août 11, 2010

La levée des excommunications de quatre évêques de la Fraternité Saint Pie X. Philippe Toxé

La levée des excommunications de quatre évêques de la Fraternité Saint Pie X.

Philippe Toxé

Maître de Conférences à la Faculté de Droit canonique de Paris

Doyen Honoraire

Le 21 janvier 2009, le Cardinal Ré, préfet de la Congrégation pour les évêques, sur mandat pontifical, a déclaré qu’était accordée la levée de l’excommunication latae sententiae encourue par les quatre prêtres qui avaient été ordonnés évêques par Mgr Lefebvre en juin 1988, et déclarée par la Congrégation pour les évêques, par décret du 1er juillet 19881

La lecture purement canonique ou ecclésiastique de l’événement a été quelque peu brouillée par le fait que l’un des quatre évêques concernés a tenu et réitéré dans les médias, des propos niant l’existence des chambres à gaz dans les camps de concentration nazis. Ces propos négationnistes ont suscité de vives réactions bien au delà du monde catholique et la polémique qui s’en est suivie a quelque peu occulté l’objet formel du décret du 21 janvier. Ce trouble ainsi que quelques doutes sur la portée du décret ont conduit la Secrétairerie d’Etat à publier une note, le 4 février 2009, précisant d’une part, la portée de la décision du 21 janvier au sujet du statut canonique des quatre évêques et de la Fraternité Saint Pie X, d’autre part, la reconnaissance de l’enseignement du Concile Vatican II et de tous les pontifes depuis Jean XXIII, comme condition d’une pleine réintégration ecclésiale des évêques et des fidèles clercs et laïcs liés à la Fraternité Saint Pie X (FSSPX) et enfin, la condamnation des propos négationnistes tenus par Mgr Williamson et la nécessité pour lui de les retirer s’il envisageait d’exercer des fonctions épiscopales dans l'Eglise catholique. . L’information au sujet de ce décret a été diffusée le samedi 24 janvier 2009.

En attendant des études plus approfondies sur cette question qui peut encore évoluer dans l’avenir, nous voulons faire une brève présentation de la décision sous le seul aspect canonique. C’est pourquoi après une analyse de la décision, nous essaierons d’en préciser la portée2.

I. Analyse du décret de remise des peines d’excommunication des quatre évêques.

1 Par un décret qui lui fut notifié le 22 juillet 1976, Mgr Lefebvre avait été suspens a divinis pour avoir procédé à des ordinations sacerdotales, malgré l’interdiction du pape et ne pas avoir manifesté de résipiscence à la suite d’une monition qui lui avait été faite le 6 juillet de la même année. En 1988, Mgr Lefebvre avait été déclaré excommunié pour schisme et ordination épiscopale illicite. Les 4 évêques illicitement ordonnés avaient été déclarés excommuniés pour ordination épiscopale illicite. Mgr Antonio de Castro Mayer, évêque émérite de Campos avait été déclaré excommunié pour schisme. Il n’est pas inutile de se rappeler la teneure de ce décret de la Congrégation pour les Evêques, paru en latin dans l'Osservatore Romano du 3 juillet 1988 : « Mgr Marcel Lefebvre, archevêque-évêque émérite de Tulle, négligeant la monition canonique formelle du 17 juin ainsi que les appels répétés à ne pas donner suite à son projet, a commis une action par elle-même de nature schismatique: il a consacré évêques quatre prêtres sans mandat pontifical et contre la volonté du Souverain Pontife. C'est pourquoi il a encouru la peine prévue par le canon 1364, §1 et le canon 1382 du Code de Droit canonique. A tous effets juridiques, je déclare que le susnommé Mgr Marcel Lefebvre, ainsi que Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galaretta ont encouru ipso facto l'excommunication latae sententiae réservée au Siège apostolique. De plus, je déclare que Mgr Antonio de Castro Mayer, évêque émérite de Campos, a encouru l'excommunication latae sententiae prévue par le canon 1364, §1, parce qu'il a directement participé à la célébration liturgique en tant que coconsécrateur et adhéré publiquement à un acte schismatique. Les prêtres et les fidèles sont avertis de ne pas donner leur assentiment à l'acte schismatique de Mgr Lefebvre afin de ne pas encourir la même peine. Donné à Rome, au siège de la Congrégation pour les Evêques, le 1er juillet 1988. Bernardin Cardinal GANTIN, Préfet de la Congrégation pour les Evêques »

2 Pour le texte du décret et de la note de la secrétairerie d’Etat, ainsi que leur traduction, nous utilisons celles que nous avons trouvé sur les sites Internet du Saint-Siège et de l’agence d’information Zenit. Pour le texte en italien du décret : site du Saint Siège, consulté le 15 février 2009 : http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cbishops/documents/rc_con_cbishops_doc_20090121_remissione-scomunica_it.html; pour la traduction française du décret du 21 janvier 2009 : http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cbishops/documents/rc_con_cbishops_doc_20090121_remissione-scomunica_fr.html site consulté le 4 mars 2009 ; pour la traduction française de la note de la Secrétairerie d’Etat du 4 février 2009 : http://www.zenit.org/article-20076?l=french, site consulté le 15 février 2009.

Ce décret accorde la levée de l’excommunication latae sententiae qui avait été déclarée pour les délits mentionnés dans le décret de la Congrégation en date 1er juillet 1988, à la suite des ordinations épiscopales illicites. Ce n’est pas un décret qui annule le précédent, ni qui le révoque, ou qui dispenserait d’une peine. Le décret ne prend donc pas du tout à son compte les raisonnements qui ont été parfois tenus par certains membres de la FSSPX pour discuter le bien fondé de l’excommunication (état de nécessité, circonstances atténuantes ou exonératoires); il ne met nullement en cause la validité du décret qui a déclaré les excommunications en 1988, pas plus que l’existence du délit qui était donc bel et bien constitué, ni de la légitimité de la sanction, qui fut donc bel et bien encourue et légitimement déclarée.

Une excommunication est une sanction médicinale, une censure, qui vise à l’amendement de l’auteur de l’acte qualifié de délit. L’absolution est la manière de remettre une censure ; c’est un acte de justice que l’autorité ecclésiastique ne peut refuser si les conditions sont remplies. La censure ne peut en effet être remise par dispense, et ceci à cause de la finalité médicinale des censures qui est la résipiscence et la conversion du coupable, ce dont l’autorité ne peut dispenser ! Il lui revient seulement de vérifier si le coupable a abandonné sa « contumace », c’est à dire sa persistance dans son intention délictuelle, son refus de s’amender. Comme le dit le canon 1358.1, « la remise d'une censure ne peut être accordée si ce n'est au délinquant qui a mis fin à sa contumace, selon le canon 1347, § 2; mais elle ne peut être refusée à qui y a mis fin. »

Dès lors que l’abandon de la « contumace » est défini au canon 1347.2, comme impliquant le repentir du coupable et la réparation effective ou promise du dommage et du scandale, il appartient à l’autorité de vérifier s’il est réellement mis fin à la contumace et si oui, il y a l’obligation de l’autorité de remettre la censure, puisque ce qui avait donné lieu à la censure (à savoir la « contumace ») n’existe plus. Le § 2 du canon 1358 précise que celui qui remet la censure peut prendre des mesures selon le canon 1348 (monitions appropriés, autres moyens de sollicitude pastorale, remèdes pénaux), ou même imposer une pénitence.

1) Une demande par le fidèle à l’autorité compétente.

Un fidèle frappé par une excommunication (infligée ou déclarée) s’il veut se réconcilier avec l’Eglise, doit s’adresser à l’autorité qui a pris le décret ou bien à son supérieur ou encore à l’autorité qui s’est réservé la cause. En l’espèce, l’excommunication avait été déclarée par le Siège apostolique et lui était réservée. Il était donc seul compétent pour remettre la peine (canon 1355.1). Le fidèle doit démontrer à l’autorité ecclésiastique à qui il appartient d’en juger, sa résipiscence et son désir de se réconcilier avec l’Eglise. C’est ce qu’a du faire Mgr Fellay en son nom propre et aux noms des trois autres évêques, par une lettre du 15 décembre 2008 adressée au Cardinal Castrillon Hoyos. Le décret en cite un extrait qui exprime la résipiscence des évêques sanctionnés : « « Nous sommes toujours fermement déterminés dans notre volonté de demeurer catholiques et de mettre toutes nos forces au service de l’Église de Notre-Seigneur Jésus Christ, qui est l’Église catholique romaine. Nous acceptons ses enseignements dans un esprit filial. Nous croyons fermement au Primat de Pierre et à ses prérogatives, et c’est pour cette raison que la situation actuelle nous fait tant souffrir3. » Comme le délit était un acte qui portait atteinte à l’obéissance due au pape et à la communion de l’Eglise, on comprend que les termes retenus soient ceux qui manifestent aujourd’hui la volonté contraire.

2) Le jugement de l’autorité sur la demande.

Il appartient à l’autorité, ici le Souverain Pontife, d’estimer si la volonté manifestée par le fidèle sanctionné démontre de manière suffisante sa résipiscence. Le décret constate que le pape a estimé que les conditions pour l’absolution de la censure encourue était réunies, lorsqu’il dit que le pape est « sensible comme le serait un père au malaise spirituel manifesté par les intéressés à

3 Le texte italien du décret est ainsi rédigé : "Siamo sempre fermamente determinati nella volontà di rimanere cattolici e di mettere tutte le nostre forze al servizio della Chiesa di Nostro Signore Gesù Cristo, che è la Chiesa cattolica romana. Noi accettiamo i suoi insegnamenti con animo filiale. Noi crediamo fermamente al Primato di Pietro e alle sue prerogative, e per questo ci fa tanto soffrire l'attuale situazione »

cause de la sanction d’excommunication, et confiant dans leur engagement, exprimé dans la lettre citée, de ne ménager aucun effort pour approfondir, lors des colloques nécessaires avec les Autorités du Saint-Siège, les questions qui restent en suspens, de manière à pouvoir parvenir rapidement à une solution pleine et satisfaisante du problème posé à l’origine

4

C’est la règle habituelle dans l’Eglise que de faire confiance à un fidèle qui manifeste son désir de mettre fin au péché et d’être en communion. ».

La note de la Secrétairerie d’Etat a explicité cette nécessité d’organiser dans l’avenir des colloques pour dirimer les points sur lesquels les évêques de la Fraternité Saint Pie X ne se sont pas encore exprimés de manière non équivoque. La Secrétairerie d’Etat affirme en effet que « pour une reconnaissance future de la Fraternité Saint-Pie X, la pleine reconnaissance du Concile Vatican II et du magistère des papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et de Benoît XVI lui-même, est une condition indispensable ».

3) Un mandat expresse donné au cardinal préfet.

Comme pour d’autres affaires de grande importance et parce que les délits causés par les évêques sont de la compétence du seul Souverain Pontife (canon 1405.1.1°), il a donné mandat spécial au cardinal préfet pour relever de l’excommunication, comme cela apparaît dans l’expression : « In base alle facoltà espressamente concessemi dal Santo Padre Benedetto XVI » (En vertu des facultés expressément accordées par le Saint Père Benoît XVI).

4) Le dispositif.

La décision principale est l’absolution de la censure : « en vertu du présent décret, j’accorde aux Évêques Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galarreta la levée de l’excommunication latae sententiae décrétée par cette Congrégation le 1er juillet 19885 ». La suite est une conséquence de la première proposition : le décret pénal précédent est privé de ses effets juridiques à partir de ce jour6

1) de participer de quelque façon en tant que ministre à la célébration du Sacrifice de l'Eucharistie et aux autres cérémonies du culte quelles qu'elles soient; . Les effets dont il est question sont ceux qui sont attribués à l’excommunication par le canon 1331 CIC. On se rappellera que dans tous les cas, à tout excommunié (latae ou ferendae sententiae) il est défendu:

2) de célébrer les sacrements ou les sacramentaux, et de recevoir les sacrements;

3) de remplir des offices ecclésiastiques, des ministères ou n'importe quelle charge, ou de poser des actes de gouvernement.

En plus, selon le canon 1331 § 2, si l'excommunication a été infligée ou déclarée, le coupable:

1) s'il veut agir contre les dispositions du § 1, n. 1 (l’interdiction de participer de quelque façon en tant que ministre à la célébration du Sacrifice de l'Eucharistie et aux autres cérémonies du culte), doit en être écarté, ou bien il faut interrompre l'action liturgique, à moins qu'une raison grave ne s'y oppose;

2) pose invalidement les actes de gouvernement qui selon le § 1, n. 3, ne lui sont pas permis;

3) n'est pas autorisé à jouir des privilèges qui lui avaient été précédemment accordés;

4) ne peut obtenir validement une dignité, un office ou une autre charge dans l'Église;

5) ne peut s'approprier les fruits d'une dignité, d'un office, de n'importe quelle charge ou d'une pension qu'il aurait dans l'Église.

