septembre 07, 2011

SPIRITISME ET CHRISTIANISME


(Réponse à M. Gaston LUCE)

     Dans le Numéro de Psyché d'Avril, nous avons consacré quelques pages à l'analyse du livre de M. E. Christophe « Mensonge et Danger du Spiritisme », sous les initiales A. S.
M. Gaston Luce, dans le numéro de juillet des « Annales du Spiritisme Christique », nous répond par une lettre ouverte à laquelle nous devons une réponse, tout en regrettant que notre ami s'en prenne à nous plutôt qu'à l'ouvrage même de M. Christophe. De la réfutation de l'auteur distingué de « De Platon à Dante par la Voie Royale », mettons d'abord sous les yeux de nos lecteurs les passages les plus saillants.
     « La thèse que soutient l'auteur de Mensonge et Danger du Spiritisme comporte, selon vous, deux parties principales, à savoir : 1°) que la Bible réfute le spiritisme ; 2°) que le spiritisme est la contradiction du christianisme. C'est donc la réédition pure et simple d'un argument essentiellement sacerdotal... Il faut voir avec quel entrain M. l'abbé Mermet applaudit au geste de M. Christophe « Il est impossible de lire votre magnifique ouvrage sans être convaincu de cette autre vérité (la première est que le spiritisme nie habilement le dogme chrétien) que s'adonner au spiritisme c'est tout à la fois abandonner la vraie foi, la santé, la fortune et... la raison. »
     « Je pense, mon cher Savoret, que vous trouvez que l'abbé exagère... Je veux donc, mon cher ami, tenter de vous rassurer... Le titre même de la revue où j'écris y devrait suffire : Annales du spiritisme christique. À l'affirmation osée de M. l'abbé Mermet que le spiritisme est la négation habile, déguisée, mais très certaine de la Rédemption, de la divinité du Christ et de toutes les autres vérités chrétiennes, j'opposerai l'affirmation tranquille, vérifiée ici même régulièrement, que le spiritisme est au contraire la reconnaissance ferme et sans restriction aucune de l'action divine et rédemptrice du Christ... Il est entendu que nous parlons ici pour nous, spirites christiques, laissant à d'autres, s'ils le jugent à propos, le soin de définir leur doctrine.
     « Notre point de vue personnel est ferme, inattaquable : nous faisons confiance à l'Esprit. C'est lui le seul dispensateur de lumière ; c'est lui notre guide en toutes choses. Nous révérons des maîtres comme Allan Kardec et Léon Denis... mais nous considérons avant tout que le spiritisme est une doctrine en voie d'élaboration et non fixée. Retenons toutefois ce qui, dès le début, a été nettement défini par le fondateur, à savoir que le spiritisme n'est autre chose qu'une dispensation nouvelle du christianisme originel. L'argument des adventistes qui nous, opposent périodiquement certains passages du Lévitique et des textes d'Isaïe est éculé.
     « Allan Kardec, Léon Denis et maints auteurs autorisés ont mis constamment leurs lecteurs en garde contre le danger de certaines pratiques. Mais les hommes sont les hommes, qu'ils se disent spirites ou non : quand la présomption les tient, elle ne les lâche pas de sitôt. Danger, soit ! Mais danger qu'on peut éviter et qu'il n'y a pas lieu de s'exagérer.
     « Vous éprouvez des craintes à cause des ombres inquiétantes qui gravitent autour d'un spiritisme mal compris. Elles existent en effet, mais ce n'est pas le spiritisme mal compris qui les a engendrées. Ce qui leur a donné barre sur nous c'est la folie, le vice, la fureur des hommes et leur indignité. Et ce serait vraiment nous faire un triste procès que de nous prétendre coupables de ce lamentable désordre. Les spirites sont généralement de bonne foi. Esprits en quête de vérité, on ne saurait leur faire grief de chercher la voie en dehors des dogmes confessionnels ; il n'y a pas là de quoi les vouer aux gémonies.
    « L'auteur du livre en question leur reconnaît, dites-vous, un seul mérite : d'avoir démontré expérimentalement que les phénomènes sont, non pas illusoires, mais réels. Savez-vous que c'est tout simplement la constatation d'une des plus grandes conquêtes de la pensée moderne, et peut-être la plus grande ? Qui vous dit que ce n'est pas de cette « terre inconnue » que va venir la délivrance ? Dévoyés aujourd'hui, les hommes seront peut-être demain libérés par des alliances qu'ils auront contractées dans ce nouveau domaine... C'est tout le problème de la Rédemption que tient en réserve ce monde spirituel qui nous entoure de sa protection.
     « Le problème de l'Esprit s'impose à notre attention. Il doit être par nous résolu ou nous devons en tenter la solution, non au moyen de formules confessionnelles rigides et caduques, mais par les voies du cœur et de la raison.
     « À ceux qui disent « le spiritisme sera scientifique ou ne sera pas », nous opposons la formule


