août 16, 2018

A propos de la récente polémique relative à une réflexion de SS Benoît XVI Judaïsme et Christianisme

A propos de la récente polémique relative à une réflexion de SS Benoît XVI quant aux rapports entre Judaïsme et Christianisme.

I
Force est de constater que les intervenants ne livrent pas le texte du Pape émérite de Rome, que dans ces conditions polémiquer sans livrer le texte exact et complet de cet éminent théologien, rend la critique difficile sinon discutable.

Le concept de la substitution, selon lequel le Christianisme se serait substitué au Judaïsme, au motif que le Judaïsme n’aurait pas reconnu Jésus+Christ comme le Messie, est une question disputée qui relève de la théologie uniquement.
Messie fils de Joseph, Messie fils de David, il est deux Messies que ne méconnaît pas le Judaïsme, mais là ne se pose pas la différence fondamentale entre Judaïsme et Christianisme.

Ce qui distinguera fondamentalement ces deux religions, c’est la compréhension différemment faite entre la Jérusalem terrestre et la Jérusalem céleste ! Edmond FLEG dont la lecture de son beau livre L’enfant prophète, avait bouleversé Jean DANIELOU comme plus tard nous-même, ne manquait pas d’écrire au Cardinal : « Ce royaume messianique qu’il (J+C) annonçait, l’a-t-il réalisé selon nos prophéties ? L’épée s’est-elle changée en serpe ? Le loup broute-t-il avec l’agneau ? ». Cette espérance relève de la Cité terrestre et maintient la Création selon le monde qui est celui de notre chute, lorsque la Cité céleste du Christianisme conduit à une Jérusalem non plus terrestre mais céleste, le retour à ce paradis, Jardin d’Eden dont l’homme avait la garde et dont il fut chassé, et qui n’est pas notre terre.
La venue de ce Huitième Jour n’est pas dépendant de Dieu mais de l’homme. La venue ou plus exactement le retour de Jésus+Christ, s’accomplira lorsque l’homme aura sauvé la Nature qu’il avait entraîné dans sa chute. Des alliances avec l’homme furent tentées, elle furent rompues jusqu’à la destruction des premières tables à la suite du péché du veau d’or. Aussi, Dieu choisissait-il de s’incarner pour détruire la mort conséquence du péché, l’homme étant sauvé en espérance (au sens où il lui revenait maintenant de sauver la nature et d’accepter son propre salut ce qui suppose… beaucoup d’humilité) : il lui revenait de sauver le monde. Ainsi pouvons–nous comprendre cette phrase dans le dialogue du Fils avec Son Père : « Je prie pour eux, mais je ne prie pas pour le monde » (Jean XVII, 9) ; cette mission initialement donnée à Adam de garder le jardin d’Eden, il revient à l’homme sauvé en espérance ( à savoir dans l’attente de la totale réalisation de sa mission) de restaurer ce qu’il a corrompu (cette Nature qui est dans les douleurs de l’enfantement.. (Rom. VIII, 19-22)) et, de ce fait, nous pouvons comprendre l’inconnaissance de l’heure de ce Huitième Jour tant pour les anges que pour Le Fils (Mat. XXIV, 36) puisque dépendant de l’homme dont l’apôtre Pierre ne manque pas de rappeler que l’homme peut hâter cet avènement (II Pierre III, 11, 12).

DANIELOU a raison de répondre à Edmond FLEG : « Ce n’est pas Israël qui a crucifié Jésus, c’est l’infidélité d’Israël. Et par conséquent ce qui a causé la mort de Jésus, c’est en dernier lieu le péché… Devant la croix de Jésus, nous devons, nous aussi, nous frapper la poitrine comme le centurion. »
Le péché quel est-il ? Il se résume au fait que l’homme ne suit pas la Voie tracée par Jésus+Christ et n’applique pas à sa vie les principes rappelés par les Evangiles, dès lors, combien faudra-t-il de temps avant que ne vienne ce Huitième Jour ?
Une réflexion sur la substitution pourrait se faire quant à ce qui constitue la Nouvelle Alliance, mais si comme le conclut DANIELOU : «par le sang du Christ il n’y a plus ni Juifs, ni Grecs, mais des hommes également pécheurs et également sauvés. »

Jean-Pierre BONNEROT

II
Correspondance Edmond FLEG - Jean DANIELOU (Extraits de Dialogue avec Israël, La Palatine Ed, 1963, pages 117 à 131.