Du fait de la remise de la peine, ces divers effets de l’excommunication disparaissent, mais cela n’implique pas que les évêques délinquants peuvent exercer tous les droits des fidèles en général et des clercs en particulier. Comme ces évêques peuvent être sous le coup d’autres censures et

4 « paternamente sensibile al disagio spirituale manifestato dagli interessati a causa della sanzione di scomunica e fiducioso nell'impegno da loro espresso nella citata lettera di non risparmiare alcuno sforzo per approfondire nei necessari colloqui con le Autorità della Santa Sede le questioni ancora aperte, così da poter giungere presto a una piena e soddisfacente soluzione del problema posto in origine. »

5 « in virtù del presente Decreto, rimetto ai Vescovi Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson e Alfonso de Galarreta la censura di scomunica latae sententiae dichiarata da questa Congregazione il 1° luglio 1988 »

6 « mentre dichiaro privo di effetti giuridici, a partire dall'odierna data, il Decreto a quel tempo emanato »

que le décret ne parle pas des autres membres de la fraternité Saint Pie X, il faut maintenant préciser la portée de cette décision.

II. La portée du décret.

Un décret administratif particulier de ce genre ne concerne que les fidèles pour qui il est porté et que la peine mentionnée. Il ne faut donc pas lui faire produit des effets juridiques au delà ou lui demander de résoudre d’autres questions. Un certains nombre de questions concernant d’autres peines ou d’autres membres de la Fraternité Saint Pie X restent donc encore pendantes.

1) La situation des différents membres de la FSSPX au regard du droit canonique pénal.

Le décret ne concerne donc que les quatre évêques dont l’excommunication latae sententiae avait été déclarée en 1988 et qui ont fait la démarche pour en être absous. La décision ne concerne que ce délit et cette sanction, en vertu du canon 1359 CIC : Si une personne est sous le coup de plusieurs peines, la remise vaut seulement pour les peines qu'elle mentionne de façon expresse; mais une remise générale supprime toutes les peines, excepté celles que le condamné aurait tues de mauvaise foi dans sa demande. Si d’autres décrets avaient infligé ou déclaré une peine, pour d’autres délits commis par ces quatre évêques, ils ne sont pas mentionnés et ils gardent leur efficacité juridique. Il faut donc entre autres vérifier si ces quatre évêques, même avant leur ordination épiscopale illicite, n’avaient pas encouru d’autres peines latae sententiae, qu’elles aient été ou non déclarées ou si d’autres peines ne leur ont pas été infligées.

Les autres clercs qui appartiennent à la FSSPX ne sont pas directement concernés par ce décret qui est un acte administratif particulier. Jusqu’à présent, la situation canonique des clercs de la Fraternité Saint Pie X, en tant que clercs, n’est pas modifiée. Salvo meliori iudicio, il semble raisonnable de penser que le plus grand nombre de ces clercs a encouru deux censures : l’excommunication latae sententiae dès lors qu’ils ont adhéré au schisme et la suspense a divinis ipso facto, dès lors qu’ils ont été ordonnés sans dimissoriales d’un ordinaire légitime.

a) Les clercs de la FSSPX sont susceptibles d’avoir encouru l’excommunication latae sententiae pour schisme.

Même si la question fut discutée, les ordinations épiscopales sans mandat pontifical faites par Mgr Lefebvre ont été considérées par plusieurs textes émanant du Saint-Siège comme étant de nature schismatique et la décision de 2009 ne change rien sur ce point7

On peut considérer avec le Conseil pontifical que par leur comportement, les clercs de la FSSPX démontraient adhérer formellement au schisme, soit parce qu’ordonnés avant 1988, ils ont adhéré au schisme après, en demeurant soumis à Mgr Lefebvre, soit parce qu’ordonnés après, ils manifestaient par le fait même leur adhésion au schisme. Le Conseil Pontifical pour les Textes législatifs, dans la note précitée de 1996, interprétant le motu proprio, rappelait en effet : « Le décret de la Congrégation pour les Évêques (de 1988) se réfère explicitement à la nature schismatique des ordinations épiscopales et rappelle les très graves peines d'excommunication . Le fait que les évêques ait été relevés de l’excommunication qui les frappait ne fait pas disparaître le délit qui avait conduit à cette sanction.

7 Il faut encore citer ici la réponse du Conseil pontifical pour les Textes législatifs en 1996. Le texte italien de cette réponse se trouve dans Communicationes 29, 1997, pp. 239-243 et [en ligne] sur le site Internet du Saint Siège, consulté le 15 février 2009 : http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/intrptxt/documents/rc_pc_intrptxt_doc_19960824_vescovo-lefebvre_it.html. Dans cette réponse à l’évêque de Sion, le Conseil Pontifical pour les textes législatifs répondait indirectement à cet argument : « De toute façon, on ne peut raisonnablement mettre en doute la validité de l'excommunication des évêques, déclarée par le Motu proprio [Ecclesia Dei] et le décret. En particulier, il ne semble pas admissible de trouver des circonstances atténuantes ou dirimantes quant à l'imputabilité du délit (canons 1323-1324). Quant à l'état de nécessité dans lequel se serait trouvé Mgr Lefebvre, il faut se rappeler qu'un tel état doit exister objectivement et que la nécessité d'ordonner des évêques contre la volonté du Pontife romain, Chef du Collège des évêques, ne se présente jamais. Car cela signifierait qu'il est possible de « servir » l'Église tout en portant atteinte à son unité en matière étroitement liée aux fondements mêmes de cette unité. »

pour ceux qui adhéreraient au schisme de Mgr Lefebvre ». Le Conseil considérait qu’il y avait adhésion formelle au sens du numéro 5c du Motu proprio Ecclesia Dei, entraînant l'excommunication latae sententiae s’il y avait deux éléments complémentaires:

a) Le premier est de nature intérieure: partager librement et consciemment l'essentiel du schisme, à savoir opter pour les disciples de Lefebvre de façon telle que ce choix prenne le pas sur l'obéissance au Pape.

b) La deuxième est de nature extérieure: c'est l'extériorisation de cette option. Le signe le plus évident en sera la participation exclusive aux fonctions ecclésiastiques lefebvriennes, sans prendre part aux fonctions de l'Église catholique.

Le même Conseil estimait que pour les diacres et prêtres « lefebvriens », il semble être indubitable que leur activité ministérielle à l'intérieur du mouvement schismatique constitue un signe plus qu'évident que les deux conditions (cf. n° 5) se réalisent et qu'il s'agit donc d'une adhésion formelle.

Canoniquement, tout fidèle coupable d’un schisme est excommunié latae sententiae (canon 1364). Sauf s’il y avait des circonstances atténuantes ou exonératoires, la sanction s’applique à lui ipso facto, dès la commission du délit. Mais si aucune autorité ne déclare que telle personne est excommuniée, nous avons vu que les effets de l’excommunication restent restreints et que les tiers ne peuvent les opposer à la personne. S’agissant des clercs de la fraternité Saint Pie X, il ne semble pas que beaucoup d’évêques aient déclaré tel ou tel prêtre ou diacre dans cette situation comme ayant encouru l’excommunication ou une suspense latae sententiae. S’agissant donc de ces clercs ou des fidèles qui auraient adhéré à l’acte de nature schismatique posé en 1988 et seraient donc coupables de ce délit, ils sont soumis au régime normal de tout fidèle frappé d’une censure latae sententiae non déclarée. S’ils viennent à résipiscence, il appartiendra aux autorités ecclésiastiques de les en relever.

S’ils ont été frappés d’autres censures pour d’autres délits, ou si une censure latae sententiae encourue par eux avait été déclarée, il appartiendrait à l’autorité qui a infligé ou déclaré ses sanctions, ou au supérieur de cette autorité, de juger s’ils sont venus à résipiscence et de les absoudre de ces censures. On applique alors le canon 1355.2 CIC pour les peines latae sententiae non déclarées et éventuellement le canon 1357 CIC, dans le cadre du sacrement de pénitence, pour l’excommunication et l’interdit, qui sont les deux censures qui empêchent de recevoir les sacrements.

Le fait que les quatre évêques soient revenus à résipiscence au sujet du délit qu’ils ont commis en 1988, ne préjuge pas de la volonté des autres fidèles qui auraient adhéré au schisme et seraient excommuniés latae sententiae et auraient éventuellement été déclarés tels. Il est cependant raisonnable de penser que cette première étape en vue de la réconciliation, des évêques de la FSSPX avec le Siège apostolique, aura des conséquences sur l’opinion de certains fidèles de ce mouvement et les conduira eux aussi à une démarche de réconciliation.

b) La plupart des clercs de la FSSPX sont susceptibles d’avoir encouru la suspense latae sententiae pour ordination illicite, sans dimissoriales.

Les clercs ordonnés par Mgr Lefebvre après 1975 ou par d’autres évêques de la FSSPX ont certainement été ordonnés sans les dimissoriales légitimes d’un ordinaire. Or le canon 1383 CIC dispose que celui qui a reçu l’ordination dans une telle circonstance, est par le fait même suspens de l’ordre reçu (censure latae sententiae). Là encore, il semble y avoir peu de cas où cette suspense latae sententiae aura été déclarée. Dans tous les cas, pour pouvoir exercer licitement le pouvoir d’ordre et de juridiction, ces clercs devront être relevés de la suspense. On se rappellera qu’à la différence de l’excommunication, la suspense, en tant que peine réservée aux clercs, ne les empêchent pas en soi de recevoir les sacrements, mais d’exercer le pouvoir d’ordre et de juridiction.

c) Pour exercer licitement leurs droits et devoirs de chrétiens et de clercs dans l’Eglise, il faut que ces clercs obtiennent ou aient obtenu l’absolution de ces censures.

Pour pouvoir participer à la vie ecclésiale, en tant que fidèles, il faut que ces clercs soient relevés de la censure de l’excommunication latae sententiae (qu’elle ait été déclarée ou pas) pour schisme, dès lors qu’ils l’ont encourue. Et dans tous les cas, pour pouvoir participer à la vie ecclésiale, en tant que clercs, il faut qu’ils soient relevés de la censure de la suspense latae sententiae pour ordination illicite (sans dimissoriales). Il faut donc qu’ils le demandent à l’autorité compétente qui ne peut les absoudre de ces peines que s’ils reviennent à résipiscence.

Outre le Siège apostolique, le canon 1355 CIC désigne l’autorité compétente pour les absoudre des censures. Selon le premier paragraphe de ce canon, si la peine ferendae sententiae a été infligée ou la peine latae sententiae déclarée, et si elle n’est pas réservée au Siège Apostolique, peuvent en relever l'Ordinaire qui a engagé l'action judiciaire en vue d'infliger ou de déclarer la peine, ou l'Ordinaire qui, par décret, a infligé ou déclaré la peine. L'Ordinaire du lieu où se trouve le délinquant, sera aussi compétent, mais il doit consulter l'Ordinaire susdit, à moins que « des circonstances extraordinaires ne rendent cette consultation impossible ». Selon le canon 1355.2 CIC, si la peine latae sententiae n’a pas été déclarée et n’est pas réservée au Saint-Siège, tout ordinaire peut en relever ses propres sujets et ceux qui se trouvent sur son territoire ou y auraient commis le délit. Tout évêque peut le faire dans l'acte de la confession sacramentelle.

Si les clercs n’ont encouru que des censures latae sententiae non déclarées, on pourrait se demander dans quelle mesure peut s’appliquer le canon 1355 CIC qui dispose : « Si une censure défend de célébrer les sacrements ou les sacramentaux, ou de poser des actes de gouvernement, cette défense est suspendue chaque fois que cela est nécessaire pour secourir les fidèles en danger de mort; si la censure latae sententiae n'a pas été déclarée, la défense en outre est suspendue toutes les fois qu'un fidèle réclame un sacrement ou un sacramental ou un acte de gouvernement; ce qu'il est permis de demander pour toute juste cause. » Hormis le cas de danger de mort, il semble raisonnable de considérer que la juste cause qui permet de demander à un ministre censuré de célébrer les sacrements, doit être appréciée au regard de la communion ecclésiale et qu’une telle demande ne sera légitime que si elle ne blesse pas cette communion. Ceci ne devrait être possible que dans certaines circonstances exceptionnelles. De plus en ce domaine, on ne peut oublier la réponse du 31 octobre 1996, de la Congrégation pour les évêques à Mgr Brunner, évêque de Sion, disant que les prêtres acéphales sont interdits de tout « munus vel aliud sacrum ministerium » aussi longtemps qu'ils ne sont pas incardinés, même s’il est difficile d’apprécier le fondement, la nature et la portée exacte de cette réponse privée.

