septembre 07, 2013

Une mise en garde à l'encontre de la théologie de la libération face à son retour en grâce avec le Päpe de Rome.



S. CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI
 
INSTRUCTION
LIBERTATIS NUNTIUS
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA
« THEOLOGIE DE LA LIBERATION »

Avant-propos
L'Évangile de Jésus-Christ est un message de liberté et une force de libération. Cette vérité essentielle a fait l'objet ces dernières années de la réflexion des théologiens, dans une attention nouvelle qui est par elle-même riche de promesses.
La libération est d'abord et principalement libération de la servitude radicale du péché. Son but et son terme est la liberté des enfants de Dieu, don de la grâce. Elle appelle, par une suite logique, la libération de multiples servitudes d'ordre culturel, économique, social et politique, qui dérivent toutes, en définitive, du péché, et qui constituent autant d'obstacles empêchant les hommes de vivre conformément à leur dignité. Discerner clairement ce qui est fondamental et ce qui appartient aux conséquences est ainsi une condition indispensable d'une réflexion théologique sur la libération.
En effet, devant l'urgence des problèmes, certains sont tentés de mettre l'accent d'une manière unilatérale sur la libération des servitudes d'ordre terrestre et temporel, de telle sorte qu'ils semblent faire passer au second plan la libération du péché, et par là ne plus lui attribuer pratiquement l'importance première qui est la sienne. La présentation qu'ils proposent des problèmes est ainsi confuse et ambiguë. D'autres, dans l'intention d'acquérir une connaissance plus exacte des causes des servitudes qu'ils veulent supprimer, se servent, sans précaution critique suffisante, d'instruments de pensée qu'il est difficile, voire impossible, de purifier d'une inspiration idéologique incompatible avec la foi chrétienne et avec les exigences éthiques qui en découlent.
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi n'entend pas traiter ici pour lui-même le vaste thème de la liberté chrétienne et de la libération. Elle se propose de le faire dans un document ultérieur qui en mettra en évidence, d'une façon positive, toutes les richesses tant pour la doctrine que pour la pratique.
La présente Instruction a un but plus précis et plus limité: elle entend attirer l'attention des pasteurs, des théologiens et de tous les fidèles, sur les déviations et les risques de déviation, ruineux pour la foi et pour la vie chrétienne, que comportent certaines formes de théologie de la libération qui recourent, d'une manière insuffisamment critique, à des concepts empruntés à divers courants de la pensée marxiste.
Cette mise en garde ne doit d'aucune façon être interprétée comme un désaveu de tous ceux qui veulent répondre généreusement et dans un authentique esprit évangélique à « l'option préférentielle pour les pauvres ». Elle ne saurait nullement servir de prétexte à ceux qui se retranchent dans une attitude de neutralité et d'indifférence devant les problèmes tragiques et pressants de la misère et de l'injustice. Elle est, au contraire, dictée par la certitude que les graves dérives idéologiques qu'elle signale aboutissent inéluctablement à trahir la cause des pauvres. Plus que jamais, il convient que des chrétiens nombreux, dont la foi soit éclairée et qui soient résolus à vivre la vie chrétienne dans son intégralité, s'engagent, par amour pour leurs frères déshérités, opprimés ou persécutés, dans la lutte pour la justice, la liberté et la dignité humaine. Plus que jamais, l'Église entend condamner les abus, les injustices et les atteintes à la liberté, où que ce soit et quels qu'en soient les auteurs, et lutter, par les moyens qui lui sont propres, pour la défense et la promotion des droits de l'homme, spécialement dans la personne des pauvres.

I - Une aspiration
1. La puissante et quasi irrésistible aspiration des peuples à une libération constitue un des principaux signes des temps que l'Église doit scruter et interpréter à la lumière de l'Évangile [1]. Ce phénomène majeur de notre époque a une ampleur universelle, mais il se manifeste sous des formes et des degrés différents selon les peuples. C'est surtout dans les peuples qui connaissent le poids de la misère et au sein des couches déshéritées que cette aspiration s'exprime avec force.
2. Cette aspiration traduit la perception authentique, bien qu'obscure, de la dignité de l'homme, créé « à l'image et ressemblance de Dieu » (Gen 1, 26-27), bafouée et méprisée par de multiples oppressions, culturelles, politiques, raciales, sociales et économiques, souvent cumulées.
3. En leur révélant leur vocation de fils de Dieu, l'Évangile a suscité dans le cœur des hommes l'exigence et la volonté positive d'une vie fraternelle, juste et pacifique, dans laquelle chacun trouvera le respect et les conditions de son épanouissement spirituel et matériel. Cette exigence est sans doute à la source de l'aspiration dont nous parlons.
4. En conséquence, l'homme n'entend plus subir passivement l'écrasement de la misère avec ses séquelles de mort, de maladies et de déchéances. Il ressent cette misère comme une intolérable violation de sa dignité native. Plusieurs facteurs, parmi lesquels il faut compter le levain évangélique, ont contribué à l'éveil de la conscience des opprimés.
5. On n'ignore plus, même dans les secteurs encore analphabètes de la population, que, grâce au prodigieux essor des sciences et des techniques, l'humanité en constante croissance démographique serait capable d'assurer à chaque être humain le minimum de biens requis par sa dignité de personne.
6. Le scandale de criantes inégalités entre riches et pauvres, – qu'il s'agisse des inégalités entre pays riches et pays pauvres ou des inégalités entre couches sociales à l'intérieur d'un même territoire national –, n'est plus toléré. D'un côté, on a atteint une abondance, jamais vue jusqu'ici, qui favorise le gaspillage, de l'autre on vit encore dans un état d'indigence marqué par la privation des biens de stricte nécessité de sorte qu'on ne compte plus le nombre des victimes de la malnutrition.
7. L'absence d'équité et de sens de la solidarité dans les échanges internationaux tourne à l'avantage des pays industrialisés, de sorte que l'écart entre riches et pauvres ne cesse de se creuser. De là, le sentiment de frustration, chez les peuples du tiers-monde, et l'accusation d'exploitation et de colonialisme économique portée contre les pays industrialisés.
8. La mémoire des méfaits d'un certain colonialisme et de ses séquelles nourrit souvent des blessures et des traumatismes.
9. Le Siège Apostolique, dans la ligne du Concile Vatican II, ainsi que les Conférences Épiscopales n'ont cessé de dénoncer le scandale que constitue la course gigantesque aux armements qui, à côté des menaces qu'elle fait peser contre la paix, accapare des sommes énormes dont une partie seulement suffirait pour répondre aux besoins les plus urgents des populations privées du nécessaire.

II - Expressions de cette aspiration
1. L'aspiration à la justice et à la reconnaissance effective de la dignité de chaque être humain requiert, comme toute aspiration profonde, d'être éclairée et guidée.
2. En effet, le discernement doit s'exercer à l'égard des expressions, théoriques et pratiques, de cette aspiration. Car nombreux sont les mouvements politiques et sociaux qui se donnent comme les porte-parole authentiques de l'aspiration des pauvres, et comme habilités, fût-ce par le recours aux moyens violents, à opérer les changements radicaux qui mettront fin à l'oppression et à la misère du peuple
3. Ainsi souvent l'aspiration à la justice se trouve captée par des idéologies qui en occultent ou en pervertissent le sens, proposant à la lutte des peuples pour leur libération des buts qui sont opposés à la vraie finalité de la vie humaine, et prônant des voies d'action impliquant le recours systématique à la violence, contraires à une éthique respectueuse des personnes.
4. L'interprétation des signes des temps à la lumière de l'Évangile exige donc que l'on scrute le sens de l'aspiration profonde des peuples à la justice mais également qu'on examine, avec un discernement critique, les expressions, théoriques et pratiques, qui sont données de cette aspiration.

