Parole de l'Orient XV (1988-1989)
127-141
LA DESCENTE AUX ENFERS DANS LA TRADITION SYRIAQUE
Substrat biblique
PAR
Paul Féghali Professeur à l'Université Libanaise
Il est descendu aux enfers, dit le Credo
en parlant de Jésus-Christ reliant ainsi une réalité salvatrice propre au Nouveau
Testament à une formulation qui a ses racines dans l'Ancien Testament. Cette
assertion retint l'attention des Pères syriaques. Pour moi, je voudrais en
développer le substrat biblique: parler du schéol, ce séjour des morts qu'on a
appelé enfers, de la descente de Jésus-Christ dans le monde des morts,
retrouver une imagerie orientale chez des auteurs comme Aphraate et Ephrem qui
en ont usé pour parler du salut des hommes en Jésus-Christ.
L Le schéol dans VAncien Testament
Le schéol est le lieu
des ténèbres et de la mort1. Il est la réplique négative de l'existence
terrestre. La terre est le lieu de la lumière et la terre sainte forme l'habitation de Dieu au milieu de son
peuple. Si la parole caractérise les hommes sur la terre, au schéol, c'est le
silence absolu2. On ne parle pas aux hommes, on ne loue pas Dieu. En
ce sens nous comprenons la prière du roi Ezéchias malade: «Le schéol ne te loue
pas, et ses habitants n'espèrent pas en ta fidélité»3.
1)
Cf. Jb 10, 21-22; 38,
17; Dn 12,2. Pour cette partie voir E.Sutcliffe,
The Old Testament and the future
life, 1946. E.Jacob,
La
mort et la vie future dans Théologie de l'Ancien Testament, Neuchatel, 1968, pp.
240-253. R.Bultmann et alii, Vie,
mort, résurrection, Genève, 1972. Dictionnaire biblique Gerhard Kittel.
2)
Cf. Ps 94,17; 115,17. C'est la «demanah» qui
signifie silence. L.Koehler, in Theologische
Zeitschrift,
1946,
p.21 rapproche schéol de Sha'a qui signifie être désert.
3)
Is 38, 9.
En effet, Yahvé qui
habite les hauteurs célestes reste étranger au scheol. Il est sans pouvoir
sur lui et le domaine de la mort reste en dehors de la sphère d'influence de Yahvé.
Dieu serait-il cruel quand il abandonne les morts à leur sort? Non, Dieu est
le Tout-Puissant et s'il ne peut être dans le monde de la mort, c'est parce
qu'il est le Dieu Vivant. Alors, on parlera de coupure entre le ciel et le scheol.
Yahvé oublie ceux qui descendent au séjour des morts, et les défunts perdent tout souvenir de Yahvé4.
Si le ciel est dans
les hauteurs, s'il est au-dessus, le scheol est au-dessous; il est situé dans les
profondeurs de la terre5. Et la relation entre le scheol et la tombe est évidente,
puisque la tombe se situait sous terre dans les anciennes civilisations
orientales. La tombe est alors le canal qui donne accès au scheol. Jacob en mourant ira
retrouver son fils Joseph6, Saùl et ses enfants rejoindront Samuel
quand ils seront tués dans la bataille7. Oui, le scheol est la tombe primitive qui
se manifeste dans chaque tombe. C'est le lieu de la destruction humaine8.
Ici, nous retrouvons deux courants dans la littérature biblique. Le premier
parle de la dissolution des éléments divers qui composent l'être humain; le
second s'attache à une certaine manière d'exister qui considère le mort
comme l'ombre du vivant. Dans ces conditions, il est clair qu'il ne fait pas
bon mourir9, qu'un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort10. Au
scheol apparaît le caractère illusoire des choses et des activités terrestres; la mort
n'apporte pas une union complète avec Yahvé; au contraire, elle équivaut à la
séparation avec Lui. Au scheol, c'est l'immobilité de la mort, et l'on
y est comme dans une prison d'où il est difficile de s'échapper11.
4)
Ps 6, 6; 88, 13; 94, 17; 115, 17; Qo 9, 5-6; Jb 26, 6;
28, 22.
5)
Cf. Ps 6, 3,10; 86,13; 88,7; 139,15; Lm 3, 55. Pour y
accéder, on y descend. D'où l'emploi du verbe hébreu «yarad» et de la
particule «tahat» sous. Dans ce sens on a pris scheol comme un terme d'origine suméro-akkadienne en
relation avec la shu'ra: la demeure de Tammouz ou le monde souterrain. Cf W.Baumgartner, in Theologische Zeitschrift, 1946,
p.233.
6)
Gn 37, 35.
7)
1 S 28, 19. C'est la nécromancienne de Ein Dor qui fait
parler Samuel dans sa tombe.
8)
Jb 26, 5; 28, 22; Ps 88, 12; Pr 15, 11; 27, 20. D'où le
verbe «abad» périr avec son hiphil qui veut dire détruire et le nom «abadon» qui
signifie destruction.
9)
Job est une exception: accablé sous le poids du malheur,
il en vient à soupirer après le grand
repos du scheol. Jb 3, 17-19.
10)
Qo 9, 4. C'est la sagesse populaire en Israël.
11)
La croyance au double ou à l'âme extérieure n'a pas été
entièrement étrangère à Israël... De plus la religion populaire a dû connaître la croyance aux
revenants.