2) La situation des différents membres de la FSSPX au regard du droit des ministères.

Mais quand bien même ces clercs seraient ainsi relevés des censures qu’ils auraient encourues, cela ne leur donne pas encore le droit de célébrer les sacrements ni d’exercer des fonctions ecclésiales, non plus en vertu d’une sanction pénale qui s’y opposerait, mais en raison de l’ordre disciplinaire de l’Eglise. En effet, l’affirmation de la Congrégation pour les Evêques mentionnée au dessus considérant les prêtres ordonnés par Mgr Lefebvre lorsqu'il était seulement suspens a divinis, comme rattachés aux prêtres acéphales selon le canon 265, et interdits de tout munus vel aliud sacrum ministerium » aussi longtemps qu'ils ne sont pas incardinés, peut être étendue, a fortiori, à tous les clercs, même ordonnés après 1988, indépendamment de la question des censures dont ils seraient frappés.

En tout état de cause, le clerc de la FSSPX ne pourrait pas se prévaloir du seul motu proprio Summorum Pontificum pour demander à célébrer la messe en la forme extraordinaire, puisque ce texte en son article 4 § 4 prévoit justement que pour user de ce droit, les prêtres doivent être idoines et non empêchés par le Droit.

Par ailleurs, le canon 903 CIC dispose : « Un prêtre, même inconnu du recteur de l'église, sera admis par lui à célébrer pourvu qu'il lui présente les lettres de recommandation de son Ordinaire ou de son Supérieur, délivrées au moins dans l'année, ou que le recteur puisse juger prudemment que rien ne l'empêche de célébrer. » Il semble qu’un prêtre de la FSSPX ne peut pas présenter un celebret signé de son ordinaire, puisqu’il est acéphale.

3) Le décret ne clôt pas le dossier.

La situation des clercs et des fidèles qui s’étaient éloignés de la communion avec le Siège apostolique et le reste de l’Eglise, devra faire l’objet d’un accompagnement, pour que les évêques et les clercs qui seront dans l’avenir concernés, reçoivent éventuellement une mission canonique que jusque là ils n’ont pas, dans un cadre institutionnel qui, pour l’instant, n’existe pas. C’est ce que souligne la note du 4 février 2009 de la Secrétairerie d’Etat, quand elle dit : « La levée de l'excommunication a libéré les quatre évêques d'une peine canonique gravissime, mais elle n'a pas changé la situation juridique de la Fraternité Saint-Pie X, qui, au moment présent, ne jouit d'aucune reconnaissance canonique dans l'Eglise catholique. Les quatre évêques, bien que libérés de l'excommunication, n'ont pas de fonction canonique dans l'Eglise et n'exercent pas de ministère licite en son sein ».

Mais ces éventuelles décisions encore à venir ne concerneront plus alors seulement le volet pénal, mais le droit de l’organisation de l’Eglise et le droit des clercs. Il semble même logique qu’elles soient elles-mêmes précédées d’une première étape, à savoir un dialogue sur le plan doctrinal.

Avant que ceci ne soit explicité dans la note précitée de la Secrétairerie d’Etat, le décret mentionnait déjà le souhait que ce premier pas que constitue la levée des quatre excommunications déclarées, soit suivi d’autres qui permettent de réaliser la communion : « On espère que ce pas sera suivi de réalisation rapide de la pleine communion avec l’Eglise de toute la Fraternité de Saint Pie X, témoignant ainsi de la vraie fidélité et de la vraie reconnaissance du Magistère et de l’Autorité du Pape avec la preuve de l’unité visible8. » On sait qu’au delà des questions concernant la légitimité de célébrer la messe avec le Missel du Bienheureux Jean XXIII ou encore les actes de désobéissance dans le cadre du munus regendi, la Fraternité Saint Pie X émet des réserves sur certains aspects de l’enseignement du Concile Vatican II et des pontifes depuis lors. Il faudra donc mener un travail de vérification de la communion dans le domaine doctrinal. C’est ce que dit la note de la Secrétairerie d’Etat, dans un point intitulé « Tradition, doctrine et Concile Vatican II ». Il y est affirmé : « Pour une reconnaissance future de la Fraternité Saint-Pie X, la pleine reconnaissance du Concile Vatican II et du magistère des papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et de Benoît XVI lui-même, est une condition indispensable. Comme il a déjà été affirmé dans le décret du 21 janvier 2009, le Saint-Siège ne manquera pas, selon les modes qui seront jugés opportuns, d'approfondir avec les intéressés les questions encore ouvertes, de façon à pouvoir arriver à une solution entière et satisfaisante des problèmes qui ont été à l'origine de cette fracture douloureuse. »

Outre cette question d’un éclaircissement au sujet des débats doctrinaux, se posera alors la double question concernant le fait de confier une mission canonique aux clercs et de trouver une structure institutionnelle dans laquelle ils seront incardinés.

L’hypothèse d’une incardination des clercs dans divers diocèses nous semble présenter plusieurs difficultés pratiques. La figure de l’Administration apostolique personnelle qui a été la solution proposée voici quelques années pour des traditionnalistes du diocèse de Campos au Brésil, semble difficilement compatible avec un territoire d’une ou plusieurs conférences et poserait la question délicate de la participation de son prélat qui, équiparé à un évêque diocésain, pourrait être membre de la conférence des évêques. C’est pourquoi certains évoquent d’autres figures comme celle de la prélature personnelle ou de la Société de vie apostolique.

Connexe avec cette hypothèse de l’érection d’une personne juridique de droit publique capable d’intégrer les clercs de la Fraternité Saint Pie X, il y aura aussi la double question du statut personnel de ces clercs en général et des évêques en particulier.

8 « Si auspica che questo passo sia seguito dalla sollecita realizzazione della piena comunione con la Chiesa di tutta la Fraternità San Pio X, testimoniando così vera fedeltà e vero riconoscimento del Magistero e dell'autorità del Papa con la prova dell'unità visibile. »

Il faudra en effet d’une part, voir les modalités pour intégrer les quatre évêques dans la communion hiérarchique et le collège épiscopal. En effet, même s’ils sont relevés de l’excommunication, ces quatre évêques n’ont pas de mission canonique, n’ayant ni office ecclésiastique de nature épiscopale, comme un office diocésain, ni titre in partibus. Ce n’est que dans la mesure où ils recevront un tel titre ou office qui manifestera leur mission canonique en communion avec le Siège apostolique, qu’ils seront membres du collège épiscopal de l’Eglise catholique. Il faudra préciser d’autre part, le statut personnel des prêtres et diacres, encore membres de la FSSPX, qui doivent être pour la très grande majorité « acéphales », étant sans rattachement déterminé à une entité ecclésiastique ni soumis à un ordinaire.

C’est en effet de la responsabilité de l’autorité ecclésiastique légitime de s’assurer que les quelques cinq-cents clercs appartenant à la Fraternité Saint Pie X remplissent les conditions pour être éventuellement incardinés dans une structure institutionnelle canonique et se voir confier une mission canonique.

Parmi tous ces clercs, le cas particulier de Mgr Williamson sera certainement étudié avec une attention accrue à cause de la difficulté particulière qu’il représente du fait de ses déclarations intempestives. C’est pourquoi après avoir rappelé que « les positions de Mgr Williamson sur la Shoah sont absolument inacceptables et elles sont fermement refusées par le Saint-Père », la Secrétairerie d’Etat termine sa note en précisant : « Pour être admis à des fonctions épiscopales dans l'Eglise, Mgr Williamson devra aussi prendre ses distances de façon absolument sans équivoque et publiquement par rapport à ses positions sur la Shoah, qui n'étaient pas connues du Saint-Père au moment de la levée de l'excommunication. » Il ne s’agit pas ici de conséquences de sanctions canoniques pénales, mais la vérification des conditions d’idonéité dont l’Eglise doit s’assurer avant de conférer un ordre ou de confier un ministère ou un office.

Ces questions institutionnelles sont incontournables, mais elles ne peuvent faire l’économie d’un nécessaire éclaircissement sur les divergences d’ordre doctrinal. L’absolution des excommunications n’est donc que la première étape d’un travail de dialogue dont la durée et l’heureuse issue dépendront de la bonne volonté des membres de la Fraternité Saint Pie X et de leur réel souci de communion, dès lors que le Pontife romain a fait tout ce qui était ecclésialement possible pour ouvrir les chemins d’une vraie réconciliation.

août 09, 2010

Une Eglise des derniers temps Emile APPOLIS

Persée

http://www.persee.fr Une Eglise des derniers temps : l'Eglise Mariavite

Emile Appolis

Appolis Emile, . Une Eglise des derniers temps : l'Eglise Mariavite. In: Archives des sciences sociales des religions. N. 19, JANVIER JUIN 1965. pp. 51-67.

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UNE ÉGLISE DES DERNIERS TEMPS L'ÉGLISE MARIAVITE (*}

I 'affirmation, encore exprimée par le premier concile du Vatican (1), qu'il -^ n'est possible ni d'ajouter ni de retrancher au dépôt de vérité confié par le Christ aux Apôtres, n'empêche pas les révélations privées de jouer, depuis le xvne siècle, un grand rôle dans la vie intérieure de l'Eglise catholique. Ces révéla­tions constituent le grand moyen grâce auquel leurs adeptes cherchent à faire pénétrer parmi les fidèles de nouvelles croyances, de nouvelles doctrines, de nou­velles interprétations, de nouvelles pratiques. Certaines de ces iniatiatives ont été, en quelque mesure, avalisées par la hiérarchie. Pour rappeler l'exemple le plus connu, si l'Eglise n'a pas engagé directement son autorité dans la reconnaissance des apparitions et des révélations du Christ à Marguerite-Marie Alacoque, elle l'a fait pourtant indirectement, en canonisant cette religieuse et en consacrant à divers titres certaines des pratiques qu'elle avait demandées.

D'autres révélations privées ont été au contraire formellement condamnées par l'Eglise et elles sont à la base des rares sectes qui se sont détachées du catho­licisme dans la période contemporaine. Sans vouloir revenir sur la définition de la secte qui a déjà fait couler tant d'encre, nous désignons par ce mot des groupe­ments de fidèles, toujours peu nombreux, qui, tout en prétendant à l'origine ne rien renier des croyances catholiques, adoptent avec enthousiasme des révélations

(♦) Cet article se présente comme une nouvelle contribution à l'enquête sur les millé-narismes, au sujet de laquelle on se reportera au questionnaire publié dans Arch.t 5, p. 88-90.

Les indications bibliographiques seront données au cours de notre exposé. Sans négliger les autres sources, nous nous sommes efforcé d'obtenir des renseignements de la part des Maria-vites eux-mêmes. C'est ainsi que, depuis plusieurs années, nous entretenons une correspondance suivie avec M. Jean Prévost, de Nantes, évêque maria vite de France à partir de 1853 et aujour­d'hui évêque de l'Eglise Mariavite Chrétienne. Celui-ci nous a aimablement communiqué les quelques archives qu'il détient — dont le Kalendaz Maricsmki {Calendrier Mariavite) de 1918, en polonais —, et nous avons été abonné à son organe La Vie Nouvelle tant qu'il a paru — d'abord imprimé, puis ronéotypé. Plus récemment, nous sommes entré en rapport avec M. Michel Lagrue, recteur actuel de la Mission Mariavite française, qui, en plus de nombreux renseignements, nous a envoyé son Appel imprimé au Peuple de France.

Sur les débuts du Mariavitisme, voir aussi : Père Jacques, « Le Mariavitisme en Pologne », Etudes franciscaines, t. XIX, 1908, p. 113 ; R. Gajkowski, Mariaœitensekte, Blàtter aus der neusten Kirchengeschichte Russlands, Cracovie, 1911. Quoique ayant mené notre travail avec l'impartialité la plus grande, nous ne nous dissimulons pas ses imperfections ; aussi serions-nous fort reconnaissant pour toutes les rectifications ou adjonctions qu'on voudrait bien nous signaler.

(1) Sess, IV, chap. IV,

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

nouvelles. Ces dernières leur paraissent bientôt essentielles ; il n'y a pas de doute qu'ils ne les placent au premier rang de leur Credo, même avant la Bible et les Evangiles. Il suffit de se rappeler l'énorme importance attribuée par les disciples de Vintras aux révélations du fabricant de carton de Tilly-sur-Seulles, comme par les Salettistes au Secret transmis par Mélanie Calvat.