III - La libération, thème chrétien
1. Prise en elle-même, l'aspiration à la libération ne peut pas ne pas trouver un large et fraternel écho dans le cœur et dans l'esprit des chrétiens.
2. Ainsi en consonance avec cette aspiration est né le mouvement théologique et pastoral connu sous le nom de « théologie de la libération », d'abord dans les pays d'Amérique Latine, marqués par l'héritage religieux et culturel du christianisme, ensuite dans d'autres régions du tiers-monde, comme aussi dans certains milieux des pays industrialisés.
3. L'expression « théologie de la libération » désigne d'abord une préoccupation privilégiée, génératrice d'engagement pour la justice, portée aux pauvres et aux victimes de l'oppression. A partir de cette approche, on peut distinguer plusieurs manières, souvent inconciliables, de concevoir la signification chrétienne de la pauvreté et le type d'engagement pour la justice qu'elle requiert. Comme tout mouvement d'idées, les « théologies de la libération » recouvrent des positions théologiques diverses; ses frontières doctrinales sont mal définies.
4. L'aspiration à la libération, comme le terme lui-même le suggère, rejoint un thème fondamental de l'Ancien et du Nouveau Testament. Aussi bien, prise en elle-même, l'expression « théologie de la libération » est une expression pleinement valable: elle désigne alors une réflexion théologique centrée sur le thème biblique de la libération et de la liberté et sur l'urgence de ses incidences pratiques. La rencontre de l'aspiration à la libération et des théologies de la libération n'est donc pas fortuite. La signification de cette rencontre ne peut être correctement comprise qu'à la lumière de la spécificité du message de la Révélation, authentiquement interprété par le Magistère de l'Eglise [2].
IV - Fondements bibliques
1. Ainsi une théologie de la libération correctement entendue constitue-t-elle une invitation aux théologiens à approfondir certains thèmes bibliques essentiels, dans la préoccupation des questions graves et urgentes que posent à l'Église l'aspiration contemporaine à la libération ainsi que les mouvements de libération qui lui font, plus ou moins fidèlement, écho. Il n'est pas possible d'oublier un seul instant les situations de détresse dramatique d'où jaillit l'interpellation ainsi lancée aux théologiens.
2. L'expérience radicale de la liberté chrétienne [3] constitue ici le premier point de référence. Le Christ, notre Libérateur, nous a libérés du péché, et de la servitude de la loi et de la chair, qui est la marque de la condition de l'homme pécheur. C'est donc la vie nouvelle de grâce, fruit de la justification, qui nous constitue libres. Cela signifie que la servitude la plus radicale est la servitude du péché. Les autres formes de servitude trouvent donc dans la servitude du péché leur ultime racine. C'est pourquoi la liberté au sens chrétien plénier, caractérisée par la vie dans l'Esprit, ne saurait être confondue avec la licence de céder aux désirs de la chair. Elle est vie nouvelle dans la charité.
3. Les « théologies de la libération » font largement état du récit de l’Exode. Celui-ci constitue, en effet, l'événement fondamental dans la formation du peuple élu. Il est la libération de la domination étrangère et de la servitude. On retiendra que la signification spécifique de l'événement lui vient de sa finalité, car cette libération est ordonnée à la fondation du peuple de Dieu et au culte de l'Alliance célébré au Mont Sinai [4]. C'est pourquoi la libération de l'Exode ne peut être ramenée à une libération de nature principalement et exclusivement politique. Il est d'ailleurs significatif que le terme de libération soit parfois remplacé dans l'Écriture par celui, très proche, de rédemption.
4. L'épisode fondateur de l'Exode ne sera jamais effacé de la mémoire d'Israël. C'est à lui qu'on se réfère quand, après la ruine de Jérusalem et l'Exil à Babylone, on vit dans l'espérance d'une nouvelle libération et, au-delà, dans l'attente d'une libération définitive. Dans cette expérience, Dieu est reconnu comme le Libérateur. Il conclura avec son peuple une Nouvelle Alliance, marquée par le don de son Esprit et la conversion des cœurs [5].
5. Les angoisses et détresses multiples éprouvées par l'homme fidèle au Dieu de l'Alliance fournissent le thème de plusieurs psaumes: plaintes, appels au secours, actions de grâces font mention du salut religieux et de la libération. Dans ce contexte, la détresse n'est pas purement et simplement identifiée à une condition sociale de misère ou à celle de qui subit l'oppression politique. Elle enveloppe encore l'hostilité des ennemis, l'injustice, la mort, la faute. Les psaumes nous renvoient à une expérience religieuse essentielle: c'est de Dieu seul qu'on attend le salut et le remède. Dieu, et non pas l'homme, a pouvoir de changer les situations de détresse. Ainsi les « pauvres du Seigneur » vivent dans une dépendance totale et confiante dans la providence aimante de Dieu [6]. Et d'ailleurs, durant toute la traversée du désert, le Seigneur n'a cessé de pourvoir à la libération et à la purification spirituelles de son peuple.
6. Dans l'Ancien Testament, les prophètes, après Amos, ne cessent de rappeler, avec une singulière vigueur, les exigences de la justice et de la solidarité et de porter un jugement extrêmement sévère sur les riches qui oppriment les pauvres. Ils prennent la défense de la veuve et de l'orphelin. Ils profèrent des menaces contre les puissants: l'accumulation des iniquités ne peut que conduire à de terribles châtiments. C'est que la fidélité à l'Alliance ne se conçoit pas sans la pratique de la justice. La justice à l'égard de Dieu et la justice à l'égard des hommes sont inséparables. Dieu est le défenseur et le libérateur du pauvre.
7. De telles exigences se retrouvent dans le Nouveau Testament. Elles y sont même radicalisées, comme le montre le discours sur les Béatitudes. La conversion et le renouvellement doivent s'opérer dans le tréfonds du cœur.
8. Déjà annoncé dans l'Ancien Testament, le commandement de l'amour fraternel étendu à tous les hommes fournit ainsi la règle suprême de la vie sociale [7]. Il n'y a pas de discriminations ou de limites qui puissent s'opposer à la reconnaissance de tout homme comme le prochain [8].
9. La pauvreté pour le Royaume est magnifiée. Et dans la figure du Pauvre, nous sommes conduits à reconnaître l'image et comme la présence mystérieuse du Fils de Dieu qui s'est fait pauvre par amour pour nous [9].
Tel est le fondement des paroles inépuisables de Jésus sur le Jugement en Mt 25, 31-46. Notre Seigneur est solidaire de toute détresse; toute détresse est marquée de sa présence.
10. Simultanément, les exigences de la justice et de la miséricorde, déjà énoncées dans l'Ancien Testament, sont approfondies au point de revêtir dans le Nouveau Testament une signification nouvelle. Ceux qui souffrent ou qui sont persécutés sont identifiés au Christ [10]. La perfection que Jésus demande à ses disciples (Mt 5, 18) consiste dans le devoir d'être miséricordieux « comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 36).
11. C'est à la lumière de la vocation chrétienne à l'amour fraternel et à la miséricorde que les riches sont sévèrement rappelés à leur devoir [11]. Saint Paul, devant les désordres de l'Eglise de Corinthe, souligne avec force le lien qui existe entre la participation au sacrement de l'amour et le partage avec le frère qui est dans le besoin [12].
12. La Révélation du Nouveau Testament nous apprend que le péché est le mal le plus profond, qui atteint l'homme au cœur de sa personnalité. La première libération, référence de toutes les autres, est celle du péché.
13. C'est sans doute pour marquer le caractère radical de l'affranchissement apporté par le Christ, offert à tous les hommes, qu'ils soient politiquement libres ou esclaves, que le Nouveau Testament n'exige pas d'abord, comme présupposé à l'entrée dans cette liberté, un changement de condition politique et sociale. Cependant, la Lettre à Philémon montre que la nouvelle liberté, apportée par la grâce du Christ, doit nécessairement avoir des répercussions sur le plan social.
14. On ne saurait en conséquence restreindre le champ du péché, dont le premier effet est d'introduire le désordre dans la relation entre l'homme et Dieu, à ce qu'on appelle le « péché social ». A vrai dire, seule une juste doctrine du péché permet d'insister sur la gravité de ses effets sociaux.
15. On ne saurait non plus localiser le mal principalement et uniquement dans les « structures » économiques, sociales ou politiques mauvaises, comme si tous les autres maux découlaient comme de leur cause de ces structures, de sorte que la création d'un « homme nouveau » dépendrait de l'instauration de structures économiques et socio-politiques différentes. Certes, il y a des structures iniques et génératrices d'iniquités, qu'il faut avoir le courage de changer. Fruit de l'action de l'homme, les structures, bonnes ou mauvaises, sont des conséquences avant d'être des causes. La racine du mal réside donc dans les personnes libres et responsables, qui doivent être converties par la grâce de Jésus-Christ, pour vivre et agir en créatures nouvelles, dans l'amour du prochain, la recherche efficace de la justice, de la maîtrise de soi et de l'exercice des vertus [13].
En posant comme premier impératif la révolution radicale des rapports sociaux et en critiquant, à partir de là, la recherche de la perfection personnelle, on s'engage sur le chemin de la négation du sens de la personne et de sa transcendance, et on ruine l'éthique et son fondement qui est le caractère absolu de la distinction du bien et du mal. D'ailleurs, la charité étant le principe de l'authentique perfection, cette dernière ne peut pas se concevoir sans ouverture à autrui et esprit de service.

