avril 26, 2011


LA NATIVITÉ DU CHRIST,
ICÔNE DE SA DESCENTE AUX ENFERS

Comme pour le précédent article, il n'a pas été possible de placer les figures,  pour cet article complémentaire à celui de Pâques, je renvoie le lecteur aux artivles placés sur ma page de Facebook.

Dans l’Église orthodoxe, la Nativité du Christ est une fête très importante. Liturgiquement, l’Église voit en elle l’icône de la fête de Pâques. C’est la raison pour laquelle, dans la partie consacrée aux éphémérides du "Psautier commenté", la fête de la Nativité est appelée « Pâques, fête de trois jours ». La notion de « trois jours » doit être comprise non pas sur le plan de temps (durée), mais dans le sens qualitatif : liturgiquement les offices de la Nativité contiennent des éléments du Vendredi Saint, du Samedi Saint et de Pâques. Ces éléments se retrouvent dans les offices des 24 et 25 décembre, à savoir : (1) le 24-XII « les Heures Royales » (Vendredi Saint), (2) le 25-XII les Vêpres avec la liturgie vespérale de St Basile (Samedi Saint) et enfin (3) la liturgie eucharistique matinale de St Jean Chrysostome le jour de la Nativité (Pâques).
Dans la mesure où le 24 décembre correspond aux deux derniers jours de la Semaine Sainte, l’Église prescrit un carême semblable à celui de cette semaine.
Il est très important de comprendre que, du moment où il y a relation très étroite entre les événements liés à la fête de Pâques, fête mobile, et les événements de la Nativité, fête fixe, l’expression liturgique de la Nativité se manifeste simultanément à travers ces deux cycles : fixe et mobile (pascal). En ce qui concerne le cycle mobile (pascal), la semaine en est une sorte d’unité où le septième et dernier jour, samedi, est étroitement lié avec le premier (ou huitième), dimanche, et c’est précisément le Samedi Saint avec Pâques qui rendent ce couple de jours de la semaine très particuliers, comme vision du « Jour Un » du début de la création :
« Et Dieu appela la lumière : jour, et les ténèbres : nuit. Il y eut un soir et il y eut un matin, jour Un ». (Gen. 1, 5)
Le Samedi Saint correspond au domaine occupé par les ténèbres (nuit) et Pâques à la lumière (jour).
 Ainsi le samedi, au prix de la mort du Christ (sa descente aux enfers), est libéré des ténèbres, et la Lumière de la Résurrection envahit son domaine ; et le Jour Un prend l’aspect du Huitième où il n’y a plus de ténèbres.
 « De nuit, il n’y aura plus ; ils se passeront de lampe ou de soleil pour s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux Sa Lumière et ils règneront dans les siècles des siècles. » (Apoc. 22, 5).
Liturgiquement cette particularité du samedi et du dimanche se manifeste dans la fête de la Nativité du Christ chaque fois qu’il y a occurrence du 24 décembre ("Vendredi et Samedi Saints" de la Nativité) avec le samedi ou dimanche de la semaine.
En ce qui concerne le 25 décembre, si ce jour (la fête) est un dimanche, l’aspect liturgique ne subit aucun changement. L’office dominical est supprimé, et toute l’attention est concentrée sur l’événement de la Nativité du Seigneur dans lequel l’Église voit aussi sa Résurrection.
Quant au 24 décembre, qu’il tombe un samedi ou un dimanche, tout d’abord il n’y a pas de carême (au plan liturgique), ensuite la structure liturgique elle-même subit des modifications notables.
D’une manière générale, la célébration de la liturgie de St Basile est un signe de la préparation à un événement important, surtout lorsque cette liturgie est célébrée en liaison avec les vêpres – c’est une sorte d’entrée (eucharistique) dans les ténèbres (descente aux enfers) pour porter le coup mortel et définitif à la mort elle-même.
Remarquons, à propos du samedi, que dans l’année liturgique, la liturgie eucharistique vespérale est célébrée uniquement le Samedi Saint : Une fois le Christ descendu aux enfers la mort est vaincue, et le samedi (de l’année liturgique) devenant l’expression de cette victoire, sa liturgie eucharistique est obligatoirement matinale et de St Jean Chrysostome, comme au jour de Pâques.
Cette année (1989), le 24 décembre dans l’ancien calendrier coïncide avec un samedi et dans le nouveau avec un dimanche. Étant donné que le samedi (et d’autant plus le dimanche) exige sa liturgie eucharistique matinale (de St Jean Chrysostome), cette année elle sera célébrée à la place des « Heures Royales » qui seront reportées au vendredi précédant le 24-XII (le 23-XII ou le 22-XII), et dans ce cas la liturgie eucharistique de ce vendredi sera supprimée, comme au Vendredi Saint. Quant au 24 décembre, il faut tout d’abord célébrer la liturgie eucharistique de St Jean Chrysostome, après laquelle on célèbrera le début des vêpres du 25 décembre qui normalement précèdent la liturgie vespérale de St Basile, et ces vêpres s’achèveront au moment où normalement (aux vigiles) commence la litie. Cette dernière est déjà incluse dans les Vigiles de la Fête de la Nativité (entre les grandes Complies et Matines). Quant à la liturgie eucharistique de St Basile elle sera célébrée exceptionnellement le jour même de la Fête, le 25 décembre à la place de la liturgie de St Jean Chrysostome. Ainsi la Fête de la Nativité du Seigneur qui préfigure normalement la Résurrection, dans ce cas précis, par la présence de la liturgie de St Basile, évoque particulièrement le Samedi Saint. La venue du Fils de Dieu dans ce monde déchu, et acceptant la mort, devient l’Icône de la descente aux enfers (Samedi Saint).
Dans le cas où le 24 décembre coïncide avec le dimanche, un détail liturgique supplémentaire justifie cette affirmation : aux Matines de ce jour, l’office dominical (selon l’octoèque) est pratiquement supprimé, il est remplacé par des éléments hymnographiques composés en vue de ce cas et placés dans le Ménée (l’office des Saints Pères). À travers ces éléments l’Église met l’accent sur la Passion du Christ qui précède Sa Résurrection, et les hirmi du canon dominical sont remplacés par ceux des Matines du Samedi Saint.
En conclusion, rappelons la stichère dominicale des matines à Laudes du 5e ton (ton pascal) :
« Tu es passé à travers le tombeau comme Tu es né de la Mère de Dieu ».