     Le spiritisme sera tout simplement le fait de l'Esprit »... Dernièrement le Père Pinard de la Boullaye a exécuté le tour de force de parler de la « religion de l'Esprit » sans faire allusion à ces charismes qui ont fixé l'atmosphère de la primitive Église. Eh bien ! Je vous le demande, en quoi ces charismes qui vainquirent le paganisme ancien seraient-ils devenus malsains au milieu de notre paganisme moderne...
     « Loin de moi de croire que ces quelques lignes suffiront à éclairer le débat, mais je devais à la sympathie que je vous porte de vous donner mon sentiment propre, qui est, j’ose le croire, celui des Annales ».
 
 


     Nous remercions d'abord M. Gaston Luce de sa sympathie, dont nous n'avons jamais douté, en le priant bien sincèrement de croire à notre amicale admiration pour l'auteur de tant d'études savantes et de tant de vers savoureux. Mais ici, nos sentiments personnels doivent se taire. Nous ne sommes pas d'accord avec les idées émises par lui. Nous avons à le dire puisqu'il nous met en cause. Tâche ingrate dans laquelle nous nous efforcerons d'éviter le ton de la polémique.
En premier lieu, réfutation de fait. Nous n'avons jamais voué les spirites « aux gémonies » ; nous n'avons non plus déclaré qu'ils étaient « coupables ». Nous n'avons pas caché notre sympathie pour Léon Denis et n'avons pas limité tout le spiritisme à l'horizon kardéciste.
 


     Passons à d'autres points plus importants.
     M. Luce se retranche derrière le titre même des Annales du spiritisme CHRISTIQUE, pour déclarer que le spiritisme ne nie ni la Rédemption, ni la divinité du Christ. Tout d'abord, nous lui ferons remarquer que ce point de vue est celui d'un petit groupe de spirites, plus ou moins considéré comme « schismatique » par les autres. Ensuite, dans le même numéro des Annales nous lisons cette affirmation de M. Luce, nous pouvons lire (page 4) sous le titre : Correspondance spirituelle : « Peut-on croire que Jésus soit Dieu ? Dieu est la perfection : il se suffit donc à lui-même, n'a besoin que de lui-même. Comment alors admettre que Jésus soit Dieu, lui aussi. Jésus n'a jamais annoncé qu'il était Dieu. Ne priait-il pas son Père. Pourquoi, s'il était Dieu sur la terre, y priait-il Dieu au Ciel, c'est-à-dire lui-même ? Il n'y a dans les Évangiles aucune preuve affirmative que Jésus soit Dieu.. »


     Il faut donc penser que, si M. Gaston Luce croit la divinité du Christ et à la Rédemption, il est à peu près seul de son avis, même dans les « christiques » Annales du Spiritisme.
     On conçoit donc que, lorsque nous jugeons du spiritisme (en général nous nous voyons obligé de conclure, d'accord en cela avec M. Christophe, que spiritisme et christianisme sont deux choses différentes.


     Il serait d'ailleurs trop long de réfuter le jugement porté sur le Christ dans les Annales. Disons seulement qu'en pure doctrine catholique - et en laissant de côté les arguments des théologiens - Jésus étant homme et Dieu à la fois peut très bien, en tant qu'homme, prier son Père sans contradiction ni sottise. N'avait-il pas d'ailleurs à donner l'exemple de la prière ? Quant aux Évangiles, celui de Jean est assez explicite. Parlant du Verbe, différent du Père en fonction, non en essence, il ajoute « le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous ». De plus, Celui qui dit de Lui « Je suis la VIE, je suis la VÉRITÉ, avant qu'Abraham fut, j'ÉTAIS », ne saurait être une créature. La créature A la Vie, mais elle n'EST pas la Vie

     Qu'il y ait un mystère dans ce double aspect du Christ ; que ce mystère ait été défini dans un dogme (défini mais non expliqué), c'est certain, Mais si les spirites se défient des dogmes, s'ils voient dans le mystère un « obscurantisme » (Annales, p. 6), ils font preuve d'une vue terriblement courte. Le « mystère » ? Mais il est partout Le spiritisme ne l'éclaircit pas davantage dans le domaine spirituel que la science ne l'éclaircit dans le domaine matériel
     L'électricité est un « mystère », la matière en est un autre et nulle recherche scientifique, nulle révélation spirite n'en ont donné la clef. Or le dogme est la formule du mystère. Il est l'énoncé du problème. Prendre le dogme pour ce qu'il n'est pas, c'est-à-dire pour une « explication », c'est prendre le problème à rebours.


