim il le créa. Il les créa mâle et femelle. Elohim les bénit et Elohim leur dit : «Fructitfiez et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la, ayez autorité sur les poissons de la mer et sur les oiseaux des cieux, sur tout vivant qui remue sur la terre ». (Genèse I, 26-29)
Celui qui a soumis la nature, ce n'est donc pas Lucifer devenant pour un temps le Prince de ce monde (5), mais l'homme ! Parce qu'il n'y a pas de chute précosmique, de chute antérieure des anges à la chute humaine ; le mystère de la chute originelle s'inscrit dans un scénario non pas aux étapes multiples, mais avec conséquences diverses : c'est parce que l'homme refusant le type de vie intemporelle que Dieu lui proposait, voulut survivre par le canal de ses propres forces, que Lucifier voulut aider l'homme à acquérir la tentation ; lorsque la traduction exotérique déclare : «/a femme vit que l'arbre était bon à manger et qu'il était agréable aux yeux et que l'arbre était plaisant à contempler ». (Genèse III, 6) le docteur Chauvet traduit : «Or, /'Aishah considéra que cette substance était bonne pour une assimilation réciproque ; que, de plus, elle comblait les désirs des facultés intimes sensibles ; et qu'enfin, générant une chaleur vivante et vivifiante, elle conférait le pouvoir assuré de réaliser toute effectuation sensible vivante... ». 42)
La nature est-elle maudite ? Lorsque cette même traduction exotérique déclare : « maudit soit le sol à cause de toi ! C'est dans /a souffrance que tu te nourriras de lui tous les jours de ta vie ». (Genèse III, 17) le docteur Chauvet, dont on ne louera jamais assez l'oeuvre, traduit : « maudite et fuyante sera pour toi l'Adamah, la substance support de la vie spirituelle adamique ; et ce ne sera qu'à la suite d'une pénible et préalable recherche dans la substance sensible, que tu pourras te l'assimiler, pendant toute la durée de la manifestation vivante temporelle . , 43)
Il apparaît que la nature, en tant que substance, support de la vie adamique, est pour Adam maudite et fuyante, mais elle ne l'est pas en soi
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Lorsque nous déclarons qu'il existe une chute de la nature, cela est par rapport à Adam, en ce que la Création n'est bonne que dans la mesure où tous ses éléments sont en harmonie les uns avec les autres : il est enjoint à l'homme d'accomplir « une pénible et préalable recherche dans /a substance sensible » afin de la pouvoir assimiler cette « substance support de /a vie spirituelle adamique » car il est ajouté : « Perpétuellement pour toi, fuyante et insaisissable, la substance support de la vie spirituelle ne te sera qu'une cause productrice de déceptions déchirantes; et tu ne pourras entrer en rapport d'assimilation directe qu'avec la condensation nature/ /e sensible ». (Genèse III, 18) (44)
Carlo Suares, cet éminent kabbaliste, déclare à propos de ce verset : « l'homme est contraint par le dynamisme de sa nature, d'aller de conquête en conquête, chacune engendrant la nécessité de la suivante. Et ceci ne peut jamais s'arrêter. /ci aussi Adam et Adamah sont deux partenaires « contre ».,45)
Qu'est-ce qu'Adamah, c'est le sol, mais c'est aussi la nature soumise à l'homme ! II y a une opposition entre l'homme et la nature en ce que le verset 19 précise : « tu mangeras ton pain à la sueur de ton front et tu retourneras à la poussière jusqu'à ce que tu saches retrouver toi-même en ton schéma Adam ». ,46)
Si Carlo Suares ajoute immédiatement : «l'homme en condition malheu­reuse, dont la conscience est prisonnière de sa fonction, ne se sait pas Adam ; le Aleph lui fut défait ».
L'homme est en effet cette nature et le Dr Chauvet traduit la fin du verset 19 par ces mots : « ... cela jusqu'à ton retour à la substance adamique dont tu as été formé : car tu es toi, la couronne et du redeviendras cette couronne » , 47)
La nature a accompagné l'homme dans sa chute en ce que la nature c'est l'homme et que si, par ailleurs, la nature est dans l'homme, l'homme couronne de cette nature, se doit de reprendre sa fonction.
Avant d'en venir au sens de cet Aleph qui est absent de la conscience de l'homme, les raisons de ce combat pour l'homme nous apparaissent dans le fait qu'il se trouve chassé de l'Eden - lieu de la Création n'ayant pas accompagné l'homme dans sa chute - car il est dit : «/ahvé-Elohim /e renvoya donc du jardin d'Eden pour qu'il cultivât le sol d'où il avait été pris. ll chassa l'homme et il installa à l'orient du jardin d'Eden les chérubins et la flamme tournoyante de l'épée pour garder la route de l'arbre de vie » (Genèse III, 23-24) et il faut donc pour l'homme reconquérir son ancienne dignité, redevenir cette couronne, retrouver en lui-même son schéma Adam 1
Le Docteur Chauvet traduit les versets que nous citons par ces termes : « Aussi le Dieu Vivant de /'Angélie chassa-t-il Adam du Milieu générateur organisateur temporel, pour n'être plus que le serviteur de la substance dont il avait été tiré. ll chassa l'Etre adamique devenu étranger à son ancien milieu et pèlerin dans son nouveau... ». 148)
Pèlerin, l'homme le devient, et l'on comprend alors cette remarque de Carlo Suarès commentant les versets qui nous occupent : « Et ceux qui voudront marcher subiront, tel Jacob, l'agression de l'Ange. Et selon qu'ils seront d'avance morts ou vivants, ils mourront de mort ou vivront de vie ». ,49)
Sur le fait pour l'homme d'être un Vivant ou de n'être toujours qu'un mort, nous examinerons ce point capital en ce que, comme le rapporte Luc, il convient d'auerrir son âme, nous verrons ce point à propos du Aleph.
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Sur les raisons de ce combat qui nous incombe présentement, il nous paraît nécessaire de réfléchir sur l'épisode biblique relatant la lutte que soutient Jacob face à l'Ange. Cette lutte s'accomplit la nuit, et comme nous avons émis quelques remarques sur le sens de ce temps particulier en notre méditation sur Judas ou les conditions de la Rédemption, il n'y a pas lieu d'expliquer ce point où la nuit anticipe le temps de la Rédemption.
Alors que Jacob avait pris en cette nuit-là ses deux femmes et ses deux servantes, avec ses onze enfants, dans ce temps, « il passa la passe de Jaboq. 111es prit et leur fit passer le torrent, puis il fit passer ce qui était à lui. Alors Jacob resta seul». (Genèse XXXII, 23-25)
Si Yaboq est un affluent oriental du Jourdain, descendant des monts de Galaad à l'est, c'est dans le Jourdain que Jean le Précurseur, prêchera et baptisera et que le Christ sera baptisé par son envoyé. Il convient de ne pas oublier que l'orient comme point cardinal, est à des égards très important : c'est à l'orient que Dieu plante le jardin d'Eden, et c'est encore à l'orient de celui-ci que Iahvé-Elohim installera les chérubins.
En cabale phonétique, il existe une analogie entre Jacob et Yaboq, mais en kabbale hébraïque, ces deux mots n'ayant pas la même valeur numérique ils n'ont donc pas exactement le même sens en ce que Jacob possède un Ain que l'on ne retrouve pas en Yaboq.
Le passage du torrent constitue pour Jacob les prémices du Baptême en ce qu'il traverse son nom sans le Ain, mais il conversera son identité originelle, bien au-delà de la lutte car en fait, il n'aura pas en cette circonstance, encore, rencontré face à face Elohim.
Jacob en traversant le torrent, traverse sa propre personne sans le Ain, parce qu'il s'intériorise (alors Jacob resta seul) et que le principe de cette interiorisation Yaboq, c'est la toute puissance divine entrant à l'intérieur de celui qu'elle protège.