Mais pour l'homme de la Bible, Yahvé est
le Dieu tout-puissant; comment son influence n'atteindrait-elle pas le schéol?!
Si Yahvé est le Dieu juste, comment accepterait-il que les bons soient traités
comme les méchants et les sages comme les ignorants?!
Yahvé est le Dieu
juste, et le roi de Babylone se retrouvera précipité dans les profondeurs de l'abîme, alors
qu'autour de lui les rois des nations reposent avec honneur dans leurs tombeaux12. Il a fait le mal aux
nations et il mérite ce châtiment. Le Pharaon, lui aussi, est puni13
et sa place n'est pas avec les vaillants,
mais avec les incirconcis, ceux qu'on enterre sans cérémonie14. Tout
cela reste un indice ténu, et il faut attendre le second siècle pour que se
fasse le triage entre justes et méchants.
Yahvé est le Dieu
tout-puissant et il vaincra la mort. Il l'a vaincue en Elie et Hénoch dit la Bible, en Moïse et Esdras
disent les traditions rabbiniques. De temps à autre, Dieu rappelle des morts à
la vie. Et la Bible rapporte trois cas de
revivifications opérées grâce à la participation active des prophètes Elie et
Elisée: le fils de la veuve de Sarepta15, le fils de la Shounamite16,
l'homme qui toucha les ossements d'Elisée17. Dans ces trois
cas, il s'agit bien de cadavres qui ont été rappelés à la vie par Yahvé
lui-même, le prophète n'étant lui-même que l'instrument qui devait demander à
Dieu la force d'accomplir le miracle.
Bien plus, Dieu est celui qui fait vivre.
Osée dit: s'il nous déchire et nous frappe, après deux jours il nous rendra la
vie et au troisième jour il nous relèvera18. Et le prophète Isaïe
peut crier son espoir: «Tes morts revivront,
12) Cf. Is 14,4 ss. Le
roi de Babylone est puni parce qu'il frappait les peuples avec fureur, qu'il subjuguait les nations dans sa
colère, qu'il les persécutait sans ménagement, v.6.
13)
Cf. l'élégie sur Pharaon Ez 32, 1 ss., spéc. v. 32.
14)
Ez 28, 10; 31, 18. Voir A. Lods, Le sort des incirconcis, dans
les comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et belles
lettres, 1943, p.271.
15) 1 R 17, 17 ss. Le
texte dit: le souffle (nefes: âme) de l'enfant revint à lui. C'est bien
qu'il l'avait quitté.
16)
2 R 4,32 ss. Le texte dit: il s'enferma avec l'enfant et
pria le Seigneur.
17) 2 R 13,21. Dans
Ephrem, C Nis (Chants de Nisibe), le démon dit: Comment Elisée peut-il être
vaincu alors qu'au schéol il a ressuscité un homme par ses ossements. Nous
citons l'édition de E.Beck, Des Heiligen
Ephraem des Syrers Carmina Nisibena, Erster Teil, Louvain 1961. CSCO 218-219/Syr 92-93;
zweiter Teil, Louvain 1963. CSCO 240-241/Syr 102-103.
18) Os 6, 1-2. Les deux
verbes employés Yhiphil de: «Hayah»: faire vivre, faire revivre
et de «Qûm»\
faire
se lever, ressusciter. Ce seront les verbes employés dans le Nouveau Testament.
leurs cadavres ressusciteront». Et le
prophète s'adresse aux morts: «Réveillez-vous, criez de joie, vous qui demeurez dans la poussière»19.
Mais c'est avec Ezechiel que l'image de la résurrection est la plus parlante.
Dans le chapitre trente-sept, il décrit la restauration du peuple après le
retour de l'exil. Le Seigneur dit à son prophète: «Prononce un oracle contre
ces ossements; dis leur: ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur.
Ainsi parle le Seigneur Dieu à ces
ossements: je vais faire venir en vous un souffle pour que vous viviez.
Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai croître sur vous de la chair,
j'étendrai sur vous de la peau, je mettrai en vous un souffle et vous vivrez;
alors vous connaîtrez que je suis le Seigneur». Ces paroles présentent un
élément de symbolisme qui laissent entendre que la résurrection des morts était
envisagée là comme une possibilité20.
Ce texte sera mis à
profit par Ephrem dans les Chants de Nisibe. La mort parla ainsi21:
Dans la plaine,
j'ai vu Ezechiel
donner vie
aux morts. A l'ordre donné
j'ai vu
s'animer les os éparpillés.
Bruit
d'ossements au schéol, chaque os cherche son voisin,
l'articulation
sa compagne...
Les morts ressuscitent, ils revivent.
C'est ce que dit Ephrem surtout dans les différents refrains des Chants de
Nisibe. Béni qui a vaincu (la mort) et donné
la vie aux morts22. Béni qui par sa croix donne la vie aux morts qui
sont dans le schéol23. Béni qui par sa croix a ouvert les
tombeaux du schéol24.
19) Is 26,19. Les verbes
sont aussi «hayah» et «qûm». Il faudrait peut-être dire: vous qui
reposez du repos de la mort de la poussière. Tel est le sens du verbe «sakab».
Cf. le syriaque «skeb».
20) H. Riesenfeld,
The résurrection in Ez 37 and the Dura-Europos, dans Uppsala
Universitets Arsskrift, 1948, n° 11.