     Si le spiritisme d'autre part est « en voie d'élaboration », c'est qu'il rejette implicitement la révélation, c'est qu'il se veut scientifique (selon la parole d'Allan Kardec, que rejette M. Luce mais qui est « parole d'Évangile » pour des millions d'autres), c'est qu'il dépend de l'expérimentation. En somme un pragmatisme Si donc la science change continuellement sans jamais approcher de la vérité essentielle, le spiritisme semble condamné, dans sa progression expérimentale, à n'énoncer des lois que pour les remplacer ensuite par d'autres, à tâtonner sans fin - chacun restant libre de voir plus clair que le voisin. Quant aux révélations des « esprits » elles sont assez contradictoires pour qu'on n'en puisse jamais tirer la moindre synthèse, ni scientifique, ni philosophique, ni religieuse. Veut-on parler de « réincarnation » ? La plupart des « esprits » la proclament. Mais d'autres, moins nombreux, la nient formellement. Lesquels croire ? Et le nombre est-il une présomption en faveur de la vérité ?

     Les pères du spiritisme nous parlent des dangers des pratiques spirites. Très bien ! Mais, sans lesdites pratiques, il n'y aurait pas de spiritisme... Si chacun reste juge de sa propre « qualification » pour le spiritisme expérimental, chacun, évidemment, se trouvera suffisamment « qualifié ». Nous tournons toujours dans le même cercle, et nous ne pouvons ici que renvoyer M. Luce à ce que nous écrivions en rendant compte, dans Psyché de juin, du livre de M. Philippe Encausse.

     Voyons un autre point. M. Luce prend acte de ce que, pour M. Christophe comme pour nous, les phénomènes spirites sont réels, pour voir dans ces phénomènes « peut-être la plus grande conquête de la pensée moderne ». Nous ne saisissons pas bien son point de vue. En quoi un fait expérimental constitue-t-il une conquête de la pensée ?

     En fait d'expériences, d'ailleurs, l'antiquité en savait cent fois plus long que le moderne spiritisme. Mais elle n'était pas dupe du phénomène. Quand Homère, croyons-nous, nous montre son héros évoquant l'ombre d'Achille, il a bien soin de nous apprendre que la personnalité d'Achille est et reste parmi les Immortels. Quand, plus près de nous, Éliphas Lévi évoque l'ombre d'Apollonius de Tyane, il n'est pas non plus dupe de son visiteur « Concluraije que j'ai réellement évoqué (et touché le grand APOLLONIUS DE TYANE ? Je ne suis ni assez halluciné pour le croire, ni assez peu sérieux pour l'affirmer. »

     Aussi, quand notre ami Gaston Luce nous expose que « dévoyés aujourd'hui, les hommes seront peut-être demain libérés par des alliances qu'ils auront contractées dans ce nouveau domaine », nous croyons devoir lui crier casse-cou !

     Ce domaine n'est pas celui de l'Esprit, mais celui des « esprits ». Qui sont-ils ? Sont-ce même des « désincarnés » ? Sont-ils forcément ceux qu'ils nous disent être ? Satan ne peut-il jouer les anges de Lumière ? De cette « alliance », de ce « pacte » écririons-nous volontiers, que peut-il sortir ?