Nicolas Ossorguine
Décembre 1989

avril 25, 2011

L’ANNONCIATION, LA NATIVITÉ ET PÂQUES


L’ANNONCIATION, LA NATIVITÉ ET PÂQUES
COMME IMAGE DE LA RÉSURRECTION AU TROISIÈME JOUR, *
EN RELATION AVEC LA FORMULE DU NICÉE DÉTERMINANT LA DATE DE PÂQUES

En 1991, de même qu’en 1980, la date de la fête de l’Annonciation a coïncidé avec les festivités pascales (en 1980 le lundi de Pâques et en 1991 – le jour de Pâques). À l’église de l’Institut de Théologie qui est celle de la paroisse Saint Serge, la célébration a été avancée, en 1980 de 13 jours et en 1991 au samedi de la cinquième semaine du Carême, jour de l’office de l’Acathiste de la Mère de Dieu. En 1980 est paru dans Les Nouvelles de Saint Serge (N° 6) un article expliquant la raison du déplacement de cette fête d’un point de vue technico-calendaire.

Dans ce numéro, le même auteur donne des explications sur ce déplacement d’un point de vue théologique et liturgique.

Le thème de cet exposé englobe trois aspects différents, qui à première vue ont peu de choses en commun : d’une part, des événements de la vie terrestre du Christ liés à l’Incarnation (l’Annonciation, la Nativité et la Résurrection) ; d’autre part le triduum pascal en tant que délai séparant l’instant de la mort du Christ, de Sa Résurrection ; enfin, la formule de Nicée qui détermine la date de Pâques dans l’année liturgique. Notre but est de montrer qu’en fait, ces trois aspects différents expriment une seule et même vérité, à savoir la réalisation de l’économie divine par l’action conjointe de la Sainte Trinité.