V - La voix du Magistère
1. A de nombreuses reprises, pour répondre au défi lancé à notre époque par l'oppression et par la faim, le Magistère de l'Église, soucieux de susciter le réveil des consciences chrétiennes au sens de la justice, de la responsabilité sociale et de la solidarité avec les pauvres et les opprimés, a rappelé l'actualité et l'urgence de la doctrine et des impératifs contenus dans la Révélation.
2. Contentons-nous ici de mentionner quelques-unes de ces interventions: les actes pontificaux les plus récents, Mater et Magistra et Pacem in terris, Populorum progressio, Evangelii Nuntiandi. Mentionnons également la lettre au Cardinal Roy, Octogesima Adveniens.
3. Le Concile Vatican II à son tour a abordé les questions de la justice et de la liberté dans la constitution pastorale Gaudium et spes.
4. Le Saint-Père a insisté à plusieurs reprises sur ces thèmes, notamment dans les encycliques Redemptor hominis, Dives in Misericordia et Laborem Exercens. Les nombreuses interventions rappelant la doctrine des droits de l'homme touchent directement aux problèmes de la libération de la personne humaine à l'égard des divers types d'oppression dont elle est victime. Il faut mentionner spécialement à ce propos le Discours prononcé devant la XXXVIe Assemblée générale de l'O.N.U. à New York, le 2 octobre 1979 [14]. Le 28 janvier de la même année, Jean-Paul II, ouvrant la 3ème Conférence du CELAM à Puebla, avait rappelé que la vérité complète sur l'homme est la base de la vraie libération [15]. Ce texte constitue un document de référence directe pour la théologie de la libération.
5. Par deux fois, en 1971 et 1974, le Synode des Évêques a abordé des thèmes qui touchent directement à une conception chrétienne de la libération: celui de la justice dans le monde et celui de la relation entre la libération des oppressions et la libération intégrale ou le salut de l'homme. Les travaux des Synodes de 1971 et de 1974 ont conduit Paul VI à préciser dans l'exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi les liens entre l'évangélisation et la libération ou promotion humaine [16].
6. Le souci de l'Eglise pour la libération et pour la promotion humaine s'est aussi traduit par la constitution de la Commission Pontificale Justice et Paix.
7. Nombreux sont les épiscopats qui, en accord avec le Saint-Siège, ont eux aussi rappelé l'urgence et les voies d'une authentique libération humaine. Dans ce contexte, il convient de faire une mention spéciale des documents des Conférences générales de l'épiscopat latino-américain à Medellin en 1968 et à Puebla en 1979. Paul VI était présent à l'ouverture de Medellin, Jean-Paul II à celle de Puebla. L'un et l'autre y ont abordé le thème de la conversion et de la libération.
8. A la suite de Paul VI, insistant sur la spécificité du message de l'Évangile [17], spécificité qui tient à son origine divine, Jean-Paul II, dans le discours de Puebla, a rappelé quels sont les trois piliers sur lesquels doit reposer toute théologie de la libération authentique: vérité sur Jésus-Christ, vérité sur l'Église, vérité sur l'homme [18].
VI - Une nouvelle interprétation du christianisme
1. On ne saurait oublier la somme immense de labeur désintéressé dépensé par des chrétiens, pasteurs, prêtres, religieux ou laïcs, qui, pressés par l'amour de leurs frères vivant dans des conditions inhumaines, s'efforcent d'apporter aide et soulagement aux innombrables détresses qui sont le fruit de la misère. Parmi eux, certains se préoccupent de trouver des moyens efficaces qui permettraient de mettre fin au plus vite à une situation intolérable.
2. Le zèle et la compassion qui doivent habiter le cœur de tous les pasteurs risquent cependant d'être dévoyés et détournés vers des entreprises aussi ruineuses pour l'homme et sa dignité que la misère que l'on combat, si l'on ne se montre pas suffisamment attentif à certaines tentations.
3. Le sentiment angoissant de l'urgence des problèmes ne doit pas faire perdre de vue l'essentiel ni faire oublier la réponse de Jésus au Tentateur (Mt 4, 4): « Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu » (Dt 8, 3). Ainsi certains sont tentés, devant l'urgence du partage du pain, de mettre entre parenthèses et de remettre à demain l'évangélisation: d'abord le pain, la Parole pour plus tard. C'est une erreur mortelle que de séparer, voire d'opposer les deux. D'ailleurs, le sens chrétien suggère spontanément à beaucoup de faire l'un et l'autre [19].
4. A certains, il semble même que la lutte nécessaire pour la justice et la liberté humaines, entendues dans leur sens économique et politique, constitue l'essentiel et le tout du salut. Pour ceux-ci, l'Évangile se réduit à un évangile purement terrestre.
5. C'est par rapport à l’option préférentielle pour les pauvres réaffirmée avec force et sans ambiguïtés, après Medellin, à la Conférence de Puebla [20] d'une part, et la tentation de réduire l'Évangile du salut à un évangile terrestre d'autre part, que se situent les diverses théologies de la libération.
6 Rappelons que l'option préférentielle définie à Puebla est double: pour les pauvres et pour les jeunes [21]. Il est significatif que l'option pour la jeunesse soit en général totalement passée sous silence.
7. Nous avons dit plus haut (cf. IV, 3) qu'il y a une authentique « théologie de la libération », celle qui est enracinée dans la Parole de Dieu, dûment interprétée.
8. Mais d'un point de vue descriptif, il convient de parler des théologies de la libération, car l'expression recouvre des positions théologiques, ou parfois même idéologiques, non seulement différentes, mais encore souvent incompatibles entre elles.
9. Dans le présent document, il ne sera question que des productions de ce courant de pensée qui, sous le nom de « théologie de la libération », proposent du contenu de la foi et de l'existence chrétienne une interprétation novatrice qui s'écarte gravement de la foi de l'Église, bien plus, qui en constitue la négation pratique.
10. Des emprunts non critiqués à l'idéologie marxiste et le recours aux thèses d'une herméneutique biblique marquée par le rationalisme sont à la racine de la nouvelle interprétation, qui vient corrompre ce qu'avait d'authentique le généreux engagement initial en faveur des pauvres.