     Nous le supplions d'ouvrir les yeux à ce fait qu'il n'ignore pas
     Bien avant notre ère, depuis des millénaires, les hommes ont fait « alliance » avec des êtres de ce plan dont la sollicitude divine nous sépare par d'utiles garde-fous. Qu'en est-il résulté ? Et si la « libération » devait sortir de là, n'en serait-elle pas déjà sortie ? Et pourtant, dans ce passé lointain, il y avait une science secrète réelle. Et pourtant, les spirites n'ont pas découvert le dixième de ce qu'avaient découvert les Sages de Celtide ou d'Égypte. Les « Charismes » ? Voyez comme l'Apôtre Paul s'en méfie ! Voyez en quoi ils ont dégénéré trop souvent !...
     On nous répondra, comme M. Luce, que le spiritisme n'est pas coupable ; que les coupables ce sont la folie, le vice et l'indignité des hommes !
     Serions-nous aujourd'hui moins indignes qu'hier ? L'immense extension du spiritisme parmi les masses, initiation sans degrés, sans épreuves, sans directeurs qualifiés dans tant de cas, peut-elle être envisagée comme un bienfait ? Nous ne le pensons pas. Il nous serait facile, en fouillant dans, nos propres souvenirs, dans nos propres expériences, de montrer quels ravages peut faire la doctrine spirite dans des âmes faibles, des cerveaux frustes, des cœurs cupides ou orgueilleux. Or, parmi les millions de spirites, quel pourcentage minime d'êtres au cœur à peu près pur, à l'âme droite et forte, au cerveau à peu près solide ?


     La lumière ? Elle vient de l'Esprit - mais pas par l'intermédiaire de la table, de l'ardoise ou du oui-ja ! Jésus nous enseigne à nous adresser directement au Père, à faire les œuvres de l'Amour, à nous sacrifier en prenant exemple sur lui - en puisant notre réconfort en lui Quant au monde des « esprits », il ne nous enseigne pas à nous mettre en rapport avec lui. Celui qui suit sa voie, sans effort, sans medium, peut, lorsque la chose est utile, entrer en contact avec tous les mondes - dont celui des esprits » du spiritisme n'est qu'une fraction modeste - et même avec le monde de l'Esprit que jamais le spiritisme n'atteindra. Certes, ces hauteurs sont rarement atteintes ; l'effort nécessaire pour les gravir n'est aussi que rarement fait. Le succès du spiritisme est qu'on peut y entrer, pour ainsi dire, de plain-pied. Son succès - et son danger.
     Car M. Luce aura beau prévenir et crier gare Il aura beau mettre en garde les « apprentis spirites », il prêchera dans le désert ! Les condamnerons-nous ? Non ! M. Luce remarque, avec raison, que la plupart des spirites sont sincères. Nous critiquerons donc le spiritisme, mais voulons respecter la sincérité des spirites - qui n'est pas en cause.
La « lettre ouverte » de notre ami ne nous a pas convaincus. Nous venons d'exposer sommairement pourquoi. Notre réponse le convaincra-t-elle ? Nous ne le croyons pas. Si nous avons réussi à exposer notre point de vue sans avoir blessé une amitié ou froissé un sentiment, nous nous en tiendrons pour satisfait.
 


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(Seconde Réponse à M. Gaston LUCE)



     M. Gaston Luce ayant exposé de nouveau son point de vue dans les Annales du Spiritisme Christique d'Octobre, au sujet des idées que nous exprimions sous le même titre dans cette revue, nous ne croyons pas pouvoir éviter de nouveaux développements - auxquels, du reste, il nous convie très amicalement.
     Cette seconde réponse sera très probablement la dernière. L'essentiel aura été dit, de part et d'autre. Pour préciser au mieux les points sur lesquels nous sommes en désaccord, nous nous contenterons de commenter sommairement les passages saillants de l'article de notre distingué contradicteur. Notre controverse y gagnera en précision ce qu'elle perdra du point de vue littéraire - qui est bien le dernier de nos soucis.
     « Qu'est le Christ ? Ah ! Certes, le problème nous dépasse tous singulièrement, écrit M. Luce ; toutefois ce nous est un devoir d'en sonder les sublimes, profondeurs. »
     Au risque de passer pour un esprit timoré, nous déclarerons ici candidement que nous ne croyons pas que l'humanité actuelle soit capable de définir le Christ. Plus haut qu'elle, nous voyons les quelques-uns qui sont ou furent Ses amis se refuser à Le définir en mode intellectuel, à nous en donner une idée qui, vraie pour eux, deviendrait fausse en passant par notre cerveau compliqué, et se contenter en règle générale d'œuvrer comme Lui - nous montrant implicitement par leur exemple quel chemin, quel unique chemin pouvait mener à la vraie compréhension du plus insondable des mystères.