Avant d’aborder le thème proprement dit, il est indispensable d’attirer l’attention sur le fait suivant : dans les questions théologico-liturgiques de tout ordre où figure la notion de temps, il convient de garder à l’esprit que l’Église en tant qu’organisme à la fois divin et humain vit dans deux aspects du temps, dont l’un est humain et représente le temps pour ainsi dire « temporel », issu de la chute et donc s’achevant par la mort, et l’autre est divinement éternel et pourrait, par contraste avec le précédent, être qualifié d’éternellement présent. C’est bien en ce sens qu’il convient de comprendre les paroles du Christ dans l’évangile de saint Jean, par lesquelles le Christ confronte le temps divin, éternellement présent, avec le futur ou le passé humains : « Quand vous aurez dressé en haut le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que Je suis » (Jn 8, 28) ; ou bien « En vérité, en vérité Je vous le dis : avant qu’Abraham fût, Je suis » (Jn 8, 58). II s’agit là de la formule vétérotestamentaire même qui fut employée par Dieu, s’adressant à Moïse sur le Sinaï (Ex. 3, 14). Ce n’est qu’en comprenant ainsi le temps divin comme éternellement présent, que l’on peut saisir l’affirmation constante des textes liturgiques selon laquelle le Christ, dans Son Incarnation, est demeuré inchangé. De même que les deux natures en Christ, la divine et l’humaine, demeurent selon l’expression dogmatique de Chalcédoine, sans division, sans confusion, sans séparation et sans changement, ainsi et de façon similaire conviendrait-il de percevoir également la nature du temps dans lequel se déroulent tous les événements liés à la Rédemption. Ces événements, tout en se développant dans le cadre du temps humain, ne sont nullement limités à celui-ci mais, au contraire, le transfigurent en quelque sorte.

C’est seulement en comprenant de la sorte les relations entre temps humain et temps divin, que nous pouvons affirmer notre participation réelle à la vie de l’Église, à ses sacrements, par l’intermédiaire de quoi l’Église nous introduit dans le temps divin de l’éternel présent.

-------------------------------- note bas de page --------------------------------
* La notion « au troisième jour » doit être comprise non pas au sens quantitatif (laps de temps), mais qualitatif (en grec et en slavon il s’agit d’un adjectif qualitatif : triêmeron. tridnevnoie) qui correspond à la notion de Triduum.



Ayant fêté en 1988 le millénaire du baptême de la Russie, nous n’allons tout de même pas préparer la célébration, dans un proche avenir, du deux millième anniversaire de la Résurrection du Christ. Une telle célébration est impensable dans la mesure même où pour nous, chrétiens orthodoxes, le sens de cet événement ne se dévoile que dans le temps divin, éternellement présent.

Chaque année à Pâques, comme chaque semaine le dimanche, comme également chaque jour à la Divine Liturgie, nous participons dans le temps présent divin à l’événement non répétable de la Rédemption, réalisée une fois pour toutes. Sous ce rapport, le Samedi-Saint conjointement avec le jour de Pâques inclut, liturgiquement parlant, l’année ecclésiale tout entière en tant qu’expression de l’économie divine. En témoigne un stichère du Samedi-Saint chanté à Matines avant la grande doxologie (apparition de la lumière), ainsi qu’aux Vêpres avant le dogmatikon de ton l, qui inaugure le cycle de la semaine de Pâques lumineuse : « Le grand Moïse prophétisa mystérieusement ce jour en disant : Dieu bénit le septième jour, car c’est ici le sabbat béni. C’est ici le jour de repos. En lui le Fils de Dieu s’est reposé de toutes œuvres. Il a tout accompli par la mort. Il a célébré le sabbat dans Sa chair. Et revenant à ce qu’Il était, par la Résurrection, Il nous a donné la vie éternelle, en Sa bonté et son amour de l’homme ». Il n’est pas fortuit qu’à ce même office de Vêpres et comme tenant lieu de prokimenon, soit lue une parémie ou leçon vétéro-testamentaire (la première des quinze) qui est le début de la Genèse et qui nous dévoile l’image du Jour « Un » (et non : premier), comme le rend correctement la traduction slavonne faite d’après le texte grec des Septante (hê hêméra mia). Les saints Pères, et notamment saint Basile le Grand, voient en ce Jour Un l’image de la vie éternelle ; conséquemment, ce n’est pas le premier jour d’une succession, mais c’est le jour qui contient tous les autres en soi.