21) C Nis 37,5. Ce texte est une traduction
française à paraître au courant de Tannée 1988 aux éd. Cariscript. On lit les mêmes mots dans le texte de la Pesitto
et dans Ephrem. «fqactô» = la plaine; «hyô» = vivre; «garmê»= os, ossements; «sorïtô»
= articulation, jointure. Voir aussi C Nis 43, 5: A la voix d'Ezéchiel, les os bougeaient, tentaient de se
joindre. Voir aussi 67, 3; 71, 6. Dans 42, R(R = Refrain) nous lison:
Béni la puissance qui habita dans les ossements (garmë) victorieux (nasihë).
22) C Nis 36, R. «da-zkon»
qui m'a vaincu. C'est la mort qui parle. Bickell traduit: qui mihi victoriam dédit. Qui parlerait alors?
Et il devrait corriger «da-zkon» en «d-zakyan», c'est-à-dire du pecal enpacel.
23)
C Nis
38, R. L'on remarque ici que le schéol est un lieu où demeurent les morts.
24)
C Nis
39, R. Dans ce refrain apparaît le lien entre le schéol et les tombeaux.
Nous avons parlé d'Elie et d'Elisée qui
ont rendu la vie à un mort. Ephrem dit à ce sujet: «Par Elie, il rendit son
fils à la veuve;
Par Elisée, la
Shounamite retrouve son bien-aimé»25.
Et à propos d'Elisée, écoutons Ephrem
parler au nom de la mort26:
Giézi fut
mon tourment quand je le vis
sur
l'enfant poser le bâton;
le voleur
reprit et partit.
Elisée
vint, rapetissa et grandit,
se retira
au loin, stupéfiante figure!
J'ai
entrevu là celui qui à un enfant donne vie.
Quel
bonheur si ce n'est que figure!
Mais si les
morts se rebellaient et m'écrasaient !
La mort a peur d'être vaincue par les
morts. Elisée a constitué un danger en revivifiant un mort. Mais il n'est là
que la figure de Jésus-Christ qui redonnera
vie à tous les morts. Oui, ces morts rendus à la vie sont les arrhes de tous
les morts. Ainsi Ephrem lit l'Ancien Testament à travers le Nouveau Testament, il regarde les symboles anciens à
travers la réalité de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ.
Pour revenir à l'Ancien Testament, nous
disons qu'après l'exil il y aura une certaine croyance à la résurrection qui
comporte une limitation temporelle du séjour au schéol pour les âmes qui
doivent ressusciter27. Sous l'influence des Perses et des Grecs, la
Bible parle d'un sort différent pour les justes et les impies28.
Enfin, la croyance en l'immortalité conduit à l'idée que les âmes des justes
iront après la mort dans une félicité céleste et là ils attendront la
résurrection. Mais il persistera au temps du Christ une autre conception qui
dit que les âmes des justes et des impies sont toutes dans le monde souterrain.
Les deux conceptions apparaissent par exemple dans l'évangile de Luc. Dans la
parabole de l'homme riche et de Lazare, le riche souffre dans le monde des
morts, tandis qu'Abraham est loin de lui, un abîme
25)
C Nis 67, 6.
26)
C Nis 39, 2. Le verbe «zkô» est traduit par écraser;
mais il signifie aussi vaincre.
27)
Et cela dans la ligne d'Is 26, 19.
28)
J. Jeremias, Hades in TWNT, vol.
I, pp.
146-148. Hénoch (n° 22) divise le séjour des morts en quatre cavernes: trois sont
ténébreuses et elles sont réservées aux pécheurs, la quatrième est lumineuse et elle
est réservée aux esprits des justes. Voir la Bible: Ecrits
intertestamentaires, Gallimard
(La Pléiade) 1987, pp. 496-497. Josèphe, Ant 18, 14.
séparant les deux29. Mais les deux sont dans un même
lieu et ils peuvent se parler. D'autre part, dit Luc, les justes vivent dans
les demeures éternelles30. Ils sont avec le Christ au Paradis31.
Cela nous amène au Nouveau Testament et à
sa conception du schéol.
2. Le séjour des
morts dans le Nouveau Testament
La conception du séjour des morts dans le
Nouveau Testament est très proche de la conception du judaïsme tardif. La mort
est décrite dans un langage euphémique
comme un sommeil32. Quant à l'hadès ou le schéol, il se situe au
centre de la terre33. Il est dans les profondeurs34 en
contraste avec le ciel qui est situé
dans les hauteurs. On le compare à une prison35 où les esprits sont
enchaînés et placés dans une forteresse avec de grandes portes fermées par de
grandes clés36.
Par la suite, il y
aura une différenciation entre l'hadès et la géhenne37. Le séjour de
l'hadès dure un temps, le séjour dans la géhenne dure pour l'éternité. Quand les âmes sont dans l'hadès, elles
sont délivrées à la résurrection qui constitue la fin d'une vie diminuée38.
Elles vont alors au ciel ou à l'étang de feu39, l'autre nom de la
géhenne.
Les âmes des impies sont dans le monde
souterrain, les âmes des justes
29)
Le 19,23, 26. Le monde des morts c'est l'hadès en grec et
syùlen syriaque. Voir Josèphe, AntlS, 14; Bel
2, 163.
30)
Le 16, 9. Cf. Josèphe, Bel 3,375. Les demeures
éternelles sont «aiônious skênas» et en syriaque «ba-mtallayhun da-l-colam».
Cela pose le problème de la durée du séjour des âmes: jusqu'à la résurrection.