     « La théologie, nous concède M. Luce, est un monument grandiose qui ne manque pas de solidité ni de noblesse, mais ce n'est pas un monument éternel ».
     Ici nous sommes à peu près d'accord La théologie est œuvre humaine et, comme telle, sujette à l'erreur. Elle n'est d'ailleurs pas article de foi. Si elle était éternelle, elle vaudrait demain comme hier, comme valent et vaudront les Évangiles, les Paroles du Christ.
     Du seul fait que les théologiens ne sont pas toujours d'accord, voici notre Conscience à tous deux en repos...
« Nous ne rejetons pas la tradition ; notre ouvrage, que M. Savoret a bien voulu mentionner élogieusement, en fait foi. Mais nous pensons que la révélation se parfait avec les cycles d'évolution. »
     Ici, nous nous permettrons d'apporter un correctif aux paroles de M. Luce avant de nous déclarer d'accord La « Révélation » ne saurait se parfaire sous peine de n'être pas d'origine divine. Ce n'est pas elle, mais bien les hommes qui la reçoivent qui doivent « se parfaire » pour la comprendre. Telle elle a été donnée, telle elle restera éternellement puisqu'elle se confond avec la Vérité. Cette vérité, le cœur du simple chrétien la pressent, mais elle resplendit dans le cœur des saints et dans leur esprit illuminé par le foyer cardiaque. Elle reste lettre morte ou prétexte à controverses pour ceux qui font un dieu de leur cerveau. La Révélation est donc immuable ou n'est pas. Elle n'est pas destinée à satisfaire les jeux de la pensée puisque les philosophes, les cerveaux exercés et cultivés, passent à côté d'elle sans la voir. Elle s'adresse en nous au seul point de contact de notre fini avec l'infini, le cœur.      C'est donc le cœur qui doit se parfaire pour accéder à l'invariable vérité.


     C'est ce qu'ont compris les grands saints, dont parle plus loin M. Luce « Sait-on seulement lire les Évangiles ? Sait-on les recevoir en esprit ? S'est-on abreuvé à la source véritable ? Seuls les grands saints nous ont montré la voie... »
Oui, ils nous ont montré la voie. Comment ? En nous donnant l'exemple d'un travail acharné sur eux-mêmes, sur ce cœur où combattent sans merci l'ange et la bête. Voilà l'athanor où doit éclore le Grand Œuvre, où doit irradier, consumant toute impureté, l'Amour, suprême feu philosophique.
     « L'apanage sacré de l'homme est la liberté. Ainsi pensaient les vieux druides, pères de la philosophie. Nous aimons la vérité et, pour la suivre nous n'userons que d'un moyen unique suivre le Maître et ses loyaux serviteurs ».
Très juste ! C'est ce que firent les rares vrais chrétiens se sacrifier, se taire, se mettre au service de l'humanité, non en paroles mais en actions, porter sa besace sans se plaindre et prendre en plus celle du voisin qui trébuche sur la route, sans avoir le sentiment d'avoir accompli un tour de force. Cela, c'est suivre la voie qui mène au Christ détenteur de la pure Vérité. C'est le chemin direct et sûr mais quelque peu broussailleux et désert. Comme un homme, qui fonce farouchement vers son but à travers les ronces qui le déchirent, n'ayant ni l'humeur ni le temps de beaucoup philosopher, ainsi celui qui suit la Voie ne fait guère de réflexions sur la qualité ou la nature du Logos ou sur le fonctionnement de la Trinité. Il sait le but, il veut l'atteindre, il sait que là se tient la lumineuse Révélation, là seulement, aussi hâte-t-il le pas, peu pressé d'anticiper sur son aspect. Seulement pour déployer un tel effort il faut la Foi - une Foi bien en dehors des relatives certitudes rationnelles. Mais, à ce degré, spiritisme, théologie, ésotérisme ne doivent pas peser bien lourd dans les préoccupations ? C'est du moins l'idée que nous nous en faisons « du dehors », en serviteur inutile et infidèle.
     « Notre spiritisme sera donc essentiellement christique et il comportera, en plus d'une ascèse, un pragmatisme... Il n'y a pas à séparer l'un de l'autre... Si l'on admet que ce pragmatisme s'opère par l'effusion de « l'agent divin » que l'on nomme Esprit, on comprendra que le spiritisme, dans son mode supérieur, n'est pas si éloigné du christianisme que certains le prétendent. Inspiration, transformation, prophétisme, possession, sur les modes opposés, entrent directement dans le champ de ses recherches. Et, mon Dieu, ces recherches sont tout l'essentiel du problème humain. »