***

L'Eglise Mariavite est l'une de ces sectes. Elle prend sa source dans les révélations du Christ à une religieuse polonaise, Félicie Kozlowska. Celle-ci, née à Plock le 27 mai 1862, devient en 1887, sous le nom de Mère Marie-Françoise {Marya Franciszka), supérieure d'un petit couvent de Clarisses de sa ville natale. A la suite des révélations qu'elle reçoit du Christ le 2 août 1893, elle fonde la Congrégation des Mariavites, Ordre de religieux et de religieuses qui suivent les règles de saint François d'Assise, et dont les membres se donnent pour buts l'adoration perpétuelle du Saint Sacrement et l'imitation des vertus de la Vierge (gui Mariae vilain imitantur, ou encore Mariae vitae cultores). Dès lors elle n'est plus désignée par ceux qui la suivent que sous l'appellation familière de Mateczka (la petite mère).

Pendant plus d'une décade les Mariavites vont rester dans le sein de l'Eglise catholique. L'austérité de leur Congrégation leur attire des adhérents assez nom­breux. Parmi eux, on distingue quelques jeunes prêtres, ardents et instruits, à la tête desquels se placent trois anciens élèves de la Faculté de théologie catholique de Saint-Pétersbourg : Jean-Michel Kowalski, Romain-Jacques Prochniewski, Léon-André Golebiowski. Par contre, les évêques polonais ont peu de sympathie pour cette œuvre, qui a d'abord existé à leur insu ; ils sont méfiants et bientôt hostiles ; il en sera de même des Jésuites. Lorsque Kowalski prie l'archevêque de Varsovie, Mgr Popel, d'examiner la cause des Mariavites et de lire les révélations de Mateczka, le prélat se contente de lui répondre : « Je n'entends rien aux choses folles ».

En 1903, Mateczka juge alors nécessaire de se rendre à Rome, avec quelques prêtres et religieuses, afin de faire régulariser sa Congrégation par Léon XIII,

Quand le petit groupe arrive à Munich, il apprend la mort du Pape. Il continue pourtant son voyage. Une fois à Rome, alors que se tient le conclave, Mateczka et ses compagnons vont prier chaque jour à la basilique Saint-Pierre. C'est à cause de ces prières, déclareront plus tard les Mariavites, que les cardinaux ne par­viennent pas à se mettre d'accord sur le nom de l'un d'entre eux. Et ce n'est que lorsque Mateczka ne peut plus aller à la basilique, à cause de ses pieds écorchés sur le pavé brûlant de Rome, que Pie X est enfin élu.

Le 6 août 1Ô03, au couvent des sœurs de Nazareth, les Mariavites nomment leur premier ministre général, le prêtre Kowalski (2). En même temps, ils offrent des cadeaux au nouveau Pape ; celui-ci les remercie, en leur donnant sa béné­diction ; il reçoit leurs suppliques qu'il promet d'examiner et qu'il remet à son secrétaire Bisletti.

En sortant de l'audience pontificale, les compagnons de Mateczka s'entre­tiennent de l'impression que Pie X a fait sur eux. Ils questionnent Mateczka à ce sujet, mais elle répond qu'elle n'a pas vu le Pape. « Comment donc ? Pourquoi ? », lui demande-t-on. Après un instant de silence, la religieuse avoue qu'elle n'a pas osé le regarder, car elle s'en considère comme indigne.

(2) Contrairement à l'affirmation du Larousse du XXe siècle, t. IV, p. 266, pour qui Ko­walski ne devint ministre général qu'en 1907.

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l'église mariavite

De retour en Pologne, Kowalski se rend chez l'archevêque de Varsovie, pour lui communiquer les résultats de ce voyage. Mais le prélat, mécontent de ce que les Mariavites se sont adressés au Saint-Siège, se fâche contre lui, en lui disant : « Comment avez-vous pu concevoir l'idée de vous rendre à Rome ? Vous verrez ce que le Pape vous donnera » (3). De fait, dès le 4 septembre 1904, le Saint-Office publie un décret contre Mateczka, considérée comme « réincarnation de la Sainte-Vierge » et préposée, en tant que mulier amicta sole, au salut du genre humain. Le 19 février 1906, le vicaire général et un autre ecclésiastique se rendent à Rome pour une ultime démarche : Pie X leur promet justice. Mais, le 5 avril suivant, les Mariavites sont excommuniés par l'encyclique Tribus circiter aux évêques de Pologne. Enfin, le 5 décembre, un décret du Saint-Office excommunie nominatim ac personaliter Kowalski et Mateczka (4).

C'est désormais une nouvelle période qui commence : les Mariavites vont s'organiser très rapidement en une Eglise indépendante. Us proclament le Pape déchu de ses pouvoirs religieux et, le 10 octobre 1907, un synode général élit évêque leur ministre général Kowalski ; celui-ci réside à la Maison Mère de la Congrégation, le couvent de Felicjanow, près de Plock.

Avec l'appui du gouvernement russe, et en particulier du ministre Dournovo — qui voit là une bonne occasion de faire une brèche dans la masse des Polonais catholiques (5) —-, les Mariavites sont amenés à vivre en quelque sorte en autarcie. Ils semblent se recruter surtout chez de petites gens, qui déploient une grande activité. En plus de leurs églises (ils construisent à Plock une cathédrale), de leurs chapelles et de leurs oratoires, leurs créations sont nombreuses : maisons parois­siales, écoles — certaines avec internat —, orphelinats, asiles de vieillards, foyers d'indigents, ouvroirs, maisons du peuple, coopératives commerciales et agricoles, sociétés d'épargne et de prêts mutuels, ateliers de tissage, de couture et de vannerie (6).

Us connaissent pourtant certaines difficultés intérieures. Le prêtre Zebrowskî, avec l'aide de Marie Czylatz, essaie vainement d'évincer les supérieurs de la secte, en écrivant de fausses révélations destinées à remplacer les authentiques. Ayant conservé par devers lui de l'argent destiné aux pauvres, il doit s'enfuir aux Etats-Unis, où il recevra la consécration épiscopale des mains de l'évêque Hodur, de l'Eglise Catholique Nationale Polonaise, et mourra pasteur de l'Eglise baptiste.

Surtout les Mariavites ne possèdent pas de prélat ayant la succession aposto­lique, et ils souffrent de cette lacune, car ils se proclament toujours fort attachés au catholicisme traditionnel.

Un laïque orthodoxe féru de théologie, le général russe Alexandre Kiréef, travaille depuis longtemps au rapprochement de son Eglise avec les vieux-catholiques. Il fait connaître les Mariavites à ces derniers (7). En septembre 1909, Kowalski assiste au congrès vieux-catholique de Vienne et, le 5 octobre

(8) Sur tout ce qui précède, cf. Kowalski, Courte biographie de Mateczka, reproduite dans La Vie Nouvelle, du 15 mars 1957, n° 8, p. 3-4. Cf. aussi Antoine Martel, « Une renaissance du messianisme en Pologne », Mercure de France, t. CLXXVII, 1925, p. 400-1.

(4) Acta Pii X, p. 77 et 225. Cf. Le Catholique français, 31 oet. 1909, p. 52-4.

(5) Dès le 28 novembre 1900, la Russie considère les Mariavites comme une « secte reli­ gieuse ». En mai 1911, ils seront reconnus «confession chrétienne » par la Douma, et le 26 mai 1912, par le tsar.

(6) Martel, op. cit., p. 401-2 ; La Vie Nouvelle, n° 11, p. 1. On trouve de nombreuses photo­ graphies de créations mariavites dans le Kalendaz Mariawiki, de 1913, p. 35-85.

(7) Henry R.T. Brandketh, Episcopi Vagantes and the Anglican Church, 2e éd., Londres, S.P.C.K., 1961, p. 99.

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suivant, il reçoit la consécration épiscopale, dans la cathédrale Sainte-Gertrude d'Utrecht, des mains de Gérard Gui, archevêque vieux-catholique de cette ville, assisté de J.J. Van Thiel, évêque de Haarlem, N.B.P. Spit, évêque de Deventer, J. DemmeJ, évêque d'Allemagne et Arnold Harris Mathew, évêque d'Angleterre (8).

Il prend alors le titre d'archevêque-primat de Plock, et le 4 septembre 1910, consacre lui-même ses deux amis Prochniewski et Golebiowski, qui deviennent ses coadjuteurs, le premier avec le titre de Vicaire Général de l'Eglise (9).

Les Mariavïtes font désormais partie de l'Union d'Utrecht. Ils possèdent, d'après la théorie jadis formulée par saint Augustin et adoptée par l'Eglise romaine, un épiscopat valide aux yeux de cette dernière, quoique irrégulier et illicite (10). Le changement de front est complet. Les vieux-catholiques, que les publications antérieures de la secte traitaient d'hérétiques (11), voient l'almanach mariavite de 1910 consacré à leur histoire et à leur apologie (12). Et le Kalendaz Mariawiki de 1913, que nous avons pu consulter, fait une place beaucoup plus grande à l'Eglise vieille-catholique qu'aux Mariavites eux-mêmes. Selon des évaluations dont on ignore les bases, la secte comprendrait 58.000 adhérents en 1907 (13), et 73.000 en 1909 (14). En 1912, il y a 93 paroisses en Pologne russe, surtout dans la région comprise entre Varsovie, Lodz et Plock, 6 en Lithuanie — dont celles de Wilno et de Kaunas — et dans le reste de l'Empire russe, dont celle de Riga (15).

Mais la première guerre mondiale accumule les ruines dans ces régions. Quand les armées austro-hongroises victorieuses avancent en Pologne, le gouvernement de Vienne fait fermer les églises de la secte. Et, après la paix, les Mariavites, qui ont été ouvertement protégés par le régime tsariste, sont considérés comme suspects dans la Pologne désormais indépendante. Aussi connaissant-ils un recul sensible : en 1921, ils ne sont plus que 32.298 (16).

A la fin de 1926, les évêques mariavites, Kowalski en tête, avec trois prêtres et cinq religieuses, entreprennent un voyage de propagande en Orient. Ils y vénèrent les Lieux Saints et informent les patriarches orientaux des révélations

(8) La Vie Nouvelle, n° 10, p. 8. Dès décembre 1910, Mathew va proclamer son indépendance vis-à-vis de l'Eglise vieille-catholique qui, en 1920, déclarera sa consécration obtenue sur de faux témoignages. Cf. Brandreth, op. cit., p. 18-9. Cet auteur, p. 99, place en 1910 le sacre de Kowalski. Le Dictionnaire de théologie catholique, t. XV, col. 2435, qui imprime inexactement Kowelski, le date du 4 octobre 1909. Quant à Martel, op. ciL} p. 402, il le place le 5 novembre.

(9) La Vie Nouvelle, 8, p. 2 ; Kalendaz Mariawicki, 1913, p. 1.

(10) Cf. Brandreth, op. cit., p. 8-9.

(11) Cf. MariavUa du 22 mars 1907, et Martel, op. cit., p. 402.

(12) Martel, op. cit., p. 402.

(18) Ludwig Andréas Veit, Die Kirche im ZeitaUer des Individualismus, 1648 bis zur Gegenwart, Frîbourg-en-Brisgau, Herder, 1933, t. II, p. 482.

(14) C'est le chiffre que donne le Larousse du XXe siècle, t. IV, p. 684. Le Dictionnaire de Théologie catholique, t. XII, col. 2468, et t. XV, col. 2435, suivi par le Dizionario ecclesiastico, t. VIII, p. 154, déclare que les Mariavites sont alors 200,000 environ. Pour Jules Mauris, « L'hérésie mariavite », Mercure de France, t. CCVII, 1828, p. 865, ils sont 120.000 avant 1914. Et, pour cette dernière année, le Dictionnaire de théologie catholique, t. XII, col. 2468, avance le chiffre de 400.000.

(15) Kalendaz Mariawicki, 1918, p. 1-11. En 1914, le Dictionnaire de Théologie catholique, t. XII, col. 2468, assigne aux Mariavites 44 églises et 166 chapelles.

(16) C'est le chiffre que donne le Larousse du XXe siècle, t. IV, p. 684. Le Père Bruno de Jésus-Marie, dans Satan, Etudes Carmélitaînes, Desclée deBrouwer, s. d. (1948), p. 425, attribue aux Mariavites, en 1924, « près de 600.000 fidèles ». Pour Martel, op. cit., p. 400, Us ont « plus de 100.000 membres » en 1925. En 1928, Matjkis, op. cit., p. 864, évalue leur nombre à 110.000. Le Dictionnaire de théologie catholique, t. XII, col. 2468, avance les chiffres suivants : 40.000 en 1928, près de 80.000 en 1982.