VII - L'analyse marxiste
1. L'impatience et une volonté d'efficacité ont conduit certains chrétiens, désespérant de toute autre méthode, à se tourner vers ce qu'ils appellent « l'analyse marxiste ».
2. Leur raisonnement est le suivant: une situation intolérable et explosive exige une action efficace qui ne peut plus attendre. Une action efficace suppose une analyse scientifique des causes structurelles de la misère. Or le marxisme a mis au point les instruments d'une telle analyse. Il suffit donc de les appliquer à la situation du tiers-monde, et spécialement à celle de l'Amérique Latine.
3. Que la connaissance scientifique de la situation et des voies possibles de transformation sociale soit le présupposé d'une action capable d'atteindre les buts qu'on s'est fixés, cela est évident. Il y a là une marque du sérieux de l'engagement.
4. Mais le terme de « scientifique » exerce une fascination quasi mythique, et tout ce qui porte l'étiquette de scientifique n'est pas réellement scientifique pour autant. C'est pourquoi l'emprunt d'une méthode d'approche de la réalité doit être précédé d'un examen critique de nature épistémologique. Ce préalable examen critique fait défaut à plus d'une « théologie de la libération ».
5. Dans les sciences humaines et sociales, il convient avant tout d'être attentif à la pluralité des méthodes et des points de vue, dont chacun ne met en évidence qu'un aspect d'une réalité qui, en vertu de sa complexité, échappe à l'explication unitaire et univoque.
6. Dans le cas du marxisme, tel qu'en l'occurrence on entend l'utiliser, la critique préalable s'impose d'autant plus que la pensée de Marx constitue une conception totalisante du monde dans laquelle de nombreuses données d'observation et d'analyse descriptive sont intégrées dans une structure philosophico-idéologique, qui commande la signification et l'importance relative qu'on leur reconnaît. Les a priori idéologiques sont présupposés à la lecture de la réalité sociale. Ainsi, la dissociation des éléments hétérogènes qui composent cet amalgame épistémologiquement hybride devient impossible, de sorte qu'en croyant n'accepter que ce qui se présente comme une analyse, on est entraîné à accepter en même temps l'idéologie. C'est pourquoi il n'est pas rare que ce soient les aspects idéologiques qui prédominent dans les emprunts que nombre de « théologiens de la libération » font à des auteurs marxistes.
7. La mise en garde de Paul VI demeure aujourd'hui pleinement actuelle: à travers le marxisme, tel qu'il est concrètement vécu, on peut distinguer divers aspects et diverses questions posées aux chrétiens pour la réflexion et pour l'action. Cependant « il serait illusoire et dangereux d'en arriver à oublier le lien intime qui les unit radicalement, d'accepter les éléments de l'analyse marxiste sans reconnaître leurs rapports avec l'idéologie, d'entrer dans la pratique de la lutte des classes et de son interprétation marxiste en négligeant de percevoir le type de société totalitaire à laquelle conduit ce processus » [22].
8. Il est vrai que dès les origines, mais d'une manière plus accentuée ces dernières années, la pensée marxiste s'est diversifiée pour donner naissance à plusieurs courants qui divergent notablement les uns des autres. Dans la mesure où ils demeurent réellement marxistes, ces courants continuent à se rattacher à un certain nombre de thèses fondamentales qui ne sont pas compatibles avec la conception chrétienne de l'homme et de la société. Dans ce contexte, certaines formules ne sont pas neutres, mais conservent la signification qu'elles ont reçue dans la doctrine marxiste originelle. Ainsi en est-il de la « lutte des classes ». Cette expression demeure imprégnée de l'interprétation que Marx en a donnée, et ne saurait par conséquent être tenue pour un équivalent, de portée empirique, de l'expression « conflit social aigu ». Ceux qui utilisent de semblables formules, en prétendant ne retenir que certains éléments de l'analyse marxiste qui serait par ailleurs récusée dans sa globalité, entretiennent pour les moins une grave ambiguïté dans l'esprit de leurs lecteurs.
9. Rappelons que l'athéisme et la négation de la personne humaine, de sa liberté et de ses droits, sont au centre de la conception marxiste. Celle-ci contient donc des erreurs qui menacent directement les vérités de foi sur la destinée éternelle des personnes. De plus, vouloir intégrer à la théologie une « analyse » dont les critères d'interprétation dépendent de cette conception athée, c'est s'enfermer dans de ruineuses contradictions. En outre, la méconnaissance de la nature spirituelle de la personne conduit à subordonner totalement cette dernière à la collectivité et ainsi à nier les principes d'une vie sociale et politique conforme à la dignité humaine.
10. L'examen critique des méthodes d'analyse empruntées à d'autres disciplines s'impose d'une manière toute spéciale au théologien. C'est la lumière de la foi qui fournit à la théologie ses principes. C'est pourquoi l'utilisation par le théologien d'apports philosophiques ou des sciences humaines a une valeur « instrumentale » et doit faire l'objet d'un discernement critique de nature théologique. Autrement dit, le critère ultime et décisif de vérité ne peut être, en dernière instance, qu'un critère lui-même théologique. C'est à la lumière de la foi, et de ce qu'elle nous apprend de la vérité de l'homme et du sens dernier de sa destinée, que l'on doit juger de la validité ou du degré de validité de ce que les autres disciplines proposent, souvent d'ailleurs d'une manière conjecturale, comme étant des vérités sur l'homme, son histoire et sa destinée.
11. L'application à la réalité économique, sociale et politique d'aujourd'hui de schémas d'interprétation empruntés au courant de pensée marxiste peut présenter à première vue une certaine vraisemblance dans la mesure où la situation de certains pays offre quelques analogies avec celle que Marx a décrite et interprétée, au milieu du siècle passé. Sur la base de ces analogies, on opère des simplifications qui, faisant abstraction de facteurs essentiels spécifiques, empêchent en fait une analyse vraiment rigoureuse des causes de la misère, et entretiennent les confusions.
12. En certaines régions d'Amérique latine, l'accaparement de la grande majorité des richesses par une oligarchie de propriétaires dépourvue de conscience sociale, la quasi absence ou les carences de l'État de droit, les dictatures militaires bafouant les droits élémentaires de l'homme, la corruption de certains dirigeants au pouvoir, les pratiques sauvages d'un certain capital d'origine étrangère, constituent autant de facteurs qui alimentent un violent sentiment de révolte chez ceux qui se considèrent ainsi comme les victimes impuissantes d'un nouveau colonialisme d'ordre technologique, financier, monétaire ou économique. La prise de conscience des injustices s'accompagne d'un pathos empruntant souvent au marxisme son discours, présenté abusivement comme étant un discours « scientifique ».
13. La première condition d'une analyse est la totale docilité à l'égard de la réalité à décrire. C'est pourquoi une conscience critique doit accompagner l'usage des hypothèses de travail que l'on adopte. Il faut savoir que celles-ci correspondent à un point de vue particulier, ce qui a pour conséquence inévitable de souligner unilatéralement certains aspects du réel, tout en en rejetant d'autres dans l'ombre. Cette limitation, qui découle de la nature des sciences sociales, est ignorée de ceux qui, en guise d'hypothèses reconnues comme telles, recourent à une conception totalisante comme est la pensée de Marx.