31)
Le 23,43. Pour la compréhension du paradis, voir J.Jeremias, Paradeisos in TWNTyol
V, pp. 765-773.
32)
Me 5, 39; 1 Th 5, 10; Jn 11, 11-12. C'est le verbe «koimaô»
et en syr. «dmek».
33)
Mt 12,
40. Est-ce que Jésus est allé prêcher les morts trois jours et trois nuits
comme Jonas a prêché les Ninivites? C'est une explication possible.
34)
Mt 11,
23; Le 10, 15. Il s'agit en fait d'une citation d'Is 14, 13, 15 qui parle du
roi de Babylone «eos hadon katabêsê» et
en syr «la-syûl tettahtin». Il s'agit d'une descente.
35)
1 P 3, 19. Cf. le mot «phylakê». En syr syûl. Voir
Ap 20, 7.
36)
Mt 16,18. Pylai hadon: les portes de l'hadès. En
syr. tarce da-syûl. Cf. Is 38,10; Sg 16,13.
37)
Le mot geena, géhenne apparaît neuf fois dans le
Nouveau Testament: Mt 5,22, 45, 47; 20, 28; 23, 15, 33; Le 12, 5; Je 3,6. Cf. TWNT, vol. I, pp. 657-658.
38)Ap20,
13-14.
39) Ap 19, 20; 20, 10, 14-15 limnê toupyros: en syr. hawtô
d-nûrô.
sont unies au Christ dans la Jérusalem céleste40.
Telle est la conception du Nouveau
Testament en lien avec la foi en Jésus et en sa résurrection. En vertu de
cette résurrection, la communauté de Jésus est assurée contre la puissance de l'hadès parce qu'elle a par la foi en lui accès
au royaume du Père. En ce sens on ne dira plus que les morts sont dans l'hadès,
mais en présence de Jésus. Oui les morts qui sont au schéol et qui ont
précédé le Christ dans ce lieu souterrain, le Christ ira les rejoindre, il les
prêchera et les ramènera à Dieu. Deux textes retiendront ici notre attention:
celui de Matthieu 27, 50-53 et celui de la
première épître de Pierre 3,19ss; 4,6. Mais nous n'oublions pas que le Christ a les clés de l'hadès et que dans son
combat il domine la puissance de la mort. Voilà comment Ephrem décrit la
descente du Christ au Schéol après sa victoire sur la croix41:
Une voix
cria, ils s'assemblèrent et vinrent
les armées
du diable et ses serviteurs.
Toute
l'armée de la zizanie se réunit.
Ils avaient
vu Jésus vainqueur.
Malheur
pour la gauche!
Pas un qui
n'en fut tourmenté;
chacun
raconta ce qu'il souffrit.
Péché et
Schéol furent effrayés.
Les morts
se rebellèrent, la Mort trembla,
les
pécheurs se révoltèrent, le Diable vacilla.
Et nous revenons au texte de Matthieu et
nous le citons selon la traduction de la TOB. «Mais Jésus criant de nouveau
d'une voix forte, rendit l'esprit. Et voici
que le voile du sanctuaire se déchira en deux de haut en bas; la terre
trembla, les rochers se fendirent; les tombeaux s'ouvrirent, les corps de
nombreux saints défunts ressuscitèrent: sortis des tombeaux après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte
et apparurent à un grand nombre de gens».
Jésus cria deux fois, et ce ne fut pas un
cri de détresse et de désespoir, mais un
cri de confiance. Jésus s'adresse à Dieu en chantant les Psaumes42.
A
40) Ph 1,23; He 12,22.
Dans Ap 6,9, on lit que les âmes sont sous l'autel céleste car là sont les martyrs; et dans 7,9, on dit qu'elles sont
devant le trône de Dieu.
41)
C Nis 35,1. Il s'agit de la voix que fit entendre le
Christ à la croix.
42) Le psaume 22 commence
par un cri de déreliction, mais il se termine par une prière confiante.«Tu m'as
répondu! Je vais redire ton nom à mes frères et te louer en pleine assemblée»; v.22-23.
son second cri, il y eut des phénomènes cosmiques qui, dans
l'Ancien Testament, annoncent le jour du jugement dernier43. Mais
l'on pourrait paraphraser en pensant à ce que nous avons dit du schéol. La
terre tremble, telle une femme enceinte qui garde des enfants dans son sein;
elle les fera sortir. Les rochers qui ferment l'accès du schéol se fendent pour
ouvrir les portes de cette prison qui garde les morts. Les tombeaux des saints
s'ouvrent comme le tombeau du Christ s'est ouvert, les défunts ressuscitent
comme le Christ, et ils apparaissent aux
gens de la ville sainte comme le Christ lui-même est apparu à ses
disciples et aux femmes. Les juifs avaient demandé pour se convertir qu'on
vienne à eux de chez les morts44; les gens sont venus, mais surtout le Christ est revenu emmenant derrière lui
les signes de sa victoire45. Il a dépouillé les Autorités, il
les a publiquement livrées en spectacle, il les a traînées dans le cortège
triomphal de la croix46.
Ce texte de Matthieu qui est souvent cité dans le
commentaire du Diatessaron47, est chanté par Ephrem dans ses hymnes
de Nisibe:
Mort
terminait son discours moqueur
quand au
schéol tonna la voix du Seigneur.
Il cria,
les tombeaux s'ouvrirent.