Représentons cela graphiquement, de manière conventionnelle :


Fig. 1.
Attendu qu'il s'avère quasiment impossible pour un non informaticien de placer les figures dans le texte ou après ce dernier, je renvoie le lecteur qui serait sur Facebook à ma page, à moins qu'il ne préfère se rendre sur le site du groupe théologique de Yahoo le texte avec les images sont à rechercher  dans le dossier Liturgie.


En liaison avec ce qui a été dit concernant le Samedi-Saint et le jour de Pâques, la relation entre ces deux jours peut être comparée avec la représentation du Jour « Un » ; le Samedi-Saint y occupe le domaine de la nuit, laquelle est détruite par la force du Seigneur descendu aux enfers et ressuscité. En résultat, le Jour « Un » acquiert les traits du Huitième jour, en accord avec les paroles de l’Apocalypse : « De nuit, il n’y en aura plus... car le Seigneur répandra sur eux sa lumière, et ils régneront pour les siècles des siècles » (Ap 22, 5).



Fig. 2.
Observons que dans le récit de la création du monde que fait la Genèse, la nuit n’est mentionnée que deux fois : la première en relation avec le « jour Un ». « Et Dieu appela la lumière Jour et les ténèbres Nuit. Il y eut un soir et il y eut un matin, jour « Un ». (Gn 1, 5) ; et la seconde fois en relation avec le quatrième jour, « Dieu fit les deux grands luminaires, le grand luminaire pour dominer le jour, le petit luminaire pour dominer la nuit, et les étoiles. Dieu les mit dans le firmament des cieux pour éclairer la terre, pour régner sur le jour et la nuit, pour séparer la lumière et les ténèbres. Et Dieu vit que c’était bon. Il y eut un soir et il y eut un matin. Quatrième jour. » (Gn 1, 16-19).

Observons que dans la semaine, le quatrième jour correspond au mercredi ; il va de soi que jour « Un » correspond au dimanche, de même que le huitième jour.

Si l’on comprend l’économie divine comme une conquête progressive, par la lumière, du domaine des ténèbres, alors l’événement du quatrième jour est intermédiaire entre le Jour « Un » et le Huitième :


                                                                     
Jour « Un »                                        Quatrième jour (mercredi)                 Huitième Jour

Fig. 3

Voyons maintenant la formule de Nicée qui détermine la date de Pâques. Comme on le sait, cette formule comporte trois éléments : (1) l’équinoxe de printemps ; (2) la pleine lune suivante et (3) le premier jour dominical qui suit cette pleine lune. Actuellement, la plupart considèrent cette formule comme une règle astronomique conventionnelle, établie dans les premiers siècles du christianisme en corrélation avec la coutume établissant la Pâque juive. On pense même qu’il est admissible de simplifier cette formule, par suite des inconvénients (du point de vue des conditions de vie présentes) qu’offre la grande mobilité de la date de Pâques (sur une plage de cinq semaines). Un tel point de vue témoigne d’une méconnaissance des raisons réelles et du sens de ce décret du 1er concile œcuménique tenu en 325.

En fait, cette formule est une icône cosmique de l’économie divine. Il est aisé de s’en convaincre à la lecture d’un document du IVe siècle, l’homélie anatolienne sur la date de Pâques en 387. L’auteur y donne une explication détaillée de la formule de Nicée, en indiquant l’existence d’un lien étroit entre la « semaine » de la création du monde et la « semaine » du sacrifice rédempteur du Christ.

La création du premier homme, Adam, a été suivie de sa chute et conséquemment, de l’avilissement de la création tout entière. Le Christ, nouvel Adam, rachète le péché du premier homme et restaure une nouvelle création. Dans ce contexte théologique, les phénomènes cosmiques (équinoxe de printemps et pleine lune qui le suit) sont des indices naturels qui correspondent au temps originel dans lequel Dieu créa le monde. « L’icône cosmique » de l’économie divine devient ici icône du temps originel de la création.  

