août 11, 2010

La levée des excommunications de quatre évêques de la Fraternité Saint Pie X. Philippe Toxé

La levée des excommunications de quatre évêques de la Fraternité Saint Pie X.

Philippe Toxé

Maître de Conférences à la Faculté de Droit canonique de Paris

Doyen Honoraire

Le 21 janvier 2009, le Cardinal Ré, préfet de la Congrégation pour les évêques, sur mandat pontifical, a déclaré qu’était accordée la levée de l’excommunication latae sententiae encourue par les quatre prêtres qui avaient été ordonnés évêques par Mgr Lefebvre en juin 1988, et déclarée par la Congrégation pour les évêques, par décret du 1er juillet 19881

La lecture purement canonique ou ecclésiastique de l’événement a été quelque peu brouillée par le fait que l’un des quatre évêques concernés a tenu et réitéré dans les médias, des propos niant l’existence des chambres à gaz dans les camps de concentration nazis. Ces propos négationnistes ont suscité de vives réactions bien au delà du monde catholique et la polémique qui s’en est suivie a quelque peu occulté l’objet formel du décret du 21 janvier. Ce trouble ainsi que quelques doutes sur la portée du décret ont conduit la Secrétairerie d’Etat à publier une note, le 4 février 2009, précisant d’une part, la portée de la décision du 21 janvier au sujet du statut canonique des quatre évêques et de la Fraternité Saint Pie X, d’autre part, la reconnaissance de l’enseignement du Concile Vatican II et de tous les pontifes depuis Jean XXIII, comme condition d’une pleine réintégration ecclésiale des évêques et des fidèles clercs et laïcs liés à la Fraternité Saint Pie X (FSSPX) et enfin, la condamnation des propos négationnistes tenus par Mgr Williamson et la nécessité pour lui de les retirer s’il envisageait d’exercer des fonctions épiscopales dans l'Eglise catholique. . L’information au sujet de ce décret a été diffusée le samedi 24 janvier 2009.

En attendant des études plus approfondies sur cette question qui peut encore évoluer dans l’avenir, nous voulons faire une brève présentation de la décision sous le seul aspect canonique. C’est pourquoi après une analyse de la décision, nous essaierons d’en préciser la portée2.

I. Analyse du décret de remise des peines d’excommunication des quatre évêques.

1 Par un décret qui lui fut notifié le 22 juillet 1976, Mgr Lefebvre avait été suspens a divinis pour avoir procédé à des ordinations sacerdotales, malgré l’interdiction du pape et ne pas avoir manifesté de résipiscence à la suite d’une monition qui lui avait été faite le 6 juillet de la même année. En 1988, Mgr Lefebvre avait été déclaré excommunié pour schisme et ordination épiscopale illicite. Les 4 évêques illicitement ordonnés avaient été déclarés excommuniés pour ordination épiscopale illicite. Mgr Antonio de Castro Mayer, évêque émérite de Campos avait été déclaré excommunié pour schisme. Il n’est pas inutile de se rappeler la teneure de ce décret de la Congrégation pour les Evêques, paru en latin dans l'Osservatore Romano du 3 juillet 1988 : « Mgr Marcel Lefebvre, archevêque-évêque émérite de Tulle, négligeant la monition canonique formelle du 17 juin ainsi que les appels répétés à ne pas donner suite à son projet, a commis une action par elle-même de nature schismatique: il a consacré évêques quatre prêtres sans mandat pontifical et contre la volonté du Souverain Pontife. C'est pourquoi il a encouru la peine prévue par le canon 1364, §1 et le canon 1382 du Code de Droit canonique. A tous effets juridiques, je déclare que le susnommé Mgr Marcel Lefebvre, ainsi que Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galaretta ont encouru ipso facto l'excommunication latae sententiae réservée au Siège apostolique. De plus, je déclare que Mgr Antonio de Castro Mayer, évêque émérite de Campos, a encouru l'excommunication latae sententiae prévue par le canon 1364, §1, parce qu'il a directement participé à la célébration liturgique en tant que coconsécrateur et adhéré publiquement à un acte schismatique. Les prêtres et les fidèles sont avertis de ne pas donner leur assentiment à l'acte schismatique de Mgr Lefebvre afin de ne pas encourir la même peine. Donné à Rome, au siège de la Congrégation pour les Evêques, le 1er juillet 1988. Bernardin Cardinal GANTIN, Préfet de la Congrégation pour les Evêques »