VIII - Subversion du sens de la vérité et violence
1. Cette conception totalisante impose ainsi sa logique et entraîne les « théologies de la libération » à accepter un ensemble de positions incompatibles avec la vision chrétienne de l'homme. En effet, le noyau idéologique, emprunté au marxisme, auquel on se réfère, exerce la fonction d'un principe déterminant. Ce rôle lui est imparti en vertu de la qualification de scientifique, c'est-à-dire de nécessairement vrai, qui lui est attribuée. Dans ce noyau, on peut distinguer plusieurs composantes.
2. Dans la logique de la pensée marxiste, « l'analyse » n'est pas dissociable de la praxis et de la conception de l'histoire à laquelle cette praxis est liée. L'analyse est ainsi un instrument de critique et la critique n'est elle-même qu'un moment du combat révolutionnaire. Ce combat est celui de la classe du Prolétariat investi de sa mission historique.
3. En conséquence seul celui qui participe à ce combat peut mener une analyse correcte.
4. La conscience vraie est ainsi une conscience partisane. On le voit, c'est la conception même de la vérité qui est ici en cause, et qui se trouve totalement subvertie: il n'y a de vérité prétend-on, que dans et par la praxis partisane.
5. La praxis, et la vérité qui en découle, sont praxis et vérité partisanes, parce que la structure fondamentale de l’histoire est marquée par la lutte des classes. Il y a donc une nécessité objective d’entrer dans la lutte des classes (qui est l’envers dialectique du rapport d’exploitation que l’on dénonce). La vérité est vérité de classe, – il n’y a de vérité que dans le combat de la classe révolutionnaire.
6. La loi fondamentale de l'histoire qui est la loi de la lutte des classes implique que la société est fondée sur la violence. A la violence que constitue le rapport de domination des riches sur les pauvres devra répondre la contre-violence révolutionnaire par laquelle ce rapport sera renversé.
7. La lutte des classes est ainsi présentée comme une loi objective, nécessaire. En entrant dans son processus, du côté des opprimés, on « fait » la vérité, on agit « scientifiquement ». En conséquence, la conception de la vérité va de pair avec l'affirmation de la violence nécessaire, et par là avec celle de l'amoralisme politique. Dans ces perspectives, la référence à des exigences éthiques commandant des réformes structurelles et institutionnelles radicales et courageuses perd tout sens.
8. La loi fondamentale de la lutte des classes a un caractère de globalité et d'universalité. Elle se reflète dans tous les domaines de l'existence, religieux, éthiques, culturels et institutionnels. Par rapport à cette loi, aucun de ces domaines n'est autonome. En chacun, cette loi constitue l'élément déterminant.
9. C'est notamment la nature même de l'éthique qui, par l'emprunt fait à ces thèses d'origine marxiste, est radicalement remise en cause. De fait, c'est le caractère transcendant de la distinction du bien et du mal, principe de la moralité, qui se trouve implicitement nié dans l'optique de la lutte des classes.

IX - Traduction « théologique » de ce noyau
1. Les positions dont il est ici question se trouvent parfois énoncées en toutes lettres dans certains écrits des « théologiens de la libération ». Chez d'autres, elles découlent logiquement de leurs prémisses. Ailleurs, elles sont présupposées à certaines pratiques liturgiques, comme par exemple « l'Eucharistie » transformée en célébration du peuple en lutte, même si ceux qui participent à ces pratiques n'en sont pas pleinement conscients. On se trouve donc devant un véritable système, alors même que certains hésitent à en suivre la logique jusqu'au bout. Comme tel, ce système est une perversion du message chrétien tel que Dieu l'a confié à son Église. Ce message se trouve donc remis en cause dans sa globalité par les « théologies de la libération ».
2. Ce n'est pas le fait des stratifications sociales avec les inégalités et les injustices qui y sont attachées, c'est la théorie de la lutte des classes comme loi structurelle fondamentale de l'histoire qui est reçue par ces « théologies de la libération » comme un principe. On tire la conclusion que la lutte des classes ainsi entendue divise l'Église elle-même et que c'est en fonction d'elle qu'il faut juger des réalités ecclésiales. On prétend encore que c'est entretenir, avec mauvaise foi, une illusion mensongère que d'affirmer que l'amour, dans son universalité, peut vaincre ce qui constitue ainsi la loi structurelle première de la société capitaliste.
3. Dans cette conception, la lutte des classes est le moteur de l'histoire. L'histoire devient ainsi une notion centrale. On affirmera que Dieu se fait histoire. On ajoutera qu'il n'y a qu'une seule histoire, dans laquelle il ne faut plus distinguer entre histoire du salut et histoire profane. Maintenir la distinction serait tomber dans le « dualisme ». Semblables affirmations reflètent un immanentisme historiciste. On tend par là à identifier le Royaume de Dieu et son devenir au mouvement de libération humaine et à faire de l'histoire elle-même le sujet de son propre développement comme processus, à travers la lutte des classes, de l'autorédemption de l'homme. Cette identification est en opposition à la foi de l'Église, telle que l'a rappelée le Concile Vatican II [23].
4. Dans cette ligne, certains vont jusqu'à identifier, à la limite, Dieu lui-même et l'histoire, et à définir la foi comme « fidélité à l'histoire », ce qui signifie fidélité engagée dans une pratique politique conforme à la conception du devenir de l'humanité conçu dans le sens d'un messianisme purement temporel.
5. En conséquence, la foi, l'espérance et la charité reçoivent un nouveau contenu: elles sont « fidélité à l'histoire », « confiance dans le futur », « option pour les pauvres ». Autant dire qu'elles sont niées dans leur réalité théologale.
6. Une politisation radicale des affirmations de la foi et des jugements théologiques suit inévitablement cette nouvelle conception. Il ne s'agit plus seulement d'attirer l'attention sur les conséquences et incidences politiques des vérités de foi, qui seraient respectées d'abord dans leur valeur transcendante. C'est toute affirmation de la foi ou de la théologie qui est subordonnée à un critère politique, lui-même en dépendance de la théorie de la lutte des classes, moteur de l'histoire.
7. En conséquence, on présente l'entrée dans la lutte des classes comme une exigence de la charité elle-même; on dénonce comme une attitude démobilisatrice et contraire à l'amour des pauvres la volonté d'aimer dès maintenant tout homme, quelle que soit son appartenance de classe, et d'aller à sa rencontre par les voies non-violentes du dialogue et de la persuasion. Si on affirme qu'il ne doit pas être objet de haine, on affirme tout autant qu'en vertu de son appartenance objective au monde des riches, il est d'abord un ennemi de classe à combattre. En conséquence, l'universalité de l'amour du prochain et la fraternité deviennent un principe eschatologique, qui ne vaudra que pour « l'homme nouveau » qui surgira de la révolution victorieuse.
8. Quant à l'Église, on tend à n'y voir qu'une réalité intérieure à l'histoire, obéissant elle aussi aux lois qui sont censées gouverner le devenir historique dans son immanence. Cette réduction évacue la réalité spécifique de l'Église, don de la grâce de Dieu et mystère de foi. De même, on conteste que la participation à la même Table eucharistique de chrétiens qui appartiennent par ailleurs à des classes opposées, ait encore un sens.
9. Dans sa signification positive, l'Église des pauvres signifie la préférence, sans exclusive, donnée aux pauvres, selon toutes les formes de misère humaine, parce qu'ils sont préférés de Dieu. L'expression signifie encore la prise de conscience en notre temps des exigences de la pauvreté évangélique de la part de l'Église comme communion et comme institution — ainsi que de la part de ses membres.
10. Mais les « théologies de la libération », qui ont le mérite d'avoir remis en valeur les grands textes des prophètes et de l'Évangile sur la défense des pauvres, procèdent à un amalgame ruineux entre le pauvre de l'Écriture et le prolétariat de Marx. Par là le sens chrétien du pauvre est perverti et le combat pour les droits des pauvres se transforme en combat de classe dans la perspective idéologique de la lutte des classes. L'Église des pauvres signifie alors une Église de classe, qui a pris conscience des nécessités de la lutte révolutionnaire comme étape vers la libération et qui célèbre cette libération dans sa liturgie.
11. Il faut faire une remarque analogue en ce qui concerne l'expression Église du peuple. Du point de vue pastoral, on peut entendre par là des destinataires prioritaires de l'évangélisation, ceux vers qui, en vertu de leur condition, se porte d'abord l'amour pastoral de l'Église. On peut aussi se référer à l'Église comme « peuple de Dieu », c'est-à-dire comme le peuple de l'Alliance Nouvelle conclue dans le Christ [24].
12. Mais les « théologies de la libération » dont nous parlons entendent par Église du peuple une Église de classe, l'Église du peuple opprimé qu'il s'agit de « conscientiser » en vue de la lutte libératrice organisée. Le peuple ainsi entendu devient même pour certains, objet de la foi.
13. A partir d'une telle conception de l'Église du peuple, on développe une critique des structures mêmes de l'Église. Il ne s'agit pas seulement d'une correction fraternelle à l'égard de pasteurs de l'Église dont le comportement ne reflète pas l'esprit évangélique de service et s'attache à des signes anachroniques d'autorité qui scandalisent les pauvres. Il s'agit d'une mise en cause de la structure sacramentelle et hiérarchique de l'Église, telle que l'a voulue le Seigneur lui-même. On dénonce dans la hiérarchie et dans le Magistère des représentants objectifs de la classe dominante qu'il est nécessaire de combattre. Théologiquement, cette position revient à dire que c'est le peuple qui est la source des ministères et qu'il peut donc se doter des ministres de son choix, selon les besoins de sa mission révolutionnaire historique.