Le moment de l’équinoxe de printemps est l’image du premier jour de la création ; il s’agit, selon l’expression employée par le texte slavon, du « jour Un », lorsque Dieu manifesta au monde la lumière et sépara les domaines de la lumière et des ténèbres, leur donnant respectivement les noms de jour et de nuit. Rappelons que, dans la perspective du cycle hebdomadaire, ce jour correspond au dimanche. La pleine lune qui survient ensuite constitue l’image du quatrième jour de la création, lorsque Dieu, se servant des luminaires célestes eux aussi créés, répartit la lumière (manifestée le premier jour) sur la terre entière. Les ténèbres sont progressivement repoussées. Le rôle de la Lune consiste en ce que, par elle, la lumière pénètre dans le domaine des ténèbres, en tant qu’annonciatrice de la victoire finale (c’est le mercredi).

Le sixième jour de la création, qui correspond au vendredi, Dieu crée le premier homme, Adam, qui s’éloigna de Dieu ; c’est pourquoi le nouvel Adam, le Christ, rachète le péché [-début page 16 -] d’Adam sur la Croix le jour correspondant – le Vendredi-Saint –, et le septième jour – Samedi-Saint –, reposant charnellement dans le tombeau, Il anéantit le royaume des ténèbres ; et le jour suivant, premier jour de la semaine, qui correspond dans cette optique au jour « Un », celui où Dieu créa la lumière, le Christ ressuscité manifeste au monde la lumière sans déclin de Sa Résurrection.

La leçon évangélique de la liturgie de Pâques relate ce mystère : « Au commencement était le Verbe... et le Verbe était Dieu. Tout fut par lui... En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière luit dans les ténèbres ; et les ténèbres ne l’ont pas comprise » (Jn 1, 1-5).

De ce qui a été dit ci-dessus à propos de la formule de Nicée, l’on peut conclure que ses trois éléments coïncident exactement avec le diagramme qui a été proposé, des trois jours exprimant la victoire progressive de la lumière sur les ténèbres :


                                             
Équinoxe (Jour Un)                Pleine Lune Mercredi (4ème jour)                   Dimanche (8ème jour)

Fig. 4.

Considérons maintenant le lien entre l’Annonciation, la Nativité et Pâques, d’une part, et d’autre part, les trois termes de la formule de Nicée.

La résurrection du Christ – le jour de Pâques – constitue le troisième terme de la formule de Nicée, et nous n’aurons donc à établir de lien qu’entre les deux premières fêtes et les premiers termes de cette formule.

Commençons par la Nativité, car historiquement cette fête a commencé à être célébrée avant l’Annonciation. Comme on le sait, initialement, Noël et le Baptême du Christ étaient célébrés conjointement le 6 janvier, en tant que fête de l’Épiphanie. Au début du IVe siècle, la célébration de l’événement de la nativité du Christ s’est séparée du baptême et a commencé à se fêter le 25 décembre, jour du solstice d’hiver et moment de l’année où, dans l’hémisphère boréal (celui où s’est déroulée l’histoire sainte), la nuit, ayant atteint son amplitude maximale, commence à décroître tandis que le jour commence à croître. Pour cette même raison, c’était la fête païenne du dieu-soleil. L’Église chrétienne a pour ainsi dire approfondi le sens de cette fête, comme on le voit dans le chant du tropaire festif : « Ta naissance... a fait resplendir dans le monde la lumière de la connaissance. En elle, les serviteurs des astres... apprennent à t’adorer, Toi Soleil de Justice... ». Dans le peuple, on appelle Noël les Pâques d’hiver. On pourrait également qualifier cet événement de fête nocturne, car il comporte de très nombreux éléments liés à sa nature nocturne.

Durant la période du solstice d’hiver, les nuits sont les plus longues de l’année (au delà du cercle polaire, c’est la nuit polaire). Sur le plan du récit évangélique, la manifestation de l’étoile de Bethléem témoigne de la présence de la nuit, de même que l’apparition des anges aux pasteurs dans l’évangile de saint Luc se déroule de nuit (Lc 2, 8). Sur le plan liturgique, le chant du tropaire et du kontakion de la fête après le congé de la Liturgie de saint Basile le Grand (le 24 XII), au moment de l’apparition de la première étoile, va dans le même sens.