2 Pour le texte du décret et de la note de la secrétairerie d’Etat, ainsi que leur traduction, nous utilisons celles que nous avons trouvé sur les sites Internet du Saint-Siège et de l’agence d’information Zenit. Pour le texte en italien du décret : site du Saint Siège, consulté le 15 février 2009 : http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cbishops/documents/rc_con_cbishops_doc_20090121_remissione-scomunica_it.html; pour la traduction française du décret du 21 janvier 2009 : http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cbishops/documents/rc_con_cbishops_doc_20090121_remissione-scomunica_fr.html site consulté le 4 mars 2009 ; pour la traduction française de la note de la Secrétairerie d’Etat du 4 février 2009 : http://www.zenit.org/article-20076?l=french, site consulté le 15 février 2009.

Ce décret accorde la levée de l’excommunication latae sententiae qui avait été déclarée pour les délits mentionnés dans le décret de la Congrégation en date 1er juillet 1988, à la suite des ordinations épiscopales illicites. Ce n’est pas un décret qui annule le précédent, ni qui le révoque, ou qui dispenserait d’une peine. Le décret ne prend donc pas du tout à son compte les raisonnements qui ont été parfois tenus par certains membres de la FSSPX pour discuter le bien fondé de l’excommunication (état de nécessité, circonstances atténuantes ou exonératoires); il ne met nullement en cause la validité du décret qui a déclaré les excommunications en 1988, pas plus que l’existence du délit qui était donc bel et bien constitué, ni de la légitimité de la sanction, qui fut donc bel et bien encourue et légitimement déclarée.

Une excommunication est une sanction médicinale, une censure, qui vise à l’amendement de l’auteur de l’acte qualifié de délit. L’absolution est la manière de remettre une censure ; c’est un acte de justice que l’autorité ecclésiastique ne peut refuser si les conditions sont remplies. La censure ne peut en effet être remise par dispense, et ceci à cause de la finalité médicinale des censures qui est la résipiscence et la conversion du coupable, ce dont l’autorité ne peut dispenser ! Il lui revient seulement de vérifier si le coupable a abandonné sa « contumace », c’est à dire sa persistance dans son intention délictuelle, son refus de s’amender. Comme le dit le canon 1358.1, « la remise d'une censure ne peut être accordée si ce n'est au délinquant qui a mis fin à sa contumace, selon le canon 1347, § 2; mais elle ne peut être refusée à qui y a mis fin. »

Dès lors que l’abandon de la « contumace » est défini au canon 1347.2, comme impliquant le repentir du coupable et la réparation effective ou promise du dommage et du scandale, il appartient à l’autorité de vérifier s’il est réellement mis fin à la contumace et si oui, il y a l’obligation de l’autorité de remettre la censure, puisque ce qui avait donné lieu à la censure (à savoir la « contumace ») n’existe plus. Le § 2 du canon 1358 précise que celui qui remet la censure peut prendre des mesures selon le canon 1348 (monitions appropriés, autres moyens de sollicitude pastorale, remèdes pénaux), ou même imposer une pénitence.

1) Une demande par le fidèle à l’autorité compétente.

Un fidèle frappé par une excommunication (infligée ou déclarée) s’il veut se réconcilier avec l’Eglise, doit s’adresser à l’autorité qui a pris le décret ou bien à son supérieur ou encore à l’autorité qui s’est réservé la cause. En l’espèce, l’excommunication avait été déclarée par le Siège apostolique et lui était réservée. Il était donc seul compétent pour remettre la peine (canon 1355.1). Le fidèle doit démontrer à l’autorité ecclésiastique à qui il appartient d’en juger, sa résipiscence et son désir de se réconcilier avec l’Eglise. C’est ce qu’a du faire Mgr Fellay en son nom propre et aux noms des trois autres évêques, par une lettre du 15 décembre 2008 adressée au Cardinal Castrillon Hoyos. Le décret en cite un extrait qui exprime la résipiscence des évêques sanctionnés : « « Nous sommes toujours fermement déterminés dans notre volonté de demeurer catholiques et de mettre toutes nos forces au service de l’Église de Notre-Seigneur Jésus Christ, qui est l’Église catholique romaine. Nous acceptons ses enseignements dans un esprit filial. Nous croyons fermement au Primat de Pierre et à ses prérogatives, et c’est pour cette raison que la situation actuelle nous fait tant souffrir3. » Comme le délit était un acte qui portait atteinte à l’obéissance due au pape et à la communion de l’Eglise, on comprend que les termes retenus soient ceux qui manifestent aujourd’hui la volonté contraire.