La peur
saisit Mort et Schéol qui ne connaissaient la lumière;
des anges
reçurent rayons de clarté, ils entrèrent et firent sortir
les morts
devant le Mort qui vivifie tout.
Les morts
sortirent, les vivants de honte rougirent,
ils
pensaient avoir évincé le Vivificateur universel48.
Le second texte du Nouveau Testament qui retiendra notre
attention est celui de la première épître de Pierre. Nous le lisons aussi dans
la TOB. «C'est
43) Cf. Am 8,3: Is 26,19; Ez 37,12; Dn 12,2.
44)
Cf. Le 16, 30. C Nis 53,5 fait allusion à Le 16,25.
45) Cf. 2 Co 2,14.
L'incise «nous emmène en tout temps dans son triomphe» manque dans la pesitto.
46) Col 2,15. L'image est celle d'un général
romain victorieux qui s'avance précédé des ennemis.
47) Ephrem
de Nisibe, Commentaire de l'évangile concordant ou Diatessaron, tr. de L. Leloir. Paris 1966. S.C. 121, pp.
365, 374, 376, 386, 387...
48) C Nis 36,11. Nous
lisons dans Diatessaron p.365: «Le Père voulait montrer par les morts qu'il l'avait entendu, afin d'instruire les
vivants et de les persuader de l'écouter par l'obéissance des morts». Cf. C Nis
38,1. Mort dit: un captif m'a saisi, emporta ses prisonniers, monta au paradis.
C Nis 39, 6: la croix ouvre les tombeaux.
alors qu'il est allé prêcher même aux esprits en prison, aux
rebelles d'autrefois quand se prolongeait la patience de Dieu... C'est pour
cela, en effet, que même aux morts la bonne nouvelle a été annoncée».
De même que le
Sauveur s'acquitte de son ministère sur la terre, de même il se déplace et prêche dans l'autre
monde. Lui dont la mission était d'amener tous les pécheurs à Dieu, il va étendre
son action dans un autre domaine; il s'adresse aux esprits en prison,
c'est-à-dire ceux qui sont au schéol49. Le Christ s'en va chez les
défunts tant justes que pécheurs, il s'en va dans les enfers, le plus bas des cercles cosmiques, dans le réceptacle de tous
les morts.
Cette fosse localisée dans les profondeurs
ténébreuses50 est dénommée prison. Il s'agit de l'hadès où sont
détenus les croyants de l'ancienne Alliance espérant
le Messie51. En effet, il est dit dans l'Apocalypse52: la
mort et l'hadès donnèrent les morts
qui étaient en eux, et ils furent jugés chacun d'après leurs œuvres.
Oui, le Christ qui avait été oint pour proclamer aux captifs la délivrance a profité du délai de trois jours pour
manifester sa compassion aux morts et leur apporter l'ultime chance de
salut.
Jésus avait prédit que le Fils de l'homme
demeurerait trois jours dans le cœur de la
terre53. Cette prédiction fut réalisée et Saint Pierre en parlera
dans le premier kérygme. «Tu ne laisseras pas mon âme dans l'hadès»54.
Ainsi le Christ est descendu dans les régions inférieures de la terre, y avait
rendu à l'impuissance celui qui détenait
l'empire de la mort, le Diable55. Ce triomphe fut manifesté
par la sortie des saints de leurs tombeaux, le Vendredi-Saint. Voilà ce que
nous lisons à ce sujet dans le Testament de Lévi: «Sachez donc maintenant que le Seigneur exécutera le jugement
sur les fils des hommes. Car les rochers se fendent... toute la création
est ébranlée, les esprits invisibles se consument et le schéol est dépouillé à
la souffrance du Très-Haut»56. Et les Odes de Salomon commentent:
«Le schéol m'a vu et a été vaincu... J'ai tenu
49)
La pesitto traduit le mot «phylakê», prison par «syûl».
Cf. Ps 16, 10; 139, 8-10.
50)
Voir Is 24, 22; Jude 6-7.
51)
Os 13, 14; Ps 49, 16; Sg 3,1-7; He 11, 39-40.
52)
Ap 20, 13.
53)
MT 12, 40.
54)
Ac 2, 27-31.
55)
He 2,14; cf 13,20; Jn 5,25-29. Cf. P.Benoit, La descente aux enfers
selon W.Bieder, dans Revue Biblique, 1951, pp. 99-102. Edité dans Exégèse et
Théologie I, Paris, pp. 412-416.
56) Testament de Lévi 4,1. Cf. Ev. de
Nicodème 17 ss; Mt 27, 52.
une assemblée de vivants parmi ses morts et je leur ai parlé avec
des lèvres vivantes, en sorte que ma parole ne fût pas vaine. Ils ont couru
vers moi ceux qui étaient morts, ils ont
crié et dit: Aie pitié de nous, Fils de Dieu, et agis avec nous selon ta
grâce; fais-nous sortir des ténèbres et ouvre-nous la porte, pour que par elle
nous sortions avec toi. Soyons sauvés, nous aussi avec toi, parce que tu es
notre Sauveur. Pour moi, j'entendis leur voix et je traçai mon Nom sur leur
tête; c'est pourquoi ils sont libres et ils m'appartiennent»57.
Selon Saint Pierre, Jésus est descendu au
séjour des morts, comme tout trépassé; il y fut actif et y a fait une
proclamation, celle de la délivrance des justes. N'est-il pas le Messie
rédempteur jusqu'aux enfers inclus? Oui, l'âme du Sauveur a annoncé leur délivrance aux âmes de foi qui l'attendaient58.