Yaboq est composé des lettres Yod-Beith, Qof. Le Yod c'est dans la durée et avec force, la toute puissance manifestée. Le Beith c'est le signe paternel et viril, celui de l'action intérieure active. Le Qof c'est la force et la contrainte, tout ce qui sert d'instrument à l'homme, le défend, fait effort sur lui.
Le passage du torrent est donc la toute puissance paternelle (Divine) qui se manifeste de façon intériorisée avec force et contrainte en défendant et protégeant - qui ? ce dont on parle, c'est-à-dire en faveur de qui ? - Jacob, qui dans sa lecture exotérique provient de Ya-aqob, signifiant : Que Dieu protège.
Qui est pour l'instant Jacob ? Il est protégé certes, mais le Ain, c'est l'image du vide et du néant, c'est provisoirement la signature de la présence Divine dans le vide et le néant faisant effort pour que surgisse le Beith, qui est le lieu de l'enfantement : Jacob ne s'écrit pas avec un Beith, mais un Veitt ; Yod-Ain, Qof, Veitt, ce qui n'est pas la même chose quand bien même le Beith et le Veitt possèdent la même valeur numérique ; la Zohar déclare : « /a lettre Beith rappelle par sa forme la formation de l'homme qui, par l'effet de la Sagesse divine, a lieu dans un corps fermé de toutes parts et ouvert par devant ». ,51) ... et Jacob n'est pas encore un vivant, il n'a pas encore donné naissance à Israël, car il n'est pas encore Israël.
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Ecoutons la suite de cet épisode où Jacob reste seul :
« Puis un homme lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore, et il vit qu'il ne pouvait avoir raison de lui ; il le toucha au creux de la cuisse et le creux de la cuisse de Jacob se démit tandis qu'il luttait avec lui. L'homme dit : « laisse-moi partir car l'aurore s'est levée ». Mais il dit : «Je ne te laisserai partir que si tu me bénis ». ll lui dit » « Quel est ton nom ? » ll dit : « Jacob ». Il dit : « On ne t'appellera plus du nom de Jacob, mais Israël, car tu as combattu avec Elohim comme avec des hommes et tu as vaincu ! » Jacob l'interrogea et dit : « Révèle-moi donc ton nom ! » ll dit : « Pourquoi demandes-tu mon nom ? » Et il le bénit sur place. Jacob appela l'endroit du nom de Peniël : car , dit-il) j'ai vu Elohim face à face et j'ai eu la vie sauve ». (Genèse XXXII, 25-32)
Quel est cet homme ? N'est-il pas hâtif de traduire ainsi celui qui lutte avec Jacob, par homme lorsque le mot qui le désigne se compose des lettres Aleph-Yod-Sohin ? Si les dictionnaires d'hébreu définissent, désignent ainsi l'homme, Carlo Suarès qui ne donne pas de traduction, écrit «/ysch» (52). L'homme c'est le Aleph, mais la racine Yod Schïn, signale Fabre d'Olivet en sa magnifique Langue Hébraïque restituée, oeuvre dont nous usons dans nos interprétations, est souvent utilisée pour exprimer l'état d'être, de paraître tel, de se manifester en substance : celui qui lutte avec Jacob paraît tel un homme, ce qui est très différent ! S'agit-il d'Elohim ? Le fait que Jacob ait combattu avec Elohim, n'indique pas qu'il a combattu Elohim, mais il a combattu en ayant sinon la puissance, au moins en lui, la protection divine et l'on peut entendre que c'est avec cette puissance que Jacob a combattu celui qui ne dit pas son nom, celui que la tradition hébraïque considère comme le mauvais génie d'Esaü, c'est-à-dire l'Ange tentateur. (53) Ce ne sera que plus tard qu'Elohim dira à Jacob : « Ton nom est Jacob ! On ne t'appellera plus du nom de Jacob, mais Israël sera ton nom ». (Genèse XXXV, 10)
La raison pour laquelle l'Ange Tentateur agit envers Jacob en anticipant l'épisode de Genèse XXXV, 10, nous pouvons en percevoir les motifs si nous retournons à notre réflexion sur Satan (5) comme lieu d'opposition, car c'est dans la victoire sur l'épreuve et la tentation que se réalise l'Alliance du Créateur avec Sa créature : il fallait que Jacob luttât avec l'Ange Tentateur et en fût victorieux pour que Dieu le nommât Israël, c'est-à-dire celui qui lutte avec Dieu.
Une remarque : comme le Satan de la Genèse ne trompe pas Eve (5), l'Ange Tentateur ne trompe pas Jacob ; oui, Jacob a lutté avec la puissance d'Elohim qui le protégeait, par sa traversée du torrent ; mais il n'a pas donné son nom et n'a pas déclaré qu'il était Elohim ou l'Ange d'Elohim.
Le sens de cet Aleph qui est absent de la conscience de l'homme, explique le sens du combat que l'homme doit accomplir : Jacob comme tout être est protégé par la Puissance Divine, mais Jacob est un vase vide et empli de néant, c'est un mort en ce qu'il n'est pas, comme tous les êtres en voie vers la réintégration, un vivant I
Sur un plan mystique relevant de la spiritualité chrétienne «classique»; Guigues le Chartreux en sa lettre à Hugues de Païens a parfaitement raison d'écrire donc qu'il convient en premier lieu de purifier son âme, lorsque l'on prétend s'envoler dans la Sainte Milice.
Comment doit-on entendre cette adresse du Christ que relate Luc XXI, 19 : « Possédez ,en acquérant) vos âmes par votre patience ».
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Le premier point est de savoir si l'homme originel possédait une Ame, au sens où la théologie spirituelle et dogmatique l'envisage. Le second sera, dans la négative, de savoir s'il était possible à l'homme d'acquérir cette Ame et s'il l'a acquise : dans la négative il conviendra de chercher les moyens d'acquisition de celle-ci.
Lorsque l'on traduit âme vivante des mots Ne PheSh. Cha YaH, on est dans l'erreur, si l'on veut lui donner pour l'homme un sens particulier : les êtres vivants de Genèse I, 24 c'est aussi Ne PheSh-Cha Yah, comme le constatera quiconque consulte une bible Hébraïque !
Si le Dr Chauvet traduit la fin de Genèse II, 7 : « l'âme de vie animale » : Nephesh-Chayah » (54), en ces termes, il a raison, mais il a aussi tort en ce fait qu'en kabbale il y a plusieurs sens et que le terme « âme animale » ne nous renseigne pas sur ce dont il s'agit.
Comment est composé le NePheSh-ChaYah ?
Noun-Phé-Shinn c'est l'âme, ce qui est animé, la personne, le souffle, mais c'est aussi le cadavre, le corps mort, la volonté, le désir. Heith-Yod-Hé c'est l'animal, la vie, l'âme ; mais cela peut être aussi vivre, ressusciter, s'animer.
Avant d'en venir à une quelconque tentative d'analyse kabbalistique, on comprend qu'il se trouve déjà beaucoup de sens possibles au niveau littéral, mais tout cela n'est-il pas en mesure de nous guider, si l'on tient compte d'un sens à donner au groupe de mots dans la mesure où on les joint : Noun-Phé ChinnHeith Yod-Hé c'est l'âme animale, c'est ce qui étant animé peut vivre, c'est le souffle de la vie, c'est la volonté de subsister, le désir de s'animer, mais c'est aussi, sans entrevoir tous les sens possibles, le cadavre ou le corps mort qui tend vers la résurrection. Ce sens littéral peut être confirmé par le fait que NéPheSh a pour valeur 7 et CHaYah 5 ; or si le 7 c'est ce qui tend vers un but et 5 signifie la vie universelle, cette Ame actuellement animale l'est en ce qu'elle tend vers la vie universelle, mais qu'elle ne l'a pas encore acquise : cette tension vers la vie universelle a pour finalité le Hé, comme dernière lettre du mot HaYaH et que Heith Yod signifiant ce qui vit, Heith-Yod-Hé déclare bien ce qui vit pour aller vers le Hé. Emmanuel Levyne précise en son étude sur le Mystère du nom divin Elohim : « le Hé s'écrit dans sa plénitude Hé-Alysh, ce qui signifie que la fonction du Hé, lettre qui marque grammaticalement le féminin, est d'enfanter, de manifester le Aleph ». 155)
Ainsi revenons-nous à notre Aleph, car acquérir son âme c'est acquérir le Aleph : l'homme possède l'âme de vie animale, mais il n'a pas l'âme spirituelle, or si le Psaume XIX, 8 fait dire à David : «la loi de Iahvé est parfaite convertissant l'âme » des traducteurs pourtant aussi différents que sont Crampon, Segond, Ostervald n'usent pas du mot «convertissant» mais emploient le terme restaurer... elle restaure l'âme.