2) Le jugement de l’autorité sur la demande.

Il appartient à l’autorité, ici le Souverain Pontife, d’estimer si la volonté manifestée par le fidèle sanctionné démontre de manière suffisante sa résipiscence. Le décret constate que le pape a estimé que les conditions pour l’absolution de la censure encourue était réunies, lorsqu’il dit que le pape est « sensible comme le serait un père au malaise spirituel manifesté par les intéressés à

3 Le texte italien du décret est ainsi rédigé : "Siamo sempre fermamente determinati nella volontà di rimanere cattolici e di mettere tutte le nostre forze al servizio della Chiesa di Nostro Signore Gesù Cristo, che è la Chiesa cattolica romana. Noi accettiamo i suoi insegnamenti con animo filiale. Noi crediamo fermamente al Primato di Pietro e alle sue prerogative, e per questo ci fa tanto soffrire l'attuale situazione »

cause de la sanction d’excommunication, et confiant dans leur engagement, exprimé dans la lettre citée, de ne ménager aucun effort pour approfondir, lors des colloques nécessaires avec les Autorités du Saint-Siège, les questions qui restent en suspens, de manière à pouvoir parvenir rapidement à une solution pleine et satisfaisante du problème posé à l’origine

4

C’est la règle habituelle dans l’Eglise que de faire confiance à un fidèle qui manifeste son désir de mettre fin au péché et d’être en communion. ».

La note de la Secrétairerie d’Etat a explicité cette nécessité d’organiser dans l’avenir des colloques pour dirimer les points sur lesquels les évêques de la Fraternité Saint Pie X ne se sont pas encore exprimés de manière non équivoque. La Secrétairerie d’Etat affirme en effet que « pour une reconnaissance future de la Fraternité Saint-Pie X, la pleine reconnaissance du Concile Vatican II et du magistère des papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et de Benoît XVI lui-même, est une condition indispensable ».

3) Un mandat expresse donné au cardinal préfet.

Comme pour d’autres affaires de grande importance et parce que les délits causés par les évêques sont de la compétence du seul Souverain Pontife (canon 1405.1.1°), il a donné mandat spécial au cardinal préfet pour relever de l’excommunication, comme cela apparaît dans l’expression : « In base alle facoltà espressamente concessemi dal Santo Padre Benedetto XVI » (En vertu des facultés expressément accordées par le Saint Père Benoît XVI).

4) Le dispositif.

La décision principale est l’absolution de la censure : « en vertu du présent décret, j’accorde aux Évêques Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galarreta la levée de l’excommunication latae sententiae décrétée par cette Congrégation le 1er juillet 19885 ». La suite est une conséquence de la première proposition : le décret pénal précédent est privé de ses effets juridiques à partir de ce jour6

1) de participer de quelque façon en tant que ministre à la célébration du Sacrifice de l'Eucharistie et aux autres cérémonies du culte quelles qu'elles soient; . Les effets dont il est question sont ceux qui sont attribués à l’excommunication par le canon 1331 CIC. On se rappellera que dans tous les cas, à tout excommunié (latae ou ferendae sententiae) il est défendu:

2) de célébrer les sacrements ou les sacramentaux, et de recevoir les sacrements;

3) de remplir des offices ecclésiastiques, des ministères ou n'importe quelle charge, ou de poser des actes de gouvernement.

En plus, selon le canon 1331 § 2, si l'excommunication a été infligée ou déclarée, le coupable:

1) s'il veut agir contre les dispositions du § 1, n. 1 (l’interdiction de participer de quelque façon en tant que ministre à la célébration du Sacrifice de l'Eucharistie et aux autres cérémonies du culte), doit en être écarté, ou bien il faut interrompre l'action liturgique, à moins qu'une raison grave ne s'y oppose;

2) pose invalidement les actes de gouvernement qui selon le § 1, n. 3, ne lui sont pas permis;

3) n'est pas autorisé à jouir des privilèges qui lui avaient été précédemment accordés;

4) ne peut obtenir validement une dignité, un office ou une autre charge dans l'Église;

5) ne peut s'approprier les fruits d'une dignité, d'un office, de n'importe quelle charge ou d'une pension qu'il aurait dans l'Église.