Nous n’allons pas nous arrêter sur toutes les particularités liturgiques témoignant de ce que la fête de la Nativité est comprise par l’Église orthodoxe comme le « petit luminaire » placé dans le « domaine de la nuit » pour répandre sa lumière à l’image du quatrième jour de la création. Limitons-nous à indiquer un détail. Le dimanche suivant Noël, à matines, avant la grande doxologie (liée à l’apparition de la lumière), là où le Samedi-Saint est chanté le stichère « Le grand Moïse prophétisa mystérieusement ce jour... » (cf. plus haut), on chante : « Sang et feu et colonnes de fumée, énigmes sur la terre dans la vision de Joël : sang pour l’incarnation, feu pour la divinité, colonnes de fumée pour l’Esprit Saint venu sur la Vierge et qui a empli de son parfum le monde. Grand est le mystère de Ton Incarnation, Seigneur, gloire à Toi ! »

Ce stichère est un commentaire de la vision du prophète Joël (Jl 2, 30-31). L’Église, notamment, voit dans la lune ensanglantée l’image de l’Incarnation. L’enfant divin, né et venu au monde pour recevoir la mort sur la croix, est comparé à la lune ensanglantée : l’image de l’Incarnation est reliée à celle de la mort. Attirons l’attention sur le stichère dominical de ton 5 à laudes, qui déclare directement ceci : « Tu es passé à travers le tombeau comme Tu es né de la Mère de Dieu... ». La Nativité est ici assimilée à la mort et à la Résurrection. Dans la mesure où l’Église voit cette image dans le rôle joué par la lune dans la vision du prophète Joël, sur le plan de l’hebdomade de la création, cela correspond au quatrième jour (mercredi), celui où le Créateur a confié à la Lune le domaine de la nuit afin de l’éclairer : « Et la lumière luit dans les ténèbres ; et les ténèbres ne l’ont pas comprise. » (Jn 1, 5), lit-on chez les orthodoxes à la liturgie de Pâques, et à la messe de Noël chez les catholiques.

Dans la partie consacrée aux éphémérides du « Psautier commenté », il est noté à la date du 25 décembre que le Christ est né un mercredi. Cette précision n’est certes pas d’ordre calendaire ni historique (voir plus loin) ; selon toute vraisemblance, ce qui est envisagé ici est une communauté de nature entre cet événement et le quatrième jour de la création.

Dans un livre consacré à l’étude des célébrations liturgiques occidentales, l’auteur anglais A. King indique qu’au VIe siècle, pour des raisons qu’il ne comprend pas, on estimait que le Christ était né un mercredi, et qu’au témoignage de saint Grégoire de Tours (+ 594), sainte Radegonde, en relation avec cette croyance, avait pour habitude de commencer les affaires importantes un mercredi ; elle-même est morte un mercredi, le 13 août 587.

En ce qui concerne le mercredi dans le cadre hebdomadaire, on sait que le mercredi comme le vendredi sont des jours de jeûne qui ont des thèmes communs, à savoir la Croix et la Mère de Dieu. Pour ce qui est du vendredi, son premier thème, la Croix, est lié au fait que le Christ est mort en croix un vendredi. En ce qui concerne le mercredi, on estime couramment que le lien entre la Croix et ce jour est dû au fait que c’est le jour de la trahison de Judas. Cette explication n’est pas pleinement convaincante, car pourquoi alors ne pas consacrer également à la Croix le jeudi, jour de la Sainte Cène ? C’est bien ce jour-là que le Christ, anticipant Sa mort sur la croix, offre aux disciples Son Corps et Son Sang. Dans l’Octoèque, le prokimenon et le verset de communion de la Divine Liturgie du vendredi sont sur le thème de la Croix, alors que le mercredi, prokimenon et verset de communion sont dédiés à la Mère de Dieu ; en outre, l’annexe de Saint énumérant les épîtres et les leçons évangéliques à lire durant la semaine indique pour le mercredi épître et évangile relatifs à la Mère de Dieu, et pour le vendredi, comme il se doit, des lectures consacrées à la Croix.

En conclusion, rappelons le stichère du ton 5 à laudes, déjà cité : « Tu es passé à travers le tombeau comme Tu es né de la Mère de Dieu... » ; conséquemment, le vendredi porte l’empreinte de la Croix, en tant que jour de la mort en croix du Christ, alors que le mercredi porte l’empreinte de la naissance virginale du Christ, qui dévoile l’image du tombeau. Ainsi, la fête de la Nativité correspond pleinement au deuxième terme de la formule de Nicée : la pleine lune du quatrième jour de la création.