Or, nous savons que la loi, c'est la Création (56), pour avoir déjà évoqué ce point en des études antérieures et si donc la Création restaure l'âme, c'est-à-dire, répare, redonne force, remet sur le trône, l'âme, c'est parce que c'est par la recréation des conditions d'avant la chute que l'homme tout à la fois doit accomplir et son salut et celui de la nature ; en connaissant Dieu au travers de Sa Création, l'homme naît à Dieu, naît avec Dieu, cU point a été vu en d'autres études, c'est pourquoi le Zohar déclare : « Mais /es mots à l'aide desquels /e monde fut créé ne furent affermis qu'au moment où il plût à Dieu de créer
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l'homme, afin que celui-ci s'appliquât à l'étude de la Loi, - car c'est par l'étude de la Loi que le monde subsiste - . Aussi quiconque s'applique à l'étude de la Loi est, - s'il est permis de s'exprimer ainsi -, le soutien du monde entier ». ,57)
Qu'il soit possible de connaître Dieu par Sa Création, relève de la métaphysique Chrétienne, lorsque par exemple l'Apôtre déclare : « Car ce qu'il peut se savoir de Dieu, ils le voient en eux-mêmes, Dieu le leur a manifesté : ce qui en lui est invisible, sa puissance éternelle et sa divinité, est visible à la raison dans les œuvres de Dieu depuis la création du monde : ils sont donc inexcusables, parce qu'ils connaissent Dieu, et qu'au lieu de Lui rendre les honneurs divins et la reconnaissance, ils se sont perdus en vaines disssertations et se sont laissé aveugler par les folles passions de leur cœur ». (Romains 119-23)
Entre la véritable mystique chrétienne et la véritable mystique juive, il n'y a pas d'opposition, bien au contraire, et lorsque Paul Eudokimov déclare : «Par ses facultés naturelles, en contemplant le monde, l'homme peut s'élever à la connaissance non pas de Dieu, mais de la gloire de Dieu ; philosophe, il peut formuler la notion de l'Etre absolu. Mais ici se pose une limite infranchissable. Selon Saint-Paul, la connaissance vivante de Dieu en tant que Père céleste est l'acte gratuit de sa révélation ». 158) le Zohar dit : « fi est écrit : « combien est grande l'abondance de la bonté que tu as cachée et réservée pour ceux qui te craignent!» Remarquez que le Saint béni soit-il, a créé l'homme en ce monde et l'a pourvu de telles qualités, qu'il lui fut possible de mériter la Lumière céleste que le Saint béni soit-il, a cachée et réservée pour les Justes, ainsi qu'il est écrit : «Aucun œil n'a vu hors toi seul, O Seigneur, ce que tu as réservé à ceux qui espèrent en toi ». Et à l'aide de quelle oeuvre l'homme méritera-t-il de jouir de la lumière divine ? - Par l'étude de la doctrine ésotérique ; car quiconque se consacre tous les jours à l'étude de la doctrine ésotérique aura le bonheur de participer au monde futur et aura autant de mérite, que s'il avait créé le monde... ». , 59)
C'est en ce lieu que réside le but ultime de la métaphysique chrétienne que résume admirablement Jean Meynedorf : « Dans l'orient chrétien, /a conception préva/ente de l'homme est fondée sur la notion de participation à Dieu. L'homme n'a pas été créé en tant qu'être autonome, qui se suffirait à lui-même, sa nature profonde n'est véritablement elle-même que dans la mesure où elle existe « en Dieu », ou « en grâce ». La grâce est donc ce qui procure à l'homme son développement «naturel ». Cette notion fondamentale nous fait comprendre pourquoi chez les byzantins, les termes de « nature » et de « grâce » ont un sens très différent de celui qu'il a pris en Occident : loin d'être opposées l'une à l'autre, la « nature » et la « grâce » expriment une vie dynamique et une relation nécessaire entre Dieu et l'homme, qui sont différents par leur nature, mais qui sont en communion l'un avec l'autre au moyen de l'énergie de Dieu ou grâce. D'autre part, l'homme est le centre de la création, un « microcosme », et sa libre détermination de soi définit la destinée ultime de l'univers ». 60)
Une fois encore revenons-nous à notre Aleph qui fait, nous dit Carlo Suares, défaut à l'homme et cet autre éminent kabbaliste, Emmanuel Levyne résume l'une de ses méditations sur cette lettre, en ces termes : «Dans le Aleph se trouvent réunis Dieu, l'homme et le monde. Le Aleph est l'image de l'Homme, de l'Homme qui comprend Dieu et le Monde, de l'Homme qui est microthéos et microcosmos ». ,61)
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Maintenant que nous avons entrevu ce que signifiaient et la création de l'homme, et le sens de la chute, et le sens du combat de Jacob, et le sens du Aleph, car exprimer ces points nécessiterait un développement considérable pour chaque détail appartenant à chacun d'entre eux, le combat chevaleresque peut être plus facilement discerné : il convient pour l'homme d'acquérir son âme, qui, d'âme animale doit tendre à devenir âme vivante, or nous savons que « Un homme en aucune manière ne pourra racheter son frère, ni donner à Dieu sa rançon. Car précieux est le rachat de leur âme et il faut qu'il y renonce à jamais ». (Psaume XLIX, 7-9) ; comment l'homme peut-il acquérir son Ame ?
Nous savons que le monde appartient au Prince de ce monde (5), et nous savons aussi que l'homme ne peut se sauver lui-même ! Or si «/a /oi de /'Sterne/ est parfaite, elle restaure l'âme ». (Psaume XIX, 8), cela se traduit donc en terme de kabbale ; «/a Création de Dieu est parfaite, elle restaure l'âme » ; c'est par la Création que l'homme acquerra son Ame, ainsi aussi longtemps que l'homme ne se soumettra pas aux lois de la Création, ne reconnaîtra pas la Création, aussi longtemps qu'il se désolidarisera de la nature, du monde, ainsi longtemps il possédera une âme animale, et placé par sa propre détermination au niveau de la Bête, il ne tendra pas à la ressemblance de Son Créateur ! L'Apôtre ne nous a-t-il pas déclaré : « De fait c'est en espérance que nous sommes sauvés ». (Romains VIII, 24)
Il est un point fondamental, avant d'aller plus outre, que nous n'avions qu'évoqué, et sur lequel il nous faut réfléchir, c'est la théorie de la rançon.