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l'église màriàvite

de Mateczka, ainsi que de la nécessité de l'adoration du Saint Sacrement, inconnue en Orient. Ils sont bien reçus : des orthodoxes, des Israélites et des musulmans acceptent de s'inscrire sur le Livre de Vie ouvert aux hommes de toutes les confessions. Mais les patriarches orientaux se montrent résolument hostiles. Les Mariavites sont plus heureux en réussissant, dès 1920, à établir leur union avec une petite Eglise des Etats-Unis, The Old Catholic Church of America, dont l'archevêque-président, William Henry Francis Brothers, a été consacré le 3 octobre 1916 par le prince de Landas-Berghe, lui-même sacré par Mathew, et réside à Woodstock, dans l'Etat de New York (17).

***

En 1922 survient la mort de la fondatrice de la secte. Plaçons-nous à cette date pour exposer l'essentiel des doctrines qu'elle a prêchées et qui sont contenues dans le Livre de la Grande Miséricorde ou des Révélations.

Soulignons d'abord qu'il s'agit d'une Eglise millénariste. Pour reprendre une fois de plus la définition de ces mouvements proposée par Norman Cohn, du Magee University Collège, à la Conférence tenue les 8 et 9 avril 1960 à l'Université de Chicago (18), nous pouvons dire que le salut promis par le Christ à Mateczka et à ses disciples, et qui constitue 1 Œuvre de la Grande Miséricorde, est à la fois collectif, terrestre, imminent, total et surnaturel :

1) Un salut collectif, en ce qu'il est l'apanage des fidèles en tant que groupe. Pour être sauvé, il est indispensable d'être inscrit sur le Livre de Vie, que Jésus a ordonné à Mateczka de rédiger. Tous ceux dont les noms figureront sur ce livre ne connaîtront pas la mort éternelle (19). Le Christ a déclaré : « Le peuple mariavite est mon peuple élu ». Ceux qui acceptent le message devraient être sans péché, car la Miséricorde annoncée est une source de grâces infinies. Ils ont, certes, des défauts comme tous les hommes ; ils commettent des fautes pour lesquelles ils seront punis ; mais ils ne commettent plus le péché, dans le sens où est pris ce terme d'une offense à Dieu. En tout cas, ils n ont plus le péché originel, ils ont retrouvé l'innocence première. Ce sont là les prémices de la Nouvelle Terre et des Nouveaux Cieux. Au contraire, ceux qui refusent la Miséricorde seront jugés dans la Justice.

2) Un salut terrestre, parce qu'il sera réalisé en ce monde et non dans un quelconque paradis extra-terrestre. Ce sera « la Rénovation de... la face de la Terre », « l'Avènement du Royaume de Dieu sur la Terre » (20), « annoncé et prédit par beaucoup, et notamment dans l'Apocalypse, comme une vivante réalité, comme la somme des « bonnes volontés » de tous les hommes » (21). Ce Royaume est conçu comme un ordre social de bonheur, de paix, de justice et de fraternité universelle (22). Il commencera après l'achèvement des temps. Le Christ régnera alors sur la terre et y aura son Eglise, épurée de toute contagion du mal, et par suite à laquelle aucun méchant n'appartiendra. Les élus, avant d'être transportés au ciel, seront d'abord réunis sur cette terre dans cette Eglise des saints. Le Christ a annoncé à Mateczka : « C'est ici le siècle de la Paix... Devenez Mariavites,

(17) Braotïbeth, op. cit., p. 88. En dépit de son nom, cette petite secte n'adhère pas à l'Union d'Utrecht des Eglises vieilles-catholiques.

(18) Anh., 9, p. 105-107.

(19) Appel au Peuple de France.

(20) Ibid.

(21) La Vie Nouvelle, n° 8, p. 1.

(22) Déclaration de principes de l'Eglise catholique des Mariavitea.

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

et toutes les bénédictions vous seront données à vous et à vos familles... Je donnerai au peuple mariavite le pouvoir de m'assujettir le monde entier ». L'avène­ment du royaume de Dieu se fera aussi dans l'ensemble du Cosmos.

3) Un salut imminent, qui succédera à des maux sans nombre. Les derniers temps sont tout proches. Comme l'écrira Kowalski, « ce que nous annonçait l'apôtre saint Jean est en train de se réaliser sous nos yeux » (23). Si les hommes n'écoutent pas le message, ils seront cruellement punis. Les avertissements de la justice de Dieu sont terribles. Le Christ a déclaré à Mateezka : « Si le nombre des implorateurs est insuffisant, je punirai le monde entier... Ma volonté doit s'accom­ plir mot à mot, sinon dans la Miséricorde, alors dans la justice... Je ferai périr le monde, car, au lieu de me rendre gloire, il ne fait que m'outrager » (24). Pour certains Maria vîtes de nos jours, Noé ayant averti les hommes pendant une période de cent-vingt ans en construisant son arche, et un siècle s'étant écoulé depuis la naissance de Mateezka, peut-être ne reste-t-il qu'une vingtaine d'années avant d'effroyables événements analogues au Déluge.

4) Un salut total, devant aboutir à une transformation complète, de sorte qu'il ne s'agisse pas d'une simple amélioration, mais de la perfection même instaurée. Ce sera la victoire définitive du bien sur le mal. La conversion de Satan amènera la fin de son règne et par suite la fermeture de l'Enfer. L'Eglise mariayite « rejette comme une théorie dualiste et une hérésie manichéenne la conception d'un enfer éternel, symbole d'une puissance souveraine du mal, égale et coexistante à Dieu. Elle refuse de croire qu'à jamais Dieu et Satan régneront chacun sur leur empire des Cieux et de l'enfer pour l'éternité « (25).

5) Un salut surnaturel, puisqu'il ne se manifeste pas par des moyens ordi­ naires. « Comme Notre Père du Ciel nous avait donné Jésus, il y a deux mille ans, ainsi aujourd'hui Jésus nous donne Mateezka ». Celle-ci est le véhicule choisi, la récipiendaire de la faveur divine. « Je remets toute l'œuvre entre tes mains, lui dit Te Christ. Tu seras Maîtresse et Mère ». Préposée au salut du genre humain, elle sauvera le monde par son sacrifice et son immolation rédemptrice (26).

Comme il arrive souvent dans les sectes chrétiennes, le millénarisme des Mariavites est en même temps paraclétiste. Ils croient à l'inspiration permanente du Saint-Esprit Consolateur sur son Eglise, et surtout à son règne prochain.

La Nouvelle Alliance de la Miséricorde et de l'Amour de Dieu, la Nouvelle et Eternelle Alliance, telle que le Christ l'a révélée à Mateezka, « succède à la Pre­mière Alliance du Père Céleste, qui a été révélée à Abraham, Jacob et Moïse, et qui a été non point abolie, mais réalisée par Jésus-Christ. Elle succède égale­ment à la Seconde Alliance, l'Alliance de l'Amour divin par laquelle Jésus s'est sacrifié sur la Croix pour nous sauver. Non point que cette Alliance fût imparfaite, car rien d'imparfait n'émane de Dieu ; mais il était nécessaire que l'humanité

spirituelle __

« ne vient pas estomper l'œuvre de la Rédemption, puisque nul autre ne l'a révélée, sinon le Christ lui-même, mais au contraire la faire accomplir dans l'être humain. Car il fallait que l'homme fut d'abord enseigné par la Loi du Père avant d'être racheté, puis qu'il fut racheté par la Rédemption et l'Amour du Fils avant

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(28) Maktel, op. cit., p. 404.

(24) Appel au Peuple de France.

(25) La Vie Nouvelle, n° 10, p. 6.

(26) Appel au Peuple de France ; Martel, op. cit., p. 407.

l'église mariavite

d'être sanctifié et illuminé par l'Esprit Saint » (27). Le Christ n'a-t-il pas déclaré à Mateczka : « Le Mariavitisme, c'est l'œuvre de la Grande Miséricorde, et je veux qu'elle ressemble dans tous ses détails à l'œuvre de la Rédemption ? ».

L'Eglise Mariavite, comme son nom l'indique, est aussi une Eglise mariale. Dans l'exaltation des prérogatives de la Vierge, elle va beaucoup plus loin que l'Eglise romaine. A ses yeux, Marie est, comme mère, l'une des incarnations du Saint-Esprit. Aussi les Mariavites ont-ils pour elle un véritable culte de latrie et l'adorent-ils comme corédemptrice. Le Christ a dit à Mateczka : « Le renouvelle­ment du monde entier est entre les mains de Marie ». Et encore : « Le Mariavitisme, c'est l'armée de Marie ; donc remets tout entre ses mains et sois tranquille ». Ce sont de telles phrases qui ont fait taxer les Mariavites de quiétisme (28). Cette vénération de la Vierge se traduit en particulier, dans la pratique, par le fait que tous les évêques, tous les prêtres et toutes les religieuses de la secte doivent porter, parmi leurs prénoms, celui de Marie.

L'Eglise Mariavite, étant donné ses origines, est aussi une Eglise franciscaine. Les prêtres et les religieuses appartiennent tous à l'Ordre de Saint-François d'Assise et leur habit est gris comme celui des premiers Franciscains. Les prêtres observent la première règle de saint François, les religieuses la seconde, et tous les fidèles font partie du Tiers Ordre. Les assemblées générales de l'Eglise, où sont représentées Les différentes paroisses, sont appelées chapitres généraux ; elles se tiennent tous les trois ans.

Suivant la remarque de H.G. Barnett, de l'Université d'Oregon, à la Confé­rence de Chicago déjà citée, les moyens préconisés, dans les mouvements millé­naristes, pour une action purificatrice, apparaissent essentiellement d'ordre rituel. Chez les Mariavites, la « Rénovation de l'Eglise et de la face de la Terre » sera opérée par le culte du très Saint Sacrement et par celui du Perpétuel Secours de la très Sainte Vierge Marie.

Le Saint Sacrement est adoré jour et nuit dans tous les sanctuaires : c'est « l'Adoration Perpétuelle Propitiatoire ». Les Mariavites ne manquent pas de faire figurer, en tête de leurs lettres, la formule « Loué soit le Très Saint Sacrement de l'Autel ! ». A ce culte se rattache celui du Cœur de Jésus, qui est lui-même caché dans le Saint Sacrement et qui a un « Magistère Infaillible, comme l'Unique Pasteur de l'Eglise Universelle ».

D'autre part, c'est sous le vocable de Notre-Dame du Perpétuel Secours que les Mariavites pratiquent « le culte et l'adoration de la Très Sainte Vierge Marie ».

De même que les autres mouvements hétérodoxes issus du catholicisme, les Mariavites font preuve d'un antiromanisme agressif. Ils sont l'Eglise de Jean succédant à l'Eglise de Pierre. « La libération du joug papal » figure en bonne place dans la mission de Mateczka. Le Christ a dit à cette dernière: «Le but du Maria­vitisme, c'est d'amener l'Eglise à l'état dans lequel les Apôtres l'ont laissée ».

L'Eglise catholique « n'a pas pu, ni même voulu entendre la voix du Christ, et elle a rejeté la Nouvelle Alliance comme inutile et ridicule, semblable en cela à la Synagogue, qui a rejeté l'œuvre de la Rédemption. C'est pourquoi Dieu a suscité une nouvelle Eglise, à laquelle il a donné le nom de sa Très Sainte Mère, afin qu'elle propage, comme le firent les Apôtres, la Bonne Nouvelle de la Misé­ricorde et de l'Amour ».

Pour les Mariavites, le dernier pape légitime est Léon XIII, qui, dans sa dernière encyclique, a proclamé que le pasteur suprême et infaillible de l'Eglise

(27) La Vie Nouvelle, n° 8, p. 1.

(28) Dvdonario ecclesiastico, t. VIII, p. 154.

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est le Christ, caché dans le Saint Sacrement. Ils estiment que par cet écrit, qu'ils considèrent comme son testament, Léon XIII s'est dressé lui-même contre le dogme de l'infaillibilité pontificale. Ils rappellent aussi le veto du gouvernement autrichien qui a amené l'élection illégitime de Pie X. Ce dernier se décrit lui-même en proclamant, dans sa première encyclique, que l'Antéchrist est sur la terre (29).

***

Après la mort de Mateczka, le Mariavitisme va traverser une grave crise.

