décembre 01, 2018

Gnose Païenne et Gnose Chrétienne : Une interrogation sur le mal aspect théologique

L’idée du Mal s’inscrit dans une conception manichéenne du monde
- elle résulte de l’homme toujours insatisfait de sa condition
-
• mais c’est lui seul qui choisit par la Chute cette condition
• ce choix est la conséquence de l’Amour qui est Liberté

- la condition humaine ne permet pas d’accéder à la Connaissance du Vrai
- pourtant, cette connaissance, Dieu l’avait destinée à l’homme comme le rappelle l’Apôtre (I Cor. II, 6-9) :
«Cependant, c'est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits, sagesse qui n'est pas de ce siècle, ni des chefs de ce siècle, qui vont être anéantis ; nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait destinée pour notre gloire, sagesse qu'aucun des chefs de ce siècle n'a connue, car, s 'ils l'eussent connue, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de gloire. »

• l’inconnaissance par le refus de la Vie Intemporelle amène à l’inconnaissance de qui est Dieu
• la vie temporelle maintient l’homme dans un péché suffisant pour ne pas reconnaître qui est Dieu

Alors que la Vraie Connaissance est dans l’union à Dieu, l’homme préféra se séparer de Son Créateur en présumant devenir comme des dieux connaissant le bien et le mal (Gen. III, 4-6)
«Alors le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez point; mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »

Certes, le Serpent ne ment pas, il n’est pas d’interdit sur l’arbre qui est au milieu du jardin et sur lequel porte la conversation entre le Serpent et Eve.
La réponse des Pères est que l’homme a voulu se nourrir par ses propres moyens et non de la seule Parole de Dieu, par ce fait il a refusé la vie intemporelle.
La tradition rabbinique considère que finalement c’est de l’arbre de la science du bien et du mal que le fruit fut cueilli (sur lequel seul figure l’interdit), conclusion sans doute émise à la suite de la lecture du verset 11 où l’homme acquérant par la Chute une corporéité, se rend compte qu’il est nu et Dieu l’interpelle (Gen. III, 11)
« Et l'Éternel Dieu dit : Qui t'a appris que tu es nu ? Est-ce que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger ?

Cette connaissance du bien et du mal ne peut être qu’imparfaite sinon erronée, car chapardée par l’homme avec ses seules ressources sans le secours de la Grâce, de la Communion à Dieu.

Cette prétendue connaissance car acquise dans le péché de la désobéissance qui est le refus de la vie intemporelle proposée par Dieu, se distingue, s’oppose et fait face à cette autre et vraie Connaissance qu’évoque l’Apôtre en I Cor. II, 6-9, et dont il rappelle :
« nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait destinée pour notre gloire, »

Cette Sagesse, cette Connaissance, l’homme la refusa en se détournant de Dieu.

Interrogeons-nous sur notre compréhension du mal

L’Apôtre nous le rappelle (Rom. V, 12)
«C'est pourquoi, comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort s'est étendue sur tous les hommes, parce que tous ont péché,... »

Avant d’aller plus outre, arrêtons-nous sur cette citation et écoutons la Tradition des Pères rappelée par Jean MEYENDORFF :
« En Occident on utilisé cette version pour justifier la doctrine du péché hérité d’Adam et s’é »tendant sur ses descendants. L’original grec ne peut en aucun cas avoir ce sens ; et c’est l’original, bien entendu, que lurent les Byzantins. La forme eph’hô contraction entre epi et le pronom relatif hô, peut être traduite par «parce que ». Cette traduction est acceptée par la plupart des érudits modernes de toutes confessions. Elle nous fait comprendre la pensée de Paul de la façon suivante : la mort qui fut « le salaire du péché » (Rom. VI, 23) pour Adam, est aussi le châtiment qui frappe tous ceux qui pèchent comme lui. Elle pose que le péché d’Adam a une signification cosmique, mais elle ne dit pas que les descendants du premier homme sont « coupables » comme lui, à moins qu’eux aussi pèchent comme lui a péché. » (1)
Alors que Dieu vit que Sa Création était bonne. Il sera remarqué que ce sentiment : «Dieu vit que cela était bon » en Genèse I, 12, 18, 21, 25 et 31, concernent les 3°, 4°, 5° et 6° Jours, alors que toute cette Création bonne est celle se trouvant au-dessous de l’étendue séparant les eaux supérieures des eux inférieures le 2° Jour.