Si l'Apôtre déclare que nous avons été rachetés (I Corinthiens VI, 20), c'est parce qu'il existe sur notre personne, un droit du démon ; et si donc l'homme ne peut par le secours de ses seules forces racheter son âme, c'est parce que seul le Christ peut accomplir, a pu accomplir, cette fonction, qui ne nous dégage pas de notre tâche, mais nous ouvre - en détruisant les chaînes de notre captivité - la liberté nécessaire pour qu'à notre tour, nous accomplissions notre fonction
Le Christ déclare : « Voici venir le Prince de ce monde. Et n'a rien sur moi». (Jean XIV, 30) Si les traducteurs habituellement transcrivent « il n'a aucun pouvoir sur moi » ; la recension des manuscrits du Nouveau Testament les plus anciens, accomplie par Nestle, fait apparaître une variante majeure selon ces termes : Rien ne /ui appartient de moi, qui, tout en venant renforcer la traduction d'Alta, ne nous offre pas un sens identique, nous allons y venir. (62) Ce point capital est d'ailleurs confirmé par le Diatessaron de Tatien ; qui se présente comme le texte de l'Evangile en usage dans l'Eglise Syriaque au deuxième siècle, et il aura un accueil considérable dans tout l'Orient Chrétien ; lorsqu'il est dit : /e prince de ce monde vient et n'a rien de moi». (63)
Ephrem de Nisibe en son Commentaire de l'Evangile concordant ou Diatessaron déclare à propos de ce verset : « Dans tous /es hommes i/ y a /a part de l'ennemi ; cependant Notre Seigneur en était indemne ». (64)
Cette part de « l'ennemi» qui est en nous-même (5) est encore sous entendue par cette distinction selon laquelle sur le Christ, le Prince de ce monde, n'a pas de pouvoir en ce qu'Il ne lui appartient ni en partie, ni en totalité, et cette précision indique qu'il existe pour les créatures de ce monde, quelque chose en elles qui appartient au Prince de ce monde : nous avons déjà traité ce problème.
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Irénée de Lyon déclare en son Contre les Hérésies ; à propos du Christ » « Celui-ci est donc bien parfait en tout, puisqu'il est à la fois verbe puissant et homme véritable, nous ayant rachetés par son sang de la manière qui convient au Verbe, « en se donnant lui-même en rançon » pour ceux qui avaient été faits captifs ». (64) Il conviendra de nuancer ce propos que l'on rencontrera chez les Pères, selon lequel l'homme s'est tout seul en fait rendu captif, et qu'il n'y a pas eu de la part de Lucifer un quelconque mensonge, une quelconque tromperie conduisant Adam, abusé, à chuter, comme la Tradition l'imagine hélas. (5)
Plus nuancé le Maître Alexandrin use des termes suivants : « Le Christ est notre rédemption, car nous sommes captifs et nous avons besoin de rachat » (65) et cette nuance que nous relevions pour l'avoir étudiée en notre réflexion sur Satan, Origène à propos du point qui nous occupe, la relève aussi : « Nous appartenons donc à Dieu, puisqu'il nous a créés ; mais nous sommes devenus les esclaves du démon, puisque nous avons été vendus à nos péchés. Mais par sa venue, « le Christ nous a rachetés », alors que nous servions ce maître auquel nous nous sommes nous-mêmes vendus en péchant : et de la sorte, il a comme repris à nouveau ceux qu'il avait créés, il s'est acquis comme des étrangers ceux qui en péchant avaient cherché un autre maître » (66) et le Maître ajoute en conclusion afin qu'il n'y ait point de malentendu : «/e Christ rachète de son sang précieux ceux que le diable avait achetés avec la vile marchandise du péché ». (67)
Si Irénée de Lyon ajoute immédiatement dans la citation que nous avons offerte, que le Verbe de Dieu s'est tourné contre l'Apostasie en lui rachetant son propre bien non par violence, mais par la persuasion (il n'indique pas laquelle) « afin que tout à /a fois /a justice fut sauvegardée et que l'antique ouvrage modelé par Dieu ne périt point » (64) il faudra attendre Grégoire de Nysse pour définir et comprendre le sens de cette action accomplie dans l'Amour ; lorsqu'il déclare : « Dans tout ce/a en quoi consiste /a justice ? A ne pas avoir usé contre lui qui nous détenait d'une autorité absolue et tyranique, et à n'avoir laissé, en nous arrachant à ce maître par un pouvoir supérieur, aucun prétexte de chicane à celui qui asservit l'homme par le moyen du plaisir. Ceux qui, pour de l'argent, ont vendu leur propre liberté, sont les esclaves de leurs acquéreurs : ils se sont consitués eux-mêmes les vendeurs de leur propre personne et il n'est permis ni à eux, ni aucun autre intervenant en leur faveur, de réclamer à grands cris leur liberté ». (68)
Il ne nous est pas possible dans le cadre particulier de cette étude, de développer la thèse fort intéressante de Grégoire de Nysse, ce qui nous engagerait vers un prolongement excessif : le Père de Capadoce déclare qu'il revient au possesseur de choisir la rançon en contre partie de ce qu'il détient, il choisit, ce détenteur, le Sauveur, qu'il croyait pouvoir « anéantir », ce qui n'était pas possible puisque le Verbe qui est le Fils, reste, malgré son enveloppe charnelle par l'Incarnation, le Dieu tout Puissant, ce que Grégoire résume en ces termes : « Voilà pourquoi afin d'offrir une prise plus facile à celui qui cherchait à obtenir un avantage en nous échangeant, se cacha sous l'enveloppe de notre nature; de sorte que le démon comme un poisson vorace, en se précipitant sur l'appât de l'humanité, se fit prendre à l'hameçon de la divinité. Ainsi, la vie ayant fait son gîte dans la mort, la lumière étant venue briller dans les ténèbres, on verrait disparaître ce qui s'oppose à la lumière et à la Vie, ll est impossible en effet, que les ténèbres subsistent en présence de la lumière, ni la force face au bouillonnement de la vie ». (69)
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Cette théorie du rachat est un véritable marché, elle n'appartient d'ailleurs pas seulement aux Pères Grecs, Ambroise l'exprime très clairement : «// existe aussi comme un marché de nos fautes : ainsi, capturés grâce aux appâts des divers plaisirs, nous sommes ou vendus au péché ou rachetés du péché, le Christ nous rachète, l'adversaire nous vend : l'un met en vente pour la mort, l'autre rachète pour sauver » (70) et bien d'autres Pères Grecs et latins enseigneront la même idée.
Maintenant que l'homme a été racheté au Prince de ce monde, il lui reste donc à accomplir sa fonction : en acquérant son âme, transfigurer le Cosmos.
II est un être sur qui l'on ne sait rien sinon qu'il donnera naissance à Isaïe, qui sera le père le David : c'est Obed qui signifie serviteur. Or s'il est écrit d'Obed à l'égard de sa mère « Et i/ sera pour toi un restaurateur de ton âme » (Ruth IV, 15) selon l'essentiel des versions que nous utilisons, le sens humain et qui vient hâtivement à l'esprit que ce verset se rattache au droit du rachat pris dans le sens le plus matériel est à rejeter, en ce qu'il y a trop d'éléments, dans ce livre qui est l'un des plus courts de l'Ancien Testament, plaidant en faveur d'un sens spirituel : il est, en outre, le fils de Booz (qui signifie qui a en lui la force) et de Ruth (qui a pour sens amie, compagne), celui qui naît de ce qui est l'ami(e) de qui a en lui la force est serviteur et le serviteur restaurera l'âme de l'ami(e).
Que nous décrit le livre de Ruth ? Elle est Moabite et donc étrangère à Israël et elle épousera Maklon (nom signifiant langueur donc abattement des forces) fils de Naomie et d'Elimelec qui, veuve, et sans enfant épousera Booz, lorsque s'en retournant vers Bethléem (Maison de la Divinité) avec sa belle-mère, elle rencontrera son futur mari dans ses champs car c'était l'époque de la moisson : c'est donc à l'occasion de la moisson que l'ami(e) s'unit à celui qui a la force en lui, pour donner naissance à Obed qui signifie serviteur et qui aura pour fonction de restaurer l'âme de (l'Ami(e). Or, la moisson est d'ordre spirituel, d'autant que cela se déroule près de Bethléem, la maison de la Divinité, et que Boaz, celui qui a en lui la force, rachètera donc Ruth afin que Ruth épouse Boaz : il était nécessaire que le rachat - que l'on doit entendre au niveau spirituel - soit accompli pour que de cette situation vienne celui qui serviteur restaurerait l'âme de l'ami(e).