L'archeyêque-primat Kowalski n'a rien d'un rêveur mystique. « C'est un esprit qui joint à une volonté implacable et souvent orgueilleuse un sens pratique très fin et une habileté consommée à tirer parti des circonstances » (30). Il tient à prouver avec éclat son loyalisme à l'égard du nouvel Etat polonais. Par la même occasion, il tente de convertir à sa secte les nationalistes de ce pays. En 1923, il publie à Plock un livre bien curieux : Les Fondements du Mariavitisme révélés par VApocalypse et annoncés par Vœuvre des Penseurs et des Poètes polonais (31). Le Mariavitisme y est représenté comme l'héritier direct et authentique du Messianisme de Pologne, qui doit apporter à ce pays et au monde entier le salut « dans les derniers temps ».

Pour Kowalski, il y a trois séries d'indications également inspirées :

1) Les prophéties de VApocalypse : le livre contient une nouvelle traduction de cet ouvrage, faite vraisemblablement d'après le texte de la Vulgate. Elle est précédée d'une longue préface et suivie d'avertissements. Kowalski trouve dans l'Apocalypse les paroles mystérieuses qui annoncent un nouveau ciel, une nouvelle terre, une Jérusalem nouvelle, la mort de la prostituée et les noces de l'Agneau.

2) Les visions messianiques des écrivains polonais : Mickiewicz, Krasinski, Jules Slowacki, Cies^kowski, Towianski, Corneille Ujejski, Marie Konopnieka, Wyspianski, W. Pol sont abondamment cités et se trouvent élevés à la dignité de Prophètes de la Jérusalem nouvelle. Ils ont parlé « non pas d'eux-mêmes, mais sous l'inspiration du Saint-Esprit » :

«Notre Terre, la Patrie polonaise, choisie par les décrets de l'Eternel pour être le point d'où partirait l'Idée du Monde Divin, du Royaume du Saint-Esprit sur la terre, devait avoir ses prophètes, comme la terre promise des Juifs d'où sortit le monde chrétien ».

Kowalski ne manque pas de souligner la haine qu'ont exprimée ces écrivains à l'égard de Rome. Il cite le passage de Beniowski où Slowacki accuse le pape d'avoir tué la Pologne, en ne la défendant pas contre le tsar, ainsi que le poème où le même auteur annonce une papauté d'un genre nouveau : « Les temps sont arrivés où c'est un peuple et non plus un homme qui exercera la papauté ». Et il écrit :

« Le peuple mariavite, a compris qu'aucune force spirituelle n'animait ce spectre, qu'il dissimulait sous sa phraséologie son néant et son ignominie, et il l'a méprisé comme une illusion, comme un cauchemar qui étouffait l'esprit de notre Peuple et rongeait son cœur... ».

(29) La Vie Nouvelle, n° 8, p. 1. (80) Mabtel,, op. cit., p. 400, (31) 288 pages.

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l'église mariavite

« Un vrai Polonais ne peut entretenir aucun rapport avec la papauté qui a toujours été l'ennemie de notre Nation et de notre indépendance ».

Le pape est la bête malfaisante de l'Apocalypse, qui a préparé la guerre mondiale au Congrès Eucharistique de Vienne en 1912. C'est Pie X qui a allumé l'incendie, justifiant par là l'épithète d'Ignis Ardens que lui attribue la prophétie de Malachie.

Cette haine à l'égard de Rome va de pair avec une foi ardente dans les destinées de la Pologne :

« Si doit se réaliser la parole du Seigneur Jésus qu'il n'y aura plus qu'une seule bergerie et qu'un seul pasteur, ce sera par la Pologne. Par elle, de toutes les nations sortira un Peuple chrétien unique, sur lequel régnera le Roi de tous, le Christ... Et le Seigneur régnera en Pologne, de la Pologne et par la Pologne ».

« Notre peuple, qui a le plus souffert pour la justice, doit le premier arriver à l'amour ».

3) Les révélations de Jésus à Mateczka : Kowalski leur donne une importance que les autres théologiens de la secte ne lui ont pas encore attribuée. Mateczka est vraiment la fiancée et l'épouse de l'Agneau, dont parlent l'Evangile et l'Apocalypse :

a Le troisième ciel eucharistique, appelé dans l'Kvangile les Noces que le Roi a préparées à son Fils (Matt., XXII, 2) et dans l'Apocalypse les Noces de l'Agneau (XIX, 7), a été jusqu'à présent fermé à l'humanité. Pourquoi ? Parce qu'il ne s'était pas encore trouvé sur la terre de Fiancée, d'Epouse de l'Agneau digne du Christ, par qui l'humanité pût s'unir avec le Christ d'un lien d'amour, non seu­lement de fiançailles, mais d'épousailles. Car, de même que le second ciel, celui du Fils de Dieu, fut fermé à l'humanité jusqu'au jour où vint au monde la Très Sainte Vierge Marie, ainsi le troisième ciel, celui de l'Eucharistie, ne pouvait être ouvert avant que vînt au inonde Celle que Dieu avait choisie et bénie afin qu'elle fût la Fiancée et l'Epouse de l'Agneau » (3a).

Mateczka est donc une seconde Vierge Marie. Comme cette dernière, elle a droit à un véritable culte d'adoration, ainsi qu'au titre de Corédemptrice. D'un culte d'hyperdulie, on passe donc a un culte de latrie, favorisé d'ailleurs par la piété et la ferveur slaves.

Kowalski ne tarde pas à laisser le champ libre à des opinions particulières. Pour certains Mariavites, Mateczka, étant l'épouse de Jésus, est présente dans l'hostie ; la Vierge Marie est Dieu aussi, et Kowalski est l'incarnation de saint Michel (33). Pour d'autres, Mateczka est l'incarnation de la Vierge Marie, Kowalski du Père, Golebiowskî du Fils, Prochniewski du Saint-Esprit. Pour d'autres encore, la Vierge Marie est le Père incarné, Jésus-Christ le Fils, Mateczka le Saint-Esprit.

L'Eglise vieille-catholique, d'où les Mariavites tirent leur succession apos­ tolique, juge sévèrement ce qu'elle considère comme des excès de fanatisme. Elle ' l l i d l i è

(32) Mahtex, op. cit., p. 404-407.

(38) Cf. Enciclopedia ecclesiastica, t. VI, p. 421.

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croyance à la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. En septembre 1924 (34), la rupture est décidée par la Conférence des évêques vieux-catholiques, que préside Kenninck, archevêque d'Utrecht.

L'une des causes de cette brouille semble avoir été également la coutume des « mariages mystiques », mise à la mode par Kowalski. Chaque prêtre de la secte possède désormais une épouse spirituelle, de même que Mateczka fut l'épouse du Christ. Mais, de cette théorie, on passe rapidement à la pratique des mariages légaux. Or les prêtres qui se marient risquent de se lier avec des femmes étrangères au Mariavitisme. Ce danger est supprimé s'ils épousent des religieuses de la secte. C'est donc ce que stipule Kowalski. Pour les Mariavites, ces mariages sont destinés à propager la procréation sans concupiscence d'enfants nés par conséquent sans le péché originel (35).

Kowalski finit par être inculpé de diverses infractions touchant les mœurs. En 1928, à la suite d'un procès qui se déroule à huis-clos à Plock, il est condamné à quatre ans de prison (36). Les Mariavites prétendent avoir des documents prouvant que le Vatican versa un million de zlotys pour obtenir cette sentence. Assez vite, l'archevêque est d'ailleurs amnistié. De fait, il procède le 29 mars 1929 à trois sacres épiscopaux (37). Mais un nouveau ministère révoque l'amnistie, et la peine doit être exécutée. Finalement Kowalski renonce aux mariages des prêtres avec les sœurs. Désormais seuls les ecclésiastiques ne vivant pas en communauté auront le droit de prendre femme.

Autre innovation : le culte fervent d'adoration pour la Vierge et pour Mateczka amène les Mariavites à rompre avec la tradition judéo-chrétienne, qui réserve le sacerdoce au sexe masculin. Le 29 mars 1929, jour du jeudi saint, Kowalski confère l'épiscopat à Isabelle Wolucka, religieuse intelligente et cultivée, qui a succédé à Mateczka comme abbesse de Plock : c'est « le sacerdoce des Saintes Vierges » (38). Deux ans plus tard, les 5 avril et 4 juin 1931, Isabelle Wolucka consacre à son tour onze évêguesses. Citons parmi elles Dilecta Roztawiska et Desideria Spodarowna, respectivement supérieure générale et vicaire générale des Sœurs mariavites, Celestyna Kraszewska, supérieure générale du sacerdoce

(34) Et non en 1925, comme l'écrit le Dictionnaire de théologie catholique, t. XII, col. 2468,

(35) Père Bruno de Jésus-Marie, dans Satan, Etudes Carmélitaines, Desclée de Brouwer. s. d. (1948), in-8°, p. 425.

(86) Nous renonçons à utiliser les renseignements contenus dans l'article « L'hérésie mariavite », que Jules Mauris (qui serait le pseudonyme de Me Maurice Gakçon, suivant Vln- termédiaire des chercheurs et curieux, 1939, col. 713) a publié dans le Mercure de France, 1928, t. CCVII, p. 361-871. Cette étude donne des détails fort croustillants sur la dépravation des mœurs des prêtres et religieuses de la secte. Nous nous en méfions d'autant plus que l'article comporte, par ailleurs, un certain nombre d'erreurs et d'invraisemblances, qui sautent aux yeux des lecteurs les moins avertis : l'auteur fait naître Mateczka « vers 1865 » au lieu de 1862 (p. 362) ; pour lui, Févêque (pour l'archevêque) vieux-catholique d'Utrecht ne s'est séparé de Home qu'en 1869 (p, 865) ; un prêtre français vieux-catholique, envoyé en Pologne chez les Mariavites, est affolé de leurs moeurs et va tout confier au nonce du Pape à Varsovie (p. 868- 369), ce qui est fort inattendu pour un tenant de l'Eglise d'Utrecht. — M. Dumas de Rauly écrit à ce sujet dans VIntermédiaire des chercheurs et curieux, 1939, col. 713 : « Quel est l'état actuel de l'Eglise mariavite de Pologne ? On a beaucoup reproché à ses prêtres une trop grande liberté de mœurs, et on leur a prêté des histoires un peu raides. Tout cela est-il exact ? Ou bien n'a-t-on pas exagéré à dessein ? Un de mes .correspondants, qui a séjourné dans un couvent mariavite, n'hésite pas à parler à cette occasion de Port-Royal. Qui a tort ? Qui a raison ? »

Brandbeth, op. cit., p. 100, prétend inexactement que Kowalski fut « mis en prison pour sédition ».

(87) La Vie Nouvelle, supplément au n° 11, p. 4. (38) Appel au Peuple de France.

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l'église mariavite

féminin, Melanja Kubicka, première vicaire de la maison-mère de Felicjanow. Il faut remarquer que l'épiscopat mariavite n'est conféré qu'à des femmes déjà religieuses. A toutes, on donne l'appellation de « Très Révérende Mère », alors que les évêques sont nommés « Frères ».

Les prélats mariavites consacrés par Kowalski entre les deux guerres sont essentiellement des Polonais : François Roztoworowski le 15 août 1924 ; Barthé­lémy Przysiecki et Philippe Feïdman le 29 mars 1929 ; Simon Buchholz le 18 avril 1933 ; Tite Siedlecki le 9 juin 1935.

Pourtant, peu avant la seconde guerre mondiale, sont également consacrés par l'archevêque deux prélats d'origine étrangère : le 4 septembre 1938 le Fran­çais Paul Fatome ; le 18 août 1939, le Lithuanien Félix Tulaba (39).

Mais s'il pousse ainsi quelques timides antennes à l'étranger, le Mariavitisme polonais est déchiré par un schisme intérieur. A la suite d'une brouille avec Kowalski pour des motifs personnels, l'évêque Philippe Feldman constitue l'Eglise vieille-catholique des Mariavites, qui, comme son nom l'indique, s'efforce de renouer avec Utrecht.