Concernant la fête de l’Annonciation, indiquons tout d’abord que sa célébration a été fixée au 25 mars un siècle (ou un peu plus) après l’établissement (au IVe siècle) du 25 décembre comme date de la célébration de la Nativité du Christ. La date retenue a été celle du 25 mars, car elle se place neuf mois avant le 25 décembre. D’un point de vue cosmique, neuf mois avant le solstice d’hiver, c’est l’équinoxe de printemps. De la sorte, la fête de l’Annonciation est liée à la date de l’équinoxe de printemps.

Je ne m’arrêterai pas sur la question purement historique et calendaire liée au fait qu’au IVe siècle, le solstice d’hiver ne coïncidait déjà plus avec la date du 25 décembre et que, pour la même raison, la date du 25 mars ne correspondait déjà plus exactement à l’équinoxe de printemps. Il ne convient pas de confondre ce problème purement technique et calendaire (à ce sujet voir l’article : « L’Annonciation à Pâques » dans les Nouvelles de Saint-Serge, N° 6, Noël 1980) avec la question de principe, à savoir la signification donnée dans la conscience ecclésiale à tel ou tel événement liturgique.

Laissant donc de côté les imperfections du calendrier, relevons simplement que l’Annonciation, fêtée neuf mois avant Noël (fête qui elle-même a été rattachée par l’Église au moment du solstice d’hiver), correspond au jour de l’équinoxe de printemps ; observons encore que, dans la mesure où selon le document ci-dessus mentionné, l’Église estimait au IVe siècle déjà que l’équinoxe de printemps était l’image du début de la création – le Jour Un – , l’Annonciation devient l’expression de ce mystère.

De plus, dans le « Psautier commenté », et de façon similaire à ce que nous avons indiqué pour Noël, il est dit aux éphémérides, à la date du 25 mars, que l’Annonciation a pris place « un dimanche ». Une fois encore, on ne peut pas considérer cela comme une indication de nature historico-calendaire, ne serait-ce que parce qu’entre un 25 mars et un 25 décembre il y a 275 jours, soit 39 semaines et deux jours. Cela signifie que si l’Annonciation tombe un dimanche, alors Noël tombe deux jours après dimanche, soit un mardi (et non un mercredi). Dans ces mêmes éphémérides, à la date du 30 mars, il est dit : « En ce jour, notre Seigneur Jésus-Christ a été crucifié ». Cette indication, de nouveau, part de la supposition que le 25 mars doit être un dimanche, et alors le 30 mars est le sixième jour après l’Annonciation, donc un vendredi, jour de la mort en croix du Christ.

Dans tout ce qui vient d’être dit, il convient de noter que le jour de l’Annonciation correspond sur le plan cosmique au jour de l’équinoxe de printemps, et sur le plan de l’hebdomade de la création, au Jour Un, qui est aussi le dimanche.

À ce propos, portons notre attention sur un chant pascal, l’un des versets de la 9ème ode du canon de Pâques, qui remplace le Magnificat prononcé par la Vierge Marie à l’occasion de l’Annonciation (Lc I, 46-55) : « L’ange proclamait à la Pleine de Grâce : Vierge pure, réjouis-toi ! Et je te le dis encore : réjouis-toi ! Ton Fils est ressuscité du tombeau au troisième jour !... ». Dans ce texte, deux événements se rejoignent en une même joie pascale : l’Annonciation et la Résurrection ; il n’est donc pas surprenant que l’événement de l’Annonciation soit lié, dans la conscience ecclésiale, au jour du dimanche. Ces deux « réjouis-toi » sont séparés par les 33 années du chemin de croix du Christ sur terre, et comme le Christ est Lui-même la Voie (Jn 14, 6), le principe et la fin (Ap 21, 6 et 22, 13), ces deux « réjouis-toi » résonnent sur le plan du temps divin éternellement présent, comme un « réjouis-toi » unique se rapportant à l’accomplissement de l’économie divine. Voilà pourquoi le jour de l’Annonciation coïncide pleinement avec le sens du Jour Un, qui est le point de départ de la formule de Nicée déterminant la date de Pâques.