     Il y a ici, pensons-nous, plus d'un point discutable. Entre le spiritisme tel qu'il se pratique et le christianisme, il est difficile de trouver un « pont ». Le spiritisme est, dans sa racine, la volonté de pénétrer dans l'invisible par une porte normalement fermée. La clef (le plus souvent une fausse clef) qui sert à ouvrir ladite porte se nomme le medium. Qui est-il ? On l'ignore, car les hommes ne connaissent pas les autres hommes et ne se connaissent pas bien eux-mêmes pour la plupart. Tout être est, naturellement, médium, car ce mot signifie seulement « intermédiaire ». Cela indique que chaque être est l'intermédiaire conscient ou inconscient, volontaire ou involontaire, entre l'humanité et... Dieu ou le diable. En d'autres termes, entre le plan spirituel et le plan... disons astral, inférieur ou supérieur

     Or le plan véritablement spirituel est, si nous ne nous abusons, bien rarement entrevu par des mortels, lesquels, dans ce cas, sont des saints évidemment mais non des spirites. Il ne faudrait pas s'abuser sur les mots : les « esprits » du spiritisme sont une chose. L'Esprit en est une autre. Rien ne permet de les confondre. Le mot spiritualisme même est employé - ceci est une importation anglaise - pour désigner le spiritisme. Il y a là, à notre sens, une confusion regrettable.

     Revenons au « médium ». Celui-ci ayant ouvert la porte (d'un domaine forcément inconnu puisque c'est pour le connaître qu'on s'adresse à lui), quelles entités se pressent de l'autre côté ? Il y en a certainement de bien des sortes. Il en est qui blasphèment. Il en est qui tiennent des discours édifiants - comme beaucoup d'hommes sur cette terre, - d'autres ricanent ou cherchent à nuire. Puisque vous parlez de pragmatisme, dites-moi, à quoi cela sert-il ? Pas même à rendre la foi à ceux qui doutent, car la croyance aux « esprits » et la foi en Dieu ne sont pas forcément de même ordre ! C'est d'ailleurs le genre de foi qui illustra saint Thomas, à qui le Christ répondit seulement « heureux ceux qui croient sans avoir vu ! ». La « foi » spirite est la constatation pure et simple d'un fait. Elle n'est pas plus « foi » que ne l'est la conviction du savant devant l'évidence d'un phénomène physique. Elle peut entraîner éventuellement la foi en Dieu, mais cette conséquence n'est pas obligatoire. D'ailleurs, le chrétien, celui qui veut suivre le Maître et ses loyaux serviteurs, celui, donc, qui a entendu l'appel du Christ, ne devrait pas avoir besoin de ces adjuvants. Si, plus rarement peut-être que vous ne le supposez, quelques désincarnés encore assez proches de la terre viennent vous apporter confiance et espoir en Dieu, n'est-ce pas simplement parce que vous avez obturé oh ! Sans le vouloir - toute autre source de foi que la source spirite ? De cette accommodation à votre mentalité je ne puis retenir qu'une chose : dans toute situation Dieu cherche à éclairer Sa créature, même quand cette situation est quelque peu en marge de la norme. Je n'y puis voir une justification de principe du spiritisme. De ce qu'un prisonnier se convertit intra muros, je ne puis conclure que la prison est un précieux élément de conversion, ni qu'elle soit à recommander à tous.. L'exemple est un peu gros, mais il ne me semble pas dénué de tout bon sens...

     Qu'un chrétien se fasse spirite m'a toujours semblé une erreur. S'il est chrétien, il ne peut ignorer que Jésus a enseigné que ceux qui croiront en Lui vivront éternellement. Alors ? Qu'apporte de vraiment neuf, de vraiment indispensable le spiritisme - même supérieur ? Y a-t-il lieu d'attribuer à l'Esprit divin ces vaticinations ? Qu'apprennent-elles d'essentiel que le Christ n'ait dit ?