*

Les Mariavites souffrent beaucoup de la seconde guerre mondiale. Kowalski est arrêté et déporté par les nazis, qui lui reprochent son nationalisme polonais, et plus spécialement un livre qu'il a fait paraître avant 1939 et qui porte ce titre significatif : Les trois faces de VAntéchrist : Hitler, Mussolini, Staline. L'archevêque meurt au camp de Dachau le 26 mai 1942, quelques minutes avant minuit. Ses

(39) Paul Fatome, originaire de Cherbourg-Equeurdreville (Manche), fit d'abord sa théologie au grand séminaire de Coutanees, où il reçut les ordres mineurs. Il continua ses études à la Faculté vieille-catholique de Berne. A la fin de 1005, il fut ordonné successivement sous-diacre, diacre et prêtre, à un jour d'intervalle, par l'évêque vieux-catholique de Suisse. En 1907, il participa à un essai d'implantation de cultuelles schismatiqucs en Corrèze. Il se retira ensuite en Suisse, où il dirigea la paroisse vieille-catholique d'Antavaux-Forel, sur les bords du lac de Neuchâtel. Demandé par trente chefs de famille, il fut installé le 2 mai 1909 par le curé vieux-catholique de Bienne, Greuin, ancien prêtre de Saint-Sulpice. Mais il ne réussit pas à trouver un logement et un local convenable pour célébrer le culte. II fit vainement à Genève et à La Chaux-de-Fonds une conférence sur ses « malheurs », sans obtenir de l'aide. Il repartit alors pour la France et réussit à organiser à Nantes, dans un milieu ouvrier, une petite communauté vieille-catholique. Le 24 mars 1911, un journal de cette ville, le Populaire, annonça l'ouverture de sa chapelle, dans la rue de la Hunaudais, sous l'obédience de l'archevêque d'Utreeht ; soixante personnes s'y réunissaient à la Noël suivante. Mobilisé comme brancardier en 1914, Fatome gagna la croix de guerre. En 1915, il refusa l'épiscopat, que lui offrait Arnold Harris Mathew. En décembre 1918, il revint à la tête de sa chapelle. L'année suivante, il célébra huit mariages et quatre baptêmes. En 1922, au cours d'un voyage en Pologne, il entra en contact avec les Mariavites, alors en communion avec Utrecht, et alla saluer Mateczka à Plock peu avant sa mort. Mais il resta, pour l'instant, fidèle au vieux-catholicisme. En 1923, il assista à un synode à Utrecht ; l'année suivante, dans une déclaration au Sillon, organe vieux-catholique suisse de langue française, il déclara que tout allait bien. E. Gascoin, Les religions inconnues, Paris, Gallimard, 1928, p. 112, sous l'initiale transparente d'à abbé F... », représente Fatome comme un gallican convaincu, vieux mais fougueux. Le 15 avril 1935, il lança un bulletin, Le Catholique Français, dirigé par un ancien adepte de l'Action Française et tiré à quatre cents exemplaires. Il annonça l'envoi de trois étudiants au séminaire vieux-catholique d'Amersfoort, aux Pays-Bas, et il fut question de créer une paroisse à Rennes. En décembre de cette année-là, Fatome fêta ses trente ans de sacerdoce dans une cérémonie solennelle. Mais, en juin 1930, faute de ressources, Le Catholique Français fut obligé de cesser sa publication, et le Sillon assura le service des abonnés. Fatome rompit alors avec Utrecht et se rallia aux Mariavites. Une fois évêque de la secte, il prit le nom de Père Marc.

Félix Tulaba mourra sous le bombardement de son église, en disant la messe.

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fidèles voient une coïncidence céleste dans cette date, veille de l'anniversaire de la naissance de Mateczka. Ils voient aussi dans cette mort l'accomplissement d'une prophétie de la « Petite Mère », suivant laquelle le premier supérieur des Maria-vites subirait le martyre.

Kowalski a pour successeur Yardievêquesse Isabelle Wolucka, depuis longtemps unie à lui par les liens d'un mariage mystique. Une femme se trouve ainsi placée à la tête de la secte.

A la mort de Varchevêqwsse, en 1950, c'est Rafaël Wojciechowski qui est élu primat. Mais diverses circonstances retardent sa consécration épiscopale, qui est effectuée seulement le 25 novembre 1956, à la maison-mère de Pelicjanow, par Maas, évêque mariavite d'Allemagne. Le lendemain, il sacre lui-même son vicaire général Nathanaël Golacik. Tous deux sont encore aujourd'hui à la tête des Mariavites.

Après la guerre, un des compagnons de la première heure de Kowalski, Jacques Prochnîewski, consacre deux évêques polonais : Zygmund Szypold le 13 avril 1947, André Jalosinski le 7 janvier 1952. Il consacre aussi un Hongrois, Thomas Csernohorsky-Fehervary, le 11 novembre 1945.

Désormais les évêques étrangers vont être nombreux. Le 5 avril 1949, Fatome consacre, sous le nom de Frère Gaston, un comptable de Rennes, le Français Pierre Perrier, qui devient ainsi son coadjuteur sans droit de succession. Le 9 octobre de la même année, il consacre encore l'Allemand Helmut Norbert Maas, sous le nom de Frère Paul. Celui-ci, évêque d'Allemagne, a bientôt sa chapelle dans la République Démocratique, à Bischofwerda (Saxe), où il réside, dans la Karl Liebknechtstrasse ; les Mariavites possèdent également des lieux de culte en Allemagne fédérale, à Mannheim et à Cologne, où le prélat ordonne un prêtre de la secte le 19 mai 1955 (40).

Maas consacre, le 24 mai 1953, l'Italien Efrem Mauro Fusi, évêque d'Ita­lie, qui consacre à son tour, le 26 mai 1954, son compatriote Clémente Alfio Sgroi-Marchese, évêque de Sicile, et le 14 avril 1955 le Suisse Julien Erni (41). Maas consacre encore, le 9 août 1953, sous le nom de Frère Andréas, le Français Jean Prévost, de Nantes (qui, Fatome étant mort deux ans plus tôt et Perrier ayant abandonné le Mariaviti^me, devient ainsi évêque de France), et le 25 novembre 1956, comme on l'a dit, le Polonais Rafaël Wojciechowski.

Le 5 mai 1956, dans l'église américaine du Quai d'Orsay, à Paris, Prévost consacre le Français Robert J. Bonnet (42), qui est alors vicaire général pour le Maroc de ï'Old Catholic Churck of America et qui devient ainsi évêque de l'Afrique du Nord ; secondé par la Sœur Cécile Duvillard, il crée une mission pour les Musulmans. Prévost consacre encore, à Nantes, le 20 janvier 1957, sous le nom de Frère Jacques, le Belge Georges Niset, qui devient évêque de Belgique.

(40) Par la suite, la République fédérale décerne contre Maas un mandat d'arrêt (cf. Akid, août 1963).

(41) Celui-ci, après avoir fait ses études dans un séminaire catholique romain, est devenu pasteur de l'Eglise libre à Bienne. Il dirige une « Ligue Œcuménique pour l'Unité chrétienne », qui vise à unir toutes les Eglises épiscopales, mais qui, en fait, a seulement réussi à s'attacher nombre d'episcopi vagantes. Son travail pastoral est hautement prôné par d'honorables ecclé­ siastiques suisses (Bhandeeth, op. cit., p. 101). II a publié: en 1945, Je crois la sainte Eglise universelle ; en 1918, Les sacrements de l'Eglise universelle ; en 1940, Séminariste romain, Pasteur protestant, Pasteur œcuménique, qui constitue une autobiographie (Ivan de la Thibaudekik, Eglises et évêques catholiques non romains, Paris, 1962, p. 134).

(42) Bhandreth, op. cit., p. 100, prétend inexactement que c'est Perrier qui consacra Bonnet.

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l'église mariavite

En contre-partie des progrès — d'ailleurs bien modestes — que font les Mariavites à l'étranger, ils sont déchirés par un nouveau schisme intérieur, qui est le fait, à l'automne de 1946, de Barthélémy Przysiecki, évêque auxiliaire de Plock. Celui-ci, secondé par Zygmund Szypold, qui devient évêque de Wroclaw le 13 avril 1947, se met à la tête de la réforme dite de Plock et fusionne avec l'Eglise vieille-catholique des Mariavites, fondée avant la guerre par Philippe Feldman et vue d'un bon œil par Utrecht. Feldman lui-même, qui a collaboré avec les nazis, ne peut résider en Pologne ; il est prêtre vieux-catholique en Allemagne Fédérale, sous la juridiction de l'évêque vieux-catholique de Bonn. Après la mort de Przysiecki, c'est un évêque qu'il a consacré, Michel Sitek, qui devient le supérieur nominal de VEglise vieille-catholique des Mariavites. Mais, en fait, cet organisme est dirigé de loin par Feldman lui-même. A lui s'agrège, au moins pendant quelque temps, l'évêque Thomas Csernohorsky-Fehervary, qui prend le titre d'archevêque de Hongrie et se marie publiquement, revêtu de ses ornements pontificaux, avec une jeune fille de seize ans. Le 6 juin 1961, d'après Akid, bulletin d'information international vieux-catholique, rédigé en langue allemande, cette dissidence compterait 38.000 fidèles, trois évêques, 81 prêtres et 215 religieuses (43).

Un autre schisme, qui affecte un nombre bien moins grand de fidèles, se produit par la suite en Europe occidentale. A la fin de 1958, sur l'initiative de Prévost, évêque de France, et de quelques-uns de ses amis, l'Eglise Mariavite d'Europe occidentale est érigée en une obédience autonome. Prévost prend le titre d'archevêque, Supérieur Général de l'Eglise. Il est assisté d'un synode général des évêques mariavites d'Occident, dont il est lui-même le secrétaire.

Dans son organe La Vie Nouvelle (numéro de Noël 1958), il s'efforce de minimiser la portée de cette petite révolution :

« Cette nouvelle orientation, déclare-t-il, nécessitée par l'éloignement de la Maison-Mère (située en Pologne populaire) et aussi par les différences d'évolution (nous nous trouvons ici en pays de missions, alors que nous avons un nombre considérable de fidèles et d'importants couvents et églises en Europe Orientale), ne modifie en rien le Mariavitisme et ses enseignements, sauf en de rares points secondaires et uniquement disciplinaires. Le Synode des Evêques affirme à nouveau son obédience au Chef de l'Eglise, au bien-aimé Frère Rafaël, élu par toutes les Eglises mariavites du monde sur la Chaire Apostolique de la Nouvelle et Eternelle Alliance de Miséricorde et d'Amour ».

Cette nouvelle situation ne dure qu'une année. A la fin de 1959, sur la dénonciation de Niset, évêque de Belgique, le Saint-Siège mariavite dépose Pré­vost et le réduit à l'état laïque. Il désigne en même temps, comme recteur de la Mission Mariavite française, l'ancien secrétaire de Fatome, le Frère Michel Lagrue.

En 1962, Prévost fonde avec quelques amis l'Eglise Mariavite Chrétienne, dirigée par un synode ainsi composé : Eugène Vitry de Villegrande, de Tunis, archevêque-primat ; l'Anglais R.C. Bradley, vicaire général ; le Belge Georges Dupont-Degols, secrétaire général ; le Français Prévost, qui, avec Te titre de ministre général, s'occupe de l'administration de l'Eglise et du contrôle du synode ; l'Allemand Bruno Meier ; l'Italien Severino Zavagno, d'Udine, directeur de la revue Progredire ; le Cubain Fernandez Jane.

(48) Intermédiaire des chercheurs et des curieux, septembre 1961, col. 823, qui reproduit une lettre de l'abbé Bekkens, recteur de la mission vieille-catholique de France, du 10 juin précédent.

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

II faut souligner que la plupart des membres du synode n'ont pas la succes­sion mariavite. Mais le ministre général a l'intention de la leur conférer, en les consacrant sous condition, au fur et à mesure des circonstances favorables. Notons enfin que Dupont-Degols provient d'une Eglise gnostique.

Les Mariavîtes de stricte obédience ne manquent pas de souligner le nombre infime de fidèles qui ont suivi Prévost. Le 30 septembre 1963, une religieuse de Felicjanow, Sœur Beatrycze, m'écrit : « II est évident que Mgr Prévost, avec ses trois adhérents, ne peut d'aucune manière représenter une Eglise ».

Mais, outre ces dissidences collectives, les défections individuelles ont été nombreuses au sein du Mariavitisme. Nous avons déjà signalé celle de Perrier, qui, après la mort de Fatome et dans la chapelle de ce dernier, fonde à Nantes une minuscule Eglise Catholique Apostolique de France. Notons aussi celle de Bonnet, qui a d'ailleurs toujours appartenu beaucoup plus à YOld Catholic Church of America qu'au Mariavitisme ; celle de Fusi, d'un caractère très instable, qui a couru d'une obédience à l'autre et qui est finalement revenu au catholicisme romain ; celle de Sgroi-Marchese, devenu évêque de l'Eglise Orthodoxe Occidentale en Sicile.