II est possible dans ce sens de l'Ecriture d'illustrer ce que nous avons précédemment déclaré, montrant dès lors qu'il convient que l'homme racheté par le Christ agisse en serviteur de telle sorte qu'il restaure son âme, et éventuellement par la communion des saints celle d'autres êtres comme le fera Obed à l'égard de sa mère ; mais l'Ecriture ne nous dit rien sur la façon dont le fils agira en faveur de sa mère.
Si le serviteur qu'est Obed agit de telle sorte qu'en restaurant l'âme de sa mère, celle-ci soit prédestinée à devenir l'Ami(e), il y a une étroite relation entre les deux personnages en ce que les états que décrivent leurs noms sont le fruit d'une relation réciproque, et celle-ci est éclairée par les propos du Christ déclarant : « Je ne vous appelle pas serviteur; parce que /e serviteur n'a pas
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confidence de ce que fait son maître, je vous ai appelé mes amis, parce que je vous ai dit tout ce que j'ai entendu de mon Père. Ce n'est pas vous qui m'avez choisi c'est moi qui ai fait choix de vous et qui vous ai établis mes envoyés, pour que vous portiez du fruit, du fruit qui demeure, et pour vous accorder ce que vous demanderez au Père en mon nom. Et de nouveau je vous recommande de vous aimer les uns les autres ». (Jean XV, 15-18)
Ce qui fera que le serviteur deviendra l'Ami, c'est sa capacité à exprimer cet Amour dont le Christ évoque sans cesse l'importance, et si c'est par Amour que la Création est venue à l'existence - comme nous l'avons étudié dans le cadre de notre méditation sur le Prologue de Saint-Jean (71) - c'est par Son Amour que le Christ nous a racheté, ce sera par l'amour que l'homme sera en mesure de transfigurer le Cosmos, et le Zohar affirme : Lorsque Dieu voulut créer l'homme, la Loi lui dit: « Si tu crées l'homme et qu'il finisse par pécher, comment aura-t-il la force de supporter la peine que tu lui infligeras ? » Le Saint, béni soit-//, lui répondit : J'ai créé la pénitence avant de créer le monde. Au moment de créer l'homme, le Saint, Béni Soit-II dit au monde : Monde, monde l Sache que toi ainsi que les lois qui te régissent, vous ne subsistez que par la Loi; c'est pourquoi j'ai créé l'homme et l'ai établi chez toi, afin qu'il s'y consacre à l'étude de la Loi. Si l'homme ne le fait pas, je te plongerai dans l'état de tohu et bohou. Ainsi ton existence dépend de l'homme. C'est pourquoi l'Ecriture dit : « C'est moi qui ai fait la terre et c'est moi qui ai créé l'homme pour l'habiter ». La Loi crie aux hommes et /es exhorte à se consacrer à elle, mais personne ne prête l'oreille à ses exhortations. Remarquez que quiconque se consacre à la Loi est un soutien du monde, et toutes les oeuvres de la création remplissent leur fonction de manière convenable, grâce à Lui ». , 72)
En écho à la tradition kabbalistique pour qui l'on sait que la loi c'est la création, l'Apôtre déclare aux Romains VIII, 17-22. « Or si nous sommes ses enfants nous sommes ses héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers avec Christ, si nous partageons ses souffrances afin de participer à sa gloire. Et vraiment j'estime que les souffrances du temps présent ne méritent pas d'être comptées devant la gloire qui tout à l'heure va éclater sur nous. Et c'est de toute la création que cette manifestation des fils de Dieu est l'attente : car la création est assujettie à la vanité, non pas parce qu'elle le veut, mais par ordre de Celui qui lui a promis que, elle aussi, la Création, sera libérée des servitudes de la corruption dans ce glorieux affranchissement des fils de Dieu ».
Le Zohar, l'Apôtre, nous enseignent que l'homme doit se consacrer au soutien de la création et cela par la puissance de l'Amour. Le Rituel du Baptême des adultes en sa forme privée et non solennelle, de l'Eglise Gnostique Apostolique Primitive fait dire que célébrant dans le cadre de la cérémonie d'accueil du catéchumène
« Prêtre : Etre de Dieu, que demandez-vous à l'Eglise du Dieu Vivant » ? « Cat : la Connaissance de la Vérité et mon adhésion au Salut Universel ».
P. « Rendons grâce à Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la Vérité » l
P. « Considérez que toute la Création est suspendue sur l'Amour de Dieu et l'Amour du Prochain. Par contre, la séparation d'avec Dieu et la haine du prochain amènent la ruine. Si vous voulez parvenir à la Vérité et au Salut, aimez le Seigneur Notre Dieu de tout votre coeur, de toute votre âme et de tout votre esprit, et votre prochain comme vous-même. Soyez prêt à renoncer à l'esprit de division et ouvrez votre coeur à l'Esprit Saint ». , 73)
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Si «l'Amour est la plénitude de la loi» (Romains XIII, 10) c'est donc l'Amour qui est la plénitude de la Création, et la plénitude, c'est la totalité, l'accomplissement ; c'est pourquoi si la nature actuelle est du fait de péché dans un état de chute, il est écrit : « l'amour couvre toutes les fautes » (Proverbes X, 12), et donc Emmanuel Levyne peut rappeler que «tout acte d'amour est création du monde ». ,74)
Si l'authentique lutte chevaleresque c'est l'acquisition de son âme, il nous restera donc à examiner comment la Révélation nous enseigne les moyens de parvenir à cette acquisition, pour conclure sur les conséquences de cette conquête.
VII. L'amour spirituel
Dans le cadre de la partie de notre réflexion, portant sur la soumission du corps, nous avons entrevu que le mariage conséquence de l'Amour, devait s'entendre comme un mystère que l'Apôtre applique au Christ et à l'Eglise. Le mystère de l'Amour Spirituel ne peut se comprendre qu'à travers une théologie mariale : le chevalier a pour dame, Notre Dame.
Cet attachement à Marie, n'est pas le produit d'une seule base mystique, il s'inscrit dans le principe d'une aggrégation à ce qui dans l'humain participe à la rédemption car si Eve « mère de tous les vivants » (Genèse III, 20) est devenue la mère des morts pour toutes les générations à venir, Marie sera la nouvelle Eve. Résumant la pensée de tous les Pères à propos du «retournement qui s'opère de Marie à Eve » (75), l'Aigle de Meaux déclare : « L'ouvrage de notre corruption commence par Eve, l'ouvrage de la réparation par Marie ; la parole de mort est portée à Eve, la parole de vie à la Sainte Vierge ; Eve était vierge encore, et Marie est vierge ; Eve encore vierge avait son époux, et Marie la Vierge des vierges a aussi le sien ; la malédiction est donnée à Eve, la bénédiction à Marie : Benedictatu : un ange de ténèbres s'adresse à Eve, un ange de lumière parle à Marie... ». (76)
Relevons le mot de réparation, notons en outre le rôle de la Vierge comme avocate d'Eve lorsque Irénée de Lyon délcare : « de /a vierge Even /a Vierge Marie devint l'avocate ». , 77)
Le mystère de l'Amour Spirituel réside dans le Mystère de Marie. Il s'agit là bien d'un mystère dont Monsieur Philippe disait : « Vous ne pouvez pas comprendre la Vierge. Si on comprenait la Vierge, on comprendrait l'Esprit». , 78)
Choisir donc Marie pour Dame, c'est choisir la voie réparatrice, c'est refuser la voie conduisant au péché, au profit d'une fonction co-rédemptrice à laquelle nous sommes tous appelés.
Marie, d'après le Protévangile de Jacques - puisque rien n'est indiqué sur ce point dans le Nouveau Testament - serait né d'Anne et de Joachim ; or, depuis le départ de son mari pour le désert afin de solliciter de Dieu une postérité, «Anne sa femme faisait une double lamentation et exprimait violemment son chagrin, disant: «Je pleurerai mon veuvage, je pleurerai ma stérilité » (79) et un ange se tiendra devant Anne lui annonçant qu'elle enfanterait : c'est enfant serait Marie. Le mystère des quatre naissances
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possibles a déjà été entrevu dans le cadre de notre méditation sur le Prologue, il importe de comprendre qu'à côté de la naissance naturelle ou du mélange des sangs, il existe la naissance selon la volonté de l'homme qui suppose une prière à Dieu adressée, et cette naissance miraculeuse anticipe le Mystère de Marie en ce que la fécondité naturelle s'efface donc devant la grâce, et, devant Marie, la virginité apparaît comme la condition d'une fécondité spirituelle qui, seule, peut dans ce monde, manifester la vie divine.