Il a remonté des enfers, à la tête d'une multitude de prisonniers
libérés, les premiers fruits de sa rédemption, qu'il introduit au ciel59.
Tout, au nom de Jésus, s'agenouille, au
plus haut des cieux, sur la terre, et dans
les enfers60. Par son Incarnation, le Christ est venu sur terre, à
sa mort il descend aux enfers, à sa résurrection il monte au ciel. Or
dans ces divers compartiments de l'univers, il reçoit l'acclamation de ceux qui
y séjournent. Même les habitants des enfers «fléchissent le genou», le
reconnaissent pour Maître et l'adorent.
Tous les morts descendent au schéol. C'est
l'assertion de l'Ancien Testament sur
laquelle se base saint Ephrem pour parler de l'universalité de la rédemption.
Ceux qui sont morts avant Jésus-Christ ont été visités par Jésus-Christ et ont
reçu sa prédication. Telle est l'affirmation du Nouveau Testament. Par sa mort, le Christ est présent aux morts. Il vainc le
schéol et le maître du schéol, le diable. Désormais, la défaite des
puissances du mal est chose faite et la victoire du Christ est acquise. Il
s'agit d'expliciter tout cela; c'est ce que cherchera a faire Aphraate, le sage
persan.
57) Odes de Salomon 42, 15-26; Ascension
d'Isaïe 9,13-18. Dans Évangile de Pierre 41 on lit: «Une voix venant du ciel disait: As-tu
prêché aux dormants?... On entendit répondre: oui».
58)
He 11,40; Ignace d'Antioche ad Magn 9,2. Odes
de Salomon 17,11.
59) C. Spicq, Les épîtres de Saint Pierre, Paris,
1966. Sources bibliques, pp. 136-139; Ce texte est une hymne baptismale. Voir M.E.Boismard, Quatre hymnes
baptismales, dans la première épître de Pierre, Paris, 1961. Lectio divina n° 30, pp. 57-109.
60)
Ph 2,10. En grec: «katachthonios»; en syr. Itaht
men arco: au dessous de la terre.
3. La notion du
schéol dans Aphraate
Après ce survol des textes de l'Ancien et
du Nouveau Testament, après ces allusions aux textes de Saint Ephrem61
dans les Chants de Nisibe, nous nous arrêterons plus longuement aux
Démonstrations d'Aphraate.
Ce qui frappe d'abord l'attention c'est
que Aphraate n'emploie que deux fois le mot
géhenne62 dans ses démonstrations, mais il se limite au mot schéol qui
signifie aussi bien le lieu où séjournent tous les morts que le lieu réservé
aux pécheurs et aux damnés. Glanons quelques textes pour étayer notre
affirmation. Dans la démonstration sur la foi, on lit: «(la foi) a rendu la vie
aux morts et les a fait monter du schéol»63. Dans la démonstration
sur la prière, Aphraate dit: «Quand le prophète Jonas pria il fut entendu du
schéol inférieur. Comme il y était seul, il
fut entendu et exaucé. Elisée pria aussi et il ramena l'enfant du schéol
et il le sauva des mains des mauvais qui l'entouraient»64. En effet,
Jonas était parvenu au séjour des morts qui se présente à lui sous la figure
d'un poisson qui l'avale. Et si Elisée ramène l'enfant
à la vie, cela signifie qu'il n'est pas déjà dans la seconde mort. Dans la même
démonstration, il est dit: «la prière d'Elie a pris d'entre les mains de la
mort sa proie et l'a ramenée du schéol»65.
61) Voir J. Teixidor, Le thème de la descente aux
enfers chez saint Ephrem dans l'Orient Syrien, vol. VI (1961) pp.
24-40. Voir aussi dans le contexte du judéo-christianisme J.Daniélou, Théologie du judéo-christianisme, Paris, 1958, pp. 257-273.
62) Dem XIV, 26, p. 641, 2; XIV, 30, p. 649, 18. Ephrem emlpoie le mot syûl dans C Nis 35, 1, 6, 7,15; 36, 2, 3;
37,1, 2.... mais aussi le mot gihanô C Nis 38,11; 44, 5; 47,14; 48,12...
mais que signifie le mot gihanô
comparé au mot syûl dans C Nis 38, 11? On. y parle de «la mort du schéol» et de «la vie en géhenne». L'apocalypse
de Baruch parle de syûl dans XI, 6, 7: Allez annoncer au schéol et
dire aux morts: Bien plus heureux êtes-vous que nous les vivants... Dans XXI, 23,
on lit: Que le schéol soit scellé, que dès à présent il ne reçoive plus les
morts et que la résurrection des âmes libère celles qui y sont enfermées. Voir
aussi XLVIII, 16; LU, 2; LVI, 6; LXXXIII, 17. Les textes sont clairs pour
parler du séjour des morts. Le mot gihanô paraît deux fois. LIX, 10; LXXXV, 13. On y parle de la «gueule
de la géhenne», «du chemin de feu, du sentier menant au brasier» (gihanô). Apocalypse de Baruch, tr. P. Bogaert, Paris, 1969, S.C. 144-145.
63) Dem I, 18, p. 44,6. Il est entendu que la
citation renvoie à l'édition de la Patrologia syriaca,
vol I, II, Paris 1894. Le chiffre romain désigne le numéro de la démonstration
et le chiffre arabe le numéro du paragraphe. Puis, on indique la page et
la ligne.