LETTRE DE M. EDMOND FLEG


Puisque vous voulez bien m'y convier, mon Révérend Père, je viens vous dire, en ces quelques lignes trop brèves, à mon gré du moins, ce que j'ai ressenti à la lec­ ture du beau livre que vous m'avez si amicalement dédicacé (1).
Ce fut d'abord, je l'avoue, une grande


(1 ) Le mystère du salut des nations, Paris, Le Seuil, 1946.



allégresse. Cet espoir en une seconde ve­ nue terrestre du Messie, que l'Eglise, atten­ tive surtout au Royaume de l'autre monde, avait, semble-t-il, laissé s'assoupir, durant tant de siècles, au cœur de ses fidèles, vous le réveillez à cette vie fiévreuse dont il emplissait, aux temps primitifs, l'âme or­ pheline des Apôtres. Attendre le Messie, l'attendre ici-bas, d'une attente passionnée, que ce soit pour un second avènement, comme chez vos chrétiens, ou pour un pre­ mier, un unique avènement, comme chez nos juifs, c'est toujours l'attendre. En nous refaisant commune cette attente, vous nous rapprochez. De nouveau, vous nourrissez la foi chrétienne de ce ferment sémitique, dont Charles Maurras la félicitait de s'être désintoxiquée. Oui, vous rejudaïsez l'Egli­ se, mon Révérend Père : je ne puis que m'en réjouir. Mais que de tristesse, par ailleurs, vous me causez ! Ce que Dieu, dites-vous, de­ mande aux juifs depuis la crucifixion, c'est de n'être plus la race élue. Mais, selon vous, ils n'ont pas voulu « rentrer dans le rang ». Leur orgueil n'a pu s'y résoudre. D'où, paraît-il, l'obstination de leur fidélité à l'Ancienne Loi !
Mais, cette obstination, perpétuellement, et récemment encore, menée jusqu'au mar­ tyre, il serait, je crois, possible de lui dé­ couvrir des mobiles, ou des raisons, plus méritoires. Implicitement, vous-même en convenez. Vous nous expliquez fort bien que le christianisme, pour transfigurer les civili­sations non chrétiennes, doit d'abord les comprendre en profondeur, et, dans une certaine mesure, s'adapter à elles. Vous iriez jusqu'à admettre la suppression du latin et la messe dansée, s'il le fallait pour incarner le christianisme dans ce que pos­ sèdent de meilleur le monde hindou, le monde chinois ou le monde nègre, comme il s'est incarné jadis dans les mondes grec ou romain. Mais, ajoutez-vous, si la vocation du missionnaire est d'aller vers ceux qui errent, pour les convertir, il doit, par con­ tre et nécessairement, prendre garde à ne point souffrir que leurs erreurs le conta­ minent. Tout serait perdu, si, au lieu de les faire monter jusqu'à lui, il se laissait tomber jusqu'à eux. Or, précisément, la piété juive a estimé que, sur la voie des concessions permises, le christianisme ne s'est peut-être pas tou­ jours tenu dans les limites de la prudence la plus sage. Pour s'incarner, comme vous dites, dans les mondes grec et romain, il a fait des sacrifices incompatibles, aux yeux d'Israël, avec la foi d'Israël. Notre Dieu est invisible et unique. Les dieux d'Athènes et de Rome étaient visi­ bles et multiples. La religion de saint Paul, qui tenait des Juifs l'unité de leur Dieu, a, en s'incarnant chez les Grecs et les Ro­ mains accepté l'humaine visibilité des leurs. Et c'est pour maintenir, parmi les hommes, l'adoration jalouse non seulement de Dieu-Un, mais du Dieu-Esprit dans sa totale pureté, qu'Israël s'est exposé, s'expose encore, et s'exposera, s'il le faut, jus qu'à la fin des temps, au martyre qui s'est, jusqu'ici, attaché à sa mission.

Vous le voyez, mon Révérend Père, l'obstination intransigeante, mais sacrée, des Juifs s'explique moins par les aveugle­ ments d'un orgueil sans mesure que par une obéissance démesurée aux impératif s de la mission qui leur fut départie. Et ceci nous conduit à ma dernière re­ marque. Vous nous enseignez que l'huma­ nité de Jésus ne fut ni une fiction, ni une approximation. Pour vous, Jésus, quoique Dieu, fut vraiment un homme, un homme de son pays et de son époque, avec les tendresses, avec les colères, avec les igno­ rances de l'homme. Mais, s'il en fut ainsi, de quel droit maudire, en son nom, ceux qui l'ont pris pour un homme ? Sujet à l'ignorance, ne pouvait-il être sujet à l'erreur ? Ce royaume messianique qu'il an­ nonçait, l'a-t-il réalisé selon nos prophé­ ties ? L'épée s'est-elle changée en serpe ? Le loup broute-t-il près de l'agneau ? La connaissance de Dieu couvre-t-elle la terre, comme l'eau couvre le fond des mers ? Puis, pour être un homme vraiment, complètement, Jésus qui assuma toutes les dictions ? Devant l'identique responsabilité qui en bonne justice, leur incombe à l'égard de leurs pécheurs, ces traitements opposés, que reçoivent de l'Eglise, Israël et l'Eglise, ne vous inquiètent-ils jamais, mon Révérend Père ? Et n'y voyez-vous pas la source, à la fois lointaine et proche de cet antisémitisme, que vous réprouvez ? Quant à nous, Juifs, si une certaine chré­ tienté a besoin, pour s'affirmer, de nous maudire, nous n'avons nul besoin, pour être juifs, de lui renvoyer sa malédiction.
Notre grand Maïmonide l'a écrit, voici bientôt huit siècles :« Aucune pensée humaine ne peut sai­ sir les desseins du Créateur, car ses voies ne sont point les nôtres ! de sorte que cet homme (Jésus) et les autres fondateurs de religions qui l'ont suivi, ont contribué à aplanir le chemin pour le Messie véritable, qui doit instituer le culte du Dieu unique pour tous les peuples de la terre... Grâce à ces religions nouvelles, le monde entier s'est rempli de l'idée d'un Rédempteur­ Messie, et des paroles de la Loi et des commandements. Ces paroles se sont ré­ pandues jusqu'aux îles lointaines et parmi de nombreux peuples qui n'ont aucune civilisation. Tous s'occupent maintenant de la Tora et du problème de sa validité. Les uns affirment que ses commandements sont vrais, mais n'ont plus de valeur ; les autres leur attribuent un sens secret, et disent que leur contenu s'est déjà réalisé. Mais, quand viendra le vrai Messie, tous se convertiront et reconnaîtront leur erreur ». Inclinons-nous donc, les uns et les autres, devant les mystères de cette double voie divine. Chacun selon les lumières qui lui furent dispensées, mais sans chercher ni à les éteindre, ni à les confondre, attendons ensemble, travaillons ensemble à la venue, seconde ou première, de ce Messie, dont l'avènement nous éclairera les uns et les autres, et dont l'attente même, en ce monde où les ténèbres sont encore, peut nous rapprocher et doit nous unir.


*

RÉPONSE DU PÈRE DANIÉLOU


En remerciant M. Edmond Fleg de sa lettre où la foi monothéiste d'Israël et son attente passionnée du Messie s'expri ment de façon si émouvante, je ressens à nouveau tout ce qu'a de bouleversant aux yeux d'un chrétien le fait que les Juif s qui ont si longtemps attendu le Messie, ne l'aient pas reconnu, ne le reconnaissent pas, ne sachent pas qu'il est venu - et je voudrais, comme Justin avec Tryphon, re­ prendre les textes prophétiques et mon­ trer comment ils se réalisent en Jésus. Mais ce serait un autre propos. Ici, je préciserai seulement la position chrétienne à l'occasion des réflexions de M. Fleg.

1. En ce qui concerne l'attente eschatologique, que celle-ci subsiste dans le chris­tianisme et que cet aspect du christianisme ait été souvent méconnu, nous en sommes bien d'accord. Et c'est là, en eff et, un trait commun au judaïsme et au christianisme. Mais il subsiste cette immense diff érence que cette attente ne porte plus pour le chrétien que sur ce que saint Jean appelle « la manifestation des fils de Dieu ». La réalité même de la grâce est acquise avec la venue de Jésus-Christ.

2. M. Fleg présente le judaïsme comme défendant jalousement le monothéisme et pense qu'il y a dans le christianisme une contamination des religions hellénistiques. Il y a ici une méconnaissance de ce qu'est la foi chrétienne. Son monothéisme est aussi intransigeant que celui d'Israël. Et quand le christianisme parle de Trois per­ sonnes en Dieu, il ne contredit pas le monothéisme d'Israël, mais le prolonge. L'Ancien Testament connaît une Parole de Dieu par laquelle « les cieux ont été faits » (Ps. XXXIII 6) et une Sagesse de Dieu qui est « l'image de sa Bonté » (Sap. VII 26). Or, c'est à cette Parole et à cette Sagesse que font expressément allusion Jean et Paul quand ils disent, le premier : « Au commencement était la Parole », et le second : « Il est l'image du Dieu invi-
sible » (Col. 1, 15). Seulement l'aspect per­sonnel de « la Parole », et de « la Sagesse » est encore obscur dans l'Ancien Testament.