     L'inspiration, le prophétisme, peuvent être l'œuvre de l'Esprit divin - mais aussi de l'Autre... On doit les reconnaître à leurs fruits, dit Jésus - et seulement à leurs fruits. En tout cas l'inspiré ou le prophète « divin » ne font rien pour l'être. Le « médium » divin ne veut pas l'être ; son cœur et son esprit sont volontairement abandonnés à Dieu. Jeanne d'Arc, que vous me citez en exemple, fut un de ces « divins médiums », c'est entendu ! Mais ce fut à son corps défendant et non pour chercher à sonder « l'essentiel du problème humain ». Elle n'a jamais voulu ou tenté d'ouvrir des portes défendues. Elle s'est bornée à aimer son prochain comme elle-même et Dieu par-dessus toutes choses, en toute simplicité de cœur, jusqu'à la mort, comme Jésus, son modèle, auquel elle s'abandonna jusqu'au dernier souffle. Jeanne d'Arc ne fut jamais spirite, elle fut chrétienne. Parce qu'elle fut chrétienne, ses possibilités dépassèrent - et de loin - les promesses du spiritisme. Jamais ses « voix » ne la trompèrent, avoue-t-elle. Elles venaient donc - et toutes - du plan de la Vérité - et de lui seul ; quel spirite pourrait répéter un tel aveu ? C'est donc d'un autre plan que viennent en général les révélations spirites, d'un plan où le vrai se mélange au faux, dans des proportions diverses, d'un plan non pas vraiment « spirituel » mais seulement « des esprits ». Cette distinction est nécessaire.

     « Jésus n'est pas Dieu Lui-même, mais le premier être arrivé à l'éternité » nous dit M. Luce, d'accord avec l'auteur de l'article « Jésus est-il Dieu ? »
     Ici nous nous déclarons bien indigne. Quel est l'homme qui peut sans trembler résoudre cette question formidable ? Il y a bien longtemps que des conciles se sont injuriés à cause d'elle...
     Et pourtant, nous oserons dire notre conviction intime - puisqu'a été énoncée la conviction opposée : Jésus est Dieu ; non pas le Père, mais le Fils ; non pas comme le premier être « arrivé à l'éternité » mais comme Dieu éternel. Expliquons-nous - maladroitement, hélas
     Le Père est le Créateur ; c'est en Lui que s'élabore l'idée primordiale de la Création. L'homme aussi a l'idée de ce qu'il veut faire avant de le réaliser, encore qu'il soit un dieu bien chétif...
     Quand le Père réalisa la Création, Il délégua Son Verbe, Sa Parole vivante (les Grecs, avec leur Logos, ne l'ont pas inventé ; les Égyptiens non plus, qui connaissaient aussi « le Bon dont la Parole est Vérité »). En même temps (qu'on nous passe ce mot impropre) circula partout la pensée paternelle, l'Esprit Saint - partout où la Parole fut proférée. Il est la Voie, ce Verbe-Lumière, car il est chargé de guider les Créations vers leur Créateur. Il est la Vérité, car il ne saurait les mener à leur perte. Il est la Vie, au sens strict du mot, car c'est Lui qui l'a insufflée à tout ce qui vit. Pousser plus loin nos recherches nous semble bien vain. Nous ne croyons pas qu'on puisse faire tenir la Trinité très sainte dans une théorie humaine - fut-elle gnostique.


     « La Trinité dit : trois personnes en une seule nature. Mais pourquoi a-t-on omis de faire figurer dans cette hypostase la personne céleste que la théosophie chrétienne (notamment Boehme et Saint Martin) nomme la Sophia, dont la relation avec Maria est la même que celle du Christ avec Jésus ? Et qu'est l'Esprit Saint vis-à-vis d'elle ? »

     Nous pourrions répondre que les dix premiers versets du premier chapitre de la Genèse offrent là-dessus une solution satisfaisante (encore qu'intellectuelle, donc approximative).
     Ajoutons seulement que nous ne voyons pas de raisons valables de faire entrer la Sophia dans l'hypostase. Reprenant notre comparaison précédente, nous dirons que, quand on parle de l'idée d'un homme, on ne parle pas de son cerveau physique. Quant à dire que Sophia = Maria ou que Christ = Jésus, c'est aller rapidement en besogne. L'idée du Père se manifeste par le Fils, c'est la Création vivante. Mais pour la création matérielle - à quelque degré que ce soit, car il y en a beaucoup avant d'arriver au degré animalisé où nous sommes - il faut une matière ou plutôt une matrice. Elle est humble, puisqu'elle est la « servante » du Seigneur et qu'elle se ploie à toutes les formes. Elle est la Mère fécondée par le Père et d'où sortent toutes les créations. Quand le Fils doit prendre forme, c'est elle qui devient la matrice qui l'engendrera. C'est l'Esprit Saint qui transmet la volonté du Père et l'humble créature, ignorant sa grandeur cachée, répond à l'Ange « Je suis la servante du Seigneur ».
Elle est l'éternel « instrument » du Père, la Mère du Fils, mais aussi celle de tous les êtres. Quant à la relation du Christ avec Jésus, le mot hébreu Jésus et le mot grec Christ désignent tous deux le même être.
     