64) Dem IV, 12, p. 164, 20-25. Aphraate fait
allusion aux textes de l'Ancien Testament. Dathan et Abiram (cf. Nb 16, 1-12),
descendent au schéol (V, 3, p. 188, 3-5); Nabuchodonosor s'était enorgueilli, il sera abaissé jusqu'au
schéol (Is 14, 1-2). Voir V, 4, p. 190, 1-6. Le Seigneur fait descendre
au schéol et en remonter 1 S 2,6. Voir VIII, 10, p. 381, 3-4.
65)
Dem IV, 12, p. 164, 10-12. Le schéol équivaut aux mains
de la mort.
Mais le schéol signifie aussi le lieu
réservé aux pécheurs. Dans la démonstration sur l'amour, Aphraate parle des
mauvais riches. Le Christ nous a révélé que
celui qui aime le monde ne peut pas plaire à Dieu, et cela est clair dans l'exemple du riche qui mit son espoir
dans ses biens66 et de l'homme qui s'est plu dans ses richesses, et
ce fut sa ruine dans le schéol67. Il s'agit là de la perdition.
Le texte qu'utilise Aphraate est celui de Tatien qui parle du schéol, et s'il avait utilisé celui de la
Pesitto, il aurait parlé d'un tourment dans les flammes68.
Soit dit en passant, Aphraate parle en ces termes du sort des méchants et des justes: ceux qui n'ont pas fait
cela, il les envoya aux supplices (éternels), mais les fils de la droite, il
les envoya au Royaume69. En fait, pour parler des souffrances de
l'enfer, Aphraate cite le mot de «tasniqo»: quand on ne porte pas
de fruit, on est jeté dans le tasniqo, les tourments70. Si on
veut posséder la vie, on espère ne pas être mêlé le jour de la résurrection aux
mauvais qui retournent au schéol et au tasniqo11.
On lit encore un parallèle entre le
Royaume et le schéol: ceux qui retournent au schéol pleurent et grincent des
dents; ceux qui vont au Royaume se
réjouissent, exultent et dansent72; et on lit une comparaison entre le
schéol et le feu à propos de Coré et de ses compagnons: le schéol ouvrit sa
bouche et les engloutit, le feu s'alluma et les mangea. Ainsi eurent-ils la
rétribution qu'ils méritaient73.
Ce qui est remarquable, c'est le double
sens du mot schéol: celui du Nouveau Testament, ce lieu réservé aux pécheurs;
celui de l'Ancien Testament, ce séjour de
tous les morts, qu'ils soient justes ou impies. De plus, ce que l'Ancien
Testament dit de la mort physique, Aphraate le dit de la mort
66) Le 12, 16 ss.
67) Dem II, 20, p.96,
4-8. Cf. Le 16,24. Voir aussi XX, 6, p.904, 13-15.
68)
Dans Tatien et Aphraate on a: tuloqeh ba-syûl». Dans
Pesitto: mestanaq-nô b-salhebitô hodë».
69) Dem 14,15, p.173,
10-13. Il s'agit de la scène du jugement. Mt 25, 31-46.
70)
Dem VI, 1, p.248,12. Auparavant il est dit: qui ne porte
pas l'habit de noce sera jeté dans les ténèbres extérieures; qui aime la ville
et le commerce (on parle à des moines) sera empêché d'entrer dans la ville des saints.
71) Dem VIII, 7, p. 373, 11-15. On
voit une équivalence entre le schéol et les tourments de l'enfer. Cf. VIII, 20-21, p. 400,14-25; XX, 9, p.
908, 3-25 où nous avons le texte de Luc 16,22-31.
72)
Dem VI, 6, p. 268, 23-26; cf. VI, 18, p. 309, 18-20. Nous avons un
parallèle similaire entre
le royaume et la géhenne XIV, 30, p. 649, 2.
73)
Dem IX, 8, p. 425, 17, 20. Cf. Nb 16,
1-27.
de l'âme, de la seconde mort, comme dit l'Apocalypse74,
de l'état de damnation en enfer75. Datan et Abiram, Coré et ses
compagnons sont morts engloutis dans la terre. Mais Aphraate qui considère
cette mort comme une punition, estime qu'il s'agit de la damnation éternelle.
Aphraate, il est vrai, utilise l'imagerie
de l'Ancien Testament, mais il se place au niveau du Nouveau Testament. Et pour
lui, il n'y a qu'un seul qui soit descendu au schéol comme séjour des morts et
en soit remonté, c'est Jésus-Christ. Il y
est descendu non pas pour y demeurer, mais pour en sortir et faire
sortir avec lui tous les justes qui y demeurent. Il n'y est pas descendu comme
un homme vaincu pour mener une vie diminuée, mais comme vainqueur pour faire la
guerre aux puissances de la mort et ramener les captifs, Adam en tête. A la
lumière de cette descente dans la mort et la résurrection, les images prennent
une teinte nouvelle et les personnages reçoivent une autre destination. Tout
l'Ancien Testament converge vers le Nouveau pour en recevoir la plénitude de
sens.
Voilà comment Aphraate exprime cela dans
ses démonstrations. En s'adressant aux moines, il leur commente le texte de
saint Paul sur la résurrection76: «La nuit s'enfuit, la lumière
domine, l'aiguillon de la mort est brisé et
il a été englouti par la vie. Ceux qui retournent au schéol77
pleurent et grincent des dents; et ceux qui vont au Royaume se
réjouissent, exultent et dansent»78.