Par contre, l'Eglise Mariavite peut toujours compter sur son union avec VOld Catholic Church of America, dont l'archevêque-primat, William Henry-Francis Brothers, est considéré comme le vicaire général pour l'Amérique de Rafaël Wojciechowski. Mais cette Eglise ne possède aux Etats-Unis que 6.274 membres (44), avec 22 lieux de culte (45). Elle publierait deux périodiques, The Old Catholic Beview et The Mariavite Beview (46). Signalons qu'on peut aussi rattacher à cette Eglise Albert A. Steer, évêque de Panama et de l'Amérique centrale (47).

***

L'Eglise Catholique des Mariavites, ou, plus longuement, la Sainte Eglise Catholique Apostolique de la Nouvelle et Éternelle Alliance de Miséricorde et d'Amour, doit graviter aujourd'hui autour de 50.000 fidèles (48). En Pologne, elle possède un bulletin, Krolestivo Boze Na Zierni. En langue française, elle a eu un périodique qui ne paraît plus, La Vie Nouvelle,, revue trimestrielle de la Pensée Mariavite en Europe Occidentale, dont la collection comprend huit numéros imprimés (le dernier est du 15 mars 1957) et cinq numéros ronéotypés posté­rieurs aux précédents (le dernier est daté de la Noël 1958).

Pour réaliser le rétablissement des traditions apostoliques, elle a mis en vigueur diverses mesures :

La célébration de la messe et l'administration des sacrements se font dans la langue maternelle des fidèles.

La communion eucharistique a lieu sous les deux espèces du pain et du vin, en vertu de la lettre pastorale des évêques mariavites du 18 mai 1922.

(44) Ivan de La Thibauderie, op. cit., p. 54.

(45) The World Almanac 1962 and Book of Facts, p. 706.

(46) Ivan de La Tiiibauderik, op. cit., p. 54.

(47) Bhandreth, op. cit., p. 110.

(48) C'est le chiffe que donnent Ivan de La Thibauderie, op. cit., p. 55, et le Dizionario ecclesiastico, t. VIII, p. 154, sans préciser d'ailleurs s'ils englobent aussi dans ce total l'Eglise vieille-catholique des Mariavites. En 1948, le Père Bruno de Jésus-Marie, qui ne précisait pas davantage, assignait au Mariavitisme 100.000 membres ( Satan, p. 426),

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L'ÉGLISE MARIAV1TE

La confession auriculaire n'est plus obligatoire. La seule condition du retour au Christ, c'est « la vraie contrition et le don total de la vie à Jésus » (49).

Le célibat ecclésiastique n'est pas obligatoire pour les prêtres séculiers.

Sont rejetés, comme contraires à l'esprit chrétien et aux enseignements du Christ : la primauté et l'infaillibilité du Pape ; les honoraires de messes ; les indulgences ; la prétention au monopole exclusif de la parole de Dieu.

Le dernier point dénote à tout le moins une certaine tendance œcuménique. De fait, l'Eglise Maria vite adhère à la « Ligue œcuménique pour l'Unité chré­tienne », fondée par le pasteur Julien Erni, dont nous avons parlé plus haut. Elle fait également partie de l'« Union des Eglises du Christ », dont le siège est à Pittsburg (Etats-Unis), ainsi que de l'« Alliance religieuse universelle » et du « Parlement mondial des religions », dont le siège est à Paris. Le représentant des Mariavites tant qu'il a été évêque de France, Prévost, était membre du Comité d'honneur du « Parlement ». L'« Alliance » est présidée par le prince Schernrezig-Lind, qui réside à la Havane (Cuba). Le rapport de la vingt-cinquième Grande Assemblée, tenue à Rangoon en Birmanie, en avril 1955, fait état de 295 Eglises, sociétés religieuses ou ordres adhérant à l'« Alliance ».

Les Mariavites ont créé eux-mêmes l'« Union Œcuménique pour le Ministère Religieux de la Femme, ouverte à tous ceux qui désirent faire reconnaître à la femme ses droits religieux et promouvoir sa réhabilitation dans les Eglises ». La vice-présidente de cet organisme, qui semble aujourd'hui avoir abandonné la secte, a été, pendant un temps, la Sœur Cécile Duvillard, diaconesse qui organisait des causeries dans le centre de Paris.

Les Mariavites ont fondé également la « Communion Universelle Eucharistique et Mariale, union des Eglises catholiques en harmonie spirituelle dans un but de prières et d'édification ». La Vie Nouvelle précise à son sujet «que la Communion n'est pas une organisation œcuménique, mais une union spirituelle, qu'elle ne présume entre ses membres aucune sujétion juridictionnelle. La Communion a pour mission de susciter des ' croisades de prières ', des mouvements d'unité spirituelle et de propager par dessus tout le Culte du Très Saint Sacrement de 1 Eucharistie et la vénération de la Très Sainte Vierge Marie (ceci sans spécifica­tion doctrinale) ».

La secte possède l'« Académie Chrétienne de Théologie », qui a succédé à l'« Académie Internationale des Mariavites », et un Ordre de chevalerie, dit de la Nouvelle Jérusalem.

Certaines confréries et congrégations sont calquées sur celles qui existent

dans l'Eglise romaine. Citons : la confrérie de l'Enfant-Jésus pour lès enfants ; la congrégation sacerdotale de Jésus et de Marie, dont le patron est saint François d'Assise et qui s'engage à prier pour ses membres défunts. Les vêtements liturgiques sont occidentaux.

Les Mariavites ont gardé la plus grande partie des fêtes de l'Eglise romaine, même les plus récentes. Par exemple, le 22 août — jour octave de l'Assomption —, ils célèbrent la fête du Cœur Immaculé de Marie, qui n'a été décrétée par Rome que le 4 mai 1944. Naturellement le Propre mariavite comprend aussi un certain nombre de fêtes particulières, dont nous avons dressé la liste :

18 avril : Fête du Royaume de Dieu sur la terre (lre classe), à Poocasion de l'anniversaire de l'excommunication de Mateczka en 1906.

(49) II est inexact d'écrire, comme le fait le LHzionario eccksiastico, t. VIII, p. 154, que les Mariavites «ont repoussé le sacrement de pénitence».

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les

ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

27 mai : Nativité de Mateczka (messe propre de Mateczka).

13 juin: Fête du Triomphe de l'Œuvre de la Miséricorde (2e classe).

23 juin : Notre-Dame du Perpétuel Secours (messe à l'intention des Eglises de la

Communion Universelle Eucharistique et Mariale). 2 août : Pète de la Révélation de l'Œuvre de Miséricorde (anniversaire des

révélations du Christ à Mateczka). 6 août : Fête du Transfert du Saint-Siège Apostolique à Felicjanow (anniversaire

de la nomination de Kowalski comme ministre général des Mariavites). 23 août : Solennité de l'Immolation Propitiatoire de Mateczka (anniversaire

de sa mort). 81 août : Fête de la Cessation des Outrages au Très Saint Sacrement (50).

Les Mariavites ont célébré en 1962 l'année jubilaire du centenaire de la naissance de Mateczka. Il y eut, à cette occasion, pour la Pentecôte, de grandes solennités à Felicjanow. Le recteur de la Mission française, Michel Lagrue, y participa.

* *

Pour les Mariavites, de même que jadis pour Montan et Joachim de Flore, le Saint-Esprit, annonciateur des derniers temps, viendra bientôt dans le monde, comme l'a prédit saint Jean (XVI, 13). Il renouvellera la face de la terre. De même que le Père a régné jusqu'à l'Incarnation du Verbe, et le Fils jusqu'à notre époque, l'Esprit Saint gouvernera jusqu'à la consommation des siècles. Ce sera le Troi­sième Règne, le règne de la Miséricorde.

Cette croyance a été aussi celle de Vintras et des Mélanistes de la Salette, en particulier de Léon Bloy (51). L'Œuvre mariavite de la Grande Miséricorde rappelle étrangement, et non pas seulement dans son titre, l'Œuvre de Miséri­corde du prophète de Tilly. Les fidèles inscrits au Livre de vie seront infailliblement sauvés, de même que les Apôtres des derniers temps de Mélanie Calvat.

La filiation du Vintrasisme n'est pourtant pas admise par les Mariavites de Pologne. M. Prévost m'a affirmé que le prophète normand était totalement inconnu d'eux et que c'est lui-même qui leur a signalé son existence. Mais de même Léon Bloy, alors qu'un journaliste lyonnais voyait en lui un disciple de Vintras, repoussait cette imputation avec « horreur » (52).

Le culte du Sacré Cœur, « dévotion des derniers temps », est en liaison étroite avec le règne du Saint-Esprit. Un disciple de Vintras, l'abbé Charvoz, écrivait déjà en 1846 : « ...La dévotion au Sacré Cœur..., n'est-ce point là un signe non équivoque de ce règne du Saint-Esprit, qui doit régner lorsque le Cœur Sacré, foyer d'amour, répandra l'incendie qui le consume sur le monde entier ? » (53).

De son côté, la Vierge est liée de très près au Sacré Cœur (54). Elle est, d'autre part, comme mère, l'une des incarnations du Saint-Esprit. Déjà, pour Léon Bloy, elle n'est pas seulement « le Règne du Père » (55) et l'épouse du Christ (56) :

(50) Vie Nouvelle du 15 mars 1957 et d'octobre 1957.

(51) Marie-Joseph Lory, La pensée religieuse de Léon Bloy, Desclée de Brouwer, 1951, p. 184-185.

(52) Léon Bloy, Le Mendiant Ingrat, t. I, p. 147 et 153.

(53) Les Prisons d'un prophète actuel poursuivi par tous les pouvoirs, par M. La Pabaz, Caen, Imprimerie de Ch. Woinez, 1846, p. 264-265.

(54) Cf. Léon Bloy, Celle qui pleure, Paris, Victorion, 1905, p. 51 et 53.

(55) Ibid.t p. 54.

(56) Ibid., p. 118 et 183.

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L'ÉGLISE MARIAVITE

« entre la Vierge et 3e Saint-Esprit, il y a une telle affinité qu'on peut humaine­ment les confondre » (57). De fait, l'un des Mélanistes les plus ardents, Henry Grémillon — plus connu sous le pseudonyme de Docteur Mariavé — finira pas assimiler entièrement au Saint-Esprit la Vierge apparue à la Salette (58). De même, l'Eglise Maria vite a pour Marie un véritable culte de latrie et la vénère comme corédemptrice.

II est également significatif que les Mariavites de France soient en excellentes relations avec le mouvement hétérodoxe du Père Michel Collin (59), qui propage la dévotion au Cœur de saint Joseph — comme l'avait déjà fait Vintras — et qui a promulgué le 31 mai 1962 le dogme de Marie Corédemptrice.

On peut essayer de comprendre l'extrême vénération des Mariavites pour Mateczka en se rappelant combien les Salettistes ont exalté la sainteté de Mélanie Calvat, elle aussi porteuse d'un message divin, préparant les voies à l'avènement du Saint-Esprit. Léon Bloy n'hésite pas à appliquer à la bergère les paroles mêmes du Magnificat (60).

Certains saints sont particulièrement chers à tous ces hétérodoxes. Tel Louis-Marie Grignion de Montfort, dont l'abbé Charvoz exalta la «dévotion fervente envers le Sacré Cœur et la Vierge immaculée » (61), dont Léon Bloy lisait assidûment les œuvres (62), et dont les Mariavites adoptent la devise : « A Jésus par Marie ».

s accomt

Soulignons enfin combien les tendances millénaristes de l'Eglise Mariavite compagnent bien d'un messianisme issu des traditions polonaises, comme l'a amplement montré l'archevêque Kowalski dans ses Fondements. Par ce fait même, il ne s'agit guère d'un article d'exportation : l'expansion du Mariavitisme dans le monde a été bien faible jusqu'à aujourd'hui, et il ne semble pas qu'il doive en être autrement dans l'avenir.

Emile Appolis Collège Littéraire Universitaire de Pau

(57) Rapporté par Loby, op. cit., p. 184.

(58) Cf, VEcho de kt Grande Nouvelle, passim.

(59) Sur ce mouvement, cf. Emile Appolis, « En marge du catholicisme contemporain : Millénaristes, Cordiphores et Naundorffistes autour du « Secret » de la Salette », dans Archives de Sociologie des Religions, 14, 1962, p. 117 et 120, en notes.

(60} Léon Bloy, Vie de Mélanie, Bergère de la Salette, écrite par elle-même en 1900. (Son enfance, 1831-1846), 1911, p. xl.

(91) Les Prisons d'un prophète actuel, p. 264. (62) Léon Bloy, Celte qui pleure, p. 38 et 188.

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