     M. Luce se refuse à admettre que l'Être ineffable ait supporté dans son Fils le traitement ignominieux que lui ont réservé les hommes.
     Il croit que c'est là le ramener à notre mesure humaine.
     Ce qui est humain, c'est de ne point pouvoir exprimer d'une manière adéquate des idées et des mystères de Dieu. Dire que le Père « souffre » est évidemment une manière humaine de traduire l'idée de mécontentement (autre mot trop étroitement humain, comme tout mot) du Créateur qui voit Sa créature suivre la voie de l'Adversaire. Il décide que le Fils prendra un corps humain, afin d'être en un certain sens le même être que les fils d'Adam. Certes, le Fils ne s'incarne pas tout entier. Mais l'homme non plus, d'ailleurs, et le mot incarnation, bon à défaut d'autre plus exact, est assez impropre. La partie qui s'est incarnée n'est, cependant pas un être matériel comme nous. Il n'y a qu'à lire l'Évangile pour voir combien le Christ se tient constamment au-dessus. Il est en relation constante avec Son Père (n'enseignait-il pas les docteurs à douze ans ? N'échappe-t-il pas à toutes les lois physiques ? Non une fois, mais toujours !). N'est-il pas inaccessible aux tentations ?


     Il est le modèle de l'Homme tel qu'il devrait être s'il n'était pas tombé, tel qu'il redeviendra s'il se régénère par le sacrifice volontaire comme Jésus dut le faire, sans l'avoir mérité, pour montrer le chemin. L'Évangile nous dit très clairement qu'à l'heure du sacrifice qu'Il savait nécessaire, auquel Il consentait, Il n'était plus qu'un homme en proie d'abord à la souffrance morale et spirituelle (abandon présumé du Père, abandon certain des disciples).
     Il fallait qu'il ressentit la souffrance de l'homme ordinaire. S'Il était resté le Fils, il eût pu échapper au supplice. « Le Pasteur donne sa vie pour ses brebis ». Les siennes étant perdues sans son sacrifice, il devait donner sa Vie. Mais elle n'a pas plus disparu que celle de l'homme qui meurt sur un gibet ou sur un lit. Lui qui est la Vie, mourrait-il quand, à dire vrai, nous ne mourons pas réellement ? Et le Père l'ignorait-il ? Il n'est donc pas nécessaire de dramatiser sa soi-disant cruauté.
Nous laisserons de côté d'autres questions impossibles à traiter pour le moment. Un dernier point. M. Luce nous impute une confusion entre l'Homme-esprit et une ombre falote. L'Homme-esprit existe bel et bien, mais ni l'ombre, ni les mânes, ni les apparitions fantômales, ni les esprits des spirites, ni l'homme ordinaire n'ont rien à faire avec lui.


     Répétons que l'astral de la terre grouille d'êtres de toutes sortes et qu'il n'est pas très profitable à l'homme de s'en occuper de trop près. L'Adversaire les utilise souvent pour égarer les imprudents. Si certaines personnes ont des dispositions naturelles à voir les êtres de l'astral, on peut lire, entre autres, dans « La Voyante » de Prévorst combien c'est plaisant et quelle croix supplémentaire c'est pour l'heureux bénéficiaire d'une faculté plus enviée qu'enviable. Il vaut certes mieux, à notre humble avis, prier avec simplicité et méditer sur les Paroles que Jésus nous a laissées. Quant aux visions d'êtres spirituels réels, émanés du plan divin, elles sont, nous en sommes sûrs, excessivement rares et ne sont provoquées que pour de graves missions, dont celle de Jeanne d'Arc est le type achevé. Les « révélations » des médiums ne nous semblent pas avoir l'importance que leur attribuent trop souvent les spirites. Que peuvent-ils discerner ? Que savent-ils sur l'origine et les buts des êtres qui leur parlent ? Refrain (sempiternel) tout l'essentiel est dans l'Évangile. C'est lui qu'il faut consulter - et pratiquer. - Alors, le « cœur » s'éclairera et chacun sera un médium.

     Pour nous, un spiritisme « christique » ne saurait s'expliquer clairement que comme un christianisme pur et simple. C'est peut-être, au fond, la pensée de notre bien sympathique ami M. Luce.
Dans cette consolante espérance nous mettrons le point final à une controverse qui a eu au moins le mérite de nous permettre, à tous deux, de mieux préciser notre pensée.


A. SAVORET.

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