Et dans les Exhortatoria, Aphraate
confesse sa foi: «Que devait Notre-Seigneur
à la mort? Qu'avait-il emprunté au schéol? Tandis qu'il était vivant il
74)
Ap 20, 6, 14.
75)
D'autres
auteurs essaient d'expliquer le schéol dans le sens historique ou moral. Par ex
Isodad de Merv. Voici ce qu'il dit à propos
de Dt 32,22: Parce qu'un feu, ce sont les Babyloniens, s'allumera dans ma colère et il les brûlera jusqu'à les faire descendre au plus profond du
schéol qui est Babel. D'autres disent: le feu qu'ils allumeront
ne brûlera pas seulement les villes et les maisons
etc. mais ils brûleront jusqu'aux tombeaux des morts. C. Van den Eynde, Commentaire d'Isodad de Merv sur l'Ancien Testament, II, Exode-Deutéronome,
Louvain, 1958. CSCO 179/Syr
81, p. 184. Cf. aussi p. 130, à
propos de Nb 16,30. Et à propos du Ps 16,10, Isodad dit: Tu n'as pas
abandonné mon âme au schéol, savoir: je fus immergé dans un abîme de
tribulations comme dans le schéol. Et tu n'as pas laissé ton peuple,
purifié de l'idolâtrie, voir la corruption par les mains de ses ennemis. Commentaire d'Isodad, VI, Les
Psaumes, p. 141. Cf. aussi p.44, à propos du Ps 18,5-6.
76)1 Cor
15, 54-55. 77) Citation du Ps 9,18. 78)Dem
VI, 6, p. 268,21-26.
était fort pour les rebelles et il les a réconciliés avec son
Père. Il pénétra au schéol et en fit sortir ses captifs: il lutta avec le
Malin, il le vainquit et le piétina; il mit
le trouble dans son domaine et emporta ses possessions. Il brisa ses portes et cassa ses verrous; il enleva ses
épines et les déposa sur sa tête (du malin). Il signa nos âmes par son
propre sang et il délivra les captifs du puits de la prison. Il brisa la haie
et le glaive, il emporta la malédiction et la cloua sur la croix. Ceux qui étaient dispersés, il les réunit; ceux qui
s'étaient rebellés, il les pacifia»79.
Puis Aphraate cherche des modèles dans
l'Ancien Testament pour les appliquer au Christ. Il compare Moïse et Jésus, les
chrétiens et les Hébreux dans la célébration de la fête de Pâques. Eux ont
immolé un agneau qui par son sang les
délivra du dévastateur; nous, nous sommes sauvés par le sang du Fils élu
des œuvres de la corruption que nous avons faites. Ils eurent Moïse pour les
conduire, et nous avons Jésus pour nous mener et nous sauver. Pour eux, Moïse
fendit la mer et les fit passer. Notre Seigneur divisa le schéol, il brisa ses
portes pour y entrer. Il les ouvrit et traça la route devant tous ceux qui
croient en lui80.
Son second modèle,
c'est David. Le texte dit: «Ils ont percé mes mains et mes pieds, tous mes os se sont lamentés81.
En effet, le Christ fut libéré du glaive, il rencontra le schéol; il redevint
vivant et après trois jours il ressuscita»82.
Ananias et ses
compagnons furent comparés au Christ. Il en est de même de Daniel. Ananias et ses compagnons
connurent le feu et Jésus le schéol. Il est dit: «ils tombèrent dans la
fournaise de feu. Quant à Jésus, il est descendu au lieu des ténèbres; il brisa
ses portes et il fit sortir ses captifs. Eux sortirent de la fournaise indemnes
et Jésus remonta vivant des ténèbres»83.
Daniel fut jeté dans la fosse aux lions,
il fut délivré et remonta indemne de la
fosse. Jésus fut jeté dans la fosse aux morts, il en remonta et la mort n'eut pas
de pouvoir sur lui. Pour Daniel, la bouche du lion fut fermée; pour Jésus fut
fermée la bouche avide de la mort84.
79)DemXIV, 31, p. 651,3-15.
80) Dem XII, 8, p. 521, 24-523,7.
81) Ps 22,17-19. Le texte
cité est celui que nous lisons dans la pesitto.
82) Dem XVII, 10, p. 809, 3-9.
83)
Dem XXI, 19, p. 977, 7-14. Cf. Dn 3,8-30.
84)
Dem XXI, 18, p. 973, 7-17. Cf. Dn 6,
11-24.
Au terme de cette communication, j'ai fait
quelques allusions à Ephrem et je me suis arrêté un peu sur Aphraate. Mon but
n'était pas de m'attarder aux pères
syriaques, mais de montrer le substrat biblique sur lequel ils se sont appuyés
pour parler de la descente du Christ au schéol chez les morts qui y séjournent
attendant sa venue. J'ai insisté sur la notion de schéol dans l'Ancien
Testament et j'ai commenté les deux textes principaux du Nouveau Testament qui
montrent que la descente du Christ aux enfers fut en fait sa victoire sur la
mort et les prémices de sa résurrection. En agissant ainsi, j'ai voulu montrer
la source où ont puisé Ephrem, Aphraate et d'autres afin de présenter le
mystère du salut.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire