octobre 25, 2005

4 - Un débat sur le Filioque - Yvan KOENIG

Un débat sur le Filioque et l’union avec Rome au XIIIe siècle Aristeides Papadakis, Crisis in Byzantium. The Filioque Controversy in the Patriarchate of Gregory II of Cyprus ( 1283 - 1289 ), Saint Vladimir Press, 1997 ( édition revue et corrigée sur celle de 1983 publiée par Fordham University Press ). I Le contexte historique. Durement agressé ( 1204 : prise de Constantinople ; 1274 : pseudo concile "d'union " de Lyon ), le monde orthodoxe était-il condamné au silence ? la réponse à l'Occident pouvait-elle être créatrice tout en restant fidèle aux Pères ? Pouvait-elle témoigner d'une ouverture tout en restant fidèle à l'enseignement de l'Église ? A toutes ces questions le Concile des Blachernes de 1285, sous l'impulsion de Grégoire de Chypre, sut répondre positivement. C'est dire combien son importance est grande . Après 843 et le Synodicon de l'Orthodoxie beaucoup considéraient qu'il n'y avait plus rien à ajouter et que l'Église n'avait qu'à répéter les vérités établies. On s'orientait vers une sorte de scolastique. Grégoire sut éviter la double tentation de la répétition et de la révolution en s'engageant fermement dans un approfondissement créateur de la pensée des Pères dans un contexte très difficile où il dut affronter aussi bien l'hérésie des unionistes que des oppositions internes. La réfutation des unionistes sera l’œuvre de son patriarcat, et le Tome de 1285 est à la fois une avancée théologique et un approfondissement de la pensée du saint patriarche Photius. Précédemment, Michel VIII, désireux de s'allier au pape contre les prétentions de Charles d'Anjou, mit en oeuvre une politique d'union qui aboutira au concile de Lyon ( 1274 ) pure et simple reductio Graecorum , « capitulation des Grecs » , avalisée par les seuls délégués de l'empereur qui ratifièrent un arrangement négocié à l'avance. Le débat est esquivé et les conclusions du concile imposées par la force, firent de nombreux martyrs. Beccos « le patriarche de l'union », va s'employer à démontrer que dans la formule du Filioque et son substrat de références patristiques, le ek grec a le même sens que la préposition dia , et qu'au fond tout le monde est d'accord. Les exigences du pape Nicolas III, de plus en plus grandes, finiront par indisposer même les partisans de l'union. La situation frôle la catastrophe lorsque le successeur de Nicolas, Martin IV, conclut une alliance en 1281 avec Charles d'Anjou et excommunie Michel VIII. C'est alors que les « Vêpres Siciliennes » ( rébellion contre Charles d'Anjou en 1282 ), vinrent providentiellement sauver l'empire byzantin. L'Église byzantine sortit agrandie de l'épreuve, et désormais un réel débat théologique pouvait s'engager sur des bases saines. II Grégoire de Chypre. G. est convaincu que l'union sous la contrainte est une erreur grave. L'union des églises est bien sûr souhaitable, mais pas à n'importe quel prix. Elle doit être fondée sur le dialogue dans l'Esprit et sur un accord négocié dans l'unité de la foi. L'argument de simple autorité ne le satisfait pas entièrement ; si la procession de l'Esprit par le père seul peut être considérée comme un acquis de la foi, l'expression « par le Fils » demande à être approfondie. On sait que la solution de G. consistera à résoudre la difficulté en mettant en avant la manifestation éternelle ( ékphansis aïdios ) de l'Esprit par le Fils. « Son interprétation est difficile , on n'a jamais analysé sa théologie de façon systématique et il est facile de répéter comme Beccos que Grégoire était un pseudo-scientifique. C'est aller sans tenir compte de sa lecture scrupuleuse des Pères, sa réplique incisive dans le Tome, et son enseignement sur la distinction entre procession et manifestation, essence et énergie . » C'est bien plutôt le pseudo-concordisme de Beccos qui est défectueux., incapable de saisir la nature profonde et spirituelle de la division entre les églises , il se contente d'abaisser le degré de différence dogmatique entre les deux ce qui, à ses yeux , suffit à rétablir l'unité de la foi. Bref, pour lui il ne s'agit que d'une question de mot, il ne discute même pas la suprématie du pape . Il ne s'inscrit pas dans la foi de l'Église, alors que Grégoire va s'employer non pas à minimiser les problèmes, mais à leur donner une solution orthodoxe. Il jettera le trouble chez les unionistes qui lui seront très hostiles et dont les témoignages sont suspects ( Métochite ). Dans cette situation troublée, l'Église va soutenir l'empereur Andronic dans sa volonté de rétablir l'ordre, et une fois les partisans de l'union défaits, Beccos dut signer une profession de foi orthodoxe ( 1283 ) et G. est élu patriarche en 1283. Reste malgré tout l'opposition des arsénites qui, s'étant opposés à la déposition irrégulière par Michel VIII du patriarche Arsène ( 1265 ) , s'opposeront aussi à Grégoire. Beccos, quant à lui, ne désarme pas, il se lance dans une campagne qui aboutira à la convocation du Concile des Blachernes en 1285. III Le concile des Blachernes : le point de départ. Nous ne possédons plus les actes du concile, le Tome , qui ne fut écrit qu'après, sera lu publiquement et signé par les membres du concile ; déclaration solennelle, il est suivi de onze anathèmes contre Beccos et ses partisans ( Mélitiniote, Métochite...). Le concile fut tout sauf un débat creux. Les pères de Nicée sont à l'origine de notre compréhension de la Trinité, définition approfondie, entre autres, par Athanase d'Alexandrie et les Cappadociens. Un Dieu en trois personnes agissant et se manifestant dans l'histoire du salut. Réponse à la fois à la monarchie absolue du judaïsme et au trithéisme de l'hellénisme. Le point de départ de toute théologie trinitaire, c'est la révélation personnelle de Dieu, et c'est par le Christ-Logos que les autres hypostases se révèlent à nous. Dieu n'est pas une unité abstraite, la seule essence commune de la spéculation augustinienne. Il n'y a pas supériorité de l'Essence sur l' Hypostase ( ou l'inverse ) ce qui reviendrait à nier l'expérience de la révélation personnelle comme révélation ultime de la nature de Dieu. En théologie trinitaire le Père est la Source de la divinité; en tant que personne, il est à l'origine du Fils par génération et de l'Esprit par procession. Seul le Père est cause , c'est là une propriété de son hypostase , alors que lui-même est sans cause ( anarchos ). Cette distinction fondamentale permet de faire la distinction entre les personnes : le Père est cause, le Fils et l'Esprit sont issus de la cause et « Dans le cas de ceux qui sont issus de la cause , nous reconnaissons une autre différence : l'un ( i.e. le Fils ) est dérivé immédiatement du Premier ( i.e. le Père ), l'autre (i.e.l'Esprit ), par ( dia ) ce qui est dérivé directement du Premier ( i.e. le Fils ) » ( Lettre de Grégoire de Nysse à Ablabius ). Ce passage sera longuement examiné au concile. L'argument du subordinationisme est contré par le fait que le concept de temps ne saurait s'appliquer à la vie éternelle de Dieu. De fait, pour Rome, l'Essence est cause, bien qu'aucun théologien latin ne l'admette explicitement , et les Personnes de la Trinité se définissent par leurs relations, ce que tous admettent. L'essence assume alors une priorité logique sur les personnes et par conséquent, la notion même d'un Dieu trinitaire, au sein duquel le Père est principe d'unité et unique cause , en conformité avec son hypostase, du Fils et de l'Esprit, devient « superflue et incompréhensible . » (Martland ). Dans cette théologie la notion même de monothéisme , préservée par la monarchie du Père, est remise en cause : « Ou on est obligé de détruire l'unité en reconnaissant deux principes de la Divinité, ou il faut poser l'unité relativement à la nature commune , ce qui alors affaiblit la notion de personne et les transforme en relations à l'intérieur de l'unité de l'essence » (V. Lossky). Cette différence d'approche fondamentale sera le point de départ de la discussion du concile de 1285. IV La discussion du concile : La défense de Beccos consistera à expliquer le Filioque par la procession par le Verbe de l'Esprit en s'appuyant en particulier sur une phrase de S. Jean Damascène « le Père projette ( proboleus ) l'Esprit qui se manifeste par le Verbe » ( La Foi Orthodoxe, I, 8). Beccos interprète cette phrase en faisant du Fils une cause concourante de la procession de l'Esprit. A cela deux objections ( au moins ) : 1/ dire que le Père « projette » ne signifie nullement que le Verbe est cause . 2 / « Si la procession du Père est parfaite, quel besoin a t-il d'une seconde procession....si elle est imparfaite, qui peut tolérer une telle absurdité . » S. Photius. Certains voudront repousser ce texte comme inauthentique, alors que le même texte contient un argument puissant contre le Filioque : « Nous parlerons du Saint Esprit comme étant issu du Père, cependant nous ne parlerons pas de l'Esprit comme étant issu du Fils . » ( ibid. ). Sur cette question des références qui joue un si grand rôle dans le débat, G. interviendra en définissant trois règles d'herméneutique : 1/ Le texte cité doit être authentique. 2/ Il doit être accompagné d'une interprétation consistante ou exacte. 3/ Il doit être renforcé ou confirmé par d'autres témoignages des Pères. Il accuse les unionistes de faire violence au texte, l'idée d'une double cause dans la procession de l'Esprit étant étrangère à S. Jean Damascène. Dire comme le fait Beccos que "de" équivaut à "par" est pour le moins bizarre. Logiquement, procéder « par la cause immédiate », ce n'est pas du tout la même chose que procéder « immédiatement de la cause immédiate », car « si l'Esprit est de celui qui est immédiat ( le Père ), comment peut-il être aussi du premier ( le Fils ), qui est engendré par celui qui est immédiat ?, de même , s'il est du premier, comment peut-il être aussi de celui qui est immédiat. » ( Pachymère II, 97-98 ). Il faut bien remarquer avec Jaeger que cela aurait paru bien étrange à Grégoire de Nysse. * La solution de Grégoire de Chypre. Malgré tout il y a un point , et un seul , ou l'argumentation de Beccos donne à réfléchir : l'émission dans le temps du Saint Esprit ( l'économie ) ne semble pas suffisante pour rendre compte de la relation d'inhabitation hors du temps du Fils et du Saint Esprit , la solution alors s'impose, ce n'est certes pas la pseudo équivalence de Beccos, mais la manifestation éternelle de l'Esprit par le Fils. L'Esprit fut envoyé dans le temps par le Fils, mais il fut aussi manifesté et révélé par Lui dans l'éternité. La formule « par le Fils » exprime la relation permanente existante entre le Fils et l'Esprit ou comme personnes divines hors du temps ou comme envoi de l'Esprit dans le temps. En aucun cas, ni dans le domaine des relations internes de Trinité (théologie), ni dans celui de l'économie, le Fils n'est cause de l'Esprit. Le Saint Esprit reçoit du Père ce qui relève de son Etre propre alors que ce qu'il reçoit du Fils relève de sa manifestation et de sa splendeur éternelle. « Le « par » signifie alors la manifestation éternelle par opposition avec la procession éternelle » (cf. Métochite, VIII, 2, 135 ). Beccos essayera alors de se défendre assez pitoyablement, l'empereur interviendra alors vertement en lui reprochant l'hypocrisie de son « ouverture » oecuménique qui déchaîna les troubles dans l'Église corps du Christ. C'est alors qu'intervint la fin de la première séance , si importante, du concile. On se tourna alors vers G. pour lui demander de rédiger le Tome. V L'ajournement du concile et la rédaction du Tome. Les unionistes et quelques occidentaux parlent d'un pseudo désarroi du concile qui aurait conduit à son ajournement, l'auteur montre qu'il n'en est rien. Ce fut en fait une opportunité offerte à Beccos qui resta inflexible ( Pachymère ). Le désir du concile est la paix de l'Église. Le Tome de Grégoire est une vraie réponse à ce que l'Église romaine avait proclamé à Lyon comme étant : « la foi irréversible » ( de fide definita ) et que l'Église orthodoxe rejette solennellement : « Nous rejetons l'union ( de Lyon ) récemment établie et qui provoqua l'hostilité de Dieu contre nous. Cette union divisa et ravagea l'Église sous le prétexte d'un accommodement inoffensif... nous déclarons également vide de sens leur dangereuse doctrine concernant la procession du Saint Esprit...( car le Fils ) n'est pas, séparément ou avec le Père la cause de l'Esprit. L'existence du très Saint Esprit n'est pas « par le Fils » et « du Fils »... » Tome ( P.G. 142.236 B.C. ). Le Tome est créatif en ce qu'il explicite les textes patristiques , il est revêtu de l'autorité d'un concile et de celle de l'empereur, il est donc normatif sur la question. L'approfondissement qu'apporte G. concerne la manifestation éternelle de l'Esprit par le Fils, distinction entre uparxin echein qui se rapporte à la manifestation éternelle et uparchein qui se rapporte à l'Etre même de l'Esprit. L'Esprit tient son existence du Père seul, tandis qu'il existe ( selon la terminologie de Grégoire ) par le Fils ( c'est-à-dire resplendit ou se manifeste éternellement par Lui ) . Cette distinction très importante est à mettre en relation avec la distinction bien connue de S. Grégoire Palamas entre l'essence et l'énergie. Cette distinction ne va pas de soi ( surtout en ce qui concerne le sens du verbe « exister » ) et a causé à Grégoire la plupart de ses ennuis avec l'aile traditionaliste. G. Papadakis a ici une lecture négative des traités de N. Blemmydès : « Comme le nota un savant, les deux traités contiennent l'essentiel du dogme catholique ( M. Jugie ) et ils sont fondamentaux pour comprendre l'évolution de Beccos » pour lui « ...la différence entre Blemmydès et Beccos est que, alors que Blemmydès refusa la formule du Filioque, Beccos l'accepta . » Ces traités sont en cours d'étude par M.Stavrou qui en donne une lecture plus positive. Il n'est pas exclu qu'ils aient pu exercer une double influence, à la fois sur Grégoire de Chypre et aussi sur Beccos. Beccos se donna beaucoup de mal pour dénigrer S. Photius, actuellement largement réhabilité y compris par l'Église romaine ( cf. l'important ouvrage de F. Dvornik, Le schisme de Photius, histoire et légende, Le Cerf 1950 ) Au fond Papadakis fait le même travail de réhabilitation, preuve à l'appui, pour G. et le concile des Blachernes calomniés par les unionistes et certains historiens occidentaux . VI La foi des Blachernes : Le Tome de G. est un petit chef-d’œuvre de théologie trinitaire. Il suit les Cappadociens: consubstantialité des personnes et possession par chacune de la totalité de l'essence d'une façon personnelle et unique. Chaque personne se distingue de l'autre par ses attributs hypostatiques et en particulier son mode d'origine, sa façon d'exister (tropos uparxeos : Père anarchos "sans principe", Fils engendré et procession de l'Esprit). L'hypostase du Père occupe une place particulière car, c'est d'elle que le Fils et l'Esprit reçoivent leur existence personnelle : « Le Père est fondation et source de divinité, il est la seule cause . », cf. aussi Grégoire de Nazianze: « Tout ce que le Père est dit posséder, le Fils le possède également à l'exception de la causalité. » ( Oratio 34), c'est aussi ce qu'affirme Jean Damascène en expliquant que le Père seul est cause au sein de la Trinité. Il engendre le Fils et fait procéder l'Esprit non pas comme des inférieurs mais comme des égaux : car: « ce qu'est essentiellement le Père, le Fils et