                                                         

Fig. 5.

Si le calendrier julien, introduit dans l’empire romain en 46 avant J.-C. , n’avait pas retardé sur le temps solaire, le 25 décembre aurait, au IVe siècle, correspondu au solstice d’hiver, et de même, le 25 mars continuerait de correspondre à l’équinoxe de printemps, qui, en tant que limite antérieure de la pleine lune pascale, serait simultanément jour de l’Annonciation.

C’est précisément cette situation que souhaitait l’Église antique, s’efforçant de relier la vie liturgique à la réalité cosmique. On pourrait alors estimer que nous fêtons Pâques en corrélation avec la pleine lune suivant l’Annonciation, qui à son tour préfigure la Nativité.

Dans cette situation et si Pâques tombait à la date la plus avancée possible, l’Annonciation surviendrait le Samedi-Saint ensemble avec la pleine lune représentant la Nativité.

Quant à célébrer l’Annonciation le jour même de Pâques ou durant la semaine pascale (comme il arrive malheureusement, à cause d’inexactitudes calendaires), cela doit être considéré comme une absurdité complète, liturgiquement et théologiquement parlant.

Sur le plan de la formule nicéenne (l’équinoxe de printemps, la pleine lune et le premier dimanche), l’équinoxe de printemps (l’Annonciation) et la fête de Pâques ne peuvent pas avoir lieu le même jour. En revanche, il est admis que la pleine lune se produisant le jour de l’équinoxe de printemps est pascale – c’est-à-dire que le dimanche suivant est le jour de Pâques.

Cas particulier : si le jour de l’équinoxe de printemps coïncide avec la pleine lune et si c’est un samedi, alors ce samedi devient le Samedi-Saint. Dans ce cas, le Samedi-Saint révèle (sur le plan cosmique) la présence silencieuse de la Mère de Dieu à travers les deux événements de l’Incarnation : l’Annonciation et la Nativité, comme saint Jean l’Évangéliste le précise : « et le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14) pour devenir « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29)*.
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* Voir l’article du même auteur : « La Nativité du Christ, Icône de sa descente aux enfers ».



Fig. 6.

Ayant établi un lien entre trois événements liturgiques et les termes correspondants de la formule de Nicée, nous pouvons conclure que, sur le plan du temps éternellement présent, ces trois aspects de l’économie divine constituent précisément les trois jours qui révèlent le sacrifice du Christ :
Sa mort, Sa descente aux enfers et Sa Résurrection. Ensemble, ils expriment qualitativement, pour ainsi dire, la victoire du Christ sur la mort, comme le proclame le chant de Pâques déjà cité : « Ton Fils est ressuscité du tombeau le troisième jour... ».

L’on peut voir la co-participation de la Sainte Trinité dans cet événement, en ce que Dieu le Père envoie l’Archange et fait descendre l’Esprit-Saint sur la Vierge Marie ; Dieu le Fils vient dans le monde pour se charger de ses péchés et subir la mort sur la croix ; et enfin, Dieu l’Esprit Consolateur, à la suite de la Résurrection du Christ, instaure l’Église du Christ. L’Écriture sainte, en relatant ce mystère, se fonde peut-on dire sur ces trois aspects de la victoire de la lumière sur les ténèbres :

1) « Et Dieu appela la lumière jour et les ténèbres nuit. Il y eut un soir et il y eut un matin, jour un. » (Gn 1, 5).

Fig. 7a.

2) « Et la lumière luit dans les ténèbres ; et les ténèbres ne l’ont pas comprise... » (Jn 1, 5).

Fig. 7b.

3) « De nuit, il n’yen aura plus ; ils se passeront de lampe ou de soleil pour s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux Sa lumière, et ils régneront pour les siècles des siècles. » (Ap 22, 5).

Fig. 7c.


Remarquons que de ces trois citations de l’Écriture, l’une se trouve au début de la Bible, la deuxième – au milieu (en considérant pour tel le début du Nouveau Testament et l’Évangile de saint Jean comme le premier dans l’ordre liturgique), et la troisième provient de la fin de la Bible, au dernier chapitre de l’Apocalypse (curieusement, chaque fois il s’agit du cinquième verset du chapitre correspondant).

Nicolas Ossorguine