Dieu ne donne pas Son sentiment – si j’ose dire – quant à ce qu’Il accomplit les deux premiers Jours.

Or, comment se présente ce qui précède la Création ?

Il est bien des années, fort d’une jeunesse présomptueuse, à l’école de Fabre d’Olivet, nous traduisions de l’Hébreu : « L'une des lectures de Be - Ré - A - CH - Y - TH peut se faire de la façon suivante :

BRA : constitue la racine du mot création
CHY : signifie justice rendue
TH : indique le principe de réciprocité.

La création est un acte de justice rendue selon une condition de Réciprocité, et avant d'aller plus outre signalons que Rachi dans le cadre de son commentaire du premier verset de la Genèse rappelle "qu'Elohim c'est le nom de Dieu exerçant la justice (2) » (3)

Prenons acte de ce que rien ne sera plus dit – semble-t-il – de ce qui se déroule dans l’étendue au-dessus de l’étendue créée le 2° Jour. En revanche, il échet de noter que cette Création (faite dans le cadre de ce qui est au-dessous de l’étendue créée le 2° Jour) répond si j’ose dire à un acte de Justice rendu selon un principe ou condition de réciprocité, ce qui sous-tend une antériorité à la dite Création.
Bien qu’il convienne de ne pas oublier le sens de la création :
« Be – Re- A – CH – Y – TH
2 2 (00) 1 3(00) 1(0) 4(00)
on notera pour mémoire qu’il a pour valeur 2 + 2 + 1 + 3 + 1 + 4 = 13, et Emmanuel LEVYNE signale que les mots hébreux signifiant Amour, Un, Guérison, Lumière, ont aussi pour valeur 13 (*4). Dès lors, le premier verset du Prologue peut se lire ainsi :
L’Amour était le Logos – L’Unité était le Logos – la Guérison était le Logos – La Lumière était le Logos. »(4)
Notre méditation nous conduit à comprendre ou déduire que la Création est un acte de Justice et d’Amour afin de procéder à une Guérison.

Une guérison !

Entendons le récit de la Genèse : « il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux » (Gen. I, 2)

Se présentent donc avant la Création :

- l’Esprit de Dieu planant sur les eaux
- la Ténèbre à la surface (mais non) dans l’Abîme …

La Ténèbre pourrait très bien suggérer la Chute pré-originelle sur laquelle nous méditions déjà (5) et, dans ces conditions la Création constituerait la mise en place des conditions permettant à l’homme de ramener à Dieu ceux qui s’en éloignèrent (6), lorsque la première étape confiée à l’homme était déjà de garder et cultiver le Jardin d’Eden soit permettre en la protégeant, l’expansion de la Création, œuvre des six Jours : « L'Éternel Dieu prit l'homme, et le plaça dans le jardin d'Éden pour le cultiver et pour le garder » (Gen. II, 15) (7)

Nous comprendrons peut-être mieux le sens de ces paroles de NSJ+C en Son dialogue avec Son Père en cette nuit de Gethsémani, - alors que les disciples dorment et ne purent veiller même une heure… - , «C'est pour eux que je prie. Je ne prie pas pour le monde » (Jean XVII, 9)
Les conséquences de la Chute pré-originelle sont dans cette Création fruit des six Jours, face à ce premier acte où au lieu de garder la Nature et donc la Création, la contrôler et la maintenir dans la communion à Dieu, c’est le Monde, par ses matériels prestiges, qui contrôla l’homme et l’entraîna à se séparer de Dieu. Ce Monde qui a un Prince, Royaumes que NSJ+C ne conteste pas lors de la troisième tentative de tentation au Désert (7)
Dès lors que ce monde a un Prince parce que, de première part, cette Création fut faite en un acte de Justice à savoir ramener ce qui s’était séparé de Dieu à Son Créateur, de seconde part, l’homme se trouva enrôlé dans les chaînes de celui qui, pour des motifs qui peuvent n’être pas mauvais (8) l’amena à chuter.
Il convient avant d’aller plus outre de rappeler que contrairement à l’idée que nous nous faisons d’un manichéisme opposant le bien et le mal, et avant d’en venir à la pensée d’un Thomas d’Aquin par exemple, rappelons cette traditionnelle pensée des Pères de l’Eglise sur « Les Droits du démon » parfaitement bien relatée par l’abbé RIVIERE (9)
Nous posions une interrogation sur notre compréhension du mal.
C’est PELADAN à l’occasion de l’un de ses romans en un dialogue entre Bélit et Sathan :
"Bélit : Alors seras-tu pardonné ?
Sathan : Le dernier puisque je suis le plus coupable.
"Bélit : Ton châtiment on l'enseigne éternel.
"Sathan : Manichéenne. Crois-tu à un principe du mal ? Quand je suis tombé je n'étais que le plus élevé des rapports ; or le plus grand relatif ne peut pas entraîner une conséquence d'absolu. J'ai voulu réaliser l'idéal divin : je suis puni jusqu'à dépendre de l'imagination humaine. » (10)

Le plus grand relatif, ne peut pas entraîner une conséquence d’ absolu !

Tout est dit ou presque car PELADAN ajoute : «je suis puni jusqu'à dépendre de l'imagination humaine. »

La notion du mal dépend de notre imaginaire, de notre culture, conditionnés par les conséquences de notre Chute, qui ne nous autorisent pas à percevoir de ce qui n’est ni le Bien, ni le Mal, à savoir l’Amour qui, s’il était vécu comme il est demandé dans les Evangiles, nous ferait dire avec l’Apôtre : « ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi. » (Galates II, 20)
Lors donc de notre prochaine rencontre nous examinerons non plus l’aspect strictement théologiquement de ce Mystère que l’on attribue au mal, mais plus précisément sa compréhension dans l’histoire des pensées manichéennes, et des gnoses que l’on ne peut qualifier que de païennes.
Juste une dernière référence, cette déclaration du Docteur Angélique quant à savoir si les démons sont naturellement mauvais : « Les démons ayant de l'inclination pour le bien général ne peuvent être naturellement mauvais." (11)

Jean-Pierre BONNEROT

------------------------- Notes
1 - Jean MEYENDORFF : Initiation à la théologie byzantine, 1975 Paris, Le Cerf Ed, pages 194 et 195
2 Jean-Pierre BONNEROT : Le Prologue de Saint Jean dans la tradition chrétienne et l’exégèse scripturaire 1984 Toulouse, Cahiers d’Etudes Cathares N° 102, page 5. Pour un accès internet : https://www.esoblogs.net/2250/le-prologue-de-saint-jean-dans-la-tradition-chretienne-et-l-exegese-scripturaire-1/ et https://www.esoblogs.net/2263/le-prologue-de-saint-jean-dans-la-tradition-chretienne-et-l-exegese-scripturaire-2/
3 «l n’est pas dit : « Hachem créa », mais « Eloqim créa »... L’intention première de Dieu avait été de créer le monde selon l’attribut de justice, [Eloqim étant le nom de Dieu lorsqu’Il exerce la justice], mais Il s’est rendu compte qu’il ne subsisterait pas. Aussi a-t-Il fait passer au premier plan l’attribut de miséricorde [Hachem étant le nom de Dieu lorsqu’Il agit avec miséricorde] et l’a-t-Il associé à celui de la justice. C’est ainsi qu’il est écrit : « le jour où Hachem-Eloqim fit terre et cieux » (infra 2, 4) (Beréchith raba 12, 15). » Pour un accès internet : http://www.sefarim.fr/ Cf. Gen. I, 1commentaire donné par Rachi.
4 Pour cette version électronique, cote de la référence modifiée : Emmanuel LEVYNE : La kabbale du commencement et la lettre B(eith) 1982 , Cagnes sur Mer, TSEDEK Ed, page 59
5 THEOCAFE N° 1 : La création pré-originelle et la chute d’une partie du monde angélique ; l'oeuvre des 6 jours et la chute de l'homme: rapports et conséquences. Pour un accès internet : https://www.fichier-pdf.fr/2018/02/06/theocafe-n-1-1/
6 Sur les devoirs de l’homme envers la Création, pour un accès internet : http://ordre-de-lyon.blogspot.com/2017/05/les-devoirs-de-lhomme-envers-la-creation.html
7 Il conviendrait une fois pour toutes et comme nous le rappelons depuis un demi-siècle, que l’on cesse d’attribuer au Christ Jésus des tentations, Il ne peut être tenté étant pour le Chrétien, Dieu, puisque NSJ+C est Dieu et ; La mauvaise théorie des deux natures dans le Christ ne résiste pas à la saine Doctrine de la Tradition de l’Eglise puisque Le Fils est de même nature que Le Père, (qui n’a évidemment pas deux natures…) ainsi le la Profession de Foi du 1er concile, celui de Nicée en 325 énonce (DESINGER Symboles et définitions de la Foi Catholique , 2005, Paris, Cerf Ed, art ? N° 135, page 39, pour un accès internet : http://catho.org/9.php?d=g0
« Version grecque :
Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur de tous les êtres visibles et invisibles, et en un seul Seigneur Jésus Christ, le Fils de Dieu, engendré du père, unique engendré, c'est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait, ce qui est dans le ciel et ce qui est sur la terre, qui à cause de nous les hommes et à cause de notre salut est descendu et s'est incarné, s'est fait homme, a souffert et est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, viendra juger les vivants et les morts, et en l'Esprit Saint.

Version latine :
Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur de tous les êtres visibles et invisibles. Et en notre seul Seigneur, Jésus Christ le Fils de Dieu, né du Père, unique engendré, c'est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, né, non pas créé, d'une unique substance avec le Père (ce qu'en grec on appelle homoousios ), par qui tout a été fait, ce qui est dans le ciel et ce qui est sur la terre, qui à cause de notre salut est descendu et s'est incarné, s'est fait homme, a souffert et est ressuscité le troisième jour, est monté au ieux, viendra juger le vivants et les morts. Et en l'Esprit Saint. » Les mots « de la même substance » seront rapidement remplacés par « de même nature » …
8 Jean-Pierre BONNEROT : Satan, Lucifer, le Prince de ce monde et les démons dans la tradition chrétienne et l’exégèse scripturaire 1982, Cahiers d’Etudes Cathares N° 96. Pour un accès internet : https://www.esoblogs.net/3214/satan-lucifer-le-prince-de-ce-monde-et-les-demons-dans-la-tradition-et-l-exegese-scripturaire-pdf/
9 Abbé J. RIVIERE : Le dogme de la rédemption Essai d’étude historique, 1905, Paris, Lie Victoir LECOFFRE Ed, pages 373 à 394 ; Pour un accès internet : http://www.theologica.fr/ >> http://www.theologica.fr/Pg_TheologieDogmatique.htm >> onglet théologie de la rédemption. Pour le théologien et l’historien des idées, il sera intéressant de prendre connaissance de la controverse sur ce sujet entre 1911 et 1913 dans le cadre de la revue Recherche de sciences religieuses, et mise en forme par nos soins : https://www.fichier-pdf.fr/2018/08/30/la-question-des-droits-du-demon-texte-revise/
10 Joséphin PELAN : Cœur en peine, 1890, Paris Dentu Ed, page 305. Pour un accès internet : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5842784r.r=coeur%20en%20peine%20PELADAN?rk=21459;2
11 Thomas d’Aquin : Somme Théologique, Des Anges, question63 Article 4 Conclusion, 1851 Paris Lie Eugène BELIN Ed, tome 1, page 543. Pour un accès internet https://archive.org/details/lasommethologi01thom/page/542

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