X - Une nouvelle herméneutique
1. La conception partisane de la vérité qui se manifeste dans la praxis révolutionnaire de classe corrobore cette position. Les théologiens qui ne partagent pas les thèses de la « théologie de la libération », la hiérarchie, et surtout le Magistère romain sont ainsi discrédités a priori, comme appartenant à la classe des oppresseurs. Leur théologie est une théologie de classe. Arguments et enseignements n'ont ainsi pas à être examinés en eux-mêmes, puisqu'ils ne font que refléter des intérêts de classe. Par là leur discours est décrété, en principe, faux.
2. Ici apparaît le caractère global et totalisant de la « théologie de la libération ». Celle-ci, en conséquence, doit être critiquée, non pas dans telle ou telle de ses affirmations, mais au niveau du point de vue de classe qu'elle adopte a priori et qui fonctionne en elle comme un principe herméneutique déterminant.
3. A cause de ce présupposé classiste, il devient extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, d'obtenir de certains « théologiens de la libération » un vrai dialogue dans lequel l'interlocuteur soit écouté et ses arguments soient discutés objectivement et avec attention. Car ces théologiens partent, plus ou moins consciemment, du présupposé que le point de vue de la classe opprimée et révolutionnaire, qui serait le leur, constitue seul le point de vue de la vérité. Les critères théologiques de vérité se trouvent ainsi relativisés et subordonnés aux impératifs de la lutte des classes. Dans cette perspective, on substitue à l’orthodoxie comme droite règle de la foi, l'idée d'orthopraxie comme critère du vrai. A cet égard, il ne faudrait pas confondre l'orientation pratique, qui est propre à la théologie traditionnelle aussi bien et au même titre que l'orientation spéculative, avec un primat privilégié reconnu à un certain type de praxis. De fait, cette dernière est la praxis révolutionnaire qui deviendrait ainsi le critère suprême de la vérité théologique. Une saine méthodologie théologique tient compte sans doute de la praxis de l'Église et y trouve l'un de ses fondements, mais c'est parce qu'elle découle de la foi et en est l'expression vécue.
4. La doctrine sociale de l'Église est rejetée avec dédain. Elle procède, dit-on, de l'illusion d'un possible compromis, propre aux classes moyennes qui sont sans destin historique.
5. La nouvelle herméneutique inscrite dans les « théologies de la libération » conduit à une relecture essentiellement politique de l'Écriture. Ainsi une importance majeure est accordée à l'événement de l'Exode en tant qu'il est libération de la servitude politique. On propose également une lecture politique du Magnificat. Le tort n'est pas ici de prêter attention à une dimension politique des récits bibliques. Il est de faire de cette dimension la dimension principale et exclusive, qui conduit à une lecture réductrice de l'Écriture.
6. De même, on se situe dans la perspective d'un messianisme temporel, qui est une des expressions les plus radicales de la sécularisation du Royaume de Dieu et de son absorption dans l'immanence de l'histoire humaine.
7. En privilégiant de cette façon la dimension politique, on est conduit à nier la radicale nouveauté du Nouveau Testament et, avant tout, à méconnaître la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, ainsi que le caractère spécifique de la libération qu'il nous apporte, et qui est d'abord libération du péché, lequel est la source de tous les maux.
8. Par ailleurs, en mettant à l'écart l'interprétation autorisée du Magistère, dénoncée comme interprétation de classe, on s'écarte du même coup de la Tradition. Par là, on se prive d'un critère théologique essentiel d'interprétation et, dans le vide ainsi créé, on accueille les thèses les plus radicales de l'exégèse rationaliste. On reprend ainsi, sans esprit critique, l'opposition entre le « Jésus de l'histoire » et le « Jésus de la foi ».
9. Certes, on conserve la littéralité des formules de la foi, et notamment celle de Chalcédoine, mais on leur attribue une signification nouvelle, qui est une négation de la foi de l'Église. D'un côté on rejette la doctrine christologique portée par la Tradition, au nom du critère de classe; d'un autre, on prétend rejoindre le « Jésus de l'histoire » à partir de l'expérience révolutionnaire de la lutte des pauvres pour leur libération.
10. On prétend revivre une expérience analogue à celle qui aurait été celle de Jésus. L'expérience des pauvres luttant pour leur libération, qui aurait été celle de Jésus, révélerait ainsi, et elle seule, la connaissance du vrai Dieu et celle du Royaume.
11. Il est clair que la foi au Verbe incarné, mort et ressuscité pour tous les hommes, et que « Dieu a fait Seigneur et Christ » [25] est niée. On lui substitue une « figure » de Jésus qui est une sorte de symbole récapitulant en soi les exigences de la lutte des opprimés.
12. On donne ainsi de la mort du Christ une interprétation exclusivement politique. On nie par là sa valeur salvifique et toute l'économie de la rédemption.
13. La nouvelle interprétation atteint ainsi l'ensemble du mystère chrétien.
14. D'une façon générale, elle opère ce qu'on peut appeler une inversion des symboles. Ainsi, au lieu de voir avec St Paul dans l'Exode une figure du baptême [26], on sera porté, à la limite, à faire de celui-ci un symbole de la libération politique du peuple.
15. Le même critère herméneutique étant appliqué à la vie ecclésiale et à la constitution hiérarchique de l'Église, les rapports entre la hiérarchie et la « base » deviennent des rapports de domination obéissant à la loi de la lutte des classes. La sacramentalité qui est à la racine des ministères ecclésiaux et qui fait de l'Église une réalité spirituelle irréductible à une analyse purement sociologique, est tout simplement ignorée.
16. Le renversement des symboles se constate encore dans le domaine des sacrements. L'Eucharistie n'est plus comprise dans sa vérité de présence sacramentelle du sacrifice réconciliateur et comme le don du Corps et du Sang du Christ. Elle devient célébration du peuple dans sa lutte. En conséquence, l'unité de l'Église est niée radicalement. L'unité, la réconciliation, la communion dans l'amour ne sont plus conçus comme un don que nous recevons du Christ [27]. C'est la classe historique des pauvres qui, à travers son combat, construira l'unité. La lutte des classes est le chemin de cette unité. L'Eucharistie devient ainsi Eucharistie de classe. Du même coup est niée la force triomphante de l'amour de Dieu qui nous est donné.

XI – Orientations
1. La mise en garde contre les graves déviations dont sont porteuses certaines « théologies de la libération » ne doit nullement être interprétée comme une approbation, même indirecte, qui serait donnée à ceux qui contribuent au maintien de la misère des peuples, à ceux qui en profitent, à ceux qui en prennent leur parti ou à ceux que cette misère laisse indifférents. L'Église, guidée par l'Évangile de la Miséricorde et par l'amour de l'homme, entend la clameur pour la justice [28] et veut y répondre de toutes ses forces.
2. Un immense appel est ainsi adressé à l'Église. Avec audace et courage, avec clairvoyance et prudence, avec zèle et force d'âme, avec un amour des pauvres qui va jusqu'au sacrifice, les pasteurs, comme beaucoup le font déjà, considéreront comme une tâche prioritaire de répondre à cet appel.
3. Tous ceux, prêtres, religieux et laïcs qui, à l'écoute de la clameur pour la justice, veulent travailler à l'évangélisation et à la promotion humaine le feront en communion avec leurs évêques et avec l'Église, chacun dans la ligne de sa vocation ecclésiale spécifique.
4. Conscients du caractère ecclésial de leur vocation, les théologiens collaboreront loyalement et en esprit de dialogue avec le Magistère de l'Église. Ils sauront reconnaître dans le Magistère un don du Christ à son Eglise [29] et accueilleront sa parole et ses directives avec un respect filial.
5. Ce n'est qu'à partir de la tâche évangélisatrice prise dans son intégralité que se comprennent les exigences d'une promotion humaine et d'une libération authentiques. Cette libération a pour piliers indispensables, la vérité sur Jésus-Christ, le Sauveur, la vérité sur l'Église, la vérité sur l'homme et sur sa dignité [30]. C'est à la lumière des Béatitudes, et d'abord de la béatitude des pauvres de cœur que l'Église, qui veut être dans le monde entier l'Église des pauvres, entend servir la noble lutte pour la vérité et pour la justice. Elle s'adresse à chaque homme et, pour cette raison, à tous les hommes. Elle est « l'Église universelle. L'Église du mystère de l'Incarnation. Ce n'est pas l'Église d'une classe ou d'une seule caste. Et elle parle au nom de la vérité elle-même. Cette vérité est réaliste ». Elle conduit à tenir compte « de chaque réalité humaine, de chaque injustice, de chaque tension, de chaque lutte » [31].
6. Une défense efficace de la justice doit s'appuyer sur la vérité de l'homme, créé à l'image de Dieu et appelé à la grâce de la filiation divine. La reconnaissance de la relation vraie de l'homme à Dieu constitue le fondement de la justice en tant qu'elle règle les rapports entre les hommes. C'est la raison pour laquelle le combat pour les droits de l'homme, que l'Église ne cesse de rappeler,, constitue l'authentique combat pour la justice.
7. La vérité de l'homme exige que ce combat soit mené par des moyens conformes à la dignité humaine. C'est pourquoi le recours systématique et délibéré à la violence aveugle, de quelque côté qu'elle vienne, doit être condamné [32]. C'est être victime d'une illusion mortelle que de faire confiance aux moyens violents dans l'espoir d'instaurer plus de justice. La violence engendre la violence et dégrade l'homme. Elle bafoue la dignité de l'homme dans la personne des victimes et elle avilit cette même dignité chez ceux qui la pratiquent.
8. L'urgence de réformes radicales portant sur des structures qui sécrètent la misère et constituent par elles-mêmes des formes de violence ne doit pas faire perdre de vue que la source des injustices est dans le cœur des hommes. Ce n'est donc qu'en faisant appel aux capacités éthiques de la personne et au besoin perpétuel de conversion intérieure qu'on obtiendra des changements sociaux qui seront vraiment au service de l'homme [33]. Car au fur et à mesure qu'ils collaborent librement, par leur initiative et dans la solidarité, à ces nécessaires changements, les hommes, éveillés au sens de leur responsabilité, grandiront en humanité. L'inversion entre moralité et structures est imprégnée d'une anthropologie matérialiste incompatible avec la vérité de l'homme.
9. C'est donc également une illusion mortelle que de croire que par elles-mêmes des structures nouvelles donneront naissance à un « homme nouveau », dans le sens de la vérité de l'homme. Le chrétien ne peut méconnaître que c'est l'Esprit-Saint, qui nous a été donné, qui est la source de toute vraie nouveauté et que Dieu est le maître de l'histoire.
10. De même, le renversement par la violence révolutionnaire de structures génératrices d'injustice n'est pas ipso facto le début d'une instauration d'un régime juste. Un fait majeur de notre époque doit retenir la réflexion de tous ceux qui veulent sincèrement la vraie libération de leurs frères. Des millions de nos contemporains aspirent légitimement à retrouver les libertés fondamentales dont ils sont privés par des régimes totalitaires et athées qui se sont emparés du pouvoir par des voies révolutionnaires et violentes, précisément au nom de la libération du peuple. On ne peut ignorer cette honte de notre temps: c'est en prétendant leur apporter la liberté qu'on maintient dans des conditions de servitude indignes de l'homme des nations entières. Ceux qui, peut-être par inconscience, se rendent complices de semblables asservissements, trahissent les pauvres qu'ils entendent servir.
11. La lutte des classes comme chemin vers la société sans classes est un mythe qui empêche les réformes et aggrave la misère et les injustices. Ceux qui se laissent fasciner par ce mythe devraient réfléchir sur les expériences historiques amères auxquelles il a conduit. Ils comprendraient alors qu'il ne s'agit nullement d'abandonner une voie efficace de lutte en faveur des pauvres au profit d'un idéal qui serait sans effets. Il s'agit, au contraire, de se libérer d'un mirage pour s'appuyer sur l'Évangile et sa force de réalisation.
12. Une des conditions du nécessaire redressement théologique est la mise en valeur de l’enseignement social de l'Église. Cet enseignement n'est nullement fermé. Il est, au contraire, ouvert à toutes les questions nouvelles qui ne manquent pas de surgir au cours des temps. Dans cette perspective, la contribution des théologiens et des penseurs de toutes les régions du monde à la réflexion de l'Église est aujourd'hui indispensable.
13. De même, l'expérience de ceux qui travaillent directement à l'évangélisation et à la promotion des pauvres et des opprimés est nécessaire à la réflexion doctrinale et pastorale de l'Église. En ce sens, il faut dire que l'on prend conscience de certains aspects de la vérité à partir de la praxis, si par là on entend la pratique pastorale et une pratique sociale qui demeure d'inspiration évangélique.
14. L'enseignement de l'Église en matière sociale apporte les grandes orientations éthiques. Mais, pour qu'il puisse guider directement l'action, il réclame des personnalités compétentes, au point de vue scientifique et technique comme dans le domaine des sciences humaines ou celui de la politique. Les pasteurs seront attentifs à la formation de telles personnalités compétentes, vivant profondément de l'Évangile. Les laïcs, dont la mission propre est de construire la société, sont ici concernés au premier chef.
15. Les thèses des « théologies de la libération » sont largement diffusées, sous une forme encore simplifiée, dans des sessions de formation ou dans des groupes de base qui manquent de préparation catéchétique et théologique. Elles sont ainsi acceptées sans qu'un jugement critique soit possible par des hommes et des femmes généreux.
16. C'est pourquoi les pasteurs doivent veiller à la qualité et au contenu de la catéchèse et de la formation qui doit toujours présenter l'intégralité du message du salut et les impératifs de la vraie libération humaine dans le cadre de ce message intégral.
17. Dans cette présentation intégrale du mystère chrétien, il sera opportun de mettre l'accent sur les aspects essentiels que les « théologies de la libération » tendent spécialement à méconnaître ou à éliminer: transcendance et gratuité de la libération en Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme, souveraineté de sa grâce, vraie nature des moyens de salut et notamment de l'Église et des sacrements. On rappellera la vraie signification de l'éthique pour laquelle la distinction du bien et du mal ne saurait être relativisée, le sens authentique du péché, la nécessité de la conversion et l'universalité de la loi de l'amour fraternel. On mettra en garde contre une politisation de l'existence qui, méconnaissant tout ensemble la spécificité du Royaume de Dieu et la transcendance de la personne, aboutit à sacraliser la politique et à capter la religiosité du peuple au profit d'entreprises révolutionnaires.
18. Aux défenseurs de « l'orthodoxie », on adresse parfois le reproche de passivité, d'indulgence ou de complicité coupables à l'égard de situations d'injustice intolérables et de régimes politiques qui entretiennent ces situations. La conversion spirituelle, l'intensité de l'amour de Dieu et du prochain, le zèle pour la justice et pour la paix, le sens évangélique des pauvres et de la pauvreté, sont requis de tous, et tout spécialement des pasteurs et des responsables. Le souci de la pureté de la foi ne va pas sans le souci d'apporter, par une vie théologale intégrale, la réponse d'un témoignage efficace de service du prochain, et tout particulièrement du pauvre et de l'opprimé. Par le témoignage de leur force d'aimer, dynamique et constructive, les chrétiens jetteront ainsi les bases de cette « civilisation de l'amour » dont a parlé, après Paul VI, la Conférence de Puebla [34]. D'ailleurs, nombreux sont ceux, prêtres, religieux ou laïcs, qui se consacrent d'une manière vraiment évangélique à la création d'une société juste.

Conclusion

Les paroles de Paul VI, dans la Profession de foi du peuple de Dieu, expriment avec une pleine clarté la foi de l'Église, dont on ne saurait s'écarter sans provoquer, avec la ruine spirituelle, de nouvelles misères et de nouvelles servitudes.
« Nous confessons que le Royaume de Dieu commencé ici-bas en l'Église du Christ n'est pas de ce monde, dont la figure passe, et que sa croissance propre ne peut se confondre avec le progrès de la civilisation, de la science ou de la technique humaines, mais qu'elle consiste à connaître toujours plus profondément les insondables richesses du Christ, à espérer toujours plus fortement les biens éternels, à répondre toujours plus ardemment à l'amour de Dieu, à dispenser toujours plus largement la grâce et la sainteté parmi les hommes. Mais c'est ce même amour qui porte l'Église à se soucier constamment du vrai bien temporel des hommes. Ne cessant de rappeler à ses enfants qu'ils n'ont pas ici-bas de demeure permanente, elle les presse aussi de contribuer, chacun selon sa vocation et ses moyens, au bien de leur cité terrestre, de promouvoir la justice, la paix et la fraternité entre les hommes, de prodiguer leur aide à leurs frères, surtout aux plus pauvres et aux plus malheureux. L'intense sollicitude de l'Église, épouse du Christ, pour les nécessités des hommes, leurs joies et leurs espoirs, leurs efforts, n'est donc rien d'autre que son grand désir de leur être présente pour les illuminer de la lumière du Christ et les rassembler tous en lui, leur unique Sauveur. Elle ne peut signifier jamais que l'Église se conforme elle-même aux choses de ce monde ni que diminue l'ardeur de l'attente de son Seigneur et du Royaume éternel » [35].
Au cours d'une audience accordée au Préfet soussigné, Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II a approuvé cette Instruction adoptée en réunion ordinaire de la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et en a ordonné la publication.
A Rome, au siège de la Congrégation, le 6 août 1984, en la Fête de la Transfiguration du Seigneur.

Joseph Card. Ratzinger
Préfet
 
+ Alberto Bovone
Arch. tit. de Césarée de Numidie
Secrétaire


[1] Cf. Gaudium et Spes, n. 4.
[2] Cf. Dei Verbum, n. 10.
[3] Cf. Ga 5, 1 ss.
[4] Cf. Ex 24.
[5] Cf. Jr 31, 31-34, Ez 36, 26 ss.
[6] Cf. So 3, 12 ss.
[7] Cf. Dt 10, 18-19.
[8] Cf. Lc 10, 25-37.
[9] Cf. 2 Co 8. 9.
[10] Cf. Mt 25, 31-46, Ac 9, 4-5, Col 1, 24.
[11] Cf. Je 5, 1 ss.
[12] Cf. 1 Co 11, 17-34.
[13] Cf. Je 2, 14-26.
[14] Cf. AAS 71, 1979, pp. 1144-1160.
[15] Cf. AAS 71, 1979, p. 196.
[16] Cf. Evangelii Nuntiandi, n. 25-33, AAS 68, 1976, pp. 23-28.
[17] Cf. Evangelii Nuntiandi, n. 32, AAS 68, 1976, p. 27.
[18] Cf. AAS 71, 1979, pp. 188-196.
[19] Cf. Gaudium et Spes, n. 39, Pie XI, Quadragesimo anno: AAS 23 (1931), p. 207.
[20] Cf. n. 1134-1165 et n. 1166-1205.
[21] Cf. Doc. de Puebla, IV, 2.
[22] Paul VI, Octogesima Adveniens, n. 34, AAS 63, 1971, pp. 424-425.
[23] Cf. Lumen Gentium, n. 9-17.
[24] Cf. Gaudium et Spes, n. 39.
[25] Cf. Ac 2, 36.
[26] Cf. 1 Co 10, 1-2.
[27] Cf. Ep 2, 11-12.
[28] Cf. Doc. de Puebla, I, 2, n. 3. 3.
[29] Cr. Lc 10, 16.
[30] Cf. Jean-Paul II, Discours pour l'ouverture de la conférence de Puebla, AAS 71, 1979, pp. 188-196; Doc. de Puebla II, 1.
[31] Cf. Jean-Paul II, Discours à la Favela « Vidigal » à Rio de Janeiro, 2 juillet 1980, AAS 72, 1980, pp. 852-858.
[32] Cf. Doc. de Puebla, II, 2, n. 5. 4.
[33] Cf. Doc. de Puebla, IV, 3, n. 3. 3.
[34] Cf. Doc. de Puebla, IV, 2, n. 2. 4.
[35] Paul VI, Profession de foi du peuple de Dieu, 30 juin 1968, AAS 60, 1968, pp. 443-444


Source : http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19840806_theology-liberation_fr.html

septembre 06, 2013

REGNABIT



Alors que les textes de Louis CHARBONNEAU-LASSAY édités notamment dans la revue REGNABIT (1922-1926), firent l'objet d'un belle réédition aux éditons GUTEMBERG REPRINT en 2005, à l'occasion de la recherche d'une toute autre revue sur le site de Gallica, quelle joie fut nôtre de découvrir que la collection de REGNABIT était maintenant numérisée et accessible à tous les chercheurs :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32850416j/date.r=.langFR

Cette Revue Universelle du Sacré-Coeur, quant à  certains articles, semblera pour le lecteur, l'expression d'une Eglise d'un autre âge, du moins il n'est là aucune hérésie. l' Eglise ne connaissant pas encore la théologie de la libération rejetée par Jean-Paul II et Benoît XVI, et qui obtenait son retour en grâce avec le nouveau Pape de Rome.

Ce rattachement au Sacré-Coeur, trouve sa raison dans le fait que la prédication de l'Eglise est d'amener les êtres vers Dieu, ce qui signifie un cheminement spirituel consolidé par les Sacrements, et non pas d'amener l'homme à prendre en main son destin : conscience de deux Cités distinctes, au sens où l'essentiel de ce "destin humain" est privilégié quand la cité céleste est souvent ignorée,  ainsi, la conscience du Surnaturel est appelée à très certainement disparaître au seul profit d'une "conscience naturelle" de la nature visible uniquement.

Qu'il me soit permis de rappeler un petit livre, conséquence de la renaissance du musée eucharistique du Hiéron "Le Dieu invisible s'est rendu visible" aux éditions de l'Emmanuel, mais disponible  je l'espère, encore  près de la ville de Paray le Monial.

En tout état de cause,  de REGNABIT, des contributions importantes sont à découvrir.

JPB