Cardinal Ratzinger : «
[l’Instruction Donum
Veritatis] affirme -
peut-être pour la première fois de façon aussi claire - qu’il existe des
décisions du magistère qui ne peuvent constituer le dernier mot sur une matière
en tant que telle, mais un encouragement substantiel par rapport au problème,
et surtout une expression de prudence pastorale, une sorte de disposition
provisoire. Leur substance reste valide, mais les détails sur lesquels les
circonstances des temps ont exercé une influence peuvent avoir besoin de rectifications ultérieures. A cet égard, on
peut penser aussi bien aux déclarations des papes du siècle dernier sur la
liberté religieuse qu’aux décisions antimodernistes du début de ce siècle »
(L’Osservatore Romano. Édition hebdomadaire en langue française, 10 juillet
1990, p. 9)[1][1].
Monseigneur Ocáriz : « Le
Concile Vatican II n’a défini aucun dogme, au sens où il n’a proposé aucune
doctrine au moyen d’un acte définitif. Toutefois, le fait qu’un acte du
Magistère de l’Église ne soit pas garanti par le charisme de l’infaillibilité
ne signifie pas qu’il puisse être considéré comme « faillible »,
au sens où il transmettrait une « doctrine provisoire » ou encore des
« opinions autorisées ». Toute expression du Magistère authentique
doit être accueillie pour ce qu’elle est véritablement : un enseignement
donné par des pasteurs qui, dans la succession apostolique, parlent avec un
« charisme de vérité » (Dei Verbum, n.8), « pourvus de
l’autorité du Christ » (Lumen Gentium, n. 25), « sous la
lumière du Saint-Esprit » (ibidem). (Osservatore Romano, 2 décembre
2011, p. 6)
Le Cardinal Ratzinger affirme
clairement qu’il existe un Magistère qui est provisoire et il donne un
exemple. Ce Magistère, selon le Cardinal, n’est pas le dernier mot sur une
matière, c’est-à-dire, il ne s’agit pas évidemment d’un Magistère infaillible,
mais d’un Magistère purement authentique, qui pourrait être faillible sur
certains aspects et sujet à des rectifications. Ce Magistère pourrait être
l’expression de prudence pastorale, une contribution par rapport au problème.
Or la prudence est provisoire. Les décisions prudentielles peuvent et parfois
doivent changer selon les circonstances. Il incline vers une position sans pour
autant interdire ou condamner une autre position. Il s’agit donc d’un Magistère
exercé à un moment donné et pour les circonstances de ce moment, pouvant donc
changer si les circonstances changent. Le Cardinal n’affirme pas que tout
Magistère non-infaillible est explicitement provisoire, mais qu’il existe aussi
un Magistère de ce type. Classiquement on appelle cette sorte de Magistère
provisoire le Magistère qui affirme qu’une telle doctrine est tuta vel non
tuta. Ce Magistère ne veut pas trancher la question, mais il indique
qu’une telle doctrine, dans le contexte contemporain à cet acte du Magistère,
peut être enseignée sans danger pour la foi et la morale ou que, au contraire,
elle ne peut pas être enseignée sans mettre en danger la foi et la morale.
Ainsi, par exemple, une thèse philosophique peut être condamnée comme non
tuta, non pas parce que le Magistère la considère fausse d'une manière
absolue, mais parce que dans les circonstances données (considérant en
particulier l'état dans lequel se trouvent la théologie, la philosophie ou la
science en ce moment donné) on n'arrive pas à la concilier aisément avec le
Dépôt Révélé et c'est donc imprudent de la tenir. Avec le temps le Magistère
peut condamner définitivement cette théorie ou affirmer sa compatibilité avec
la Révélation. Dans ce cadre on pourrait citer le cas de la condamnation de
Galilée, auquel il avait été demandé de ne pas enseigner de façon péremptoire
ce qui à l’époque n’était qu’une thèse non prouvée. En principe donc un
Magistère purement authentique et provisoire peut exister, comme l’affirme le
Cardinal Ratzinger. Que ce soit le cas du Magistère contre la liberté
de conscience au XIXème siècle et du Magistère contre le modernisme au début
XXème, cela reste au moins très douteux[2].
Une analyse de l’affirmation de Mgr Ocáriz
n’est pas facile, puisque son texte manque de clarté. Veut-il tout simplement
dire que le Magistère de Vatican II n’appartient pas à cette espèce de Magistère
faillible provisoire ? Magistère qui existerait donc par ailleurs, mais
pas au dernier Concile ? Peut-on interpréter ainsi son affirmation
ambiguë : « le fait qu’un acte du Magistère de l’Église ne soit pas
garanti par le charisme de l’infaillibilité ne signifie pas qu’il puisse être
considéré comme “faillible ”. au sens où il transmettrait une
“doctrine provisoire”. ou encore des “opinions autorisées ”» ? De
cette façon affirme-t-il qu’un acte du Magistère (purement) authentique ne transmet
pas nécessairement une doctrine provisoire, bien qu’il puisse le faire ? Ou
dans le sens contraire veut-il dire que aucun acte du Magistère (purement)
authentique ne peut être provisoire ? Sa dernière phrase semble indiquer
plutôt cela, puisque, pour expliquer l’affirmation que Vatican II n’est pas
provisoire, il finit par englober tout Magistère authentique :
« Toute expression du Magistère authentique doit être
accueillie pour ce qu’elle est véritablement : un enseignement donné par
des pasteurs qui, dans la succession apostolique, parlent avec un
“charisme de vérité ” (Dei Verbum, n.8), “pourvus de
l’autorité du Christ ” (Lumen Gentium, n. 25), “ sous la lumière
du Saint-Esprit ” (ibidem) ». Mgr Ocáriz semble donc
plutôt exclure la possibilité de tout Magistère provisoire, contrariant le
Cardinal Ratzinger, la pratique de l’Église et la doctrine commune des
théologiens.
Il faut d’ailleurs affirmer qu’un
Magistère non-infaillible demeure toujours avec un certain caractère
provisoire, autrement on aurait un Magistère toujours définitif, inchangeable,
irréformable, enfin infaillible. La distinction entre faillible et infaillible
donnée par l’Église elle-même n’aurait plus aucun sens. Ce caractère provisoire
peut être exprimé soit directement (ou explicitement) par le Magistère
lorsqu’il affirme qu’une doctrine est tuta vel non tuta ou
indirectement (ou implicitement) lorsque le Magistère affirme une doctrine
(enseignant sa vérité) ou la condamne (enseignant sa fausseté), sans pour
autant trancher définitivement la question. Il faut ajouter que ce caractère
provisoire peut avoir plusieurs degrés. Et ce Magistère purement authentique
même s'il n'est pas directement ou explicitement provisoire n’est pas de
iure infaillible et il reste réformable. C’est un enseignement pouvant
donc contenir des erreurs, même si cela reste assez rare, et il ne peut point
par conséquent exiger un assentiment absolu par le seul fait qu’il s’agit d’un
acte magistériel de l’autorité ecclésiastique.
Abbé Daniel Pinheiro
[1]
Dans le texte original italien le mot traduit par « encouragement »
est « ancoraggio », ce qui signifie plutôt « ancrage » cfr.
Osservatore Romano 27 giugno 1990 p. 6. Nous remarquons cette discordance entre
les textes en circulation. Cependant le sens du texte n’est pas altéré.
[2]Ce
magistère n'est pas du Magistère Extraordinaire Infaillible, mais il est très
probablement du Magistère Ordinaire Pontifical Infaillible, fondé sur la
Révélation elle-même. Cette position a, en outre, des solides raisons
doctrinales et théologiques à son appui. Au sujet de la liberté religieuse on
revoie à l’étude
de Mgr de Castro Mayer.
Source : isputationes.over-blog.com/article-la-these-ocariz-contredite-aussi-par-la-these-ratzinger-98967390.html
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