Du fait de la remise de la peine, ces divers effets de l’excommunication disparaissent, mais cela n’implique pas que les évêques délinquants peuvent exercer tous les droits des fidèles en général et des clercs en particulier. Comme ces évêques peuvent être sous le coup d’autres censures et

4 « paternamente sensibile al disagio spirituale manifestato dagli interessati a causa della sanzione di scomunica e fiducioso nell'impegno da loro espresso nella citata lettera di non risparmiare alcuno sforzo per approfondire nei necessari colloqui con le Autorità della Santa Sede le questioni ancora aperte, così da poter giungere presto a una piena e soddisfacente soluzione del problema posto in origine. »

5 « in virtù del presente Decreto, rimetto ai Vescovi Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson e Alfonso de Galarreta la censura di scomunica latae sententiae dichiarata da questa Congregazione il 1° luglio 1988 »

6 « mentre dichiaro privo di effetti giuridici, a partire dall'odierna data, il Decreto a quel tempo emanato »

que le décret ne parle pas des autres membres de la fraternité Saint Pie X, il faut maintenant préciser la portée de cette décision.

II. La portée du décret.

Un décret administratif particulier de ce genre ne concerne que les fidèles pour qui il est porté et que la peine mentionnée. Il ne faut donc pas lui faire produit des effets juridiques au delà ou lui demander de résoudre d’autres questions. Un certains nombre de questions concernant d’autres peines ou d’autres membres de la Fraternité Saint Pie X restent donc encore pendantes.

1) La situation des différents membres de la FSSPX au regard du droit canonique pénal.

Le décret ne concerne donc que les quatre évêques dont l’excommunication latae sententiae avait été déclarée en 1988 et qui ont fait la démarche pour en être absous. La décision ne concerne que ce délit et cette sanction, en vertu du canon 1359 CIC : Si une personne est sous le coup de plusieurs peines, la remise vaut seulement pour les peines qu'elle mentionne de façon expresse; mais une remise générale supprime toutes les peines, excepté celles que le condamné aurait tues de mauvaise foi dans sa demande. Si d’autres décrets avaient infligé ou déclaré une peine, pour d’autres délits commis par ces quatre évêques, ils ne sont pas mentionnés et ils gardent leur efficacité juridique. Il faut donc entre autres vérifier si ces quatre évêques, même avant leur ordination épiscopale illicite, n’avaient pas encouru d’autres peines latae sententiae, qu’elles aient été ou non déclarées ou si d’autres peines ne leur ont pas été infligées.

Les autres clercs qui appartiennent à la FSSPX ne sont pas directement concernés par ce décret qui est un acte administratif particulier. Jusqu’à présent, la situation canonique des clercs de la Fraternité Saint Pie X, en tant que clercs, n’est pas modifiée. Salvo meliori iudicio, il semble raisonnable de penser que le plus grand nombre de ces clercs a encouru deux censures : l’excommunication latae sententiae dès lors qu’ils ont adhéré au schisme et la suspense a divinis ipso facto, dès lors qu’ils ont été ordonnés sans dimissoriales d’un ordinaire légitime.

a) Les clercs de la FSSPX sont susceptibles d’avoir encouru l’excommunication latae sententiae pour schisme.

Même si la question fut discutée, les ordinations épiscopales sans mandat pontifical faites par Mgr Lefebvre ont été considérées par plusieurs textes émanant du Saint-Siège comme étant de nature schismatique et la décision de 2009 ne change rien sur ce point7

On peut considérer avec le Conseil pontifical que par leur comportement, les clercs de la FSSPX démontraient adhérer formellement au schisme, soit parce qu’ordonnés avant 1988, ils ont adhéré au schisme après, en demeurant soumis à Mgr Lefebvre, soit parce qu’ordonnés après, ils manifestaient par le fait même leur adhésion au schisme. Le Conseil Pontifical pour les Textes législatifs, dans la note précitée de 1996, interprétant le motu proprio, rappelait en effet : « Le décret de la Congrégation pour les Évêques (de 1988) se réfère explicitement à la nature schismatique des ordinations épiscopales et rappelle les très graves peines d'excommunication . Le fait que les évêques ait été relevés de l’excommunication qui les frappait ne fait pas disparaître le délit qui avait conduit à cette sanction.

7 Il faut encore citer ici la réponse du Conseil pontifical pour les Textes législatifs en 1996. Le texte italien de cette réponse se trouve dans Communicationes 29, 1997, pp. 239-243 et [en ligne] sur le site Internet du Saint Siège, consulté le 15 février 2009 : http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/intrptxt/documents/rc_pc_intrptxt_doc_19960824_vescovo-lefebvre_it.html. Dans cette réponse à l’évêque de Sion, le Conseil Pontifical pour les textes législatifs répondait indirectement à cet argument : « De toute façon, on ne peut raisonnablement mettre en doute la validité de l'excommunication des évêques, déclarée par le Motu proprio [Ecclesia Dei] et le décret. En particulier, il ne semble pas admissible de trouver des circonstances atténuantes ou dirimantes quant à l'imputabilité du délit (canons 1323-1324). Quant à l'état de nécessité dans lequel se serait trouvé Mgr Lefebvre, il faut se rappeler qu'un tel état doit exister objectivement et que la nécessité d'ordonner des évêques contre la volonté du Pontife romain, Chef du Collège des évêques, ne se présente jamais. Car cela signifierait qu'il est possible de « servir » l'Église tout en portant atteinte à son unité en matière étroitement liée aux fondements mêmes de cette unité. »

pour ceux qui adhéreraient au schisme de Mgr Lefebvre ». Le Conseil considérait qu’il y avait adhésion formelle au sens du numéro 5c du Motu proprio Ecclesia Dei, entraînant l'excommunication latae sententiae s’il y avait deux éléments complémentaires:

a) Le premier est de nature intérieure: partager librement et consciemment l'essentiel du schisme, à savoir opter pour les disciples de Lefebvre de façon telle que ce choix prenne le pas sur l'obéissance au Pape.

b) La deuxième est de nature extérieure: c'est l'extériorisation de cette option. Le signe le plus évident en sera la participation exclusive aux fonctions ecclésiastiques lefebvriennes, sans prendre part aux fonctions de l'Église catholique.

Le même Conseil estimait que pour les diacres et prêtres « lefebvriens », il semble être indubitable que leur activité ministérielle à l'intérieur du mouvement schismatique constitue un signe plus qu'évident que les deux conditions (cf. n° 5) se réalisent et qu'il s'agit donc d'une adhésion formelle.

Canoniquement, tout fidèle coupable d’un schisme est excommunié latae sententiae (canon 1364). Sauf s’il y avait des circonstances atténuantes ou exonératoires, la sanction s’applique à lui ipso facto, dès la commission du délit. Mais si aucune autorité ne déclare que telle personne est excommuniée, nous avons vu que les effets de l’excommunication restent restreints et que les tiers ne peuvent les opposer à la personne. S’agissant des clercs de la fraternité Saint Pie X, il ne semble pas que beaucoup d’évêques aient déclaré tel ou tel prêtre ou diacre dans cette situation comme ayant encouru l’excommunication ou une suspense latae sententiae. S’agissant donc de ces clercs ou des fidèles qui auraient adhéré à l’acte de nature schismatique posé en 1988 et seraient donc coupables de ce délit, ils sont soumis au régime normal de tout fidèle frappé d’une censure latae sententiae non déclarée. S’ils viennent à résipiscence, il appartiendra aux autorités ecclésiastiques de les en relever.

S’ils ont été frappés d’autres censures pour d’autres délits, ou si une censure latae sententiae encourue par eux avait été déclarée, il appartiendrait à l’autorité qui a infligé ou déclaré ses sanctions, ou au supérieur de cette autorité, de juger s’ils sont venus à résipiscence et de les absoudre de ces censures. On applique alors le canon 1355.2 CIC pour les peines latae sententiae non déclarées et éventuellement le canon 1357 CIC, dans le cadre du sacrement de pénitence, pour l’excommunication et l’interdit, qui sont les deux censures qui empêchent de recevoir les sacrements.