A un premier niveau, il est déjà possible de comprendre cette remarque de Louis Marie Grignon de Montfort, avec ce que nous venons d'entrevoir : « Tout se réduit donc à trouver un moyen facile pour obtenir de Dieu la grâce nécessaire pour devenir saint : et c'est celui que je veux vous apprendre. Et je dis que pour trouver la grâce de Dieu, il faut trouver Marie ». (80)
Chercher Marie, c'est aller chercher la Vierge au désert en ce qu'il est dit dans l'Apocalypse : « Et /e dragon se tenait devant /a femme qui a//ait enfanter, afin que, lorsqu'elle aurait enfanté, il dévorât l'enfant. Et elle enfanta un fils mâle qui doit paître toutes les nations avec une verge de fer; et son enfant fut enlevé vers Dieu et vers son trône. Et la femme s'enfuit dans le désert, où elle a un lieu préparé par Dieu, afin qu'on la nourrisse là mille deux cent soixante jours » (Apocalypse XII, 4-7).
Le désert n'est pas une fuite au sens humain du terme, c'est le lieu du combat ! La femme fuit le monde habité au bénéfice du lieu où s'est toujours livré le plus âpre combat, celui que les spirituels nomment la tentation car c'est sur elle que s'obtient la victoire : «/e Royaume des cieux est emporté de force, et les violents s'en emparent » (Mathieu IV, 12).
A propos des soldats de Dieu et du combat spirituel, Origène déclare : « Ils combattent à coup de prières, de jeûnes, de justice, de piété, de chasteté ; toutes les vertus de continence leur servent d'armes de guerre, et quand ils sont revenus victorieux dans le camp, même les non combattants et ceux qui ne sont pas appelés au combat ou qui ne peuvent y monter profitent de leurs travaux ». ,81)
Le combat est de nature spirituelle, il utilise ses armes en ce fait que ce qui doit guider le chevalier c'est l'Amour spirituel qui s'aggrège à sa Dame qui est Notre Dame, voilà pourquoi associé à la Mère de Dieu, le Maître Alexandrin peut dire en faveur de ce combattant : «Ainsi vois-tu, un seul saint en prières est bien plus fort qu'une armée innombrable de pécheurs. « La prière du saint pénètre /e ciel ». Comment ne remporterait-elle pas la victoire sur terre ? C'est pourquoi il faut de toutes ses forces « chercher d'abord » à garder «la justice de Dieu ». Si on l'a trouvée et gardée, elle soumettra tous les ennemis, à condition qu'on soit « revêtu » comme dit l'Apôtre, « de /a cuirasse de justice, ceint de la vérité, qu'on ait pris le casque du salut et l'épée de l'Esprit », et avant tout, «le bouclier de la foi avec lequel on puisse éteindre les traits enflammés de l'ennemi». , 82)
Marie est aussi l'Eglise transfigurée, car si à partir principalement d'Irénée de Lyon s'établit le parallélisme Marie-Nouvelle Even c'est avec Tertullien que se trouve entroduit ce nouveau parallélisme (n'excluant pas le précédent) Marie-Nouvelle Eve et Eglise, quand il déclare - ce qui n'est encore qu'une allusion - : «/a même bonté donna une compagne au maître de /a terre «// n'est pas bon que l'homme soit seul ». Elle savait que ce sexe serait celui de Marie et serait un grand bien pour l'Eglise ». 83)
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Lorsqu'un Ambroise de Milan sera un siècle plus tard, beaucoup plus précis : « ll est bien qu'elle ait été épouse, mais vierge, puisqu'elle figure l'Eglise qui est sans tache, mais épouse : vierge elle nous a conçu de l'Esprit, vierge elle nous enfante sans douleur. Peut-être aussi Sainte Marie a-t-elle été rendue féconde par un autre que son époux, parce que les Eglises particulières, fécondées par l'Esprit et la grâce, sont unies visiblement à un pontife mortel ». 84)
Le chevalier qui a pour Dame Marie, s'il appartient à une Eglise particulière, est rattaché à une Eglise invisible dont les fondations ne sont pas humaines, il se rattache à ce que la tradition théosophique nomme l'Eglise intérieure et comme le déclare l'Apôtre : «Ainsi donc vous n'êtes plus des étrangers ni des intrus mais vous êtes de la cité des saints et de la maison de Dieu, construits vous aussi sur les fondements que sont les apôtres et les prophètes avec Jésus-Christ pour pierre angulaire, Jésus-Christ, en qui toute la construction, logiquement harmonisée, s'élève pour former un temple saint dans le Seigneur, et en qui vous êtes harmoniquement construits vous aussi pour former une maison spirituelle où Dieu habite ». (Ephésiens II, 19-22)
A quoi reconnaîtrons-nous donc le vrai membre de Jésus-Christ et quel est son caractère primitif, interroge Lopoukhine : à l'Amour
« L'Amour ! ()cor XII I). L'amour est l'essence du corps vivifiant de Jésus-Christ. L'amour est la manifestation de son esprit, qui ne peut exister que dans l'amour, ni agir que par l'amour. Ce qui provient de cet esprit est le seul bon et le seul vrai, et n'est point sujet aux épreuves du feu purifiant. L'amour seul est le noeud indissoluble qui unit à Jésus-Christ. Dieu est charité, et celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu demeure en Lui » (1 Jean IV, 16). (85)
L'expression de l'Amour relève bien de l'Eglise intérieure lorsque Diadoque de Photicé déclare : «/a charité unit l'âme aux vertus mêmes de Dieu, en quêtant par le sens intérieur Celui qui est invisible ». 86)
Si le royaume des cieux est emporté par force et les violents s'en emparent Lopoukhine déclare : jusqu'à ce que ceux qui le cherchent l'aient emporté : mais la manière et la forme de cette violence ne sont pas les mêmes. Lorsque Jésus-Christ agit dans l'homme qu'il régénère, tout l'effort de son âme doit consister dans l'inaction, dans l'abandon à l'esprit de celui qui opère ; elle doit combattre la loi du vieil homme, qui s'oppose à la loi de l'esprit de Jésus-Christ » ,87)
Cet abandon doit s'accomplir à l'image de la Vierge répondant à l'ange : « Voici l'esclave du Seigneur. Qu'il en soit de moi comme tu dis » (Luc I, 38), mais cet abandon dans l'inaction, n'est pas une passivité, il s'agit d'une soumission, qui est l'essence de l'Amour.
II convient que la soumission de l'homme change au profit du vrai Maître, car si «le monde entier gît dans le mauvais, nous savons que le fils de Dieu est venu et nous a donné l'intelligence de connaître le véritable. Nous sommes dans le véritable en son Fils Jésus-Christ, c'est lui le Dieu véritable et la vie éternelle ».
(I Jean V, 19-21)
Si Jacques déclare : «soumettez-vous à Dieu donc. Opposez-vous au diable et i/ vous fuira » (Jacques IV, 7), la lutte qui doit s'engager, n'est pas un exorcisme pour anéantir le démon, mais un combat pour purifier le Prince de ce monde et ses légions qui sont aussi bien dans le Cosmos qu'en nous-mêmes surtout (5) de telle sorte que purifié le Prince de ce monde reprenne sa condition première lorsque Pierre déclare : « Ainsi tenons-nous plus fermement
66
la parole prophétique à laquelle vous faites bien de prendre garde comme une lampe qui brille dans un lieu misérable jusqu'à ce que transparaisse le jour et que se lève dans vos coeurs Lucifer ». (II Pierre I, 19)
VIII. Les conséquences de la Queste
Les cieux aussi sont menacés a déclaré Origène : nous avons tenté d'expliquer cet avertissement, et si la terre est venue au secours de la femme qui est l'Eglise, qui est Marie, ce n'est pas parce que la puissance divine serait inapte à accomplir cette régénération, mais c'est parce que l'homme est invité, est appelé à réussir avec la Vierge et avec le Christ ce combat.
Pour mener à bien cette lutte, il importe que l'homme ait conscience que son devenir est étroitement lié au devenir du Cosmos ; seuls les Pères Grecs eurent réellement conscience de cette responsabilité qui revenait à l'homme d'agir en faveur de la nature, et à cette fin, ils proposèrent l'ascèse comme lieu engendrant la déification et les sacrements comme lieux préparant la transfiguration de la Création.
Dix justes auraient suffit pour sauver Sodome, cette ville ne les contenait pas, et elle fut détruite. Combien faudra-t-il de soldats pour sauver le monde qui est en attente de sa délivrance ?
De quelle nature est la récompense qui résulte de la victoire ? Elle est dans l'expression infinie de l'Amour de Dieu qui offre de participer à la Royauté du Christ puisque Jean témoigne : « Et le vainqueur, celui qui garde mes oeuvres jusqu'à la fin, je lui donnerai pouvoir sur les nations... Et je lui donnera l'Etoile brillante du matin ». (Apocalypse II, 26 et 28)
S'il est donné au vainqueur l'Etoile brillante du matin il s'agira alors, avec l'anéantissement du tout ce qui avait pu un temps se dissocier de l'Amour, de la restitution de toute chose au Véritable Créateur, c'est pourquoi il est déclaré encore - parce qu'Adam aura retrouvé sa condition originelle et acquis une Ame conforme au passage de son état d'image à l'état de ressemblance : « Le vainqueur je lui donnerai à manger de l'Arbre de Vie qui est dans le paradis de Dieu ». (Apocalypse Il, 7)
Jean-Pierre Bonnerot
67
Notes
Didyme l'Aveugle, Sur Zacharie I, §, 21, Paris, Ed. du Cerf, 1962, Coll. Sources Chrétiennes n°83, page 201.
Elie Munk: /a Voix de la Thora. Volume n° 2 : l'Exode. Paris, fon­dation Samuel et Odette LEVY, 1980, page 89.
Jean Chrysostome : Sur l'Epître aux Romains X, § 3, Bar le Duc Guérin et Cie Ed., in : Oeuvres complètes tome 10, 1866, page 258.
Maxime le Confesseur : Questions à Thalassios, in : le Mystère du Sa/ut, Namur, Ed. du Soleil levant, 1965, page 92.
J.-P. Bonnerot : Satan, Lucifer, le Prince de ce monde et les démons, dans la tradition chrétienne et l'exégèse scripturaire. Cahier d'Etudes Cathares n° 96 (Hiver 1982).
Guigues : Au grand Maître des Templiers, in : Lettres des pre­miers chartreux. Paris, Ed. du Cerf, 1962, Coll. Sources chré­tiennes n° 88, page 155 (extraits).
René Nelli : la Continence Cathare, in : Mystique et Continence, Paris, Desclée de Brouwer Ed., 1952, Coll. les Etudes Carmélitaines, page 140; ou le Phénomène Cathare, Toulouse Privat Ed. 1976 pages 82 à 100.
G. d'Albis: Déposition de Pierre Gaillac, f°46v°, in : Jean Duver­noy : le Catharisme : la Religion des Cathares. Toulouse Privat Ed., 1976, page 182.
J.-P. Bonnerot : Consolamentum, Réincarnation et Evolution Spiri­tuelle dans le Catharisme et le Christianisme originel, Cahiers d'Etudes cathares n° 98 (été
1983).
Grégoire de Nysse : la Création de l'homme, XVI. Paris, Desclée de Brouwer Ed., 1982, Coll. les Pères dans la Foi, page 104.
Maxime le Confesseur : Questions à Thalassios. PG 90: 261 Q1, op cité, page 81.
Rituel Cathare, version occitane traduite par Déodat Roché : l'Eglise Romaine et les Cathares Albigeois, Narbonne, Cahiers d'Etudes Cathares Ed., 3e Ed., 1969, page 165.
René Nelli en ses Ecritures Catha­res, Paris, Ed. Planète, 1968, page 214, choisit le terme a mis en prison » au lieu de « emprisonné » en ce qui touche l'esprit : la nuance est importante sur le plan théologique.
Déodat Roché : le Catharisme Il, chap. 2: Organisation et moeurs de l'Eglise Cathare, Narbonne, Cahiers d'Etudes Cathares Ed., nlle Ed., 1976, page 40.
Abbé Boulenger : /a Doctrine Ca­tholique, Lyon et Paris, Lie Emma­nuel Vitte Ed., 1936, pages 197 et 198.
René Nelli : Dictionnaire des Héré­sies Méridionales, Toulouse Privat Ed., 1968, page 205.
Sur le point de la ténèbre, nous invitons le lecteur à prendre con-naissance de nos travaux anté­rieurs, plus particulièrement Con­solamentum..., et /e Prologue de Saint-Jean dans la tradition chré­tienne et l'exégèse scripturaire, Cahiers d'Etudes Cathares, n° 98 et 102 (été 1984).
Origène : Traité des Principes II, 9, 8, Paris, Etudes Augustiniennes Ed., 1976, pages 131 et 132.
Basile de Césarée : Homélies sur l'Hexaéméron I, 4. Paris Ed. du Cerf, Coll. Sources Chrétiennes N° 26, 1950 page 103.
Origène : op cité« II, 6, 4, pages 205 et 206.
Bonaventure : Vie de Saint-Fran­çois d'Assise II, 2. Paris Ed. fran­ciscaines, 1957, pages 45 et 46.
1)    salem, Ostervald, Segond, Darby.
Tertullien : De /'Oraison domini­cale § 23 (conclusion) in : J-A-C. Bouchon : Choix de monuments primitifs de l'Eglise Chrétienne. Paris, Lie Delagrave Ed., 1982, Coll. du Panthéon Littéraire, page 292.
Irénée de Lyon : Contre les Héré­sies III, 16, 6. Paris Ed. du Cerf, 1984, page 352.
Cyrille d'Alexandrie : Deux dialo­gues christologiques, 706c, Paris, Ed. du Cerf, 1964, Coll. Sources chrétiennes n° 97, page 485.
Jean d'Apamée : Premier Traité, in : Dialogues et Traités, § 107, Paris, Ed. du Cerf, 1984, Coll. Sources chrétiennes n° 311, page 140.
Ibid., § 108, p. 141
Isaac le Syrien : Oeuvres Spirituel-les, 81' Discours. Paris Desclée de Brouwer Ed., 1981, page 395.
Zohar Ill, 218 a, in : J. de Pavly : Sepher-Ha-Zohar, Paris Maison-neuve et Larosse Ed., tome 5, pages 551 et 552.
J.-P. Bonnerot: Le Prologue de Saint-Jean, op cité, confer princi­palement pages 4 et 5. Nous avions alors écarté ces deux autres aspects du mot Elohim, car ils n'intervenaient pas pour signifier - à notre avis - le sens premier de ce mot.
68
21 Léon Gautier : la Chevalerie, VII, §, 9. Paris, H. Welter Ed., 1985, page 292.
Pontifical de Guillaume Durand Rituel de l'Adoubement, in : Gus­tave Cohen : Histoire de la cheva­lerie en France au Moyen-Age. Paris, Ed. Richard Masse, 1949, pages 186 et 187.
Tertullien : De /a Pénitence II, in M. de Grenoude : Les Pères de l'Eglise traduits en français, tome 6 : Oeuvres de Tertullien, Paris, Lies Adiren Le Cleré et Sapia Ed., 1841, page 741.
Tertullien : Le Scorpiaque VI, ibid, tome 7, 1842, page 439.
Guigues: op cité, pages 155 et 157 (extraits).
Clément de Rome : Epître aux Corinthiens : LV, §6, in : Les Ecrits des Pères Apostoliques. Paris Ed. du Cerf. Coll. Chrétiens de tous les temps n° 1, 1969, page 102.
Ignace d'Antioche : Lettre aux Ephésiens VIII, §1, in : Les Ecrits des Pères Apostoliques, op cité, page 144.
Origène : Exhortation au martyre § 50. Paris, Gabalda Ed., 1932, Coli Bibliothèque Patristique de Spiritualité, page 284.
Origène : Homélies sur les Nom­bres, XXVI, 1. Paris, Cerf Ed., 1951, Coll. Sources Chrétiennes n° 29, page 457.
Le lecteur habitué à nos travaux    39) Emmanuel Levyne : Le Mystère
sait que nous utilisons en prin-    du nom divin E/ohim, précédé de
cipe, pour l'A.T. la traduction    la Kabbale de la lettre Hé, Paris,
d'Edouard Dhorne, pour le N.-T.    Tsédek Ed., 1980, page 26.
la traduction de Jean Grosjean    40) Zohar ll, 32b, op cité, tome 3,
(toutes deux dans la Pléiade)    page 159.
sauf pour les écrits de Paul et    41) Zohar /, 65a, op cité, tome 1, page
L'Evangile de Jean pour lesquels    383.
nous usons de la traduction de    42) Dr A-E. Chauvet : Esotérisme de
l'Abbé Alta.    /a Genèse, traduction ésotérique
Dans le cadre de cette citation,    commentée des dix premiers cha‑
Dhorne et Crampon choisissent    pitres de Sepher Bereschit, Paris,
d'user du terme « Vie » à la place    Sipuco Ed., 1948, tome 4, page
de « Ame » qui nous semble plus    959.
juste comme le feront d'ailleurs le    43) Ibid., page 961.
Maître de Sacy à travers la Vul-    44) Ibid., page 961.
gate, le Rabbinat français, Ma-    45) Carlo Suares : la kabale des kaba‑
redsous, l'Ecole Biblique de Jéru-    /es, /a Genèse d'après /a tradition
69
ontologique. Paris, Adyar Ed.,    62) Nestle-Aland :    Greek English
1962, page 68.    New    Testament,    Stuttgart,
Ibid., page 68.    Deutsche Bibelgesellschaft, Ed.,
Dr Chauvet : op cité, page 961.    1981, page 300 : «Hath nothing in
/big, page 961    me».
Carlo Suares : op cité, page 70.    63) Tatien : Diatessarion XLVI, 10, 11.
J.-P. Bonnerot : Judas ou /es    Texte établi par A. S. Marmadji,
conditions de /a Rédemption. Ca-    Beyrouth, Imprimerie Catholique
hiers d'Etudes Cathares n° 104    rén 1935, page 439.
(Hiver 1984), confer notamment    64) Irnée de Lyon : Contre les Héré‑
pages 35 à 47. Nous profitons de    sies V, 1, 1, op cité, page 570.
cette note pour signaler page 46    65) Origène : Commentaire sur Jean I,
l'ommission de l'indication 3e de    Sources § 250, Paris chrCerfétiennes Ed., n° 120, Coll.
notre analyse sur la nuit, com-    20, page
mençant à la ligne 30, par la    183.
citation de Mathieu.    66) Origène : Homélies sur l'Exode VI,
Zohar    266a, op cité, tome 2,    9. Paris, Cerf Ed., 1947, Coll.
page 630.    Sources chrétiennes n° 16, page


Carlo Suares : /a Bible restituée,    159.
Genève, Mont Blanc Ed., 1977,    67) Ibid., page 161.
pages 216 et 217.    68) Grégoire de Nysse : Catéchèse de
Confer : Maurice Stern : Mor-    la Foi, § 22. Paris, Desdée de
ceaux choisis du Midrash Rabbab,    Brouwer Ed., 1978, page 65.
Genèse, chapitre 77, Londres c/    69) Ibid., § 24, page 69.
Stern, 1981, notamment page    70) Ambroise de Milan : Traité sur
225, et Zohar I, 170, opcité,    l'Évangile de Saint-Luc VII, 714.
tome 2, page 268 notamment. Il    Paris Cerf Ed., °1958, Coll. Sources
conviendrait de citer des textes    chrétiennes, n 52, pages 47 et
entiers car la pensée des maîtres    48.
du Judaïsme ne semble pas    71) J.-P. Bonnerot : le Prologue de
s'exprimer, sur ce point, par un    Saint-Jean, op cité.
énoncé concis.    72) Zohar I, 134b, op cité, tome 2,
54) Dr Chauvet : op cité, page 956.    Pages 131 et 132.
73) Nous remercions Sa Béatitude
Emmanuel Levyne : le Mystère du    Tau Irénée II, Patriarche de l'Eglise
nom divin E/ohim, op cité, page 7.    Catholique Gnostique Aposto‑
Emmanuel Levyne : Lettre d'un-    ligue Primitive, de nous avoir
kabbaliste à un Rabbin, Loi et    communiqué le texte de cette
Création. Paris Tsédek Ed., 1978:    liturgie.
cet opuscule est d'une grande    74) Emmanuel Levyne : /a kabbale du
importance.    commencement et la lettre B eith)
Zohar II, 161a, 1616, op cité, tome    Paris, Tsedek Ed., 1982, page 59.
4, page 101.    75) Irénée de Lyon : Contre les Héré‑
Paul Evdokimov : /a Connaissance    sies III, 22, 4, opcité, page 385.
de Dieu selon la tradition Orien-    76) Bossuet : Troisième sermon sur la
tale, Lyon, Xavier Mappus Ed.,    fête de l'annonciation, in : Oeu‑
1968, page 10.    vres complètes, Paris, Lefevre et
Zohar I, 47a. op cité, tome 1, page    Firmin Didot Ed., 1836, tome 4,
274.    page 674.
Jean Meyendorf : Initiation à la    77) Irénée de Lyon : op cité, V, 19, 1,
théologie Byzantine, Paris Cerf    page 626.
Ed., 1975, page 185.    78) Alfred Haehl : Vie et paroles du
Emmanuel Levyne : /a kabbale du    Maître Philippe, Lyon, Paul Der‑
Aleph, Pars, Tsedek Ed., 1981,    rain Ed., 1959, page 112, ou nlle
page 54.    Ed., Dervy Livres.
70
 Protévangi/e de Jacques § 2. In :    84) Ambroise de Milan : op cité, II, 7,
    /'Empire et /a Croix, Paris, Ed. de    1956, Coll. Sources chrétiennes
    Paris, 1957, Coll. Littératures    n° 45, page 74.
chrétiennes n° 2, page 212.    85) Lopoukhine : Quelques traits de
 Louis Marie Grignon de Monfort :    l'Église intérieure, IV, § 3, Nlle Ed.,
    /e Secret de Marie, § 6, in : Oeu-    Paris, Bibliothèque des Amitiés
    vres complètes, Paris, Ed. du    Spirituelles, 1929, page 36. Seuil, 1982, page 445.
 Origène : Homélies sur les nom-    86) Diadoque de Photicé : Cent chapi‑
bres XXV, 4, op cité, page 481.    tres sur la perfection spirituelle,
lbid, XXV, 2, page 475.    chapitre I, Paris Cerf Ed., 1943,
 Tertullien : Contre Marcien ll, 4.    Coll. Sources Chrétiennes n° 5,
    in : M de Genoude : les Pères de    page 74.
    l'Eglise..., opcité, tome 6, page    87) Lopoukine : op cité, VII, § 6,
58.    pages 86 et 87.





XXXVI" Année    AUTOMNE 1985 .    III SERIE N" 107
CAHIERS D'ÉTUDES CATHARES