l'Esprit le sont de la même façon. » Ainsi en parlant des personnes ou de l'essence, il n'y a pas de subordination; les personnes et l'essence de la Trinité sont établies éternellement, en même temps, de ce fait elles sont co-égales ,co-éternelles, co-essentielles et co-égales en gloire. Il faut distinguer entre les propriétés qui relèvent de l'essence de celles qui relèvent de l'hypostase : bien que l'Esprit soit dit consubstantiel au père et au Fils et qu'il soit l'Esprit du Père et du Fils, il ne s'ensuit pas qu'il soit de l'hypostase du Fils. Le Père seul est cause et le fait de causer est une propriété de son hypostase, l'essence ne peut causer. Il s'ensuit que l'Esprit ne peut être dit de l'hypostase du Fils, car alors il faudrait que le Père et le Fils aient la même hypostase. Ce qui est absurde en raison de la monarchie du Père et de l'incommunicabilité des attributs hypostatiques. La pensée de G. se fonde sur l'approche personnaliste qui est celle de l'Écriture développée par les Cappadociens et Photius : un seul Dieu en trois personnes. C'est la personne du Père et non une essence abstraite qui est principe concret d'unité sans porter atteinte à l'égalité des trois personnes. Pour l'église de Rome, la procession éternelle de l'Esprit est du Père et du Fils comme d'un seul principe. Ceci est logique si, et seulement si, l'essence est la source de toute divinité et principe d'unité. Alors, la procession est l'activité de l'essence commune et non pas l'hypostase du Père : car le Fils étant co-substantiel au Père, il est aussi cause essentielle de l'Esprit. C'est une confusion théologiquement fausse entre ce qui relève de l'hypostase et ce qui relève de l'essence, car alors l'Esprit , qui est de même essence que le Père et le Fils, devrait lui aussi être cause. Il devrait y avoir accroissement du nombre des causes : « Autant d'hypostases ont la même essence, autant elles doivent partager la causalité » ( si bien sûr la causalité est une propriété de l'essence ) et finalement cette communauté d'essence et de nature se transforme en cause de l'hypostase. Si on admet le sens latin de dia , où il y a deux principes et deux causes, ce qui n'est pas acceptable, où l'Esprit procède du seul Fils ce qui est inadmissible. La monarchie du Père ne peut se réduire à la notion abstraite d'un double principe au sein de la Trinité. La Mère de Dieu ne peut être considérée comme une cause concourante de la nature humaine du Christ, comme l'invoquent les unionistes. Car le Christ a reçu son existence non pas de chacun de nous , mais de la seule Mère de Dieu. A sa naissance, il a reçu notre nature commune et essence. Grégoire se rattache passionnément à la théologie personnelle des Pères, il accepte les formulations selon lesquelles l'Esprit existe du Père par le Fils. En théologie trinitaire, on peut se situer ou au niveau de la vie interne de la Trinité (théologie ), ou au niveau de la vie externe qui est aussi commune aux trois personnes de la Trinité ( économie ). Ce n'est pas l'essence qui est révélée par la manifestation de Dieu, mais la vie divine, son uparxis .L'Esprit se manifeste hors du Fils, comme la lumière se manifeste par et à travers le rayon. Le soleil est la source de la lumière qui se rend visible par le rayon au moyen de la lumière. La lumière ne tient pas son être du rayon mais du soleil (cf. Confession , PG 142, 24O A ). La procession est « immédiate » ( sans médiation ), le Père seul étant cause. C'est dans un tel contexte que les références patristiques ou scripturaires à l'Esprit « image éternelle du Fils » ou « Esprit du Fils » prennent tout leur sens. Si le Fils est comparé aux rayons , l'Esprit « est la circonférence infinie du Père à l'intérieur de laquelle la lumière de la Trinité nous est transmise » (Sopko, Palamism before Palamas , p.142 ) : la lumière appartient aux trois personnes et l'Esprit procède du Père seul. VII « En Ta lumière nous verrons la Lumière » : Le patriarche a donc atteint son objectif ; le Filioque est réfuté et il propose une lecture orthodoxe des Pères notamment de S. Jean Damascène ( Pachymère II, 108 ). La notion de l'Esprit comme « énergie » ou « don » du Fils repose sur la consubstantialité du Fils et de l'Esprit. Les textes-arguments de Beccos découlent de cette notion. Lorsque les Pères disent que l'Esprit est « Esprit de Dieu » autant que « Esprit du Christ » ou qu'il procède substantiellement des deux ( Cyrille d'Alexandrie ), « ils signifient que l'Esprit procède du Père, et qu'il est inséparablement un avec le Fils avec lequel il est uni et consubstantiel » (Grégoire de Chypre, Sur la procession , PG 142, 288 D ). L'Esprit procède du Père et il est consubstantiel aux autres personnes de la Trinité. La consubstantialité de la Trinité, c'est « l'unité et l'immutabilité de l'essence divine » (Maxime le Confesseur ). Ce qui est envoyé ou donné par le Fils et ce à quoi nous participons, ce sont les « dons » , les « charismes » ou énergies de Dieu qui viennent du Père et du Fils dans le Saint Esprit comme aiment à le souligner Athanase ou Cyrille : c'est « la grâce sanctifiante », la « manifestation » ou le « don charitable » qui est « à juste titre appelé don ou énergie ». Ces dons sont les dons de l'Esprit comme du Fils, les opérations de l'Esprit sont aussi les opérations du Fils et il n'y a rien dit Athanase qui ne soit pas rendu parfait par le Logos dans l'Esprit. L'Esprit jaillit de la : « fontaine de vie » qu'est le Fils, il est « cause » du débordement vers nous de la grâce sanctifiante parfois appelée « esprit » comme la lumière du soleil est appelée « soleil ». Ainsi S. Grégoire Palamas notera que l'expression néo-testamentaire pneuma (= esprit, en minuscule et sans article ) désigne l'écoulement de la divinité que nous recevons du Père, par le Fils et dans l'Esprit Saint : « L'Esprit-Saint appartient au Christ par essence et par énergie parce que le Christ est Dieu; toutefois, selon l'essence et l'hypostase , il lui appartient mais n'en procède pas, tandis que selon l'énergie, il lui appartient et en procède » ( cf. J. Meyendorff, Introduction à l'étude de Grégoire Palamas , Seuil 1959, p.315 ). Pour les deux théologiens, l'Esprit se manifeste et brille comme une énergie sanctifiante qui se manifeste du Père par le Fils. Cette manifestation diffère des personnes divines comme de l'essence , on ne peut y participer que par les énergies ou les manifestations de Dieu. Dieu est im-participable en dehors de sa révélation éternelle, ou énergie , ou charismes par le moyen desquels il est connu. Le Christ n'a pas soufflé sur ses Apôtres l'essence ou l'hypostase de l'Esprit. Le don de l'Esprit est distinct de l'essence ou de l'hypostase, la personne de l'Esprit est distincte des dons éternels reçus à la Pentecôte. La Pentecôte n'est pas la manifestation de l'incarnation de l'Esprit, mais la communication ou l'attribution de la grâce divine incréée. Dieu se manifeste dans le créé par le caractère éternel et incréé de son éclat ou manifestation. S'il en était autrement ,c'est à dire si on suivait Beccos en admettant la non-distinction entre l'essence et les énergies, il ne pourrait y avoir aucune manifestation de l'énergie divine incréée en dehors de l'essence : « Si le moment essentiel (i.e. qui concerne l'essence) l'emporte dans la triadologie filioquiste sur le moment personnel, Dieu apparaît comme une essence intellectuelle à l'intérieur de laquelle se différencient les personnes. « Cette essence est une unité close , tout ce qui est en dehors d'elle n'est plus divin mais créé, et le mystère de la toute-puissance ne peut plus avoir d'expression. Un substantialisme se substitue à une théologie de la transfiguration et de la transparence, la grâce et la vie divine sont