Le fait que les quatre évêques soient revenus à résipiscence au sujet du délit qu’ils ont commis en 1988, ne préjuge pas de la volonté des autres fidèles qui auraient adhéré au schisme et seraient excommuniés latae sententiae et auraient éventuellement été déclarés tels. Il est cependant raisonnable de penser que cette première étape en vue de la réconciliation, des évêques de la FSSPX avec le Siège apostolique, aura des conséquences sur l’opinion de certains fidèles de ce mouvement et les conduira eux aussi à une démarche de réconciliation.

b) La plupart des clercs de la FSSPX sont susceptibles d’avoir encouru la suspense latae sententiae pour ordination illicite, sans dimissoriales.

Les clercs ordonnés par Mgr Lefebvre après 1975 ou par d’autres évêques de la FSSPX ont certainement été ordonnés sans les dimissoriales légitimes d’un ordinaire. Or le canon 1383 CIC dispose que celui qui a reçu l’ordination dans une telle circonstance, est par le fait même suspens de l’ordre reçu (censure latae sententiae). Là encore, il semble y avoir peu de cas où cette suspense latae sententiae aura été déclarée. Dans tous les cas, pour pouvoir exercer licitement le pouvoir d’ordre et de juridiction, ces clercs devront être relevés de la suspense. On se rappellera qu’à la différence de l’excommunication, la suspense, en tant que peine réservée aux clercs, ne les empêchent pas en soi de recevoir les sacrements, mais d’exercer le pouvoir d’ordre et de juridiction.

c) Pour exercer licitement leurs droits et devoirs de chrétiens et de clercs dans l’Eglise, il faut que ces clercs obtiennent ou aient obtenu l’absolution de ces censures.

Pour pouvoir participer à la vie ecclésiale, en tant que fidèles, il faut que ces clercs soient relevés de la censure de l’excommunication latae sententiae (qu’elle ait été déclarée ou pas) pour schisme, dès lors qu’ils l’ont encourue. Et dans tous les cas, pour pouvoir participer à la vie ecclésiale, en tant que clercs, il faut qu’ils soient relevés de la censure de la suspense latae sententiae pour ordination illicite (sans dimissoriales). Il faut donc qu’ils le demandent à l’autorité compétente qui ne peut les absoudre de ces peines que s’ils reviennent à résipiscence.

Outre le Siège apostolique, le canon 1355 CIC désigne l’autorité compétente pour les absoudre des censures. Selon le premier paragraphe de ce canon, si la peine ferendae sententiae a été infligée ou la peine latae sententiae déclarée, et si elle n’est pas réservée au Siège Apostolique, peuvent en relever l'Ordinaire qui a engagé l'action judiciaire en vue d'infliger ou de déclarer la peine, ou l'Ordinaire qui, par décret, a infligé ou déclaré la peine. L'Ordinaire du lieu où se trouve le délinquant, sera aussi compétent, mais il doit consulter l'Ordinaire susdit, à moins que « des circonstances extraordinaires ne rendent cette consultation impossible ». Selon le canon 1355.2 CIC, si la peine latae sententiae n’a pas été déclarée et n’est pas réservée au Saint-Siège, tout ordinaire peut en relever ses propres sujets et ceux qui se trouvent sur son territoire ou y auraient commis le délit. Tout évêque peut le faire dans l'acte de la confession sacramentelle.

Si les clercs n’ont encouru que des censures latae sententiae non déclarées, on pourrait se demander dans quelle mesure peut s’appliquer le canon 1355 CIC qui dispose : « Si une censure défend de célébrer les sacrements ou les sacramentaux, ou de poser des actes de gouvernement, cette défense est suspendue chaque fois que cela est nécessaire pour secourir les fidèles en danger de mort; si la censure latae sententiae n'a pas été déclarée, la défense en outre est suspendue toutes les fois qu'un fidèle réclame un sacrement ou un sacramental ou un acte de gouvernement; ce qu'il est permis de demander pour toute juste cause. » Hormis le cas de danger de mort, il semble raisonnable de considérer que la juste cause qui permet de demander à un ministre censuré de célébrer les sacrements, doit être appréciée au regard de la communion ecclésiale et qu’une telle demande ne sera légitime que si elle ne blesse pas cette communion. Ceci ne devrait être possible que dans certaines circonstances exceptionnelles. De plus en ce domaine, on ne peut oublier la réponse du 31 octobre 1996, de la Congrégation pour les évêques à Mgr Brunner, évêque de Sion, disant que les prêtres acéphales sont interdits de tout « munus vel aliud sacrum ministerium » aussi longtemps qu'ils ne sont pas incardinés, même s’il est difficile d’apprécier le fondement, la nature et la portée exacte de cette réponse privée.

2) La situation des différents membres de la FSSPX au regard du droit des ministères.

Mais quand bien même ces clercs seraient ainsi relevés des censures qu’ils auraient encourues, cela ne leur donne pas encore le droit de célébrer les sacrements ni d’exercer des fonctions ecclésiales, non plus en vertu d’une sanction pénale qui s’y opposerait, mais en raison de l’ordre disciplinaire de l’Eglise. En effet, l’affirmation de la Congrégation pour les Evêques mentionnée au dessus considérant les prêtres ordonnés par Mgr Lefebvre lorsqu'il était seulement suspens a divinis, comme rattachés aux prêtres acéphales selon le canon 265, et interdits de tout munus vel aliud sacrum ministerium » aussi longtemps qu'ils ne sont pas incardinés, peut être étendue, a fortiori, à tous les clercs, même ordonnés après 1988, indépendamment de la question des censures dont ils seraient frappés.

En tout état de cause, le clerc de la FSSPX ne pourrait pas se prévaloir du seul motu proprio Summorum Pontificum pour demander à célébrer la messe en la forme extraordinaire, puisque ce texte en son article 4 § 4 prévoit justement que pour user de ce droit, les prêtres doivent être idoines et non empêchés par le Droit.

Par ailleurs, le canon 903 CIC dispose : « Un prêtre, même inconnu du recteur de l'église, sera admis par lui à célébrer pourvu qu'il lui présente les lettres de recommandation de son Ordinaire ou de son Supérieur, délivrées au moins dans l'année, ou que le recteur puisse juger prudemment que rien ne l'empêche de célébrer. » Il semble qu’un prêtre de la FSSPX ne peut pas présenter un celebret signé de son ordinaire, puisqu’il est acéphale.

3) Le décret ne clôt pas le dossier.

La situation des clercs et des fidèles qui s’étaient éloignés de la communion avec le Siège apostolique et le reste de l’Eglise, devra faire l’objet d’un accompagnement, pour que les évêques et les clercs qui seront dans l’avenir concernés, reçoivent éventuellement une mission canonique que jusque là ils n’ont pas, dans un cadre institutionnel qui, pour l’instant, n’existe pas. C’est ce que souligne la note du 4 février 2009 de la Secrétairerie d’Etat, quand elle dit : « La levée de l'excommunication a libéré les quatre évêques d'une peine canonique gravissime, mais elle n'a pas changé la situation juridique de la Fraternité Saint-Pie X, qui, au moment présent, ne jouit d'aucune reconnaissance canonique dans l'Eglise catholique. Les quatre évêques, bien que libérés de l'excommunication, n'ont pas de fonction canonique dans l'Eglise et n'exercent pas de ministère licite en son sein ».

Mais ces éventuelles décisions encore à venir ne concerneront plus alors seulement le volet pénal, mais le droit de l’organisation de l’Eglise et le droit des clercs. Il semble même logique qu’elles soient elles-mêmes précédées d’une première étape, à savoir un dialogue sur le plan doctrinal.

Avant que ceci ne soit explicité dans la note précitée de la Secrétairerie d’Etat, le décret mentionnait déjà le souhait que ce premier pas que constitue la levée des quatre excommunications déclarées, soit suivi d’autres qui permettent de réaliser la communion : « On espère que ce pas sera suivi de réalisation rapide de la pleine communion avec l’Eglise de toute la Fraternité de Saint Pie X, témoignant ainsi de la vraie fidélité et de la vraie reconnaissance du Magistère et de l’Autorité du Pape avec la preuve de l’unité visible8. » On sait qu’au delà des questions concernant la légitimité de célébrer la messe avec le Missel du Bienheureux Jean XXIII ou encore les actes de désobéissance dans le cadre du munus regendi, la Fraternité Saint Pie X émet des réserves sur certains aspects de l’enseignement du Concile Vatican II et des pontifes depuis lors. Il faudra donc mener un travail de vérification de la communion dans le domaine doctrinal. C’est ce que dit la note de la Secrétairerie d’Etat, dans un point intitulé « Tradition, doctrine et Concile Vatican II ». Il y est affirmé : « Pour une reconnaissance future de la Fraternité Saint-Pie X, la pleine reconnaissance du Concile Vatican II et du magistère des papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et de Benoît XVI lui-même, est une condition indispensable. Comme il a déjà été affirmé dans le décret du 21 janvier 2009, le Saint-Siège ne manquera pas, selon les modes qui seront jugés opportuns, d'approfondir avec les intéressés les questions encore ouvertes, de façon à pouvoir arriver à une solution entière et satisfaisante des problèmes qui ont été à l'origine de cette fracture douloureuse. »

Outre cette question d’un éclaircissement au sujet des débats doctrinaux, se posera alors la double question concernant le fait de confier une mission canonique aux clercs et de trouver une structure institutionnelle dans laquelle ils seront incardinés.

L’hypothèse d’une incardination des clercs dans divers diocèses nous semble présenter plusieurs difficultés pratiques. La figure de l’Administration apostolique personnelle qui a été la solution proposée voici quelques années pour des traditionnalistes du diocèse de Campos au Brésil, semble difficilement compatible avec un territoire d’une ou plusieurs conférences et poserait la question délicate de la participation de son prélat qui, équiparé à un évêque diocésain, pourrait être membre de la conférence des évêques. C’est pourquoi certains évoquent d’autres figures comme celle de la prélature personnelle ou de la Société de vie apostolique.

Connexe avec cette hypothèse de l’érection d’une personne juridique de droit publique capable d’intégrer les clercs de la Fraternité Saint Pie X, il y aura aussi la double question du statut personnel de ces clercs en général et des évêques en particulier.

8 « Si auspica che questo passo sia seguito dalla sollecita realizzazione della piena comunione con la Chiesa di tutta la Fraternità San Pio X, testimoniando così vera fedeltà e vero riconoscimento del Magistero e dell'autorità del Papa con la prova dell'unità visibile. »

Il faudra en effet d’une part, voir les modalités pour intégrer les quatre évêques dans la communion hiérarchique et le collège épiscopal. En effet, même s’ils sont relevés de l’excommunication, ces quatre évêques n’ont pas de mission canonique, n’ayant ni office ecclésiastique de nature épiscopale, comme un office diocésain, ni titre in partibus. Ce n’est que dans la mesure où ils recevront un tel titre ou office qui manifestera leur mission canonique en communion avec le Siège apostolique, qu’ils seront membres du collège épiscopal de l’Eglise catholique. Il faudra préciser d’autre part, le statut personnel des prêtres et diacres, encore membres de la FSSPX, qui doivent être pour la très grande majorité « acéphales », étant sans rattachement déterminé à une entité ecclésiastique ni soumis à un ordinaire.

C’est en effet de la responsabilité de l’autorité ecclésiastique légitime de s’assurer que les quelques cinq-cents clercs appartenant à la Fraternité Saint Pie X remplissent les conditions pour être éventuellement incardinés dans une structure institutionnelle canonique et se voir confier une mission canonique.

Parmi tous ces clercs, le cas particulier de Mgr Williamson sera certainement étudié avec une attention accrue à cause de la difficulté particulière qu’il représente du fait de ses déclarations intempestives. C’est pourquoi après avoir rappelé que « les positions de Mgr Williamson sur la Shoah sont absolument inacceptables et elles sont fermement refusées par le Saint-Père », la Secrétairerie d’Etat termine sa note en précisant : « Pour être admis à des fonctions épiscopales dans l'Eglise, Mgr Williamson devra aussi prendre ses distances de façon absolument sans équivoque et publiquement par rapport à ses positions sur la Shoah, qui n'étaient pas connues du Saint-Père au moment de la levée de l'excommunication. » Il ne s’agit pas ici de conséquences de sanctions canoniques pénales, mais la vérification des conditions d’idonéité dont l’Eglise doit s’assurer avant de conférer un ordre ou de confier un ministère ou un office.

Ces questions institutionnelles sont incontournables, mais elles ne peuvent faire l’économie d’un nécessaire éclaircissement sur les divergences d’ordre doctrinal. L’absolution des excommunications n’est donc que la première étape d’un travail de dialogue dont la durée et l’heureuse issue dépendront de la bonne volonté des membres de la Fraternité Saint Pie X et de leur réel souci de communion, dès lors que le Pontife romain a fait tout ce qui était ecclésialement possible pour ouvrir les chemins d’une vraie réconciliation.

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