3. Il en est de même en ce qui concerne l'Incarnation. Elle n'est aucunement une atteinte à la spiritualité de Dieu. Dans la personne du Christ, la nature divine n'est absolument pas confondue avec la nature humaine et elle est « pur esprit ». Mais l'Incarnation de la « Parole », rentre dans une « économie », pour parler la langue des Pères, qui commence dès l'Ancien Testament, puisque dans l'Ancien Testament nous voyons déjà le Verbe de Dieu « venir chez les siens » (Jean 1, 14). Et les Pères de l'Eglise montreront dans les manifesta­tions de Dieu dans l'Ancien Testament - que M. Fleg ne nie pas - une pédagogie divine par laquelle Dieu préparait l'huma­ nité à recevoir la plénitude de !'Esprit. C'est d'un Grec qu'est le mot : « Dieu ne touche pas l'homme ». Ce sont les Grecs pour qui le divin est le monde incorporel et pour qui l'Incarnation est impensable.

4. M. Fleg parle ensuite des « erreurs » de Jésus qui justifieraient le refus des Juifs de le reconnaître pour le Fils de Dieu. Mais d'abord quand M. Fleg voit une erreur dans le fait que les prophéties ne se soient pas réalisées selon la lettre et que l'épée « ne se soit pas changée en serpe », ceci prouve peut-être que les pro­ phéties ne sont pas à prendre au sens ma­ tériel. Quant à l'annonce que la connais­sance de Dieu s'étendra à toute la terre, elle s'est réalisée quand la connaissance de Dieu a cessé d'être le privilège d'Israël et a été annoncée à toutes les nations. D'au­tre part, le fait que Jésus ait été vraiment homme et que, dans sa science humaine du moins, il ait été susceptible de progrès - par exemple, il a appris à parler hébreu t n'en a pas fait semblant, ce qui serait du docétisme - n'entraîne aucunement qu'il ait pu être susceptible d'erreur, car cette science humaine sans se confondre avec sa science divine, était totalement accordée à elle.

5. M. Fleg en vient alors à la dernière question, la plus grave, celle de la mort du Christ et de la responsabilité ou des excuses des Juifs à son égard. Ici, nous sommes devant de grands mystères. La condamnation de Jésus par les Juifs dépas­ se en un sens le plan des responsabilités individuelles. C'est un aspect de la mysté­ rieuse économie du plan de Dieu. Ceci n'excuse pas pourtant Israël de toute responsabilité. Car s'il avait été vraiment fi­ dèle, il aurait reconnu en Jésus celui qu'a­ vaient annoncé les prophètes. Et ceci alors nous fait entrevoir derrière le premier mystère un autre mystère plus profond. Ce n'est pas Israël qui a crucifié Jésus, c'est l'infidélité d'Israël. Et par conséquent ce qui a causé la mort de Jésus, c'est en der­ nier lieu le péché. Mais alors ce n'est plus Israël seul qui porte la responsabilité de la mort de Jésus, puisque c'est « l'iniquité du monde » que celui-ci a prise sur lui. De­ vant la croix de Jésus, nous devons, nous aussi, nous frapper la poitrine comme le centurion. Aussi il n'est pas vrai, comme paraît le croire M. Fleg, que l'Eglise con­ damne Israël et excuse les pécheurs qu'elle porte en elle. C'est le péché qui a crucifié le Christ, celui d'Israël, mais aussi bien le nôtre. A cette profondeur du mystère, tous les hommes sont égaux aux pieds de la Croix, comme aussi bien sont-ils tous égaux dans le salut qui vient par la Croix.
Cette unité que M. Fleg attend de la fin des temps, nous la désirons passionné­ ment comme lui, mais l'immense certitude que nous voudrions si ardemment lui voir partager et qui est la nôtre, c'est qu'elle existe déjà par le sang du Christ, par le­ quel il n'y a plus ni Juifs ni Grecs, mais des hommes également pécheurs et égale­ ment sauvés.

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