définies comme des effets créés, un rapport causal remplace la participation, on ne peut plus envisager "autour de l'essence "inaccessible ce "milieu divin " dans lequel se déifient l'homme et l'univers . » O. Clément (L'essor du christianisme oriental , polycopié 1985, p 9-10 ). Autant dire alors que l'adage patristique : « Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu » n'a plus de sens. La réfutation de Grégoire est aussi une réfutation de la théologie latine. On a souvent souligné le lien entre notre G. et S. Grégoire Palamas , d'une certaine façon la réflexion de G. sur la lumière divine incréée correspond à ce qui est expérimentée dans la tradition hésychaste et élaboré par S. Grégoire Palamas. Mais ici, il y a urgence et il s'agit surtout de donner une réponse orthodoxe aux Latins et aux partisans de la fausse union. Le caractère éternel de cette manifestation de la gloire divine est important à souligner : « Si l'Esprit est éternellement l'Esprit du Fils alors, celui qui reconnaît cette réalité, et dit que l'Esprit est révélé par le Fils doit nécessairement admettre qu'il est aussi révélé éternellement . » Manifestation éternelle , ou incréée, l'Esprit est éternellement l'Esprit du Fils. Dieu a toujours existé, indépendamment du monde créé, à la fois dans son essence inconnaissable et à l'extérieur de son essence dans sa manifestation ou énergies. C'est une réalité qui existe même si la création n'est pas là pour la recevoir, la manifestation est « éternelle et pré-éternelle » ( Mouzalon, PG 142.290 ) « la manifestation de l'énergie ne dépend pas de la création, c'est le rayonnement perpétuel qui n'est en aucune façon subordonné ou non subordonné à l'existence ou à la non-existence du monde. » (V.Lossky) La manifestation ne se limite pas au domaine de l'économie, à la manifestation temporelle ou aux charismes. Les termes de la manifestation charismata, dorea , charis sont synonymes de l'ekphansis. La formulation par G. du mystère de la Trinité ad extra implique un partage égal et commun du Père par le Fils dans le Saint Esprit ce qui implique un « lien d'interdépendance et de réciprocité » qui n'est en rien celui d'une participation inactive. Les charismes appartiennent aux trois personnes. En d'autres termes, ce qui est communiqué et participé dans " l'énergie", c'est l' énergie trinitaire de Dieu. Cette énergie et opération ne sont ni étrangers, ni extérieurs à Dieu ; les charismes appartiennent aux trois personnes. L'énergie est l'opération de la vie commune aux trois personnes, l'interpénétration ou co-inhérence des trois hypostases divines. Bien que Grégoire n'emploie pas le terme de périchorèse, c'est précisément ce qui est impliqué dans le concept de manifestation éternelle : « L'Esprit est co-essentiel à Dieu le Père et au Fils avec lequel il est uni dans le Père, qu'il accompagne, et à travers lequel il brille, se manifeste et se révèle . » ( Confession, PG 142.249 ) Je ne pousserai pas le compte-rendu plus loin, il est déjà assez long. Je crois que l'importance de Grégoire de Chypre dans l'élaboration théologique et l'approfondissement de la pensée des Pères est suffisamment établie par l'ouvrage de G.Papadakis. Dans la fin de l'ouvrage l'auteur rend justice à Grégoire contre ses adversaires occidentaux comme dans les luttes internes qui obligèrent finalement G. à se retirer, non sans que son orthodoxie ait été proclamée ( 1289 ). Le Tome conservera toute son autorité, la théologie de Grégoire marque une étape décisive avant « la synthèse du quatorzième siècle » et S. Grégoire Palamas. Que dire de l'ouvrage de M. Aristeides Papdakis sinon qu'il est excellent et que je l'ai lu en retenant mon souffle, c'est un livre « qui doit être considéré comme l'une des meilleures contributions à l'histoire de la théologie byzantine . » (Jean Meyendorff). Yvan Koenig ( avril 2000 )

Aucun commentaire: